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  • Bellflower

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    La réputation, l'affiche, le pitch, l'habillage esthétique et les premières images de Bellflower sont des promesses que le premier film du réalisateur-producteur-scénariste-monteur-acteur Evan Glodell ne tient pas. Peut-être est-ce lié au fait que les personnages sont des glandeurs affichant un côté geek, des petits jeunes aimant imaginer toutes sortes de choses "trop cool" sans quitter leur quartier. Encore que ces geeks-là sont un peu particulier car ils semblent ignorer l'informatique. Ils préfèrent le bricolage, la mécanique, les objets de brocante, les véhicules anciens et les cahiers de dessin. Il est vrai que cela fait plus "Cinéma". Une vieille moto, une bagnole customisée, cela réveille immédiatement tout un imaginaire (partant de Mad Max, directement cité dans le film, le spectateur peut ramener lui-même toutes ses références).

    Mais revenons aux promesses. Un coup de tonnerre, une embardée spectaculaire, Bellflower ? Vraiment ? Mais passé le générique et avant la dernière partie, le film n'est qu'une simple romance comme on en a déjà vu des centaines, une bluette juste réhaussée de culture indépendante. Boy meets girl, what else ? Pendant une bonne heure, il faut se farcir les minauderies d'un couple n'ayant que les mots "cute" et "cool" à la bouche. Le vernis trash, les délires alcoolisés, les gueules de bois et bien sûr cette esthétique torturée n'y changent rien. On veut bien, pendant un moment, s'attacher à ces personnages de losers doués (on pense au premier tube de Beck et à son clip, très proche dans l'esprit, mais qui a l'avantage de ne durer que quatre minutes et d'avoir été réalisé il y a de cela... 19 ans) mais les filtres de couleurs, les salissures sur l'objectif et le flou envahissant des coins de l'image perdent de leur intérêt à force de nous laisser espérer que quelque chose va vraiment arriver. La pointe d'inquiétude qu'ils installent ne suffit bientôt plus.

    Le déraillement arrive donc trop tard et il déçoit forcément, trop attendu. Jalousie, tromperie, vengeance : ce n'est finalement qu'une affaire de cul qui tourne mal. On pensait basculer dans un monde étrange et plonger dans l'Apocalypse, mais nous voilà en train d'assister à des accès de violence contenus dans le cercle tracé par les cinq principaux personnages. De plus, ce dénouement s'étire dans une grande confusion narrative. Mort-pas mort ? Rêve-réalité ? (*) Le bouleversement temporel à l'œuvre ne ressemble là qu'à la mise en avant gratuite du cinéaste.

    Bellflower bénéficie d'une fantastique bande originale (mais cela relève presque du minimum syndical pour un film indé US). Toutefois, Bellflower n'est pas du tout une romance sur fond d'apocalypse. Ce n'est pas non plus une merveilleuse vision de la jeunesse (convoquer Hal Hartley comme le fit Thomas Sotinel dans Le Monde est insultant pour le génial cinéaste et dialoguiste de Trust me).

    Ou alors c'est moi, ayant de plus en plus de mal à m'enthousiasmer pour tous les futurs-grands-cinéastes qui nous sont présentés ces derniers temps par la critique ou le net. Alors qu'ils furent si nombreux dans les années quatre-vingt-dix, aujourd'hui, je ne sais même plus quel est le dernier "premier film" à m'avoir réellement touché...

     

    (*) : La reprise d'un plan précis incite à emprunter la piste du fantasme. C'est celle qu'a suivi l'ami tenancier du Ciné-club de Caen pour tourner une critique enthousiaste.

     

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    bellflower00.jpgBELLFLOWER

    d'Evan Glodell

    (Etats-Unis / 110 min / 2011)

  • Le policier

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    Commençons par la fin. Le policier se termine sur une confrontation, mais dans laquelle l'un des deux antagonistes reste en position dominante. L'insistance sur son regard, dirigé vers l'autre, a pour but de faire naître sans doute le sentiment d'une prise de conscience. Le dernier plan est pour lui, comme l'est le titre du film, qui ne s'appelle pas Le policier et la terroriste.

    Pourtant, la construction s'affiche en deux panneaux, deux parties successives et bien distinctes, dont les ingrédients ne se voient mêlés que dans une troisième. La synthèse succède ainsi à la thèse et à l'antithèse. Il me semble cependant que, au-delà des détails que j'ai évoqués en introduction, l'édifice est déséquilibré.

    La première partie est très supérieure à la deuxième. On y sent une adéquation entre la rigueur de la mise en scène (espace et temps) et la description d'une vie placée sous le signe unique du rite social. Si le membre de la brigade israélienne anti-terroriste qui nous est longuement présenté n'est pas montré en action mais avec sa femme enceinte, sa famille et ses amis (qui sont aussi ses collègues), ses activités domestiques ou de loisirs s'avèrent aussi ritualisées que son travail. Par ce seul biais du quotidien, le cinéaste montre très bien la puissance d'une idéologie particulière, fondée sur le conservatisme, le sens de l'honneur, le machisme, la virilité, le culte du corps, l'esprit de groupe. En apparence chaleureux (soins tendres prodigués à l'épouse, tapes amicales et incessantes dans le dos des copains, amitiés indéfectibles), le portrait du policier laisse peu à peu deviner l'envers du tableau et finit par faire froid dans le dos, la rigidité, déjà peu attirante, du bonhomme masquant des arrangements moraux plus détestables encore. Cette sensation culminerait avec l'affreux "gag" du collègue cancéreux tabassant, bien après les autres, le temps d'arriver essouflé, le voleur de fleurs du cimetière. Nul doute qu'à travers son personnage de policier c'est la société elle-même que cherche à démasquer Nadav Lapid.

    Il continue dans la deuxième partie. Seulement, en voulant celle-ci en miroir, il impose un discours qui paraissait jusque là plus subtil. Délaissant son flic, il s'intéresse à quatre gauchistes décidés à passer à la lutte armée contre les riches. Cette fois, la vacuité de l'action est évidente, pointée dès le départ. Ces jeunes révolutionnaires bien nés, se réunissant dans le loft luxueux de parents, nous sont tout de suite antipathiques. Le regard de Lapid est trop distant et comme sa méthode reste la même, les états d'âme et les préparatifs du commando deviennent assez mornes. La réflexion n'est plus prolongée par la mise en scène, l'image ne disant rien de plus que ce qu'elle montre.

    Le film a alors du mal à repartir avec sa troisième et dernière partie, longue et froide. Froide alors qu'elle aurait dû être réchauffée par quelque émotion ou bien, à l'opposé, complètement glaçante (la "politique-fiction" est peut-être trop évidente pour que l'on soit véritablement bouleversé ou sidéré). Voulant établir, sous un angle assez original, un constat inquiétant sur les maux endémiques de son pays, Nadav Lapid, qui ne semble pas manquer de talent, s'est fait en partie piégé par son appareil théorique.

     

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    policier00.jpgLE POLICIER (Ha-shoter)

    de Nadav Lapid

    (Israël / 105 min / 2011)

  • Du jour au lendemain

    huillet,straub,allemagne,90s

    Que la montée est raide ! On manque plus d'une fois de mettre pied à terre et d'abandonner, ou bien de continuer en marchant, sans effort, la tête ailleurs. C'est qu'il faut vraiment s'accrocher et serrer les dents en attendant que le second souffle vienne pour connaître au final la satisfaction.

    Le premier plan est magnifique, mouvement lent partant de l'orchestre en train de se chauffer et décrivant un demi-cercle pour aller cadrer les fauteuils vides de la salle de spectacle avant de revenir à la position initiale et laisser ainsi deviner au fond de l'espace la scène éclairée. Le deuxième montre une inscription sur un mur, "Où gît votre sourire enfoui ?", phrase qui, par l'intermédiaire du documentaire du même nom que réalisa Pedro Costa en 2001, est devenue une sorte de formule accolée au cinéma de Straub-Huillet. Ce plan-là dure plus que de raison. Fixe, il ne laisse voir que les effets du vent sur des branches et entendre des bruits indistincts de la rue. Le troisième arrive et nous voilà dans l'appartement d'un couple de bourgeois rentrant de soirée. Nous n'en sortirons pas.

    Du jour au lendemain est un film-opéra réalisé à partir de l'œuvre éponyme composée en 1929 par Arnold Schönberg (dont le Moïse et Aaron fit également l'objet d'une adaptation par les cinéastes, en 1975). La difficulté vient déjà du matériau. Pour qui n'est pas un familier de l'art lyrique, l'opéra selon Schönberg apparaît ardu, dissonant, rugueux. De surcroît, à moins d'être germanophone, l'obligation de suivre les sous-titres perturbe l'effort d'imprégnation totale dans la musique, à la recherche d'une harmonie.

    La mise en scène des Straub ne cherche en rien à aplanir ces rugosités originelles. On admire, certes, le travail sur la lumière de William Lubtchansky, offrant un superbe noir et blanc. On apprécie la forte présence du couple Richard Salter - Christine Whittlesey. Mais les plans généralement longs, le hiératisme des postures et l'impression d'une très faible quantité d'angles de prises de vues différents (alors que tout doit être certainement millimétré et beaucoup plus varié qu'il n'y paraît) mettent à rude épreuve. Trois espaces seulement sont visités, du salon à la cuisine en passant par la chambre, et encore ne font-ils qu'un, sous le coup d'un montage aussi "raide" que les protagonistes. Si parfois cette mise en scène tente de redoubler l'ironie présente dans le livret (l'homme, par exemple, parle de sa perception et la caméra cadre sa tête avec beaucoup d'espace au-dessus d'elle), l'effet est infinitésimal. On s'épuise alors à réfléchir au pourquoi de tel hors-champ ou de tel plein cadre. Le récit semble patiner et nous voilà à deux doigts de l'abandon. A force d'assèchement, le cinéma déserte. Anti-cinéma ?

    Mais de l'anti-cinéma au cinéma absolu, il n'y a, paradoxalement, pas l'épaisseur d'un feuille de cigarette. Ou bien est-ce autre chose... Finalement, peut-être qu'il faut en passer par là, dans la majorité des films des Straub. Par du découragement, de l'ennui, de l'alourdissement de paupières. Pour goûter tout de même à quelque chose de rare qui se dégage de cette durée.

    Cherchant à se raccrocher, il suffit parfois d'un rien, d'une tournure plus dramatique des événements, d'un changement de trajectoire narrative. Ici, c'est l'apparition d'un enfant puis un coup de fil impromptu qui nous dirigent vers un beau final à quatre voix. Les sens sont réactivés. Les plans fixes sur les objets et le mobilier lors des pauses du chant n'agacent plus mais deviennent mystérieux. L'histoire de ce lien refait touche plus que prévu. Et les derniers mots peuvent marquer par l'interrogation malicieuse qu'ils véhiculent à propos de la modernité, qui peut ne plus l'être, du jour au lendemain...

     

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    huillet,straub,allemagne,90sDU JOUR AU LENDEMAIN (Von heute auf morgen)

    de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

    (1996 / Allemagne - France / 62 min)

  • Le dingue du palace

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    Premier film directed by Jerry Lewis, Le dingue du palace n'a pas du tout l'allure d'un brouillon de débutant, nonobstant la minceur de son fil narratif.

    A l'écran, se déroule en effet une simple succession de mésaventures et catastrophes vécues et provoquées par l'un des nombreux grooms du grand hôtel Fontainebleau à Miami Beach. La structure est donc celle du film à sketches mais avec l'avantage d'une unité esthétique, apportée par la mise en scène de Lewis et la permanence du décor et de quelques personnages accompagnant le premier d'entre eux. Ce liant suffit à faire du Dingue du palace un objet aux contours réguliers. Certes, la frustration peut naître de ne pas voir prolonger tel ou tel fragment. L'arrivée à l'hôtel de la star de cinéma Jerry Lewis, ressemblant trait pour trait au groom gaffeur, est ainsi l'occasion de l'une des meilleures séquences du film, mais n'est plus évoquée par la suite.

    Le tournage s'est fait sur les lieux, d'où la grande présence d'un décor réel et d'une ambiance que n'ont pas souvent les comédies de cette époque. L'investissant à merveille, Jerry Lewis a élaboré une mise en scène d'architecte. Cousinant avec Tati, il travaille sur les volumes, les perspectives, la plasticité et le rendu sonore des matériaux.

    Il renouvelle dans le même geste l'une des idées fortes du burlesque en désignant un corps et une démarche sortant de l'ordinaire, du carcan et, par là, provoquant du désordre. Jerry acteur, c'est une élasticité, une irrégularité du rythme vital, une démarche folle et incompréhensible, toutes choses qui s'opposent à l'ordonnancement (et ces variations imprévisibles sont redoublées par l'usage comique contradictoire qui est fait du plan séquence et de la coupe franche dans le plan). Il ne faut bien sûr pas oublier, dans cette optique, ce qui gêne parfois chez Lewis mais qui, ici, s'intègre parfaitement au mouvement du film : le recours régulier aux grimaces.

    Même s'il sait être direct, il n'hésite pas à travailler l'écoulement du temps (toujours associé au sentiment de l'espace), à aller vers un comique de la gêne. Il demande au spectateur de le suivre. On comprend ainsi pourquoi Jerry Lewis fut qualifié de comique conceptuel. L'homme fait rire mais cherche en même temps, par sa mise en scène, à faire réfléchir au pourquoi du rire, au risque de l'annuler ou au moins de l'atténuer parfois.

    Sachant payer sa dette envers les grandes figures du passé (un clone de Stan Laurel traverse le film en plusieurs endroits), il ne s'en projette pas moins vers l'avant, apparaissant réellement moderne. Aujourd'hui, la comédie, d'où qu'elle vienne, semble avoir abandonné toute ambition plastique pour ne se concentrer que sur la sociologie, l'étude de caractères et le réalisme, et il est symptomatique que la mise en scène du Dingue du palace fasse plutôt penser à celle de Roy Andersson, d'Ulrich Seidl ou de Tsaï Ming-liang, cinéastes que l'on ne qualifierait pas, en premier lieu, de comiques. Lewis, lui, continuera, semble-t-il, sur cette voie royale pendant la première moitié de la décennie 60. La suite, pour ce que j'en connais, oscillera entre l'estimable (Les tontons farceurs, Jerry grande gueule) et le pathétique (Ya Ya mon Général).

     

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    ledinguedupalace00.jpgLE DINGUE DU PALACE (The bellboy)

    de Jerry Lewis

    (Etats-Unis / 70 min / 1960)

  • Les adieux à la reine

    jacquot,france,histoire,2010s

    Quatre journées de juillet 1789, à partir du 14, vues à travers les yeux de la lectrice de Marie-Antoinette, à la cour de Versailles, observée comme par le trou de la serrure. Un tournage effectué pour une bonne part sur place. Une proximité avec les personnages entretenue par une caméra agile et tenace.

    On pense d'abord que la grande affaire des Adieux à la reine sera celle du réalisme dans la reconstitution historique. Or, ce réalisme est vite recouvert par autre chose, qui fait le prix du film de Benoit Jacquot. La façon dont celui-ci colle aux basques de sa Sidonie Laborde peut rappeler, superficiellement, la méthode des frères Dardenne. La jeune femme que campe Léa Seydoux serait un petit soldat s'activant au service de la reine. Mais la part d'aveuglement qui entre en jeu dans son application à servir Marie-Antoinette est suffisamment relevé, et surtout, là où Rosetta avançait inlassablement, Sidonie, elle, traverse. Jacquot la suit dans les couloirs, la cadre dans les enfilades de portes, joue de la perspective et du défilement.

    Cette manière de faire séduit ici, justement, parce que c'est Versailles qui est traversé. Le lieu, si chargé, n'est pas admiré. Pas de plan décoratif dans Les adieux à la reine (un seul plan général, me semble-t-il, très bref, lors de la promenade en barque). Dans la scène du salon de la reine, au cours de laquelle celle-ci brûle des lettres et fait attendre Sidonie à la porte, le plan séquence permet d'aller de l'une à l'autre en balayant la pièce, et ce mouvement, il n'est impulsé que par ce qui circule entre les deux personnages et donne à sentir le lien qui se tisse, élément bien plus important que le décor, le mobilier.

    Contraint de filmer des bouts de façades et de "perforer" l'espace des salles et des couloirs pour évacuer du cadre le plus simplement possible les signes d'aujourd'hui, Jacquot parvient par ce geste à lier forme et fond. Le prisme est celui du regard de Sidonie. Nous l'épousons, même si nous observons forcément avec amusement la façon dont les informations relatives aux événements de la Bastille arrivent jusqu'aux arrières-salles de Versailles.

    Mais ce qui est important, me semble-t-il, c'est que, au fur et à mesure, ce regard devient sujet à caution. Les nuits au château deviennent progressivement plus importantes que les jours. Les chutes, les affaissements, les évanouissements et les assoupissements s'enchaînent. Sidonie tombe dans le sommeil à plusieurs reprises, inopinément. Dès lors, ne rêve-t-elle pas ? A partir d'une magnifique scène-pivot, agitation spectrale d'aristocrates dans l'un des boyaux de Versailles, l'onirisme ne prend-il pas le pouvoir sur le film ? Sidonie, que quelques cadrages destineraient plutôt à devenir une future Mme Campan (Noémie Lvovsky), rêve de prendre place tout près de la reine, dans son cœur. Elle se sent dans la peau de Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), amante (?) de Marie-Antoinette. Elle fantasme.

    Et elle le réalise en quelque sorte, grâce ou à cause, d'une "manipulation a posteriori" de la reine à son encontre. A la fin, sa calèche s'enfonce dans le noir d'une forêt, nous laissant sur un doute. Celle qui daigne se présenter uniquement à ce moment-là (en voix-off), n'a-t-elle pas affabulé tout du long ? Pour une lectrice, cela n'aurait rien d'étonnant. D'ailleurs, cela expliquerait aisément la faculté qu'elle aura eu à attraper toutes ces conversations et cela rendrait logique les disparitions soudaines de certaines silhouettes (le gondolier). Pour ne rien dire de ces trouées à la lisière du fantastique : la reine et sa bougie, dans le couloir, ces aristocrates au teint blafard, affolés. Leur monde se meurt. Il se meurt de n'avoir regardé le peuple que dans l'entrebâillement d'une porte de calèche (Les adieux à la reine est un grand film de portes entrouvertes et de rideaux écartés).

    La musique de Bruno Coulais, que l'on craint au début envahissante, agit en fait comme signe de ce glissement. Elle accompagne parfaitement la démarche du cinéaste qui filme une classe dominante inquiète et un changement d'époque comme un passage d'une dimension à une autre, du réel à l'onirique. Ce dernier restant cependant toujours attaché au corps et donc au dynamisme et au désir.

     

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    jacquot,france,histoire,2010sLES ADIEUX A LA REINE

    de Benoit Jacquot

    (France - Espagne / 100 min / 2012)

  • La femme scorpion & Elle s'appelait Scorpion

    Ito,Japon,70s

    Ito,Japon,70s

    Même si on pioche avec parcimonie dans le monde du film de genre et de série, on s'aperçoit assez vite que les productions japonaises des années 60 et 70 se distinguent plus souvent que d'autres par deux caractéristiques qui font notamment le prix de cette Femme scorpion proposée par la Toei en 1972 : l'esthétisme forcené de la mise en scène et ses implications politiques.

    Le réalisateur, Shunya Ito, profite de l'explosion des formes cinématographiques ayant eu lieu pendant la décennie précédente et prolonge leurs effets pour dynamiter la mise en forme de son récit. Longues minutes sans accompagnement musical ou partitions pop décalées, mouvements frénétiques ou très calculés de la caméra, procédés de distanciation ou d'identification, filtres de couleur, sauts d'un registre à l'autre (sadisme, grotesque, fantastique, horreur, érotisme), ralentis, éclairs de violence... L'homme derrière la caméra sachant gérer les changements de rythme, ces diverses possibilités s'expriment de la façon la plus aveuglante quand le récit le commande. Par exemple, après une longue exposition sous forme d'évasion manquée, un flash-back, que l'on attendait pas, prend une forme théatrâle, avec panneaux tournants et lumières de scène.

    On est assez étonné de voir à quel point la maitrise technique et la vigueur narrative caractérisent cette production. Grâce à cette mise en scène faisant feu de tout bois, on échappe (presque) à la monotonie d'une histoire qui n'est finalement qu'une série d'humiliations subies par une belle jeune femme, sa vengeance proprement dite ne tenant que dans les toutes dernières minutes. Bien sûr, le prix à payer est celui des invraisemblances et des ellipses incongrues, mais l'ambiguïté du décor carcéral, d'apparence tantôt réaliste (pour les scènes les plus humiliantes), tantôt onirique, fonctionne assez bien, comme le jeu "primaire" des couleurs, à travers notamment les uniformes des gardiens et des prisonnières, ces femmes souvent magnifiques et dénudées, soumises aux tourments et aux regards lubriques.

    Le film réveille les bas instincts du spectateur mâle, en montrant des donzelles dominées et outragées. Sauf que... Bien sûr, la femme scorpion est indestrucible. Mais plus profondément encore, Ito, après avoir montré ces violences, renverse la perspective en décrivant la révolte des prisonnières. Et dans ces agressions en retour s'inscrit moins une volonté de vengeance qu'un affrontement inévitable entre hommes au pouvoir et femmes trop longtemps écrasées. C'est ici que le film apparaît clairement politique (sans idéalisme pour autant : le groupe de femmes est aussi traversé de violentes tensions). L'autorité masculine et militaire du Japon est bien la cible. C'est une cérémonie officielle qui est perturbée dès les premières images et surtout, c'est l'emblème national qui est souillé régulièrement, sa nature profonde étant dévoilée dans un plan éloquent : un drap blanc se tache peu à peu en son centre à la suite d'un écoulement de sang.

    Réputé comme étant au moins du même niveau, Elle s'appelait Scorpion, deuxième numéro d'une série qui se poursuivra bien au-delà, déçoit. Le film démarre exactement de la même façon que le premier, par une humiliation dans un cachot et une cérémonie interrompue. Et il se termine en décalquant toujours le modèle : la vengeance ultime se réalise à l'ombre ou en haut des gratte-ciels, en punissant le Mâle à coups de couteaux.

    Entre les deux, Shunya Ito s'efforce pourtant de changer de cadre. Il quitte la prison et suit l'évasion d'un groupe de prisonnières. L'environnement est plus réaliste et la qualité esthétique s'en ressent, tout comme la réflexion politique. Les défauts sont plus criants : l'héroïne est plus un catalyseur qu'autre chose, intouchable et donc moins humaine ; la violence est délavée de ses couleurs pop, devenant plus dérangeante ; les trucs de mise en scène sont d'un usage qui semble moins souple, tendant vers la systématisation (en particulier les panoramiques circulaires ultra-rapides donnant le point de vue de la victime assaillie) ; l'érotisme, bien que plus rare, est mal justifié (deux lesbiennes se pelotent au fond d'une grange, pendant le conciliabule des évadées) ; les excès dans l'interprétation sont légion. Plus mouvementé, ce deuxième volet est paradoxalement plus ennuyeux.



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    Ito,Japon,70sIto,Japon,70sLA FEMME SCORPION (Joshuu 701-gô: Sasori)

    ELLE S'APPELAIT SCORPION (Joshuu sasori: Dai-41 zakkyo-bô)

    de Shunya Ito

    (Japon / 87 min & 90 min / 1972)

  • Leonera

    trapero,argentine,2000s

    Leonera s'ouvre sur une situation confuse, un brouillard qui ne sera jamais réellement dissipé, puis montre la mise en marche de la machine judiciaire et carcérale avec notamment l'important passage au bureau d'enregistrement de la prison, dans lequel Julia doit décliner son identité. Près de deux heures plus tard, le film ira sur sa fin quand la jeune femme traversera à nouveau cette pièce transitoire mais pour, cette fois-ci, sortir en permission et il se termine sur une autre incertitude, pas plus reposante que la première mais chargée de plus d'espoir.

    Le récit est bouclé, ce qui est assez logique pour un film de prison. Le genre est difficile à revisiter tant l'univers est déjà codé, et rendu sur-codé par le cinéma lui-même. Pablo Trapero privilégiant depuis ses débuts une approche réaliste, Leonera ne peut pas tout à fait échapper à quelques tunnels conventionnels, surtout dans sa première moitié qui, s'attachant à rendre compte du chemin de croix d'une femme incarcérée, prend l'aspect d'un film-dossier. La mise en scène en passe donc par des travellings latéraux sur les cellules, la narration éclaire les différentes étapes déterminantes au fil des premiers mois et l'ambiance est alternativement à la révolte, au désespoir et à la solidarité. Tout de même, l'attention de Trapero et son travail avec ses actrices permettent de dépasser certains clichés (l'homosexualité entre détenues par exemple).

    Cette tendresse pour les personnages fait l'intérêt de cette partie, plus, finalement, que l'originalité que constitue à nos yeux la vision de ce lieu où les enfants en bas âge ne quittent jamais leur mère condamnée. Cette originalité est parfois un peu trop pointée dans certaines compositions du cadre, bien qu'elle puisse bien sûr contribuer à notre attachement. Le parcours de l'héroïne, s'il est placé dans cet environnement singulier, une prison qui l'est un peu moins que les autres, reste des plus classiques.

    Il faut donc être patient pour voir le film se singulariser de manière plus profonde, attendre qu'il déleste son portrait de femme de sa dimension d'exemplarité et du soupçon de thèse. Peu à peu, les personnages s'enrichissent mutuellement, pendant que l'histoire se reserre sur des enjeux bien délimités à ce cas précis, suffisamment complexe pour apparaître unique. Le cinéaste fait d'ailleurs le bon choix en reserrant ainsi mais sans jamais permettre de trancher sur la culpabilité, laissant les protagonistes dans un flou de la mémoire particulièrement douloureux. Alors, il n'est pas jusqu'aux procédés habituels comme le plan séquence accompagnant la première sortie qui ne se transforment avec force en belle évidence, nous préparant à des scènes finales franchement émouvantes, bien que suspendues à un fil.

     

    Pablo Trapero sur Nightswimming : Voyage en famille, Carancho 

     

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    trapero,argentine,2000sLEONERA

    de Pablo Trapero

    (Argentine - Brésil / 113 min / 2008)