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  • J. Edgar

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    C'est un film sans couleurs et mangé par la pénombre, un film de fin de parcours, presque momifié, un film où il ne se passe finalement pas grand chose pendant cent trente sept minutes de biopic. J. Edgar prête le flan à bien des critiques. Il me semble pourtant que tout ce qui, ailleurs, pourrait signifier un ratage joue en fait en sa faveur pour finir par lui donner une belle cohérence et une indéniable prestance.

    Le portrait que fait Clint Eastwood de John Edgar Hoover n'est pas chargé au point de couler le personnage. Ceux qui reprochent cela au cinéaste auraient certainement été les premiers à regretter une main lourde si la représentation avait été celle d'un salaud intégral. Or, décrite comme elle l'est, qui peut dire que cette vie est enviable ? Qui peut trouver que ce réactionnaire, raciste, paranoïaque et homophobe-homosexuel refoulé est un homme aimable, juste parce qu'il a les traits de Leonardo DiCaprio ?

    Hoover est resté le patron du FBI alors que huit présidents se succédaient à la tête du pays. Ce temps extraordinairement long, a été celui d'une lutte pour la préservation et l'accroissement de son pouvoir, devenant parallèle à celui de la Maison Blanche. L'obsession de cette maîtrise est l'objet du film. Tout est centré sur Hoover et tout doit ramener à lui (en un sens, Hoover dirige même le spectateur en prenant en charge le récit de son parcours, au point de l'abuser). L'homme est le responsable d'un corps d'élite mais ne procède pas lui-même aux opérations de terrain, ce qui lui est reproché. Il ne sort pas du siège du FBI. Ainsi, l'Amérique, est réduite à son bureau. Hoover a voulu protéger son pays comme on protège sa famille. Mieux encore, donc, l'Amérique, c'est l'appartement qu'il partage avec sa mère. Et encore, c'est sa chambre, voire, son miroir. Passant par le prisme du film, l'Amérique est toute entière là dedans. Resserrer le cadre sur le patriote Hoover, pour Eastwood, c'est parler de ce qu'est son pays (et ce qu'il est, ou a été, lui, cinéaste-acteur).

    Plus que jamais chez lui, les personnages sont menacés par les ténèbres à chaque plan. Ce qui les entoure est indiscernable et donc potentielle source de danger. Potentielle parce que ce danger n'existe la plupart du temps que dans leur tête. Eastwood ne le représente d'ailleurs jamais vraiment, jamais de manière affirmée. Nous ne voyons à l'écran que quelques échauffourrées ou bien des fusillades et des attentats aux auteurs non identifiés, aux causes non reliées (alors que nous sommes dans le registre de l'enquête). Apparemment, quelque chose a changé chez Eastwood. L'homme accusé de l'enlèvement du bébé Lindbergh est regardé sans pitié par Hoover et le peuple, mais pas par la mise en scène. Il n'est pas dénoncé par la caméra.

    Les mensonges, ce sont donc plutôt ceux de Hoover qui sont mis à jour : nombre de coups d'éclats revendiqués le sont abusivement (parfois, avant d'en avoir la confirmation, une ellipse bizarre a pu nous mettre la puce à l'oreille). C'est que l'homme menacé par l'ombre aime se retrouver sous les feux des projecteurs (qui, au contraire, n'attirent pas, selon ses propres dires, son ami Clyde). Forcément, il se voit alors coupé en deux. L'ombre et la nuit grignotent l'image et scinde son visage, en renvoyant une partie vers le néant. Hoover est "incomplet". Mais cela veut dire aussi que ce mal qu'il combat partout et à tout moment, il l'héberge lui aussi. Seulement, cette part d'ombre, il refuse de l'assumer. Lorsque, face au miroir, il semble enfin décidé à la regarder, il ne supporte pas cette vue et s'effondre. Comme les figures de la vieillesse envahissent progressivement le film, tout cela génère une ambiance mortifère. DiCaprio, Armie Hammer et Naomi Watts sont effectivement comme momifiés, ployant, entravés. Mais cette difficulté, ces efforts pour faire vivre quelque chose sous le maquillage, sont étrangement émouvants.

    J. Edgar c'est un homme et une obsession qui ne le fait pas vraiment avancer. Par conséquent, le récit n'avance pas beaucoup lui non plus, jouant de surcroît sur plusieurs temporalités, en allers-retours. Un peu maladroitement, Eastwood passe par exemple d'une époque à l'autre en raccordant les figures de Hoover et de Tolson jeunes à celles des mêmes beaucoup plus agés dans le décor de l'ascenseur de leur bureau. Mais après tout, l'usage de ce procédé traduit aussi le sentiment de l'immuable. L'homme qui a modernisé les techniques de l'Etat policier est resté le même entre 1932 et 1960, oppressé par les mêmes peurs et pensant le monde avec la même étroitesse d'esprit. De plus, cette construction narrative globale ne débouche pas sur une éclatante révélation et ne se boucle pas spectaculairement notamment parce qu'il n'y a pas en amont, contrairement à l'usage dans les biopics classiques, de focalisation sur une scène primitive, sur un traumatisme particulier qu'il faudrait surmonter. Il y a juste l'évocation de plusieurs "raisons", une influence, une éducation, une rigidité morale passant par de multiples vecteurs et qui sera confortée ensuite par les aléas d'une vie menée avec une soif maladive de contrôle absolu.

    Le cinéma d'Eastwood n'est plus un cinéma d'action et ce J. Edgar est bel et bien un film de conversations, un film qui ploie, un film qui a du mal à bouger. Il n'en est pas moins prenant.

     

    Eastwood,Etats-Unis,biopic,2010sJ. EDGAR

    de Clint Eastwood

    (Etats-Unis / 137 min / 2011)

  • Les noces funèbres & Alice au pays des merveilles

    burton,etats-unis,fantastique,animation,2000s,2010s

    burton,etats-unis,fantastique,2010s

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    Ces deux titres valent pour moi confirmation : le cinéma de Tim Burton n'est plus. Le supplément d'âme qui l'habitait l'a quitté au moment de passer à l'an 2000, ne laissant qu'une enveloppe aussi belle qu'inutile. Cette disparition est d'autant plus spectaculaire qu'elle n'a, en dix ans, jamais été contredite malgré la relative variété des six longs-métrages réalisés sur la période. Blockbuster hollywoodien ou œuvre sombre et torturée, film d'animation retournant à la source ou vrai spectacle pour enfants, projet éminemment personnel ou adaptation sur-mesure, quelque soit le registre, rien n'aura fonctionné...

    Les noces funèbres est un film de marionnettes. Encore faut-il voir quelques images du making of pour s'en convaincre car le progrès technique aidant, le lissage des mouvements et autres aspérités est tel que l'on se croit d'un bout à l'autre devant un film d'animation entièrement conçu à l'ordinateur. Envolée donc la magie qui animait les figurines de L'étrange Noël de Monsieur Jack, place à la pure efficacité visuelle chargée de véhiculer les thèmes chers au cinéaste. Les thèmes rabattus dirait-on, tant l'impression de redite est forte. Passage entre deux mondes supposés s'ignorer, inversion des valeurs qui leurs sont d'ordinaire associées (sinistre et monochrome monde des vivants versus enthousiasmant et coloré monde des morts), jeu entre le haut et le bas, marginalité de personnages doucement rêveurs, visions gothiques et clins d'œils cinéphiliques... L'emballage est là, les éléments constitutifs également, mais la machine tourne à vide. Les personnages sont oubliés aussitôt qu'ils ont quittés la scène, tout comme les notes de musique d'un Danny Elfman en roue aussi libre que celle de son camarade cinéaste (on bâille gentiment pendant les séquences musicales). Et ce n'est pas la conduite du récit qui peut nous tirer de notre torpeur, celui-ci se dirige exactement vers là où il doit aller.

    Cinq ans plus tard, la matière est plus riche. L'idée était bonne de raconter le retour d'Alice au pays des merveilles (Burton s'inspire surtout de la suite écrite par Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir). Un retour amnésique qui produit chez la jeune fille le même étonnement et les mêmes erreurs. Le problème est que, passé un prologue pourtant prometteur décrivant une société anglaise de spectres empoudrés et de petits tyrans ridicules, visualisant une sorte de cauchemar aux frontières poreuses (le lapin en costume apparaît déjà dans le jardin, Alice s'éloigne à peine avant de tomber dans le trou) et faisant d'emblée remonter son sous-texte (terreur de l'âge adulte, des fiançailles, de la tromperie), le voyage proprement dit prend la forme d'un grand Barnum numérique. Nul jeu temporel à chercher ici mais une simple ligne droite suivie en mode héroïque. Nous attendions la féérie, nous subissons le film d'action fantasy : Alice au pays du seigneur des anneaux (sans la cohérence esthétique ni l'assise scénaristique de la trilogie plutôt estimable de Jackson). De combats en poursuites, nous sommes, sans aucun répit, soumis à un flux d'images surchargées jusqu'à un générique de fin au cours duquel nous réalisons que c'est bien, à nouveau, Elfman qui a pondu cette musique ne se signalant que par sa lourdeur martiale et son volume assourdissant. Nous en prenons conscience alors qu'Avril Lavigne est en train de nous percer les tympans avec sa chanson de fin. Juste avant cela, ajoutons qu'il a fallu observer une danse débile de Johnny Depp et un retour à la réalité permettant la remise à sa place de la triste société décrite plus haut par Alice devenue une femme libre. Or, à ce moment-là, nous ne voyons pas en elle une aventurière partant vers la Chine mais un entrepreneur. Burton, lui, n'est plus qu'une marque, une étiquette.

     

    burton,etats-unis,fantastique,animation,2000s,2010sburton,etats-unis,fantastique,2010sLES NOCES FUNÈBRES (Corpse bride)

    de Tim Burton et Mike Johnson

    (Etats-Unis / 74 min / 2005)

    ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (Alice in Wonderland)

    de Tim Burton

    (Etats-Unis / 104 min / 2010)

  • Gare centrale

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    On entre dans Gare centrale comme on entre dans un film néo-réaliste italien : par la grande porte qui ouvre sur des décors urbains bien réels, qui donne à voir des silhouettes parmi la foule devenant sous nos yeux des personnages, qui entraîne vers la proximité et l'immersion totale. Sans le réfuter, ce néo-réalisme, Youssef Chahine va vite l'excéder, le rendre exubérant et extrêmement vigoureux.

    Il raconte une certaine histoire, celle de Kénaoui, le porteur de journaux amoureux, éconduit et en perdant la raison, mais il en greffe quantité d'autres, comme autant de ramifications qui la nourrissent. Le film est choral, datant d'une époque où cela ne se disait pas encore et où il suffisait de moins de 90 minutes pour bâtir une fresque. La grande gare du Caire est filmée par Chahine jusque dans ses moindres recoins. La vision du lieu est éclatée : il n'a pas de limites définies, sa topographie exacte est difficile à établir à partir des simples images. Cet éparpillement spatial fait écho à la société elle-même. Dans cet endroit où se côtoient sans cesse mendiants, travailleurs, résidents et voyageurs, les différences de classes apparaissent d'autant plus. Les différences dans les classes également. Si Chahine s'intéresse particulièrement aux démunis, si son regard est bienveillant, il n'en est pas pour autant angélique. Personne n'est fait d'un bloc. Et l'optimisme n'est pas toujours de mise.

    Certains personnages nous sont présentés avec force ou de manière truculente. Cependant, guettés par les stéréotypes, ils s'en affranchissent rapidement. Deux lignes de forces traversent le film : la pulsion érotique et la lutte sociale. Ce qui est étonnant ici, c'est que ces lignes n'arrêtent pas de se croiser et permettent souvent à parts égales l'évolution de personnages que l'on pensait au départ destinés à être définis uniquement à travers l'une ou l'autre. La place laissée au social est attendue, celle que prend l'érotisme beaucoup moins. C'est un érotisme qui dit surtout la frustration du personnage principal. Il n'empêche qu'il éclate partout sur l'écran, grâce aux photos de pin ups que découpe et accroche Kénaoui, grâce à la véhémence, à l'aisance corporelle et aux déshabillages d'Hanouma, grâce même à la corpulence de l'ouvrier syndicaliste.

    Les surprises sont constantes, l'agitation perpétuelle. Les gens traversent dans la profondeur du champ comme ils traversent les rails, n'importe où. Les acteurs déboulent dans le cadre sans qu'on les attende (Hanouma pique les billets de son fiancé en arrivant par en haut) et on les suit partout. Ils investissent tous les endroits possibles : on peut par exemple les retrouver à côté, dans ou sous les trains. Ce dynamisme est redoublé par celui de la mise en scène. Quand le mouvement n'est pas dans l'image (déplacement des acteurs ou bien de la caméra qui multiplie les travellings), il est créé par le montage, particulièrement alerte.

    Toutes ces tensions, ces courses, ces télescopages, à la fois thématiques, narratifs et esthétiques donnent une vigueur irrésistible, produisent des éclats (un plan magnifique d'Hanouma s'amusant à se balançer vers l'extérieur du train en marche, disparaissant par intermittences de la vue de Kénaoui) et rendent naturels les sauts d'un registre à l'autre. Ainsi donc, du néo-réalisme initial, on se retrouve dans une comédie pittoresque, puis dans un film politique, puis dans un mélodrame, puis dans une comédie musicale (l'une des plus extraordinaires scènes de danse "naturelle" qui soient), pour finir dans les griffes du film noir. A ce moment-là, se manifeste une autre drôle d'émotion. Kénaoui, que l'on a suivi pendant tout ce temps, c'est Youssef Chahine lui-même qui le joue. Il a d'abord été pris en pitié, puis s'est fait à la fois regard amoureux (l'histoire avec Hanouma) et observateur-témoin-relai dans l'un des micro-récits du film (celui de la fille et du garçon vivant leur amour et leur séparation forcée en secret), pour finir assassin et fou à lier, en camisole. L'image est très forte.

     

    A lire par ailleurs : l'enthousiaste chronique DVD d'un récent coffret Chahine, incluant Gare centrale, par Vincent Jourdan sur feu-Kinok.

     

    garecentrale00.jpgGARE CENTRALE (Bab el-Hadid)

    de Youssef Chahine

    (Egypte / 77 min / 1958)

  • [•REC]

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    - ...ennuyé en fait ce film de Fleischer, mais mon grand a assez apprécié je crois. C'est vachement moins bien que L'aventure intérieure.
    - Et tu l'as vu au fait le film d'Eastwood ?
    - Non, non. Je voulais y aller en début de semaine et puis j'ai eu la flemme. Avec le froid, tout ça... Pourquoi, tu l'as vu, toi ?
    - Même pas, mais j'ai un pote qu'a trouvé ça pas mal. Si y'a pas de foot à la télé samedi, j'irai peut-être. Du coup tu va pas parler de ça...
    - Et ben non. Je commence par REC en fait.
    - Sans dec ? Le film d'horreur, là ?
    - Ouais. Un film bien naze, tu vas voir comment je vais le dézinguer...
    - C'est pas comme ça que tu vas augmenter ton audience auprès des amateurs de cinéma de genre et de bis.
    - De toute façon, ils le savent : y'a pas marqué "Mad Movies" là. Bon on commence ou quoi ?
    - Mais c'est quand tu veux, je te signale que ça tourne déjà !
    - Ah bon, t'as commencé à filmer ?
    - Oui oui. Attends, je fais un dernier réglage et c'est bon...
    ........................................
    - Quand tu veux.
    - Ok. Bonjour à tous et bienvenue pour cette grande première de "Nightswimming, l'émission", votre nouveau rendez-vous web-tv cinéphile. Pour ce numéro 1, je vais vous parler d'un fameux film d'horreur espagnol réalisé en 2007 par Jaume Bagualero et Pazo Placa... ah, mierda...
    - Pas grave, reprends, reprends.
    - Pour ce numéro 1, je vais vous parler d'un fameux film d'horreur espagnol réalisé en 2007 par Jaume Balaguero et Paco Plaza, REC. Ce titre s'inscrit dans la lignée, maintenant encombrée, du faux document flippant, sous-genre du film d'horreur ayant comme point de départ l'intéressant Projet Blair Witch de 1999. Certes, s'il s'agit de foutre la trouille, REC remplit son contrat. Mais encore faut-il voir de quelle façon il le fait. Balaguero et Plaza sont des gros malins. Des réalisateurs qui cherchent l'effet à tout prix. D'ailleurs, chez eux, l'effet n'est pas le but recherché, il est l'idée de départ. Le duo a dû se dire : "On va faire une scène en caméra infrarouge". Alors ils ont inventé un dénouement dans le noir. Aussi, "il faudrait que l'on sente que le film parle de la société espagnole". Hop, l'un des résidents de l'immeuble où se tient l'action a un discours raciste. D'ailleurs, les réalisateurs n'aiment aucun de leurs personnages. Et puis, "on va faire surgir un zombie comme ça". Du coup, chaque mort-vivant déboule d'on ne sait où, uniquement pour faire sursauter, sans que l'on sache ce qu'il a bien pu faire avant qu'il entre dans le champ de la caméra. Et encore, "les zombies c'est bien joli, mais faudrait terminer sur un truc énorme, qui secoue vraiment le spectateur". D'où un virage grotesque dans le final, du film de zombie à la diablerie avec évocation d'une créature combattue par le Vatican etc. Ainsi, REC accumule les aberrations narratives et scénaristiques. Si les surs
    GGGRRRROUIK
    - C'est quoi ce bruit ?
    - C'est rien, c'est la tuyauterie. Je reprends. T'es prêt ?
    - Oui, vas-y, je recalerai au montage. OK.
    - Ainsi, REC accumule les aberrations narratives et scénaristiques. Si les sursauts et les plans gores s'empilent, les séquences s'effaçent en fait les unes après les autres, trop mal reliées entre elles. Souvent, dans ce huis clos où tout se joue dans le temps de l'enregistrement de la caméra d'une équipe de reporter, il suffit de refermer une porte pour passer à autre chose. Les visions d'horreur sont dépourvues d'originalité et de force. L'idée de l'enfant infecté aurait pu donner quelque chose de terrible, un équivalent de l'image de la petite fille mangeant ses parents dans le sous-sol de La nuit des morts-vivants. Or, encore une fois, seul un effet gore justifie la scène, effet déclenché de manière tout à fait arbitraire. Balaguero et Plaza sont
    CLAC!
    - Oh, c'est quoi ça encore ?
    - Mais c'est qu'une porte. Arrête de m'interrompre...
    - Excuse, attends.
    ........................................
    - Vas-y.
    - Balaguero et Plaza sont, je le répète, des gros malins. Ils présentent leur héroïne journaliste de télé-réalité de manière bien ironique en lui faisant dire au début "J'ai envie de sensations fortes" ou un truc dans le genre. Je pense aussi à une chose qui m'étonnera toujours : dans ces films pourtant très post-modernes, les protagonistes se conduisent toujours comme si ils n'avaient jamais vu un seul film de morts-vivants. Ici, cette qualification flotte même comme un étrange non-dit. Je termine en évoquant l'ultime caution "rebelle", le morceau rock de bas étage que l'on entend pendant le générique de fin et qui suffirait déjà à disqualifier ce film très surestimé, auquel les réalisateurs ont bien sûr donné une suite un peu plus tard. Après que les Américains aient eux-mêmes proposés la leur, dès 2008. Preuve que REC est bien un
    - Putain, y'a un mec dans le couloir !
    - Et ben, ça va pas ? Qu'est-ce que tu racontes ?
    - Là, regarde !
    - Merde t'as raison. Hé, qu'est-ce que vous faites ici, Monsieur ? Monsieur ???
    - Pourquoi il ne répond pas ? Attends il s'avance. Fais gaffe, fais gaffe.
    - Mais... on dirait Philippe Rouyer. Monsieur Rouyer ? C'est vous ? Vous savez que je connais bien la revue Posi... Arghhhh
    - Edouard !
    - Aiiiiie !! Mais pose ta caméra, Paquito, viens m'aider. AHHHHHH il m'étrangle. MIERDA !
    ........................................
    - Ouf, c'est bon. T'as bien fermé à clé ? Il est taré ce type. On aurait dit qu'il voulait me mordre...
    - Qu'est-ce qu'il fout là ? Tu crois que c'est ton texte sur Positif qui l'a foutu en rogne ?
    - Mais j'ai rien dit de méchant ! C'est n'importe quoi !
    - Tu crois qu'il est parti ? On pourrait essayer de sortir, non ? C'est un peu étroit là.
    - Ouais, passe devant. Avec la caméra, t'y verras mieux.
    - Ok j'y vais... PUTAIN, ils sont DEUX ! Ils arrivent ! Referme, referme, VITE !
    - Qu'est-ce que c'est que ce BORDEL ! Non mais t'as vu ça. Ils veulent nous faire la peau ou quoi ?
    - J'hallucine ! Tu sais quoi... je crois que l'autre c'est Stéphane du Mesnildot.
    - Stéphane du MESNILDOT ?!?! Mais qu'est-ce qu'il me veut lui aussi, MIERDA, MIERDA !
    - Du calme, du CALME ! Faut réfléchir... Qu'est-ce qu'ils ont en commun ?
    - Des lunettes ?
    - Non, c'est pas ça.
    - Attends, me dis pas qu'ils viennent parce que j'ai dit du mal de REC !
    - Et pourquoi pas ? T'as vu ce que tu lui as mis ? En plus, je suis sûr que tu lui as collé un zéro sur ton blog. Ils vont être fous les bisseux... Tu pouvais pas mettre au moins une étoile, non ? Tout ça pour faire ton malin ! Maintenant, on est dans la MIERDA ! Et JE VAIS CREVER A CAUSE DE TOI !
    - CHUUUT ! TAIS-TOI ! On entend plus rien... Ils ont dû se barrer. Viens, on va prendre le couloir et passer par la chambre. Et éteins-moi cette caméra !
    ........................................
    - Mais putain, pourquoi tu la rallumes ?!? Elle fait un bruit pas possible, ils vont rappliquer...
    - Mais c'est bon on va pouvoir sortir, ouvre la fenêtr... AARRRRRRRGHHHH
    - Paquito !
    - AAAAARRRRRRRRRRRGGGGGGGG
    - Mais LÂCHEZ-LE BORDEL ! AÏE, MIERDA ! Mais... Mais... Oh, Mariaque, mon ami, c'est moi, Edouard ! Tu me reconnais ? Pourquoi tu dis rien ? C'est quoi ce regard ? Non, laissez Paquito tranquille ! Bordel de MIERDA !!!! Monsieur DIONNET ? NON, ne le MORDEZ PAS, NOOOOOOOOOOOOON !!!!!!
    ........................................
    CLING. ZIPPPPP. BRRRRRRRRRR.........................................
    ........................................
    - Aïe. Pfffuuuuu. Ouille. Je m'appelle Edouard, je me filme avec mon téléphone portable. J'étais en train de tourner une petite vidéo avec un copain espagnol quand nous avons été sauvagement attaqués par quatre cinéphiles amateurs de cinéma de genre. J'ai pu sauter par la fenêtre mais j'ai dû laisser mon pote Paquito et sa caméra. Je l'ai entendu hurler depuis le jardin, c'était terrible. Je ne sais pas ce qu'ils lui ont fait. Je vais essayer de trouver de l'aide dans le voisinage. Je vois une maison avec une lumière, je vais m'approcher et sonner à la porte.
    DING DONG
    - Bonsoir Messieurs. Excusez-moi de vous déranger à une heure aussi tardive mais j'ai eu un gros problème à côté de chez vous et j'aimerai... Attendez... Oh PUTAIN, une convention MAD MOVIES ! Non! Aïe, ARRÊTEZ ! LÂCHEZ MA JAMBE, LÂCHEZ MA JAMBE ! JE RETIRE TOUT CE QUE J'AI DIT SUR REC : C'EST GÉNIAL ET CLOVERFIELD A CÔTÉ C'EST DE LA MIERDA HOLLYWOODIENNE !!! AAAAARRRRGGGH NON NE ME MORDEZ PAS ! PAS LE COU ! PAS LE COU ! MIERDA, MIERDA, MIERDA ! AU SECOURS ! AU SEC

     

    rec00.jpg[•REC]

    de Jaume Balaguero et Paco Plaza

    (Espagne / 78 min / 2007)

  • Le voyage fantastique

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    Le prologue du Voyage fantastique est remarquable et rappelle que Richard Fleischer a d'abord été un réalisateur de thrillers. Sans parole, énigmatique, nocturne et tendu, il montre l'arrivée sur le sol des Etats-Unis d'un homme très protégé et la tentative d'assassinat dont il fait aussitôt l'objet.

    En revanche, passé le générique, les choses se gâtent. On pense tout d'abord que l'idée de caler la durée de cette aventure intérieure sur la durée effective du film va le servir (un groupe de scientifiques et de militaires est miniaturisé et injecté dans le corps d'un savant mourant, dans le but de le sauver en détruisant un caillot, l'opération ne pouvant se faire qu'en soixante minutes exactement) et s'accorder avec la prédilection du cinéaste pour les plans assez longs (tous ceux de l'arrivée du héros dans le centre de recherche secret). Mais bien vite, ce sont les limites du procédé qui apparaissent, en particulier au niveau d'une vraisemblance très malmenée. Au-delà de l'argument de départ, qu'il faut bien sûr accepter, le manque de préparation du héros, l'absence de réactions particulières, les raccourcis et l'articulation trop facile des péripéties nous mettent à rude épreuve. Surtout, ce "temps réel" ne produit finalement pas grand chose à l'écran. Le compte à rebours s'effectue de morne façon et les personnages, entièrement soumis à l'action (y compris lorsqu'elle n'est pas trépidante) et aux rebondissements, n'ont pas le temps de dépasser leurs statuts de stéréotypes.

    Prudemment évoquée au début (on parle des "Autres"), la guerre froide est supposée servir de toile de fond mais ce contexte est ensuite limité à la présence d'un saboteur qu'il s'agit de démasquer dans l'équipe. Malgré une fausse piste initiale, le suspense, sur ce plan, ne peut jamais s'installer puisque l'on sait dès le générique que l'un des membres de l'équipage est joué par Donald Pleasence (qui finira bouffé par des globules blancs). Aux côtés de ce dernier, Raquel Welch joue les utilités, portant fort bien la combinaison et manquant de se faire dangereusement étreindre par des anticorps voraces (on ferait pareil à leur place), Stephen Boyd traverse le film sans s'étonner une seconde de ce qui lui arrive et Arthur Kennedy, soupçonné à tort, fait preuve de sa grandeur d'âme en philosophant à la vue du spectacle sur l'infiniment grand et l'infiniment petit et en affirmant sa croyance dans le miracle de la vie rendu possible par Dieu.

    A sa suite, nous sommes sommés de nous émerveiller devant les images de ce sous-marin s'enfonçant dans les vaisseaux sanguins. Images (pré-)psychédéliques, baignées de lumières et de couleurs irréelles. Pourtant, le grandiose spectacle se heurte constamment aux considérations techniques (on n'échappe pas au jargon de la SF), aux explications pédagogiques sur le fonctionnement du corps humain et surtout aux limites de la représentation des éléments qui constituent celui-ci. Quel effet produisait le film en 1966 ? Aujourd'hui, son décor semble détaché du sujet. Il ne peut être, à nos yeux, fait de la même étoffe que les êtres qui s'y débattent. Ces images de l'intérieur apparaissent stylisées, abstraites, mais en aucun cas, organiques. Et comme le film refuse également de nous entraîner vers un quelconque vertige des idées ou des sensations, il se condamne à rester un produit de prestige simpliste et suranné.

     

    fantasticvoyage00.jpgLE VOYAGE FANTASTIQUE (Fantastic voyage)

    de Richard Fleischer

    (Etats-Unis / 100 min / 1966)

  • Take shelter

    nichols,etats-unis,2010s

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    Au moment de sa sortie, j'avais pris Shotgun stories pour un film trop ostensiblement renfrogné. Take shelter, deuxième long métrage de Jeff Nichols, n'est guère plus avenant mais il m'amène à penser que mon jugement sur le précédent était peut-être trop réservé. Il m'apparaît en effet aujourd'hui que ce jeune cinéaste (33 ans) n'est sans doute pas un poseur consciencieux mais bien un auteur réellement anxieux, un réalisateur inquiet. De là vient l'aspect bourru de ses films. Néanmoins, Take shelter me semble clairement supérieur à Shotgun stories. Je le trouve moins buté, moins programmé et, sur la longueur, assez souvent impressionnant.

    Jeff Nichols se penche sur l'évolution d'un esprit en souffrance, celui de Curtis (Michael Shannon, imposant), un mari et un père qui sombre dans une paranoïa apocalyptique au point d'halluciner sur des tempêtes de fin du monde et de vouloir en protéger sa famille en construisant un coûteux abri sous son jardin.

    Les visions cauchemardesques, à peine distinguées de la réalité au moment où elles s'activent, donnent à la première partie de Take shelter son efficacité et permettent de scander la montée de l'angoisse. Elles se font plus rares par la suite, sans que l'ambiance en devienne moins anxiogène pour autant. Si elles marquent forcément le spectateur, elles ne sont donc pas la qualité principale du film. Ce n'est pas cela qui fait son prix. Sa force tient avant tout à ce qui se joue entre ces scènes-là, dans le quotidien, dans les discussions et les actions.

    La mise en scène de Jeff Nichols est calmement inquiète. La sensation d'oppression se transmet par les cadrages, composés par en-dessous du regard de Michael Shannon, pour des contre-plongées à peine perceptibles qui donnent tout leur poids au décor mais surtout au ciel. Car le danger vient de là. La façon qu'a le cinéaste de filmer le jardin et l'abri toujours du même côté afin d'ouvrir le champ  vers un horizon menaçant est particulièrement frappante.

    Le sentiment du danger imminent et cataclysmique entraîne Curtis vers la folie. Sa dérive mentale est décrite. Mais plus que les symptômes, c'est la lutte pour y échapper qui rend le film passionnant. Tout d'abord, de cette folie, faut-il que Curtis en parle ou pas ? Il finit par le faire et de s'apercevoir alors que verbaliser la catastrophe, c'est déjà l'affronter avec plus d'efficacité et plus de chances d'en sortir entier. Dire les choses, communiquer, voilà l'un des nombreux enjeux qui traversent Take shelter et qui le maintiennent très solidement. La fille du couple est sourde et muette et plusieurs séquences nous montrent la famille en train d'apprendre et d'utiliser la langue des signes. Ainsi, dès le début, avant même que soit mieux éclairée la "généalogie à problèmes" de Curtis (il y a comme un report des troubles vers sa fille et "depuis" sa mère), ce redoublement du thème de la communication indispensable scelle la relation forte père-fille.

    Le lien conjugal se révèle lui aussi indéfectible. Si Jeff Nichols parie sur l'intelligence du spectateur, il parie surtout sur celle de ses personnages. Intelligence du comportement et de la réaction. La folie gagnant l'esprit de Curtis est bien sûr source de stupeur mais elle n'est pas à l'origine d'une succession d'oppositions de caractères (fou/normal) qui sous-tendent trop souvent la dramaturgie de ce type de fiction. Plus que les scènes de crises s'imposent alors celles, très belles, de "confessions" : au médecin, à la psychologue, à l'épouse. La dérive touche parce qu'elle ne débouche pas sur le conflit simpliste et parce que celui qui en souffre est tout à fait conscient, tiraillé entre deux forces, l'une positive (la raison, la famille), l'autre négative (le pressentiment de l'apocalypse). Dès lors, peut être proposée sans compromis ni sensiblerie cette (presque) fin qui figure un admirable accompagnement vers la sortie de crise, point d'orgue d'un dernier quart d'heure poignant dans lequel l'amour prend tout à coup une place considérable.

    J'ai rarement le réflexe de ceux qui croient voir dans le moindre film un geste politique irréfutable. Toutefois, il est difficile de ne pas placer Take shelter sur ce terrain-là. Cette menace qui pèse sur les épaules voutées de Curtis apparaît assez clairement comme métaphore d'une crise de civilisation. Le discours n'est jamais direct mais le soin apporté à la description des difficultés financières du couple, qui plus est parfaitement intégré au monde et à la communauté, est significatif (je précise que ce qui est remarquable ici, c'est la manière qu'a Nichols de mêler ces différents éléments pour donner naissance à un faisceau de causes dont aucune ne domine les autres). Dès lors, arrivés au bout du chemin, nous avons bel et bien l'impression que ce n'est pas seulement Curtis qui se sent aspiré mais nous, tous ensemble, qui contemplons la tempête s'apprêtant à tout dévaster. On sort vraiment de Take shelter en sueur.

     

    takeshelter00.jpgTAKE SHELTER

    de Jeff Nichols

    (Etats-Unis / 120 min / 2011)

  • Tillie and Gus

    martin,etats-unis,comédie,30s

    ****

    Tillie and Gus serait une comédie familiale tout à fait négligeable si elle n'était élevée par W.C. Fields. L'histoire est celle d'un jeune couple spolié de son héritage par un méchant notaire puis sauvé par l'arrivée d'un oncle et d'une tante, mari et femme mais séparés, faux missionnaires mais vrais escrocs. Après que la gentille exposition de la difficile situation financière des amoureux, la deuxième séquence lance le film. Elle sert à présenter le personnage de Fields, Augustus Winterbottom, en plein procès pour tentative d'assassinat sur un joueur de poker. Découpée efficacement, elle repose sur les épaules de l'acteur mais pas seulement, les petits rôles se mettant au diapason (le juge commençant à trembler lorsque Fields s'enfile une bouteille de whisky) pour faire de ce moment sans doute le meilleur du film. 

    W.C. Fields, que je découvre réellement ici, c'est cet homme d'un certain âge déjà, rondelet, sûr de lui et ne respectant absolument aucune des convenances. Buvant et fumant ostensiblement, tapotant ceux qui le gêne avec sa canne, coupant les files d'attente, il impose sa présence et dérange. Cet anarchisme le rend sympathique. L'acteur est génial dans la réalisation des petits gestes agaçants et dans la formulation de phrases absurdes ou de bons mots ("- Do you like children ? - If they are well cooked"). Cousin artistique des Marx Brothers et continuateur des travaux burlesques du muet, il semble un peu moins performant dans la grande action et les cadres très larges. La faute probablement aussi, dans ce Tillie and Gus en tout cas, aux insuffisances d'une mise en scène très fonctionnelle, peu soucieuse de beauté plastique et architecturale dès lors que la caméra s'éloigne.

    Le scénario offre tout de même l'occasion de plans expressifs à travers la confrontation entre Fields et Baby LeRoy, acteur d'une dizaine de mois destiné à prolonger bien au-delà de ce premier film cette collaboration. L'opposition de ces deux masses, assez comparables malgré la différence d'échelle, est plutôt savoureuse. Surtout, la présence de ce bambin n'occasionne pas autant de facilités que l'on pourrait le craindre. Winterbottom n'hésite pas à sauver ce petit neveu mais, plus ou moins consciemment, il le met régulièrement en danger, dans un engrenage presque cruel aux yeux du spectateur. C'est que, je le répète, Fields ne respecte rien. S'il se rabiboche avec sa femme qui était bien décidée à l'occire, c'est pour retrouver le frisson que provoque l'escroquerie à deux. Et l'idée commune d'arnaquer leur naïve nièce parvient à les effleurer un instant.

    Très distrayant dans sa première moitié, le film devient plus prévisible dans la seconde (une course de bateau à gros enjeu entre le notaire et la famille) et se termine sur une classique recomposition familiale. Après avoir donné quelques vifs coups de pieds, il s'en trouve tout adoucit, ce qui n'empêche pas de continuer à le trouver plaisant.

     

    tillie&gus00.jpgTILLIE AND GUS

    de Francis Martin

    (Etats-Unis / 58 min / 1933)

  • Foxy Brown

    foxybrown.jpg

    ****

    Sorte de mauvais épisode de Starsky et Hutch, en plus graveleux, plus violent et plus Noir, le navet de série Foxy Brown n'a qu'un attrait, la poitrine de Pam Grier, et un mérite, celui d'avoir influencé Quentin Tarantino pour l'un de ses meilleurs films.

     

    foxybrown00.jpgFOXY BROWN

    de Jack Hill

    (Etats-Unis / 94 min / 1974)