(Eric Rohmer / France / 1963)
■□□□
Le troisième film d'Eric Rohmer intéresse avant tout aujourd'hui d'une part par son inscription dans un mouvement artistique précis, celui de la Nouvelle Vague dont il intègre les principales composantes (tournage dans les rues, jeunesse des protagonistes, goût pour la provocation verbale ou comportementale) et d'autre part par son appartenance à la série des Contes moraux. Deuxième numéro de cette collection, après La boulangère de Monceau, La carrière de Suzanne, comme les autres opus rohmériens, part d'une proposition narrative claire et semble établir un programme tout en s'ingéniant à l'ouvrir au final à l'imprévu. Hâtons-nous de préciser que le film n'égale ni les meilleures oeuvres des jeunes camarades regroupés sous l'étiquette NV, ni les Rohmer suivants (lequel ne donne vraiment la mesure de son immense talent, à mon sens, qu'à partir de Ma nuit chez Maud en 1969).
Bertrand est le meilleur ami de Guillaume, qui saute sur toutes les filles qui passent. Sa dernière proie est Suzanne, qu'il a tôt fait de séduire. Bertrand la trouve trop docile et joue le jeu des petites humiliations imaginées par Guillaume à son encontre, avant de se rendre compte que...
Le chemin est tout tracé. Or, la résolution surprend et remet en cause notre jugement premier sur les personnages. Les femmes sont traîtées, tout le long du film, de manière déplaisante, Rohmer semblant s'accommoder de la misogynie, différemment exprimée mais également détestable, de ses deux héros, avant d'opérer un retournement complet dans les dernières minutes, retournement d'autant plus intéressant qu'il ne consiste pas en un retour de bâton manipulateur mais en l'affirmation d'une liberté féminine dénuée de ressentiment. Ce brusque bouleversement de la perception contribue à "faire travailler" le film dans la tête, une fois le mot "fin" affiché.
Il reste que, le temps de son déroulement, si court soit-il (moins d'une heure), l'histoire est assez ennuyeuse. Rohmer a tourné en 16 mm et a post-synchronisé l'ensemble. L'effet obtenu est déstabilisant, image et son se disjoignant sans cesse (mots qui ne sont manifestement pas ceux prononcés par les acteurs, texte entendu sans que l'on voit personne parler, et inversement, ou phrases qui se chevauchent de façon à faire "rentrer" le dialogue dans le temps de l'image). Tant au niveau sonore que visuel (malgré quelques beaux plans de coupe vides de personnages), les contraintes techniques entraînent la mise en scène loin de la rigueur habituelle et entravent la tentative de dosage harmonieux entre l'enregistrement d'une réalité contemporaine et l'assise intemporelle qui fait la singularité et la beauté de ce cinéma. La voix off de Bertrand guide de temps à autre le récit. J'aurais aimé qu'elle le recouvre entièrement (mais le résultat aurait sans doute paru trop expérimental à Rohmer le classique).
Je l'ai dit plus haut, la morale se révèle, in extremis, moins simple qu'il n'y paraît, mais ce qui y fait écran, les vicissitudes de quelques étudiants snobs, lasse très vite (peignant un milieu comparable, Pierre Kast, dans Le bel âge, provoquait plus d'attachement). Le charme et la présence n'étant pas les qualités premières des comédiens choisis et les provocations (tapes sur les fesses, jurons) sortant peu naturellement, l'oeuvre ne captive pas... jusqu'aux cinq dernières minutes.
J'ai tué ma mère est revigorant comme une chanson punk. Du punk tendance
Devant les abus des autorités et l'intolérance de la bonne société de Portsmouth, Langdon Towne, fraîchement viré de Harvard, et son ami Hunk Marriner partent à l'aventure vers l'Ouest. Ils croisent alors la route du Major Rogers et de son bataillon de Rangers, soutenu par les Anglais. Le militaire a besoin d'un cartographe et prenant connaissance des talents de dessinateur de Towne, les invite à se joindre à eux pour une expédition périlleuse destinée à anéantir une tribu d'indiens alliés aux Français.
En un long plan-séquence serré, Amos Gitai filme Natalie Portman en pleurs, assise à l'arrière d'une voiture, au son d'une chanson israélienne jouant sur la répétition des phrases. Les premières minutes de Free Zone sont aussi radicales que l'étaient les dernières du Vive l'amour de Tsai Ming-liang (1994) où l'on voyait de même une femme se mettre à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Ici, les gestes de l'actrice américaine qui, en essuyant ses joues perd son maquillage, prennent la forme d'un dépouillement des artifices, nécessaire à l'immersion d'une figure occidentale dans la réalité brute du Proche-Orient. En imposant ce dispositif d'emblée, le cinéaste accroche le spectateur mais, en ne s'y tenant pas exclusivement par la suite, prend le risque de relâcher la pression.
Trois camarades (Three comrades) s'ouvre sur le soulagement d'une poignée de soldats allemands célébrant dans leur cantine la fin de la guerre (celle de 14-18). Parmi eux, Erich, Otto et Gottfried portent un toast qui n'a pas grand chose d'enjoué. En démarrant au soir de l'arrêt des hostilités, le récit se déploie à partir d'une blessure dont la cicatrisation se révèlera impossible et se leste d'un sentiment de tristesse insondable.
A la fin des années 50, au moment même où, en France, la Nouvelle Vague commence à redistribuer les cartes, le Free Cinema britannique explose de l'autre côté du Channel. Moins formaliste et revendiquant moins fortement la pratique de la terre brûlée esthétique, le mouvement qui vit s'épanouir les oeuvres de Tony Richardson, Lindsay Anderson et Karel Reisz, est en revanche bien plus clairement combatif sur le plan social et politique, tournant essentiellement son regard vers les classes moyennes et ouvrières.
Une simple idée peut-elle suffire à faire tenir un film droit ? Parfois oui, comme c'est le cas avec Cloverfield. A Manhattan, Hud se retrouve avec une caméra numérique dans les mains, chargé de couvrir la fête donnée en l'honneur de son pote Rob. En pleine nuit, coupures de courant et explosions sément la pagaille aux alentours. Des monstres attaquent New York et Hud va filmer l'incroyable. Sur l'écran, nous ne verrons rien d'autre que le déroulement intégral de cet enregistrement.
Cinéaste de l'excès et du grotesque, Robert Aldrich, quels que soient les sujets auxquels il s'attela au cours de sa longue carrière, n'avait pas pour habitude de faire dans la demie-mesure. En filmant en 1955 Le grand couteau (The big knife), basé sur l'adaptation que fit James Poe d'une pièce de Clifford Odets, il s'attaque au mirage hollywoodien, alors toujours entraîné dans les remous du Maccarthysme. Le regard qu'Aldrich porte sur le monde du cinéma est particulièrement acide. Les rapports entre les gens du spectacle semblent n'obéir qu'à des régles d'allégeance et de services rendus aux plus puissants en échange d'une protection financière. Cette micro-société a tout d'une structure à caractère mafieux. La mise en scène se charge de valider ce parallèle. Le premier face-à-face entre l'acteur réticent Charles Castle et son producteur Stanley Hoff se pare de tous les atours du polar et l'élément scénaristique déclencheur de la crise finale achève de déplacer le récit à la lisière du genre criminel.
Étranges étrangers est au centre de la nouvelle livraison de la collection "Histoire d'un film, mémoire d'une lutte", dirigée par Tangui Perron pour Scope Editions et Périphérie, centre de création cinématographique. Après un premier livre-dvd qui s'appuyait sur le film de Jean-Pierre Thorn, Le dos au mur, ce deuxième numéro confirme que nous tenons là l'une des initiatives éditoriales les plus passionnantes de ces dernières années, redonnant vie à des oeuvres cinématographiques militantes rares et les accompagnant d'une documentation extrèmement riche et instructive.
Whatever works commence avec l'interpellation du spectateur par le personnage principal, Boris Yellnikoff. Cette apostrophe est déstabilisante tout d'abord par l'indécision du degré de distanciation qui la caractérise : débarquant au milieu d'une conversation entre amis, nous croyons bien déceler deux ou trois coups d'oeil de l'un des protagonistes vers la caméra avant que celui-ci s'adresse à nous directement, à la surprise de ses compagnons, qui continuent tout de même, tous comme les passants, à vivre leur vie de fiction.