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  • Noé Programme

    "Bad trip (...) Les films de Noé sont toujours éprouvants, jamais « aimables », à la limite parfois du supportable..." (Le journal cinéma du Dr Orlof)

    "Un bad trip. L'album de Programme, Agent réel, s'y apparente. Moment acerbe, perceptions aiguisées à l'extrême, frôlant l'insoutenable." (Millefeuille)

    Je n'ai toujours pas vu Enter the Void mais la sortie récente d'Agent réel, troisième album de Programme a remis à jour un rapprochement entre deux univers qui me semble évident depuis dix ans maintenant.

    Rythme de production équivalent (trois longs-métrages et trois albums "officiels", auxquels s'ajoute un bon nombre de travaux parallèles), étonnante concordance des dates (1999, 2002, 2010 pour Noé, 2000, 2002, 2010 pour Programme), volonté partagée de montrer/dire ce que l'on ne saurait voir/entendre, même soif d'expérimentation visuelle/sonore et même risque assumé de se retrouver bloqué dans une impasse (sur Agent réel, les 30 minutes bruitistes de Nous, aussi interminables que le tunnel d'Irréversible), goût commun pour la déconstruction narrative, même tension entre la description sans concession d'un réel asphyxiant et le désir d'élévation, réactions similaires devant leurs œuvres, entre agacement et admiration, et, finalement, même impérieuse nécessité de leur présence active en ces temps où rien ne doit dépasser...

    (les ultimes propos tenus lors de cet entretien, paru il y a de cela quelques jours à peine, ne semblant pas me contredire)

    Site de Programme

  • Life during wartime

    (Todd Solondz / Etats-Unis / 2009)

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    lifeduringwartime.jpgLife during wartime se présente plus (mêmes personnages) ou moins (acteurs différents) comme la suite de Happiness (1998), film le plus réputé, à juste titre, de la filmographie de Todd Solondz. Le cinéaste rejoue sa petite musique grinçante pour traduire toute l’horreur que lui inspire la middle class américaine, proprette en surface mais minée en profondeur par les névroses et les déviances. Cette guerre, il la mène depuis au moins dix ans, et entendre une mère de famille expliquer à son fiston qu’elle s’est sentie toute mouillée lorsque son prétendant l’a touché ou que les pédophiles sont des terroristes ne provoque plus vraiment d'effet de surprise. Les bousculades narratives de Storytelling (2001) et de Palindromes (2004) avaient réussi à masquer le goût de réchauffé (selon moi de manière assez impressionnante en ce qui concerne le deuxième) mais cette fois-ci, il n’y a plus rien pour accompagner cette énième reprise des thèmes obsédant le cinéaste. Que ce soit à l'image ou au montage, Solondz a décidé cette fois de tout mettre à plat.

    Le film paraît lent, notamment à cause d'une succession de scènes très similaires. Toutes sont en effet écrites pratiquement de la même façon, en prenant appui sur des dialogues ressassant l'idée du pardon, le problème étant que ces échanges renvoient la plupart du temps à un passé volontairement mal éclairé (à moins, peut-être, que l'on ait encore très clairement en tête les situations développées dans Happiness). Les confrontations organisées sont de toute façon trop longues. On y tourne en rond. Plus inquiétant encore, on en arrive à prévoir les choses à l'avance : ce panoramique partant d'un répondeur et balayant une chambre ne peut que s'arrêter sur un corps inanimé, cette phrase de Charlotte Rampling ("J'ai besoin d'autre chose qu'une simple caresse") ne peut qu'être collée à un plan sexuel, cette recommandation maternelle ("Si on te touche, tu cries !") ne peut que déboucher plus tard sur un "gag" mécanique (ayant de surcroît une conséquence scénaristique déconnectée de toute vraisemblance comportementale).

    L'échec de Life during wartime est donc aussi bien narratif (les transitions sont laborieuses et les vignettes faussement idylliques et véritablement ironiques ne parviennent pas élever le reste) qu'esthétique (la photographie, neutre, n'a pas dû demander beaucoup de travail à Ed Lachman, l'apparition de fantômes ne faisant en rien dévier la ligne morne du film). Pas de scène-choc, pas de performance d'acteur notable... Il ne reste qu'à prendre acte de la permanence du pessimisme de Solondz, à se satisfaire du fait qu'il n'en fait toujours qu'à sa tête et qu'il ne semble pas prêt à rentrer dans le rang et surtout à espérer qu'il trouve prochainement un second souffle.

  • Copie conforme

    (Abbas Kiarostami / Italie - France / 2010)

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    copieconforme.jpgComme tous les grands films de Kiarostami, Copie conforme raconte une histoire en même temps qu'il la montre en train de s'écrire. Ce double niveau n'est pas rendu sensible par un emboîtement. La caméra ne recule pas pour dévoiler un dispositif de représentation. Non, le jeu est plus subtil et plus mystérieux.

    Il est pris en charge d'abord par les personnages. Au fast-food, le fils expose clairement ce qu'il pense qu'il se passe entre sa mère et l'écrivain, puis ces deux derniers ne vont cesser de faire des propositions permettant autant de mises en scène de récit : aller se promener, entrer dans un café, observer un rituel (la première de ces propositions étant bien sûr de faire une conférence sur le thème "copie et original", sans compter celle, encore en amont et "hors du film", de lancer le "jeu"). Les dialogues concourent à cette mise à distance, s'appuyant sur des thèmes propices puisque le statut de l'oeuvre d'art est au centre des conversations. Du tableau (ou de la statue) au film, il n'y a qu'un pas et c'est donc, de manière évidente, la position du cinéaste lui-même qui est questionnée ici. Avec le travail sur le hors-champ, les cadrages et les reflets, la mise en scène n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de naviguer dans l'entre-deux. Le procédé le plus saisissant est sans doute celui qui consiste à briser le rythme des séquences entamées avec des plans assez larges et mobiles par l'intrusion de plans fixes rapprochés. Cette frontalité soudaine est très déconcertante, surtout lorsqu'elle concerne Juliette Binoche. Régulièrement, l'actrice semble regarder la caméra et la frontière avec le spectateur s'abolit. Un isolement brutal du personnage est réalisé par ce déchirement, pratiquement une extraction. Personnage ou actrice au travail ? Le film se met, sinon en danger, du moins en équilibre précaire. Parfois, dans les dialogues, des hésitations se font, on bute sur des mots. L'accident du réel est intégré avec le maîtrise habituelle du cinéaste.

    La beauté de Copie conforme tient à ce flottement (sensation amplifiée par cette césure narrative, si radicale que l'on met quelques minutes à s'y faire, à la digérer, à l'accepter) et à ce que l'indécidabilité se diffuse sur un fond de mise en scène de la "transparence". Cette simplicité apparente du geste kiarostamien laisse une nouvelle fois pantois : merveilleux choix de cadrages faisant réellement vivre le décor, admirable photographie des visages (jusque dans les jeux de pénombre), trame sonore précise dans l'emploi des différentes langues comme dans celui des éléments environnants (surtout les cloches d'église, cela bien avant le plan final).

    Que le sujet de la réflexion passe progressivement de l'art au couple et que le cinéma englobe les deux, est une autre raison d'aimer ce film qui, sous ses apparences d'oeuvre mineure, confirme encore, si besoin était, l'importance de Kiarostami. L'homme a ce don unique et précieux de transcender la mélancolie, voire le pessimisme, de ses récits par une forme qui permet d'avancer (aux personnages et aux spectateurs). Même lorsque l'on y parle de la mort ou de la fin d'une histoire, nous ne restons jamais à l'arrêt.

    Vu par un nombre manifestement inhabituel de spectateurs, pour un Kiarostami, et largement recensé ici ou là, Copie conforme a globalement déçu. Dommage.

    Un dernier mot : j'ai été assez ému de retrouver Juliette Binoche.

  • C'était mieux avant... (Juin 1985)

    - Vous dites ? Plus de quinze jours de retard pour ma chronique mensuelle ? Mais non !

    - Messi !

    - Ah ne commencez pas avec le foot ! J'ai déjà perdu assez de temps comme ça.

    - Je suis sûr que vous allez retrouver votre rythme de croisière, avec Toulalan qui vous caractérise.

    - Vous n'êtes pas drôle.

    - Pourtant, Thierry Henry encore...

    - Bon, ça va bien maintenant ! Vous n'allez quand même pas en faire une avec Kaka ?

    - Non, mais j'en connais une excellente à propos de Schweinsteiger.

    - Ecoutez, si vous voulez, vous pouvez repasser un autre jour avec des jeux de mots sur les cinéastes, du genre "Bela Tarr que jamais".

    - Mais la Hongrie n'est pas qualifiée...

    - Arrêtez. De toute façon, les cinéphiles n'aiment pas le foot.

    - Si, il y a Joachim.

    - Oui, d'accord. Mais depuis qu'il écrit aux Cahiers, il n'a plus trop le temps...

    - Il est pris dans l'Eto'o.

    - S'il vous plaît... Il faut vraiment que je lance ma chronique. Je vais encore perdre une place au classement wikio.

    - C'est peut-être dû à l'habillage du blog. Refaites la Deco.

    - Sortez !

    - Pffff..., Cissé comme ça que vous le prenez, la discussion est Klose. Espèce de Buffon !

    *****

    Mai est déjà très loin et il est plus que temps de revenir sur les sorties cinéma du mois de Juin 85 :

    Autant le dire tout de suite, la livraison n'a pas grand chose d'exaltant et la désagréable impression de toucher le fond se fait ressentir lorsque l'on observe ce corpus par le biais des genres cinématographiques.

    phenomena.jpgIl en va ainsi, en premier lieu, de la comédie avec Les anges se fendent la gueule de Jamie Uys (soit 1h35 de caméra cachée), Y a pas le feu de Richard Balducci et Gros dégueulasse de Bruno Zincone (d'après Reiser avec Maurice Risch dans le rôle titre). Derrière un tel tiercé, on en arriverait presque à être tenté par Patrouille de nuit de Jackie Kong (parodie américaine de film policier) ou Drôle de samedi de Bay Okan (suite franco-suisse de saynètes humoristiques ciblant le quotidien, avec Francis Huster, Carole Laure, Jacques Villeret, Michel Blanc, Jean-Luc Bideau...).

    Au rayon SF, Starfighter de Nick Castle n'a pas l'allure d'un classique et, côté fantastique, le Phenomena de Dario Argento est, la plupart du temps, présenté comme une simple resuçée de Suspiria.Le spectateur friand d'action n'est guère mieux servi avec Destructor de Max Kleven (un sous-Rambo tirant vers la parodie), L'enfer en quatrième vitesse d'Antonio Margheriti (une série B italienne sur les courses de bagnoles), Cocaïne (un film de gangs new yorkais étrangement signé par Paul Morrissey), Portés disparus de Joseph Zito (l'un des pires films sur l'après-Vietnam, avec l'intense Chuck Norris) ou La rage de tuer de René Cardona Jr. (un polar bis italo-mexicain). En serait-il réduit, le spectateur, à chercher le salut dans les produits importés de Hong-Kong (Les douze piliers de Shaolin de Chian Lien, Ninja fury de Godfrey Ho, Shaolin contre Léopard de Cheng Hung Man, Les guerriers du temple maudit de William Lan) ?

    Malheureusement, force est de constater qu'il est aussi peu probable que l'extase soit au rendez-vous devant les productions plus "sérieuses", qu'il s'agisse d'Aspern d'Eduardo de Gregorio (film portugais d'après Henry James, avec Bulle Ogier), du Consul honoraire de John Mackenzie (d'après Graham Greene, film que l'on devine tenu essentiellement (uniquement ?) par les acteurs : Michael Caine, Richard Gere, Bob Hoskins), de Desiderio d'Anna-Maria Tato (un premier film italien, avec Fanny Ardant), de French lover de Richard "Jedi" Marquand (une chronique de l'infidélité située à Paris et qui n'a pas peur des clichés, avec Karen Allen et Thierry Lhermitte), de Marjorie de Martin Ritt (biopic académique (pléonasme ?) sur l'écrivain Marjorie Kinnan Rawlings) ou des Poings fermés de Jean-Louis Benoit (les traumatismes de la guerre étudiés sous l'angle du symbolisme).

    chinablue.jpgCertes, il y a bien dans le lot quelques titres plus connus que ces derniers mais aucun ne m'a laissé de souvenir impérissable. Le baiser de la femme-araignée d'Hector Babenco est un assez fameux film à tiroirs sur les maux de l'Amérique latine, bénéficiant de l'interprétation de William Hurt, récompensé à Cannes, et de Raul Julia. Choose me est une ronde moderne et altmanienne d'Alan Rudolph, lequel m'a quelque fois intéressé sans jamais me passionner réellement, y compris à cette occasion (malgré Geneviève Bujold et Keith Carradine). Escalier C de Jean-Charles Tacchella connut un beau succès mais cette vue en coupe d'un immeuble parisien dans lequel se croisaient entre autres Robin Renucci, Jacques Bonnaffé et Jean-Pierre Bacri, débouche-t-elle sur autre chose qu'un "film sympathique" ? A l'opposé de ce registre de demi-teinte, nous pouvons placer Les jours et les nuits de China Blue du provocateur Ken Russell, qui filmait là Kathleen Turner en train de mener sa double vie dans les quartiers chauds. Cette virée nocturne et allumée s'offrait à nous, adolescents, nimbée de scandale. Vingt-cinq ans après, l'odeur de souffre persiste-t-elle ? Je n'en sais absolument rien, faute d'avoir revu le film depuis. Ce que j'ai fait en revanche pour La forêt d'émeraude de John Boorman, entreprise ambitieuse, spectaculaire et poétique, évènement du mois, probablement. Sauf que... La puissance visuelle et narrative libérée par cette aventure amazonienne m'avait soufflé à quinze ans, puis fortement agacé à vingt-cinq. Peut-être aurais-je dû m'y replonger à trente-cinq, histoire de voir si le balancier se remettait à l'équilibre, bien que la carrière de Boorman me paraisse aussi accidentée qu'un manège à sensations, passant du très haut au très bas sans s'arrêter à mi-chemin.

    repoman.jpgFinalement, dans la jungle de ce mois de juin 85, mieux vaut peut-être chercher son bonheur dans les marges. Profiter de la reprise d'un mélodrame indien réputé de 1957 (Assoiffé de Guru Dutt). Se laisser tenter par l'inclassable Repo man d'Alex Cox (avec Harry Dean Stanton et Emilio Estevez), récit passant par le prisme de divers genres, du film noir à la SF, par Des terroristes à la retraite, documentaire signé Mosco sur le groupe Manouchian, sorti alors en salles à la sauvette et diffusé à la télévision après bien des péripéties (les obstacles rencontrés étant dus à une volonté de protéger l'image du Parti Communiste, mis en cause dans l'affaire) ou par Visages de femmes de l'Ivoirien Désiré Ecaré. Voire, pour les plus aventureux, se frotter à l'improbable drame secouant le milieu de l'aérobic conté par Lawrence Dane dans Heavenly Bodies, au film de prison chaud-bouillant américano-ouest-allemand Chaleur rouge de Robert Collector (Linda Blair y est emprisonnée par le KGB et subit les sévices de Sylvia Kristel, le tout étant à l'époque interdit aux moins de 18 ans), à l'érotique Joy et Joan de Jacques Saurel (pour voir Brigitte Lahaie ailleurs que dans du X). Ou bien, en désespoir de cause, se reporter sur Colossale débauche pour une femme frigide de Youri Berko, porno se distinguant de la production courante au moins par son titre.

    starfix27.jpgDans les kiosques, la plupart des revues proposaient alors des dossiers sur le Festival de Cannes. Cinéma 85 (318) et les Cahiers du Cinéma (373) mettaient en valeur Rendez-vous d'André Téchiné, Starfix (27) un quatuor de films composé de Mishima (Paul Schrader), Pale rider (Clint Eastwood), Witness (Peter Weir) et d'un autre non identifié. Cinématographe (111), qui rendait hommage aux acteurs, affichait Miranda Richardson, alors que Premiere (99) célèbrait la rencontre entre Sigourney Weaver et Gérard Depardieu (dans le film de Daniel Vigne, Une femme ou deux). Positif (292) et La Revue du Cinéma (406), choisissaient pour orner leur couverture Mishima (sorti en mai, comme le Téchiné cité précédemment), Jeune Cinéma (167) Au-delà des murs d'Uri Barbash (sorti en avril) et enfin L'Ecran Fantastique (57) Starfighter.

    Voilà pour juin 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : Starfighter, La forêt d'émeraude & Phenomena vus par Mariaque.

  • La rage du tigre

    (Chang Cheh / Hong-Kong / 1971)

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    Depuis le lancement de ce blog, de fidèles commentateurs, et non des moindres (Julien, l'ami Vincent d'Inisfree, peut-être même notre bon Dr Orlof), ont profité de diverses occasions (la recension d'un Tarantino et de deux Misumi, entre autres...) pour chanter les louanges de Chang Cheh et de sa fameuse Rage du tigre (Xin du bi dao). Mes réponses furent à chaque fois quelque peu évasives. Aussi, afin de clarifier autant que possible ma pensée, j'ai décidé de retranscrire ici les brèves notes que j'ai pu écrire à l'époque de ma découverte du film, en mai 2006. Je vous les livre sans aucune modification et en assumant parfaitement la démarche, à la limite de la mauvaise foi, qui consiste à évoquer succinctement mais avec beaucoup de réserves un film non revu depuis quatre ans et à se placer ainsi dans une position rendant pratiquement impossible tout débat...

    laragedutigre.jpg"Seules deux scènes retiennent l'attention, et encore... la première est un flash : la mort du chevalier, écartelé par quatre cordes et coupé en deux d'un coup de sabre. La deuxième est l'ultime duel sur le pont, déjà jonché de plusieurs dizaines de cadavres, combattants zigouillés par le héros manchot. Le coup final porté grâce à l'usage de trois sabres (pour un seul bras) est assez beau car il explique d'autres scènes de jonglerie avec des oeufs ou des ustensiles de cuisine qui paraissaient ridicules.

    Il faut quand même être bien indulgent pour admirer ce film de série. Notons qu'en 1971, si on ne volait pas encore vraiment pendant les combats, il y avait déjà des bonds de plusieurs mètres assez improbables. Dernier léger intérêt : le dialogue incessant entre films de sabre asiatiques et western italien (hyper-violence, musique, thème de la vengeance)."

    Voilà, c'est dit...

  • Lola

    (Brillante Mendoza / Philippines - France / 2009)

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    lola.jpgUne immersion.

    Voilà ce que propose Brillante Mendoza avec Lola. Il se cale dans les pas lents mais déterminés de "Lola" ("Grand-Mère") Sepa et "Lola" Carpin, alternativement. La première cherche à enterrer dignement son petit-fils, la seconde à libérer de prison le sien, l'un étant le meurtrier de l'autre. La caméra mobile, portée à bout de bras, suit les déplacements des deux vieilles femmes dans Manille et ses environs, dans les rues bondées, dans les gares, dans les arrière-cours, dans les bureaux de l'administration. Ces héroïnes fatiguées sont placées au premier plan mais ce qui se passe autour d'elle est au moins aussi important : la vie d'une cité est captée, les petits accidents du réel, semblant à peine provoqués, sont enregistrés. Ce n'est pas seulement la population qui affirme sa présence mais bien la ville dans toutes ses dimensions : sociale, géographique, architecturale, sonore. Dans ces conditions de tournage dans la rue, on imagine le travail compliqué et on admire une mise en scène vibrante mais toujours lisible, claire et réfléchie.

    L'immersion, c'est également, au sens premier, la plongée dans un liquide. L'eau est omniprésente dans Lola, que Mendoza a volontairement réalisé au moment de la saison des pluies. Tout le quartier de Lola Sepa se trouve inondé jusqu'aux étages des maisons et les déplacements doivent s'y faire en barque, y compris le cortège funéraire (la séquence est, pour nous, étonnante, même si on saisit bien que la situation n'a sans doute pas pour cette population un caractère si exceptionnel). La force de la pluie est décuplée par celle du vent. Leur conjonction éprouve les corps des deux femmes courbées, mal protégées par des parapluies dérisoires.

    Dans ce qui est quasiment la première séquence, se trouve réuni tout ce qui fait le prix du film. Au coin d'une rue, près d'un groupe d'enfants jouant par terre sans se soucier du reste, Lola Sepa, accompagnée de l'un de ses petits fils, lutte contre les éléments en tentant d'allumer une bougie sous les bourrasques. La finalité du geste n'est pas clarifiée tout de suite, l'effort est répété plusieurs fois et le temps s'étire : une aura mystérieuse s'installe, densifiant le réel enregistré.

    A plusieurs reprises, plus régulièrement avec l'approche de la fin du film, entre les séquences évoluant au ras du quotidien viendront s'intercaler de la même façon des moments qui, s'ils ne se détachent pas du cadre ni du récit, libèrent un lyrisme marqué et orchestrent une progression qui repousse tout sentiment de monotonie. Ils ne prennent toutefois leur valeur que par rapport aux autres, à la beauté moins évidente mais à la nécessité aussi incontestable. En effet, le réalisme absolu de la plupart des séquences permet d'éloigner le spectre du symbolisme pesant et de placer des ponctuations qui ne se transforment pas en grossier nœud dramatique (par exemple, la mise en gage du poste de télévision par la grand-mère provoque une colère mais pas un drame). Surtout, est rendu possible l'éclairage de personnages complexes et évolutifs. Pendant une bonne partie du film, les vieilles femmes semblent les seules à chercher à faire tenir cette société, faisant le lien entre les enclaves familiales et administratives, chapeautant des familles auxquelles il manque, à chaque génération, un membre. L'attachement que l'on ressent en est d'autant plus fort, malgré ce que l'on perçoit aussi chez elles : caractère buté ou manigances. Or, au bout de cette vision pessimiste, on réalise tout de même que l'apaisement recherché est aussi obtenu grâce aux générations suivantes, qui semblaient pourtant bien passives. Ce sont de telles trouvailles d'écriture ou de mise en scène (comme le détail des reporters filmant avec désinvolture le résultat  des inondations sur le quartier, reporters qui sont montrés après un travelling qui pourrait tout aussi bien avoir été réalisé avec leur caméra) qui donnent le sentiment que le film de Brillante Mendoza est au final moins simple qu'il n'y paraît.

  • Blue collar

    (Paul Schrader / Etats-Unis / 1978)

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    bluecollar.jpgLe cadre est celui de la ville industrielle de Detroit : ses usines d'automobiles, ses bars, ses rues bordées de pavillons, bref, tous les endroits que fréquentent les ouvriers. Nous suivons trois d'entre eux, trois amis, deux Noirs et un Blanc, qui, épuisés par les cadences, les exigences des petits chefs et les remboursements de crédits, décident de réaliser un casse au siège de leur propre syndicat. Le butin ne sera pas à la hauteur de leurs attentes et leur attirera au contraire de gros ennuis puisque l'un des documents récupérés leur révèlera les graves irrégularités dont l'organisation s'est rendue coupable.

    S'il n'est pas absolument passionnant, Blue collar, premier long métrage dirigé par Paul Schrader, est intéressant. Ce sont d'abord l'approche réaliste, la sobriété du filmage et le ton adopté, celui de la chronique, qui surprennent chez un (futur) cinéaste plutôt réputé pour son maniérisme. Dès le formidable générique de début, calant les percussions du blues de Captain Beefheart sur les bruits assourdissants de la chaîne de montage des véhicules, la capacité de Schrader à filmer le monde ouvrier réellement de l'intérieur est évidente. Toute la première partie, la meilleure, est ainsi une succession de scènes de la vie quotidienne, au rythme des allers-retours entre le bar, l'atelier et la maison familiale. Comme dans toute chronique, les registres se mêlent, allant de la farce désespérée (Zeke qui présente au contrôleur des impôts des enfants qui ne sont pas les siens) au drame humain en passant par les moments de détente entre potes. Par la suite, s'effectue un virage prononcé vers le thriller paranoïaque, avec son cortège de trahisons et de compromissions traduisant avec un peu trop d'ostentation les intentions morales de l'auteur.

    Sans chercher à nier la facilité qu'il peut y avoir à recourir à cette formule, je dirais que Blue collar est avant tout un film de scénariste. Les situations et les personnages sont dessinés avec précision, sans manichéisme mais avec parfois un peu trop de clarté (la discussion autour du passé de taulard de Smokey, la caractérisation familiale très différenciée de chacun des trois protagonistes...). De plus, les quelques pics dramatiques ne sont guère portés par la mise en scène, beaucoup plus discrète que ne le laissait soupçonner l'introduction du film. Du coup, les coutures n'en sont, à certains endroits, que plus apparentes : dans la "préparation" de la décision concernant le casse avec l'accumulation de déboires financiers et l'accentuation de la pression au travail ou dans la présentation d'un personnage secondaire mais que l'on devine vite important et destiné à revenir avant le terme du récit.

    Le film peut donc difficilement être qualifié de brillant mais son cadre et son sujet méritent l'attention, ainsi que sa dimension politique, glissante, ambiguë, pessimiste, Schrader voyant dans la responsabilité individuelle la seule issue possible dans un monde où  toute organisation, y compris celles supposées être au service des plus vulnérables, ne sert au final que ses dirigeants.