(Wong Kar-wai / Etats-Unis / 2007)
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Oui, malheureusement, les commentaires cannois mitigés à propos du voyage en Amérique de WKW étaient bien fondés.
My blueberry nights est un film à (longs) sketches. Trois histoires se suivent au gré du parcours de Elizabeth. Cette jeune femme paumée débarquant dans un premier café se confie à Jeremy, le beau serveur inconnu, avant de disparaître. Elle taille sa route, devient à son tour témoin de deux histoires différentes et revient à son point de départ. Wong Kar-wai fait la tournée des bars, filme des gens qui boivent et qui mangent, qui racontent leurs malheurs. Il aime les petites choses de la vie mais a peur du banal. Alors il magnifie tout par sa caméra. Dans la première partie, confinant son duo d'acteurs dans un décor unique, il essaye tous les éclairages possibles, toutes les vitesses de défilement, tous les cadrages. C'est effectivement très beau, beau comme un coquillage en bord de plage. Donc c'est vide, aussi.
Ces efforts du cinéaste pour dépasser la minceur de l'argument de départ finissent par fatiguer. Plus que les arabesques de la mise en scène, ce sont les dialogues et tous les "petits-détails-qui-en-disent-longs", qui énervent. Chaque échange part de notations pseudo-poétiques, réflexions sur la vie à partir d'objets du quotidien : la variation autour des clés laissées par les clients, l'emploi des bandes de surveillance... Les questions posées, pourtant simples, entraînent des réponses indirectes, introduites par des gestes ou des paroles volontairement énigmatiques (la scène des jetons), ce que personne ne fait dans la vie, surtout quand il s'agit d'aborder un inconnu. Je ne sais pas pourquoi, mais tout cela me faisait penser au petit cinéma français malin, qui se croit en phase, à la mode, le genre Cédric Klapisch. Quand Elizabeth quitte New York, l'espoir revient. Mais l'histoire du couple alcoolique (mais tellement humain) qui suit sombre dans les pleurnicheries sans émouvoir le moins du monde. La troisième rencontre, à partir d'une partie de poker nullement innovante dans sa mise en scène, si elle a le mérite de changer d'ambiance, succombe à l'arbitraire des comportements du personnage de Natalie Portman. Tant que nous en sommes aux acteurs, signalons que Jude Law a souvent été meilleur ailleurs (et mieux rasé). Norah Jones est bien charmante, mais sa prestation n'a rien d'une révélation bouleversante.
La déception est donc à la hauteur du plaisir pris habituellement devant les images du hongkongais. Une seule séquence nous rappelle les larmes de Gong Li dans 2046 ou le spleen de Leslie Cheung dans Nos années sauvages : la brève apparition de Chan Marshall (alias Cat Power dans sa vraie vie de chanteuse). Pendant 5 minutes, Jeremy se retrouve à côté d'une femme qu'il a sans doute aimé beaucoup. Quelque chose se met à vibrer, deux personnages sont tout à coup vraiment là, un passé commun se devine, et un éclairage nouveau se porte sur des dialogues et des situations mis en place auparavant. Un dernier baiser pour se dire adieu, et c'est passé. 5 minutes de grâce, alors que In the mood for love en offrait 1h30.
En 1995, après l'échec du formalisme exacerbé des Anges déchus, Wong Kar-wai était reparti pour signer trois oeuvres magnifiques. Espérons que l'histoire se répétera.
En août dernier, sorti de La fille coupée en deux, je regrettais ici même, malgré leurs qualités évidentes, le ronronnement des films de Chabrol ayant suivis La cérémonie. Forcément, trois mois plus tard, je tombe sur la pièce du puzzle que j'avais oublié sous le tapis, celle qui ressemble apparemment aux autres mais qui, finalement, remet tout en cause, celle qui n'attire pas l'oeil en premier mais qui se révèle la plus belle. Avec La demoiselle d'honneur, Chabrol adapte à nouveau un roman de Ruth Rendell, près de dix ans après La cérémonie. Comme Woody Allen dernièrement, il s'attache à des personnages de classe moins élevée que d'habitude. Le cadre de départ est celui d'une petite maison de la banlieue nantaise. Une mère de famille très attentionnée s'en sort plus ou moins comme coiffeuse à domicile et garde sous son toit ses trois grands enfants d'une vingtaine d'années. Ses deux filles suivent des voies opposées : la cadette flirte avec les embrouilles, l'autre se marie. L'aîné des trois, Philippe, est le mieux installé professionnellement, cadre commercial très compétent dans une petite entreprise du bâtiment. Le mariage de sa soeur l'amène à rencontrer Senta, l'une des demoiselles d'honneur. Celle-ci l'entraîne dans une histoire de passion amoureuse exclusive, à la lisière de la folie meurtrière.
Dans les années 50/60, Henry King, qui était à la fin d'une prolifique carrière entamée au temps du muet, passait généralement pour un cinéaste académique ou au mieux pour un artisan consciencieux. Son oeuvre a par la suite été sérieusement re-évaluée par quelques critiques, certains le plaçant même auprès des plus grands réalisateurs de l'âge d'or hollywoodien. Il faudrait donc certainement voir un jour, au hasard, Le brigand bien-aimé (avec Henry Fonda et Tyrone Power en frères James), La cible humaine, Le cygne noir... , d'autant plus que ce Capitaine de Castille (Captain from Castile) aiguise particulièrement la curiosité. Ce film d'aventures se révèle même être, tout simplement, l'un des meilleurs du genre.
Une petite note pour un petit film. Pascal Thomas adapte Agatha Christie et lance Catherine Frot et André Dussolier (moyennement crédible en colonel) dans une enquête autour de vieilles dames séniles et de meurtres d'enfants. Si le duo de têtes d'affiche marche assez bien, si l'ensemble se démarque du non-cinéma que propose la majorité des comédies françaises contemporaines, si la transposition du roman en Haute-Savoie se fait sans heurts et si le début est relativement amusant, le film s'étiole petit à petit pour nous laisser dans l'indifférence totale. Les dialogues et les réparties commencent par séduire dans les premières scènes avant de révéler de plus en plus leur aspect vieillot (ces gags d'un autre âge, autour d'allusions sexuelles qui n'en sont pas, ou ces jeux de mots sinistres tels que ce "Monsieur Livingstone, je présume ?", répété deux fois). L'intrigue, avec ses fausses pistes incessantes, ses multiples personnages inquiétants, au lieu de donner l'impression d'une grande complexité narrative, déroule un long catalogue répétitif, terriblement bavard et tarabiscoté, rendu incompréhensible par son manque d'intérêt (une source fiable et très proche de moi me souffle que ce résultat, obtenu aussi par les séries policières télévisées du genre Hercule Poirot, n'est pas du tout le même lors de la lecture des romans de Christie). Le virage fantastique de la dernière partie n'arrange pas les choses. Revoir sur un écran Geneviève Bujold est un plaisir, mais lui faire rejouer en chemise de nuit Obsession, 30 ans après DePalma, est une idée d'un goût douteux.
Oh le beau film que voilà !
Je le dis d'emblée, Sydney Pollack est pour moi un cinéaste estimable, réalisateur de bons films, mais jamais transcendants. Ce Jeremiah Johnson, après lequel je courrais depuis longtemps, à priori meilleur film de son auteur, ne me fait, malheureusement, pas revoir mon jugement, aussi agréable ce (faux) western soit-il à regarder. Jeremiah Johnson, venant de nulle part, décide de mener la vie rude, dangereuse et solitaire, de trappeur. Son périple montagnard sera l'occasion de rencontres insolites avec d'autres chasseurs et plusieurs tribus indiennes. Un foyer se constitue après son mariage forcé avec une squaw et l'adoption d'un garçon dont la famille de colons, à l'exception de sa mère rendue folle, a été massacrée. L'aspiration idyllique à l'harmonie ainsi réalisée est cependant bientôt brisée. Johnson, entraîné dans un cycle de violences, refait son chemin à l'inverse, croisant une seconde fois les mêmes personnes et disparaissant, auréolé d'une dimension quasi-mythique.
Si le nom de Robert Enrico fait pas mal frémir à cause du Vieux fusil, de Au nom de tous les miens, de Zone rouge ou de La Révolution Française, il faudrait se pencher sur ses débuts, de La rivière du hibou (1962) aux Aventuriers (1967), où il tentait une approche physique, ample et singulière du cinéma, avec en tête le classicisme hollywoodien.
C'est (presque) la passe de trois pour Allen (ou le hat trick, puisque nous sommes à Londres).
Lee Shin-ae, accompagnée de son petit garçon, quitte Seoul pour Miryang, petite ville dont était originaire son mari, mort dans un accident de la route. Elle s'acclimate plus ou moins, malgré le peu d'enthousiasme des habitants du coin, mais l'enlèvement et la mort de son enfant vont l'entraîner, de temples religieux en hôpitaux, aux confins de la folie.