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  • Biutiful

    (Alejandro Gonzalez Iñarritu / Espagne - Mexique / 2010)

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    biutiful.jpegPuissant. Sans doute trop. Et aussi trop chargé, trop long, trop large serait-on tenté d'ajouter à la suite. Je me demande toutefois s'il n'est pas un peu vain de se plaindre ainsi car cela revient en fait à regretter qu'Iñarritu n'aille pas assez contre sa nature. Or, il faut bien reconnaître que, sur bien des points, il a mis la pédale douce par rapport à son précédent film, Babel, et que sa décision de se passer dorénavant de son encombrant scénariste Guillermo Arriaga lui a été bénéfique et lui ouvre de nouveaux horizons, cette collaboration, après deux réussites spectaculaires, ayant montré crûment ses limites au troisième essai.

    Les premières minutes de Biutiful sont assez impressionnantes. L'inscription du récit dans la ville (une Barcelone, tout le monde le sait maintenant, loin de celle de Vicky Cristina Barcelona) est absolument saisissante, notamment grâce à d'incroyables plans nocturnes de Javier Bardem déambulant dans les rues. Avec ce travail sur la lumière, comme rarement, nous avons l'exacte sensation de la nuit citadine, succession désordonnée de noirs profonds et d'éclats lumineux. Ce début fait espérer un grand film qui collerait d'un bout à l'autre à son personnage et serait à l'image de son interprète : ténébreux et massif. Mais la promesse n'est pas vraiment tenue.

    Certes Bardem tient tout sur ses épaules, mais quelques scènes se passent de la présence de son Uxbal et, si liées qu'elles soient à son parcours, elles se révèlent moins intéressantes que les autres. Il en va ainsi de l'histoire parallèle des deux Chinois. Celle-ci éclaire une donnée sociale, précise la description du système d'exploitation des immigrés auquel prend part le personnage principal, mais nous détourne de la ligne de force centrale. S'en tenir beaucoup plus strictement au point de vue d'Uxbal aurait, à mon sens, été plus satisfaisant et cela n'aurait pas nécessairement nui au message concernant les exploités, qui apparaît ici, à quelques endroits, un peu trop conventionnellement asséné.

    Parmi les reproches que certains commentateurs ont pu formuler à l'encontre de Biutiful, le plus fréquent est celui de l'accumulation de malheurs. Il me semble pour ma part que le problème n'est pas quantitatif et que le parcours christique d'Uxbal en vaut bien d'autres. Si l'on peut émettre des réserves sur la manière, ce n'est pas le choix du mélo qu'il faut chercher à contester. Des réserves stylistiques, j'en ai moi-même quelques unes. Elles concernent le traitement des "moments forts" du film, en particulier l'altération ou l'amplification excessive des éléments de la bande-son. Par exemple, lorsque Uxbal fait un terrible aveu à sa fille et qu'il la serre dans ses bras, nous n'entendons que le battement de son cœur. Dans ces moments-là, Iñarritu en rajoute toujours un peu trop alors que "l'épaisseur" qu'il sait conférer à ce type de séquence se suffit à elle-même. C'est cette tendance qui gâche aussi légèrement les intrusions du fantastique dans le récit et le constat est d'autant plus regrettable que cette dimension s'avère stimulante (le rapport d'Uxbal aux morts est passionnant et mène à cette stupéfiante rencontre à la morgue, entre un fils de quarante ans et un père décédé mais ayant conservé son apparence juvénile).

    Je ne voudrais pas finir sur l'un de ces bémols mais avouer plutôt que dans la plupart des scènes, quelque chose parvient à "s'arracher", et signaler, pour terminer, l'approche assez intelligente, dès le début, qu'a Iñarritu du personnage de la femme d'Uxbal, qu'il était si facile de nous faire rejeter, ainsi que la grande force, parfois bouleversante, qui émane de tout ce qui a trait à la famille, cette famille dont les contours, au-delà d'un noyau dur constitué par le père et ses deux enfants, fluctuent sans cesse, qui se voit successivement défaite et reconstruite, qui peut être de substitution et qui peut devenir le lieu d'un retournement émouvant du rapport à l'étranger.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1989)

     Suite du flashback.

     

    C416.jpgPOS338.jpg1989 : La fin de l'année voit les Cahiers changer de formule et modifier légèrement leur comité de rédaction, dans lequel entre notamment Nicolas Saada, tandis que Thierry Jousse en devient le rédacteur en chef adjoint. Au niveau des auteurs, Coppola (Tucker), Cronenberg (Faux-semblants), Moretti (Palombella rossa), Rivette (La bande des quatre) semblent, pour la revue, se détacher mais d'autres cinéastes sont rencontrés au fil des mois : Claude Zidi (pour Deux), Bertrand Blier (Trop belle pour toi), Spike Lee (Do the right thing),  Idrissa Ouedraogo (Yaaba), Philippe Garrel (Les baisers de secours), Emir Kusturica (Le temps des gitans). Ganashatru de Satyajit Ray, La fille de quinze ans de Jacques Doillon, Batman de Tim Burton, Abyss de James Cameron et Route One / USA de Robert Kramer font partie des films mis en avant, à côté de textes sur les "films-rock", sur le bicentenaire de la Révolution française ou sur les cinémas hongrois et soviétique, de rencontres avec Tsui Hark, Daniel Auteuil, Rob Reiner, Robby Müller et Adolph Green, d'un spécial cinéma français en mai, d'un retour sur Pasolini, d'hommages à John Cassavetes, Sergio Leone et Jacques Doniol-Valcroze et de deux tables rondes, l'une à propos de Pickpocket de Robert Bresson, l'autre du cinéma français.
    Quelques lignes se croisent évidemment avec celles tracées par Positif (Coppola, Cronenberg, Blier, Doillon, Kusturica, Moretti, Adolph Green, la Hongrie, les Films-rock, le bicentenaire). De ce côté-ci, on peut lire un nombre conséquent d'entretiens, accordés par Jonathan Demme (Veuve mais pas trop), Claude Miller (La petite voleuse), Barry Levinson (Rain man), Terry Gilliam (Les aventures du baron de Munchausen), Stephen Frears (Les liaisons dangereuses), Mike Leigh (High hopes), Jerry Schatzberg (L'ami retrouvé), Denys Arcand (Jésus de Montréal), Dai Sijie (Chine, ma douleur), Lino Brocka (Les insoumis), Steven Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo), Bertrand Tavernier (La vie et rien d'autre), Alain Corneau (Nocturne indien), Yong-Kyun Bae (Pourquoi Bodhi Dharma...), Shohei Imamura (Pluie noire), Peter Greenaway (Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant), Jean-Claude Brisseau (Noce blanche) Krzysztof Kieslowski (Le Décalogue) et Eric Rochant (Un monde sans pitié). La revue, qu'intègre alors Philippe Rouyer, étudie également le cinéma anglais (entretiens avec Charles Crichton, John Cleese et David Lean), le cinéma fantastique, le muet et l'animation (entretiens avec Jan Svankmajer et Youri Norstein), propose un dossier estival sur le Hollywood classique et recueille les propos de Micheline Presle, Mario Vargas Llosa et Harold Pinter.

     

    Janvier : Tucker (Francis Ford Coppola, Cahiers du Cinéma n°415) /vs/ Tucker (Francis Ford Coppola, Positif n°335)

    Février : Faux-semblants (David Cronenberg, C416) /vs/ Un poisson nommé Wanda (Charles Crichton, P336)

    Mars : John Cassavetes (C417) /vs/ Les aventures du baron de Munchausen (Terry Gilliam, P337)

    Avril : L'enfant de l'hiver (Olivier Assayas, C418) /vs/ Les liaisons dangereuses (Stephen Frears, P338)

    Mai : Trop belle pour toi (Bertrand Blier, C419-420) /vs/ L'ami retrouvé (Jerry Schatzberg, P339)

    Juin : Do the right thing (Spike Lee, C421) /vs/ Jésus de Montréal (Denys Arcand, P340)

    Eté : Sergio Leone (C422) /vs/ Annie du Klondike (Raoul Walsh, P341-342)

    Septembre : Batman (Tim Burton, C423) /vs/ Sexe, mensonges et vidéo (Steven Soderbergh, P343)

    Octobre : Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, C424) /vs/ Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? (Yong-Kyun Bae, P344)

    Novembre : Palombella rossa (Nanni Moretti, C425) /vs/ Le temps des gitans (Emir Kusturica, P345)

    Décembre : Les voyages de Sullivan (Preston Sturges, C426) /vs/ Brève histoire d'amour (Krzysztof Kieslowski, P346)

     

    C421.jpgPOS343.jpgQuitte à choisir : Un seul film partagé (et toujours inconnu de mes services, tout comme ceux d'Assayas et Schatzberg, de Sturges et Walsh) mais un bilan finalement équilibré. De chaque côté, la liste paraît cohérente et sans réelle anomalie, même si l'on peut ergoter en quelques endroits (l'accrocheur doublé automnal des Cahiers, les choix positivistes de février et d'octobre...). Allez, pour 1989 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • C'était mieux avant... (Novembre 1985)

    Adieu Octobre. Tournons la page et passons au chapitre suivant de notre album-souvenirs pour nous enquérir des sorties cinéma du mois de Novembre 1985 :

    colonelredl.jpgLa récolte nous gratifie d'une cuvée de qualité assez élevée, riche d'arômes différents. Trois échantillons se détachent parmi ceux que j'ai pu goûter moi-même. A cette époque-là, Istvan Szabo atteignait le pic de sa renommée internationale grâce à son Colonel Redl, intensément porté par Klaus Maria Brandauer. Dans mon souvenir, ce récit de l'ascension et de la chute d'un militaire dans l'empire austro-hongrois du début du XXe constitue un film glacé et brûlant à la fois, faussement académique. Comme à son habitude, Michael Cimino avec L'année du dragon créait l'événement et la controverse, soupçonné qu'il était de complaisance dans sa façon de montrer la violence et de racisme anti-asiatique dans sa description de la mafia régnant sur Chinatown. Personnellement, nous y vîmes surtout un polar d'une puissance inégalable. Ce que nous ne savions pas, c'est que celui-ci serait le dernier grand film du cinéaste. Tangos, l'exil de Gardel fut pour nous une très belle découverte - bientôt prolongée par celle, toute aussi réjouissante du Sud (1988). Fernando E. Solanas tissait une toile complexe à partir de la création d'un spectacle de tango à Paris. Les niveaux de lectures se multipliaient au gré des allers-retours géographiques et temporels, dans un mélange de genres où l'on nous entretenait à la fois des tracas des éxilés argentins et de la persistance du fantôme de Gardel.

    D'autres noms présents sur la liste du mois retiennent l'attention. Si Nikita Mikhalkov n'avait pas encore le statut que ses films de la fin des années 70 (Partition inachevée..., Cinq soirées, Oblomov...) auraient déjà dû lui conférer, il ne lui restait que quelques mois à patienter (Les yeux noirs, 1987). Pour l'heure, nous arrivait tardivement sa comédie satirique de 81, La parentèle. Raymond Depardon avec Une femme en Afrique (Empty quarter) gardait son regard documenté mais se frottait cette fois-ci à la fiction. Wim Wenders, lui, faisait le chemin inverse et livrait son journal filmé, sur les traces de Yasujiro Ozu, Tokyo-Ga. La sortie d'un nouveau film de Nelson Pereira dos Santos, Mémoires de prison, sur la lutte de l'écrivain Graciliano Ramos sous la dictature Vargas pendant les années 30, était accompagnée de celle de Rio, Zone Nord, classique de 1957 mêlant social et samba et annonçant le Cinema Novo des années 60 dont le cinéaste allait être l'un des fers de lance. Ce dernier titre n'était d'ailleurs pas le seul à être tiré de l'oubli par les distributeurs puisque Corbeaux et moineaux de Zheng Junli, incunable de 1949, refaisait également surface. Tourné à Shanghaï, dans une période particulièrement troublée de l'histoire chinoise, ce remarquable film choral avait déjà retenu les leçons du néoréalisme italien et faisait preuve, vu le contexte, d'une étonnante justesse.

    affairemorituri.jpgDeux premiers films français singuliers trouvaient à se faufiler dans le programme chargé du mois : L'affaire des divisions Morituri, manifeste post-punk de F.J. Ossang et L'amour ou presque, rappel du réalisme poétique par Pierre Gautier. Le temps détruit de Pierre Beuchot, basé sur la lecture de lettres écrites par les soldats Maurice Jaubert, Paul Nizan et Roger Beuchot, plongés dans la drôle de guerre de 39-40 et Vertiges de Christine Laurent, un jeu entre théâtre et réalité autour des Noces de Figaro de Mozart, pouvaient également piquer la curiosité. En revanche, un tri plus sélectif était sans doute à faire entre Le voyage à Paimpol (drame ouvrier de John Berry avec Myriam Boyer et Michel Boujenah), Le transfuge (de Philippe Lefebvre, film d'espionnage avec Bruno Cremer), Une femme ou deux (de Daniel Vigne, avec Gérard Depardieu et Sigourney Weaver, une comédie sur fond de paléontologie), Les bons débarras (drame canadien de Francis Mankiewicz), L'homme aux yeux d'argent (policier de Pierre Granier-Deferre), Lune de miel (de Patrick Jamain, un thriller franco-canadien qui suit Nathalie Baye à New York) et Passage secret (de Laurent Perrin). De mon côté, j'eus la joie de découvrir en ce temps-là trois films que je ne suis guère enclin à revisiter : Rouge baiser ou l'itinéraire sentimentalo-politique d'une jeune femme des années 50 filmé par Véra Belmont (turbulences adolescentes obligent, je tombais amoureux d'une nouvelle actrice tous les mois : en novembre, elle se nommait Charlotte Valandrey), Scout toujours, deuxième réalisation plutôt anecdotique de Gérard Jugnot, et La cage aux folles III, "Elles" se marient, grosse farce de Georges Lautner, suite très dispensable des aventures du couple Serrault-Tognazzi.

    fletch.jpgNous et l'ensemble du grand public étions mieux récompensés par Cocoon signé d'un Ron Howard renouvelant alors la bonne pêche de Splash en contant cette fois-ci l'histoire de trois vieillards (Hume Cronyn, Wilford Brimley et Don Ameche) qui trouvent une seconde jeunesse dans une eau régénérée par des cocons extraterrestres, ainsi que par Fletch aux trousses de Michael Ritchie, polar décontracté bénéficiant de l'abattage de Chevy Chase. Mais nous l'étions sans doute un peu moins par Harem d'Arthur Joffé (ou les aventures exotiques et romantiques de Ben Kingsley et Nastassja Kinski) et Taram et le chaudron magique de Ted Berman et Richard Rich (un Walt Disney lorgnant vers la fantasy). Pour terminer, il serait dommage d'oublier de mentionner Le châtiment de la pierre magique  de Tim Burstall, western en terre aborigène, Exterminator 2 de Mark Buntzmann et William Sachs, série B post-Vietnam prônant l'autodéfense dans les rues mal fréquentées de New York, Monkey Kung Fu contre le Cobra d'or de Joe Law ou Portés disparus n°2 : Pourquoi ? (c'est vrai ça, pourquoi ?) de Lance Hool, nouvelle croisade anti-jaunes de Chuck Norris.

    revuecinema410.JPGDans les kiosques, nous pouvions nous apercevoir que deux actrices étaient à l'honneur : Nastassja Kinski et Valérie Kaprisky, la première dans Starfix (30) et la seconde dans Premiere (104), en amorce d'un numéro "Spécial Stars". Positif (297) affichait l'ogre Orson Welles, Jeune Cinéma (170) se penchait sur l'œuvre d'Elem Klimov (annoncée par une photo de Requiem pour un massacre qui n'allait sortir que deux ans plus tard sur nos écrans), les Cahiers du Cinéma (377) et La Revue du Cinéma (410) élisaient L'année du dragon comme film du mois et L'Ecran Fantastique (62) Retour(nait) vers le futur.

    Voilà pour novembre 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : Taram et le chaudron magique, L'année du dragon et Portés disparus n°2 vus par Mariaque et encore L'année du dragon par Raphaël.

  • La Princesse de Montpensier

    (Bertrand Tavernier / France / 2010)

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    princessemontpensier.jpgLe dernier Tavernier m'a ennuyé d'un bout à l'autre. Quand ce manque d'intérêt vous pèse dès le début de la projection et quand vous pressentez que cela ne va guère s'arranger sur la durée, vous commencez, en laissant votre regard vagabonder sans but sur la surface de l'écran, à ne voir que des défauts. Ainsi, indifférent à ce que le cinéaste tentait de me raconter, je me suis mis à regarder ces figurants bien placés au bord du cadre et qui s'activaient très consciencieusement en mimant les gestes des hommes et des femmes du XVIe siècle dans l'espoir de donner vie au tableau ; j'ai pu comprendre pourquoi les maîtres d'armes et les cascadeurs aimaient tant travailler avec Tavernier, lui qui orchestre toujours ses batailles à l'ancienne, filmant dans la longueur des corps-à-corps qui sentent l'entraînement intensif au gymnase du coin ; j'ai eu tout le loisir de suivre ces mouvements de caméra balayant des décors si authentiques mais me paraissant, à chaque occasion, s'étirer dans le mauvais tempo, à la mauvaise vitesse, à la mauvaise distance ; j'ai pu remarquer que cette lumière naturelle éclairait très mal les visages, parfois rejetés sans raison dans l'ombre ou le contre-jour ; j'ai pu oublier, aussitôt entendus, ces dialogues ronflants, arrivant d'on ne sait où lorsqu'ils  se veulent déterminants (quand Wilson dit "Je vous aime", rien dans ce qui précède ne nous fait sentir la naissance de cet amour) et tombant à plat lorsqu'ils souhaitent faire sourire ; j'ai pu avoir la confirmation que non, décidément, je n'étais pas du tout sensible au charme de Mélanie Thierry, en charge pourtant d'un personnage désiré par tous les autres ; j'ai eu le temps de déplorer une interprétation d'ensemble particulièrement médiocre, de Wilson à Vuillermoz, de Leprince-Ringuet à Ulliel, le moins connu de tous, Raphaël Personnaz, étant le seul à s'en sortir ; j'ai pensé avec nostalgie à Breillat, à Rivette mais aussi à Rappeneau et à d'autres Tavernier ; j'ai pu réfléchir tranquillement à ce que j'allais bien pouvoir écrire sur mon blog à propos de ce ratage.

    Oui, La Princesse de Montpensier, film dépourvu de vigueur et de ligne esthétique, est très ennuyeux. C'est ennuyeux pour moi aussi, étant plutôt Tavernophile habituellement, de devoir donner raison, pour une fois, aux détracteurs acharnés du cinéaste.

  • Décalage

    pos597.jpgJe découvre aujourd'hui dans le numéro de novembre de Positif les quelques lignes très aimables écrites par Christian Viviani pour son "bloc-notes" du mois de septembre passé (à la date du 12, jour de la mort de Claude Chabrol) à propos des textes publiés sur ce blog sous le titre Les Cahiers Positif(s). Le hasard faisant souvent mal les choses, cette agréable mention intervient au moment où ce chantier partagé s'arrête (il est possible mais pas certain que je publie un jour une suite de la seule histoire de Positif). Autre ironie du sort, plus anecdotique, ce coup de chapeau est niché dans un numéro élisant comme films du mois The social network et La Princesse de Montpensier, deux titres m'ayant passablement ennuyé, ainsi que Potiche, dont la bande annonce, découverte avant la projection du Tavernier, m'a inquiété au plus haut point. Le trio d'octobre, Allen-Ruiz-Iñarritu m'aurait mieux convenu... Cela ne me fera toutefois pas négliger ce dernier numéro en date qui, derrière l'édito d'un Michel Ciment en roue libre, propose notamment un alléchant dossier sur les nouveaux cinémas d'Europe de l'Est.

  • District 9

    (Neill Blomkamp / Afrique du sud - Etats-Unis - Canada - Nouvelle-Zélande / 2009)

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    district9.jpgDistrict 9 a, depuis un an, été encensé à un tel point, par à peu près tout le monde, qu'il peut très bien supporter que l'on en dise du mal. Cette œuvrette SF faussement novatrice n'échappe selon moi à la nullité que, d'une part, par l'évidence des compétences purement techniques mises à son service (ce qui est bien le minimum que l'on puisse attendre d'une production Peter Jackson, même d'ampleur "modeste") et, d'autre part, par le développement plutôt habile de l'un des thèmes abordés, celui, kafkaïen, de la métamorphose (même si les mutations et les altérations de la chair observées ici restent très en deçà des visions d'un Cronenberg), et il me semble que, comme il arrive parfois, l'originalité de l'idée de départ (montrer le traitement "inhumain" que réservent les autorités et la population de Johannesburg à des extra-terrestres exilés de leur planète) a trop vite été prise pour l'acte de naissance d'un style, celui de Neill Blomkamp qui signe là son premier long métrage.

    Pour nous plonger dans son monde, le jeune cinéaste sud-africain n'hésite pas à nous servir cette tarte à la crème du faux reportage, du déluge d'images "objectivées", sans point de vue à force de se multiplier. Se bousculent donc, soumises à un montage tonitruant, les sources documentaires, télévisées, privées, sécuritaires... Ainsi, le spectateur est accroché à peu de frais et l'auteur peut faire l'économie des efforts nécessaires à la construction d'un récit en tant que tel. Pourquoi s'épuiser à développer une narration classique pour décrire une situation alors que les voix off des présentateurs de télé peuvent planter le décor en quinze secondes ? De plus, la démarche a un autre avantage, inestimable : elle vous fait passer pour un cinéaste moderne. Et peu importe que la plus grande confusion règne en ce qui concerne la gestion de l'espace, les positions des caméras, la crédibilité quant aux origines des regards portés... (malgré la multiplicité de ceux-ci, jamais aucun caméraman n'apparaît dans le champ !)

    Mais voilà que notre Neill Blomkamp, sans craindre d’être pris pour un réalisateur désinvolte, commence, à peu près à mi-course, à intégrer des plans non-documentaires, des séquences qui ne jouent plus le jeu proposé jusque là. Cette soudaine subjectivité, obtenue de haute lutte, est peut-être supposée nous rapprocher des victimes : les aliens opprimés et le héros pourchassé. On s’en étonne pourtant, et cela d’autant plus que le recours aux autres images, de nature si différente, n’est pas abandonné (il faut dire qu’elles sont bien utiles pour nous expliquer à nous, crétins de spectateurs que nous sommes, ce qui est en train de se passer, comme lorsque le vaisseau se remet en mouvement, par exemple). L’agacement ne s’en trouve d’ailleurs guère atténué car cette échappée subjective nous donne le droit de recenser les plans-gadgets ridicules (la caméra fixée sur le fusil d’assaut : je ne connaissais pas et je ne suis pas déçu), de ployer sous le poids de quelques ralentis et de subir un terrible accompagnement musical à base de world music fervente. On remarquera en outre que la dernière partie de District 9 reprend tous les codes du film d’action bourrin-mais-cherchant-aussi-à-émouvoir.

    Les auteurs revendiquent pourtant une position anti-hollywoodienne (ils savent parfaitement bien que pour accéder au statut d’œuvre culte leur film doit être présenté comme le plus éloigné possible des normes en vigueur). Or, l’anticonformisme, par le renversement des figures et l’ironie dont elles sont chargées, ne permet pas forcément d’échapper aux clichés. La subversion de District 9 m’a paru bien superficielle, soutenue qu’elle est par des fondations scénaristiques conventionnelles : la rencontre avec le "bon" alien, la marché passé avec lui, l’amitié qui en découle, le duel avec le méchant militaire… La vision des extra-terrestres n’apporte, elle, pas grand-chose d’autre qu’une incongruité certaine (tiens, un alien en train de pisser…) et le décalage opéré n’empêche pas le message "humaniste" d’être lourdingue. Un problème se pose également avec le choix du personnage principal, que l’on dirait, au moins dans la première partie, échappé d’un sketch des Monty Pythons (si mon imagination ne me joue pas des tours, la référence est assumée avec ces cochons servant, le temps d’un ou deux plans, de projectiles et cette apostrophe au héros, prénommé Wikus, lancée par son adversaire : "Hey, Dickus !"). Partant de là, Blomkamp nous entraîne sur la fausse piste de la comédie trash, comme il feint un moment de bâtir son film sur des sources "documentaires". Une fois venu le moment de la prise de conscience, il est par conséquent impossible de prendre le personnage au sérieux  et de s’émouvoir de son sort.

    Chantage à la modernité par le biais d’une esthétique impure et désordonnée, déplacement d’un message appuyé sur le terrain du cinéma de genre dans l’espoir de l’alléger, parfum de nouveauté fabriqué à partir de formules éculées : District 9 est en quelque sorte, pour moi, à la science-fiction ce que Redacted est au film de guerre. Si un District 10 débarque un jour sur nos écrans, je vous préviens, l’accueil se fera sans moi…