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Nightswimming - Page 135

  • Jeremiah Johnson

    (Sydney Pollack / Etats-Unis / 1972)

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    378162d92ef78e99a1c02f87d28bfdc8.jpgJe le dis d'emblée, Sydney Pollack est pour moi un cinéaste estimable, réalisateur de bons films, mais jamais transcendants. Ce Jeremiah Johnson, après lequel je courrais depuis longtemps, à priori meilleur film de son auteur, ne me fait, malheureusement, pas revoir mon jugement, aussi agréable ce (faux) western soit-il à regarder. Jeremiah Johnson, venant de nulle part, décide de mener la vie rude, dangereuse et solitaire, de trappeur. Son périple montagnard sera l'occasion de rencontres insolites avec d'autres chasseurs et plusieurs tribus indiennes. Un foyer se constitue après son mariage forcé avec une squaw et l'adoption d'un garçon dont la famille de colons, à l'exception de sa mère rendue folle, a été massacrée. L'aspiration idyllique à l'harmonie ainsi réalisée est cependant bientôt brisée. Johnson, entraîné dans un cycle de violences, refait son chemin à l'inverse, croisant une seconde fois les mêmes personnes et disparaissant, auréolé d'une dimension quasi-mythique.

    L'oeuvre se place à la croisée de deux voies prises par le grand cinéma américain des années 70 : un cinéma de l'errance et du désenchantement (illustré par Altman, Monte Hellman ou Bob Rafelson) d'une part, et un cinéma de l'interrogation des mythes fondateurs et de leur rapport à la violence (celui du Boorman de Délivrance, d'Eastwood ou de Sam Peckinpah) d'autre part. Les caractéristiques saillantes des grands films de l'époque (qui fait encore rêver par rapport aux ambitions et à la liberté de ces cinéastes) sont là : déplacement ou retournement des codes, narration qui s'éloigne de la construction classique, qui module le temps à sa guise, dimension politique et approche nouvelle des rapports aux minorités. Qu'est-ce qui empêche alors Jeremiah Johnson de tutoyer les mêmes sommets ? Le style assurément.

    Pollack use et abuse des gros plans sur le visage de Robert Redford. L'idée est alléchante d'encombrer Johnson d'une indienne parlant dans une langue incompréhensible et d'un garçon mutique, mais elle pâtit des multiples échanges de regards lourdement soulignés. De même, le pressentiment tragique apparaissant en traversant le cimetière indien ou la transformation de Johnson en figure mythique passent par des idées visuelles malvenues. Pollack ne s'en tient pas à une ligne, à un ton, il tire parfois vers le picaresque, parfois vers la joliesse (les séquences centrales n'échappent à l'ennui que par les traits d'humour, essentiellement basé sur le barrage des langages), parfois vers la violence brutale (les affrontements sont à la fois traîtés sans musique et à la fois bourrés d'effets spectaculaires). La dernière partie, langoureuse, nous enveloppe sans nous élever.

    Si l'indécision de la mise en scène de Pollack me gène, le propos reste évidemment assez passionnant dans le regard porté sur les indiens, ni caricaturés, ni angélisés et surtout dans le constat de cet impossible retour à la nature, symbolisé par le plan final, ce signe amical adressé à l'Autre, au loin, geste qui voudrait se transformer en main tendue mais qui reste figé.

  • Les grandes gueules

    (Robert Enrico / France / 1966)

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    322699d6f3d5c00855cb3710df726ee6.jpgSi le nom de Robert Enrico fait pas mal frémir à cause du Vieux fusil, de Au nom de tous les miens, de Zone rouge ou de La Révolution Française, il faudrait se pencher sur ses débuts, de La rivière du hibou (1962) aux Aventuriers (1967), où il tentait une approche physique, ample et singulière du cinéma, avec en tête le classicisme hollywoodien.

    Pour Les grandes gueules, son deuxième long-métrage, Enrico bénéficiait de la présence de Bourvil et de Lino Ventura en tête d'affiche, et de l'adaptation par José Giovanni de son propre roman. Hector (Bourvil), de retour du Canada, décide de remettre en route la scierie de son père, repoussant les offres de reprise d'un puissant concurrent, Therraz, mieux installé, plus bas dans la vallée. Il embauche deux hommes de passage, sortis récemment de prison, Mick (Jean-Claude Rolland) et Laurent (Ventura). Devant les difficultés d'Hector pour obtenir une main d'oeuvre fiable, détournée par Therraz, les deux nouveaux employés proposent à leur patron de faire appel à des "conditionnels", prisonniers en fin de peine pouvant bénéficier d'une semi-liberté. L'arrivée d'un petit groupe, auquel était censé appartenir un homme que Laurent voulait ainsi éliminer, va exacerber les tensions avec l'entrepreneur voisin et bouleverser les habitudes du village en contrebas.

    Les grands noms qu'Enrico a réuni au générique lui ont permit de jouir de moyens à la hauteur de son ambition. Le film est entièrement tourné dans les Vosges, sur les lieux mêmes du roman, et scieries et installations techniques alentour ont été recrées (dont une sorte de luge qui permet de descendre de grosses quantité de bois, l'ouvrier se plaçant devant pour la freiner en prenant appui sur une série de traverses, comme autant de marches à dévaler avec un monstre dans le dos prêt à vous écraser : machine trop spectaculaire pour ne pas jouer un rôle primordial dans le scénario). Les forêts montagnardes sont filmées avec une belle vigueur, Enrico se délectant de ces chutes d'arbres, notamment lors d'une séquence toute musicale. Le cadre et la simplicité de l'argument tirent vers le western, chaque élément pouvant parfaitement être transposé dans l'Ouest américain (les quelques allusions du dialogue au indiens ou aux trappeurs, du coup, en rajoutent trop). Cette simplicité, de la narration et de la mise en scène, a son revers : la psychologie des personnages s'en retrouve limitée. Les réactions d'énervement de Bourvil, qui tire tout à coup dans le vide avec son fusil, laissent pourtant entrevoir quelques zones d'ombres. Toujours en rapport avec le western, la musique est signée par François de Roubaix, dans l'esprit de Morricone. Pas désagréable en accompagnement, elle peine sérieusement, par contre, quand elle prend en charge le rythme et tire l'image et le récit, dans ces quelques séquences muettes, bien loin du résultat obtenu ailleurs par Sergio Leone et son compositeur.

    La constitution du groupe de prisonniers amène à aligner les seconds rôles "à gueules", à la caractérisation très appuyée. Des bagarres se succèdent, un peu trop homériques, parfois à la limite du comique, alors qu'une plus grande sécheresse aurait emporté le morceau. Le principe en vigueur ici est celui selon lequel tous les problèmes se règlent à coups de poings, qu'ils servent à souder une amitié ou à écraser un ennemi. Cet univers est donc masculin. Il n'empêche pas cependant l'apparition de belles silhouettes féminines, dont celle de la toujours touchante Marie Dubois. Les rapports entre les protagonistes sont basés sur l'honnêteté et dessinés dans la sobriété. Dans le beau final, Laurent, après la mort de Mick, trouve en Hector un autre alter ego, avec lequel il pourra reprendre la route. Contrairement à l'habitude, un bourlingueur ne prend pas sous son aile un nouveau jeune protégé, mais repart accompagné d'un vieil homme fatigué. L'échec, raisonné, du plan initial fait penser à John Huston. Et pour le spectateur de cinéma, l'échec est souvent plus payant qu'une réussite.

    Ma femme a adoré.

  • Le rêve de Cassandre

    (Woody Allen / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 2007)

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    906d7dfd78492e8f3ea7823c720d737b.jpgC'est (presque) la passe de trois pour Allen (ou le hat trick, puisque nous sommes à Londres).

    Sa trilogie anglaise se termine donc sur une nouvelle réussite qui, si elle n'est pas aussi éclatante que les deux précédentes, confirme que le new-yorkais a bien eu raison de venir voir du côté du vieux continent (le prochain serait situé à Barcelone, si je ne me trompe). Comme dans Match point, nulle trace de comique, sinon un rire jaune, dans Le rêve de Cassandre (Casandra's dream), histoire de deux frères à la recherche d'argent pour combler des dettes de jeu ou partir en Californie aux bras d'une superbe actrice. Woody Allen ne s'intéresse pas ici à la haute société anglaise mais à la classe moyenne. En posant le décor et les personnages pendant de longues minutes, avant l'élément déclencheur du drame, il nous épate là où l'on ne l'attendait absolument pas : le portrait réaliste de deux frangins et de leur famille, l'obsession de l'argent, l'importance du travail.

    Nous ne sommes bien sûr pas chez Ken Loach, mais il n'empêche que dès la première scène autour du bateau convoité (bientôt baptisé Casandra's dream, du nom du lévrier gagnant ayant permit à Terry de ramasser un peu de monnaie), la crédibilité est là. D'emblée l'évidence de la complémentarité et de la différence des deux frères éclate. Autant qu'à Allen, le mérite en revient évidemment à Ewan McGregor et de façon plus étonnante à Colin Farrell. Celui qui m'avait gâché une bonne partie du plaisir pris au Nouveau monde de Malick joue ici les loosers de manière très subtile et attachante, juste par ses regards en biais, sa coiffure et son blouson en cuir. Toute la première partie brille d'une mise en scène simple et souple, laissant quand il le faut s'étaler des dialogues d'une précision incroyable. A ce titre, l'entrevue entre les deux frères et leur oncle qui leur demande un service effrayant est un sommet. Comment faire passer un telle scène, à la vraisemblance limite ? Allen la traite toute en longueur, ciselant son écriture, détaillant les réactions de chacun, faisant le tour du problème posé sans oublier aucun aspect, intégrant des contrepoints comme l'arrivée de la pluie et le refuge sous le feuillage. Par la suite, les valses-hésitations pathétiques et dramatiques de Terry et Ian, entrecroisées avec leur vie amoureuse respective, sont l'occasion pour Allen de développer sa noire vision des choses. Le point de non-retour est atteint au final d'une partie de cache-cache dans un quartier charmant et deux petits coups de revolvers artisanaux suffisent à faire basculer l'âme humaine.

    Il faut cependant reconnaître que le rythme faiblit ensuite, lors de la dernière partie. Allen se répète quelque peu, par rapport à son oeuvre et à l'intérieur même du film, en appuyant sur la question du remord. L'évolution psychologique des personnages se fait prévisible, alors qu'elle faisait tout le sel de la mise en route de la machine infernale, et le dénouement n'a pas la force qu'il devrait avoir.

  • Secret sunshine

    (Lee Chang-dong / Corée du Sud / 2007)

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    256c4aacef3c7cd70e6f2c7c1d6a9798.jpgLee Shin-ae, accompagnée de son petit garçon, quitte Seoul pour Miryang, petite ville dont était originaire son mari, mort dans un accident de la route. Elle s'acclimate plus ou moins, malgré le peu d'enthousiasme des habitants du coin, mais l'enlèvement et la mort de son enfant vont l'entraîner, de temples religieux en hôpitaux, aux confins de la folie.

    Le film tient les promesses de cette trame au pessimisme total. Les personnages que croise l'héroïne sont antipathiques, au mieux indifférents. Un garagiste est le seul qui s'intéresse un tant soit peu à elle, jusqu'à en tomber amoureux, à la suivre partout (rôle interprété avec justesse par Song Kang-ho, vu dans The host et Memories of murder). Lui aussi, malgré cela, se révèle incapable de l'aider en quoi que ce soit. On voit Shin-ae victime de crises de larmes ou d'hystérie, ou errer sur la chaussée ensanglantée, et toujours en présence de tiers, mais jamais soutenue. Une seule main, celle du révérend dans l'église, viendra à un moment la toucher. Cette impuissance généralisée s'étend jusqu'à Shin-ae elle-même, quand elle regarde depuis sa voiture, sans intervenir, un jeune homme malmener la fille de l'instituteur. Pendant les 2h30 de Secret sunshine, nous avons ainsi la sensation d'observer quelqu'un souffrir, sans que l'on puisse faire quoi que ce soit.

    Si nous sommes bien dans un mélodrame, le film aborde plusieurs registres, comme c'est souvent le cas pour ce nouveau cinéma coréen des années 2000 : d'une chronique familiale, nous virons vers le film noir, puis vers le documentaire critique sur la religion, pour finir... on ne sait trop où. Car si "les voies du seigneur sont impénétrables", comme le disent par deux fois des croyants coincés par une question trop pertinente, l'oeuvre l'est aussi par bien des aspects. Le personnage de Shin-ae (Jeon Do-yeon, prix d'interprétation à Cannes) est insaisissable, ses dérèglements psychiques font bifurquer toute la narration, sans que l'on saisisse toujours la raison de ces revirements. Chacun réagira différemment à des scènes particulièrement intenses. Ainsi, je me ferme totalement devant une séquence telle que celle de la reconnaissance du cadavre de l'enfant près du lac, aussi maîtrisée soit-elle (je précise bien sûr que je ne pose pas ici un interdit, mais qu'il s'agit d'une sensibilité personnelle me rendant ce genre de scène, depuis la naissance de mon fils il y a cinq ans, très difficile à supporter). Mais un peu plus loin, la crémation donne lieu à un moment extraordinaire de tension entre Shin-ae et sa belle-mère. Reconnaissons donc que ce récit en zig-zag, si il finit par faire lâcher prise, offre tout de même plusieurs surprises, et que la douleur de la perte est l'une des choses les plus difficiles à filmer.

    Lee Chang-dong avait réalisé précédemment Oasis, histoire d'amour tordue entre un jeune homme et une handicapée. Les mêmes défauts et qualités s'y trouvaient : longueur excessive et moments de naturalisme poussé d'un côté, sûreté de la mise en scène, qualité de la direction d'acteurs, regard sans compromis et critique virulente de la société coréenne de l'autre.

  • Les promesses de l'ombre

    (David Cronenberg / Canada - Grande-Bretagne / 2007)

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    b7c414b7f820d418d38fe5c86ec4605b.jpgDécidément, entre Woody Allen et David Cronenberg, Londres semble inspirer actuellement les grands créateurs. Et toujours, les cadavres s'amoncellent.

    Comme A history of violence, Les promesses de l'ombre (Eastern promises) se pare des habits du film noir pour mieux développer les réflexions de Cronenberg sur la violence et sur les corps. Le milieu choisi ici est celui de la mafia russe, représentée par l'une des familles du puissant clan des Vory. Nous sommes guidé par deux personnages, deux regards croisés, l'un intérieur, celui de Nikolai, le chauffeur et croque-mort, l'homme qui gravira un à un les échelons dans la hiérarchie du clan, et l'autre extérieur, celui d'Anna Khitrova, sage-femme ayant récupéré le journal tenu par une prostituée décédée en accouchant de sa petite fille, journal qui l'amène à rencontrer cette famille en question.

    Naomi Watts rend avec sa classe habituelle les tiraillements d'Anna. Ses fêlures, son manque d'enfant, l'actrice et son réalisateur les font ressortir sans emphase. Cronenberg, par le biais de propos terribles assénés par son oncle à Anna, relatifs à sa liaison passée avec un Noir et la perte d'un bébé, précise cela pour ne plus jamais aborder explicitement le problème par la suite, procédé qu'il emploie dans tout le film, faisant confiance à l'intelligence de ses spectateurs (voir les ellipses vertigineuses du dernier quart d'heure). La rencontre entre Naomi Watts et Cronenberg pouvait faire espérer de grands moments d'érotisme entre l'actrice de Mulholland Drive et le cinéaste de Crash. Il n'en est rien, le Canadien n'abordant à aucun moment, pour une fois, ce registre (l'intérêt de la seule scène sexuelle du film, entre Nikolai et une jeune prostituée, se joue ailleurs).

    La violence, par contre, est le coeur du sujet. Et tout d'abord la crainte de cette violence. Cronenberg ne  jette pas inconsidérément son héroïne dans la gueule du loup. A chaque instant, nous sentons son appréhension à rencontrer ces gens, y compris le patriarche, à priori si prévenant. Elle connaît leur réputation et sent parfaitement qu'ils sont capables des pires horreurs. Nous avons en effet droit à quelques unes des images les plus violentes vues récemment sur un écran. L'affrontement au couteau entre Nikolai et deux mafieux tchétchènes est d'ores et déjà une séquence anthologique. Ici, la violence du corps à corps est décuplée par le fait que Viggo Mortensen combatte entièrement nu, crudité stupéfiante pour ce genre de scène d'action. Notons au passage que le travail du réalisateur autour de la violence englobe ici cette question de la crudité et de la vulgarité (celle des corps, tatoués ou mutilés, des comportements, irresponsables ou infantiles, et des propos, homophobes ou racistes). Cette distance réflexive que prend Cronenberg, cette démonstration qui s'appuie sur un matériau relativement classique, on la sent tout du long. C'est selon moi la petite limite du film (et de History of violence) et ce qui fait que je préfère la mise en scène envoûtante et moins théorique de Crash ou de Faux-semblants. Et tant que j'en suis aux bémols, il y a aussi dans les trois derniers films un certain goût pour la performance d'acteur, le jeu appuyé, dans l'introspection autant que dans les débordements, qui gêne par moments (Ralph Fiennes dans Spider, Cassel ici. En passant, par rapport à notre grande presse cinéphile, genre feu-Les Inrocks : Cronenberg fait parler Vincent Cassel en anglais avec un accent russe et c'est un chef-d'oeuvre absolu, mais si Corneau place des mots d'argots des années 60 dans la bouche de Michel Blanc ou Daniel Auteuil, c'est une merde...).

    Viggo Mortensen, comme dans le film précédent est tout à fait remarquable et glaçant. Cronenberg, en une seule scène, bouleverse notre vision du personnage. Ce retournement total, le cinéaste l'amène de façon parfaite et tout notre regard en est chamboulé : nouvelle preuve de l'art de Cronenberg, de son intelligence du rapport film-spectateur. Comme d'habitude avec lui, nous quittons la projection pleins d'interrogations, repensant à la richesse des thèmes évoqués (dont ceux que je n'ai pas abordé : la filiation, la notion de famille, la moralité ébranlée...). Qu'ils choquent certains ou qu'ils séduisent d'autres, comme moi, touts ses films vivent ainsi bien après le générique de fin.

  • Scoop

    (Woody Allen / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 2006)

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    0c95203c86ea9fb5af111a2c5214b7e0.jpgSuite des pérégrinations londonniennes de Woody Allen, après Match point et avant Le rêve de Cassandre. Match point, par la noirceur de son propos, sa violence et l'absence de tout bon mot dans le dialogue, ressemblait bien peu aux films précédents de l'auteur. L'oeuvre, remarquable, laissait le spectateur inquiet : si même Woody Allen se met à faire des films noirs, où va-t-on ? Si Scoop nous plonge à nouveau dans une histoire de meurtres, il signe un retour d'Allen à la franche comédie, dans la lignée des enquêtes criminelles légères de Meurtre mystérieux à Manhattan et du Sortilège du scorpion de jade, soit l'une des branches les plus savoureuses de sa filmographie.

    L'apprentie-journaliste Sondra Pransky (Scarlett Johansson) se voit révéler par le fantôme de Joe Strombel, fameux reporter décédé la veille, un scoop énorme : le tueur en série insaisissable, sévissant sur la ville depuis plusieurs mois, ne serait autre que le noble et richissime playboy Peter Lyman (Hugh Jackman). Aidé par Sid Waterman (Woody Allen), magicien rencontré fortuitement, elle se lance dans une enquête, jusqu'à se jeter dans les bras de son suspect.

    Dès l'introduction, fellinienne, qui nous montre ce bateau, mené par la Mort en personne, dont Strombel saute pour remonter le courant et ainsi faire passer son message à un vivant, on sent que c'est gagné et que Woody Allen saura dérouler tout son art comique. Et en effet, quel bonheur de suivre une comédie réellement drôle, à la mise en scène soignée (on sent le plaisir de filmer les rues de Londres), au scénario ménageant quelques rebondissements nullement tirés par les cheveux. Plus d'une fois, Allen trouve encore le moyen de nous faire rire sur le judaïsme ou sur la magie. Le voir filer dans la campagne anglaise cramponné au volant d'une Smart est un grand moment, prélude à un gag dramatique surprenant (puisque effectivement, "à part la barrière de la langue, le seul inconvénient de la vie anglaise est la conduite à gauche"). Ayant passé l'âge de jouer les amants, il se taille un rôle de compagnon de route amical, gaffeur et protecteur. Paternel, dirait-on si il ne balayait pas génialement tout épanchement facile en trois secondes :  "Vous êtes la fille que je n'ai jamais eu... Non, je plaisante. Je n'ai jamais voulu d'enfants. Vous les élevez, vous vous occupez d'eux, ils partent, puis ils reviennent vous accuser d'être atteint d'Alzheimer".

    Dans les deux fantaisies policières citées plus haut, Woody Allen avait trouvé deux partenaires adéquates pour le suivre dans ses délires et former deux duos percutants : la fidèle Diane Keaton, puis Helen Hunt. Il convoque ici, pour la seconde fois Scarlett Johansson. Après lui avoir offert son rôle le plus sensuel dans Match point, il l'entraîne dans un nouveau registre, où elle évolue comme un poisson dans l'eau. Se fondant parfaitement dans ce monde allenien, elle colle au rythme, aux gestes, au débit, de façon confondante, en accord parfait avec le caractère décomplexé de son personnage. Son avant-dernière et très brève apparition, complètement trempée, transforme une simple pirouette narrative en merveilleuse cerise sur le gâteau. Ce grand directeur d'acteurs qu'est Woody Allen aura donc permit, entre autres choses, dans ses deux premiers films anglais, à une actrice déjà très attachante et prometteuse de nous offrir deux performances parfaitement bluffantes.

  • Le deuxième souffle

    (Alain Corneau / France / 2007)

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    c0646f3f576c7ee17b0e973287a5c58c.jpgDéfense d'un film descendu en flammes un peu partout pour crime de lèse-Majesté-Melville, casting de stars et esthétisme forcené (délit gravissime au pays du cinéma naturaliste).

    Je pourrai jouer la provocation en avançant que cette adaptation du Deuxième souffle de José Giovanni est meilleure que celle réalisée par Jean-Pierre Melville en 66. Mais l'honnêteté me pousse à préciser que j'ai vu cette dernière il y a bien trop longtemps pour en garder des souvenirs précis. Et c'est probablement un avantage que de ne pas l'avoir trop en tête en regardant la relecture proposée par Corneau. Cela permet en tout cas de se laisser porter à nouveau par l'histoire du retour du vieillissant Gustave Minda au pays des truands et de savourer les quelques retournements de situation inattendus, puisque là est le premier plaisir du film : suivre un récit policier particulièrement bien ficelé.

    L'esthétique du film a déplu, on parle de kitsch. Alors la photographie de Christopher Doyle pour les derniers Wong Kar-wai l'est aussi. Car on pense par moments à In the mood for love pour la façon d'éclairer ces intérieurs des années 60, sans que la similitude soit gênante, le travail d'Yves Angelo à l'image baignant la totalité de l'oeuvre dans cette ambiance quasi-irréelle. Ce choix radical permet également à Corneau de ne pas trop en rajouter du côté de la reconstitution et de tous les signes de l'époque. La photographie suffit à faire ressentir le décalage temporel. L'effet est souligné, a contrario, par le tout dernier plan, seul moment où le réalisateur laisse ostensiblement quantité de figurants envahir le cadre d'une ruelle sous une lumière tout à coup naturelle, belle manière de raccompagner en douceur le spectateur vers le monde réel après la fiction.

    Les critiques se plaignent également de ne voir que des acteurs momifiés, de visiter un musée du polar (soit dit en passant, ce sont les mêmes reproches qui étaient adressés, en son temps, à Melville pour ses polars, devenus maintenant intouchables). Corneau veut faire passer le sentiment de la fin d'une époque (celle des truands "d'honneur"), l'engourdissement des figures, le ballet de spectres. Fallait-il qu'il fasse gesticuler ses interprètes pour ne pas risquer de s'entendre dire que tout cela manque de vie ? Et parlons-en des acteurs, tiens. Les vedettes abondent et jusqu'aux rôles secondaires, les têtes sont connues. Chacun est à sa place et fait ce qu'il sait faire de mieux : Duvauchelle, Dutronc, Duval, Melki, Nahon etc... Le personnage du commissaire joué par Michel Blanc est un peu trop univoque et omniscient, avec un dialogue farci de mots d'auteurs (dont la plupart sont cependant efficaces). Auteuil est bon, excellent dans certaines scènes, comme celles qui suivent le hold up où fébrile et inquiet il guette le grain de sable qui ne manquera pas de tout faire dérailler. Restent les deux choix qui fâchent : Monica Bellucci et Eric Cantona. Leur duo dans le night club du début fait peur, mais les choses s'arrangent par la suite. Bellucci n'est toujours pas une actrice convaincante, mais cette Manouche est ici une pure image, sans profondeur. Passant sur les scènes les plus intimes, on s'en accommode donc assez bien. Cantona s'impose sur la longueur. Sobre, il donne des instants justes face à Daniel Auteuil et rend crédible son dévouement. Et c'est finalement l'un de ceux qui font vivre le mieux la langue de l'époque.

    Le deuxième souffle n'est pas sans défauts non plus dans sa mise en scène, mais ceux-ci résultent plutôt d'une joie de filmer mal contrôlée. Ainsi, aux deux extrémités du film, deux ratages sont évidents : la séquence du night club déjà évoquée et celle du règlement de comptes final entre gangsters, introduite par un effet visuel grossier et poursuivie dans une débauche de ralentis. Pour le reste, Corneau s'en sort remarquablement, ménageant nombre de surprises, visuelles, verbales ou scénaristiques, tenant jusqu'au bout son parti pris esthétique et offrant une magnifique scène de hold up, longue séquence enveloppée par la partition de Bruno Coulais et montée avec précision. Plastiquement ambitieux et cohérent, gardant un intérêt constant le long de ses 2h30, ce très bon policier français, déjà handicapé par une affiche atroce et une bande-annonce à faire fuir, n'avait pas besoin de subir les attaques sans discernement d'une critique toujours prompte à descendre les cinéastes post-Nouvelle Vague.

  • Crimes et délits

    (Woody Allen / Etats-Unis / 1989)

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    b3612605106e5fabdf89b630af427fb4.jpgPetit évènement personnel : je connais enfin tous les longs-métrages de Woody Allen. Car mis à part Scoop, dont j'ai sous le coude un enregistrement et le tout récent Rêve de Cassandre, que je m'empresserai d'aller voir ces jours-ci, il ne me restait plus qu'à découvrir ce Crimes et délits (Crimes and misdemeanors), cru 89 de son auteur et l'un des plus vantés de la période. Si ce n'est finalement pas, pour moi, l'un des sommets de l'oeuvre allenienne, cet opus se révèle tout à fait passionnant et figure bien parmi ses belles réussites (réussites qui, depuis Annie Hall en 77 sont majoritaires dans cette filmographie imposante, aux côtés de travaux mineurs mais toujours agréables, et selon moi, d'un seul ratage, pourtant alléchant sur le papier, le Hollywood ending de 2002).

    Crimes et délits déroule parallèlement deux histoires : celle d'un riche ophtalmologue, Judah Rosenthal (Martin Landau), encombré d'une maîtresse de plus en plus vindicative et se laissant entraîner vers le pire pour régler ce problème et celle de Clifford Stern (Woody Allen), documentariste underground, obligé de réaliser un portrait filmé très conventionnel de son beau-frère, cinéaste star. Depuis toujours, Allen est un adepte du coq à l'âne. Rarement pourtant, jusqu'à ce film, aura-t-il laissé vagabonder sa narration, multipliant les personnages et les micro-intrigues au hasard des rencontres des principaux protagonistes (voir par exemple, le récit, illustré à l'image, dans lequel se lance tout à coup la soeur de Clifford). Plus tard, cette déconstruction ré-apparaîtra, encore plus maîtrisée sans doute (Harry dans tous ses états, Melinda et Melinda). Ici, elle donne une impression de trame un peu foutraque, mais très séduisante dans ses à-coups mêmes. Allen ne se contente d'ailleurs pas d'excroissances scénaristiques. Il place des extraits de vieux films qui sont vus au cinéma par Clifford et qui en même temps commentent savoureusement les événements dramatiques du récit. Il insert des plans remémorés ou fantasmés par Judah, en rapport à sa liaison extraconjugale. Il fait converser celui-ci avec sa famille, revenue de l'au-delà, au cours d'une séquence extraordinaire, qui débute dans l'émotion de la visite de sa maison d'enfance et qui se termine en débat familial irrésistible autour de l'identité et des croyances juives.

    Parallèles, les deux histoires principales donnent lieu à peu de croisements, sinon un mariage final où se rencontrent pour la première fois Judah et Clifford. Toute la partie consacrée à l'ophtalmologue, élevée au rang de tragédie, frappe par sa noirceur, que rien ne vient atténuer, et qui annonce, la sauvagerie du crime en moins, Match point. Celle qui se concentre sur Clifford est plus dans la lignée des (auto-)portraits habituels de Woody Allen. Elle parvient toutefois à surprendre régulièrement, tant dans le registre comique (les affrontements impayables entre Clifford et son beau-frère insupportable de suffisance, personnage interprété brillamment par Alan Alda et "sauvé" finalement en quelques phrases par sa nouvelle femme Halley, chipée à Clifford) que dans l'émotion (les jolies hésitations amoureuses entre Woody Allen et Mia Farrow).

    De ce film aux tons multiples, et parmi les nombreuses pistes ouvertes, insistons enfin sur ce mystérieux personnage de rabbin qui devient aveugle au fur et à mesure. Ben (Sam Waterston), autre beau-frère de Clifford, visite régulièrement Judah pour ses ennuis de santé visuelle, lui explique sa façon de voir les choses, ne se plaint jamais de ce médecin qui est manifestement incapable de le soigner, tellement il s'intéresse peu aux autres, et se voit offrir le dernier plan du film, quelques pas de danse aveugles, traces d'une de ces autres tragédies qui auront parcouru souterrainement l'oeuvre, masquées par le cauchemar de film noir qu'a vécu l'égoïste Judah.

  • Star wars : Episode III - La revanche des Sith

    (George Lucas / Etats-Unis / 2005)

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    9afbd3dba1281fb8df6406a11e807c89.jpgFans de Star wars qui vénérez chaque plan de George Lucas, qui applaudissez à chaque projection, qui fêtez avec enthousiasme les 30 ans de la saga, qui attendez même, peut-être, d'autres suites, arrêtez-vous là.

    La première trilogie se clôturait quand j'avais 13 ans; je ne suis donc pas passé à travers la déferlante : les films, les figurines, les autocollants, les combats aériens, les sabres lasers, les vannes de Han Solo le préféré de tout le monde. Au fil du temps, la raison a clarifié les choses : deux bons premiers volets et un mauvais pour finir. Puis vint la deuxième trilogie, soit trois conneries. De l'aveu même de Lucas et de ses producteurs, la mise en route de la suite découlait plus d'une volonté de capter un nouveau public de 8-12 ans que de l'envie d'approfondir réellement le mythe. Pourquoi me sentirai-je concerné ? Je n'ai d'ailleurs vu ces trois nouveaux épisodes que plusieurs mois après leurs sorties, au hasard de programmations télé. Avant d'aborder Star wars III, je n'avais plus aucune idée de ce qui s'était passé dans les deux précédents. Peu importe, car la grande question, tout le monde nous l'a dit à l'époque de la sortie, celle qui justifie notre attente fébrile et angoissée, c'est : Mais, bon sang !, comment Annakin va-t-il devenir Dark Vador ?

    Pendant une heure et demie, tout ce qui fait que cette seconde trilogie m'indiffère totalement est là : importance d'intrigues pseudo-politiques bêtasses (Ah, ces discours sur la République et la démocratie en danger...), absence totale d'humour et surtout l'âge d'or du tout numérique. Ce numérique qui rend même les vrais acteurs transparents (bye-bye, Ewan McGregor, tu te rappelles de Peter Greenaway ?), qui transforme la moindre attaque en cirque assourdissant et le moindre combat au sabre laser en concours de trampoline, qui donne vie à une créature fantastique toutes les trente secondes, oubliée aussi sec alors que les boules de poils ou les robots aux gestes saccadés de 1977 sont encore dans toutes les mémoires.

    Soyons justes cependant, Lucas arrive à s'en sortir quand il tend vers une plus grande noirceur du propos. L'aboutissement du complot menant à l'assassinat de la plupart des Maîtres jedi relance la machine et voilà enfin l'intensité narrative que les épisodes I et II n'étaient jamais parvenu à trouver. Passant par-dessus les deux derniers combats parallèles interminables, il ne reste plus qu'à boucler la boucle dans la dernière demi-heure pour raccorder avec ce qui avait été mis en place dans l'introduction de 77. On ne niera pas l'émotion évidente de ces derniers moments, tous bien amenés par le scénario : la naissance de Vador, celles de Luc et Leia, l'arrivée finale sur la planète Tatooine, là où tout avait commencé. Mais cette émotion doit finalement peu aux qualités intrinsèques du film, elle est dû à autre chose.

    Un plan de Star wars III prend soudain aux tripes : celui de l'Empereur réconfortant le corps mutilé et méconnaissable d'Annakin, au bord d'une mer de feu. Plan fulgurant, beau, très composé, touchant. Toutes qualités dont l'ensemble de cette deuxième trilogie de Star wars est finalement totalement dépourvue.