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Nightswimming - Page 136

  • Crin-Blanc & Le ballon rouge

    (Albert Lamorisse / France / 1953 & 1956)

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    20461f9edd59bb09075c7bd14e2c4c19.jpgA la découverte d'Albert Lamorisse, réalisateur spécialisé dans les oeuvres pour jeunes spectateurs, à travers deux moyens-métrages en particulier, qui ont eu un succès incroyable dans les années 50 : Crin-Blanc et Le ballon rouge.

    Crin-Blanc relate la naissance d'une amitié entre un jeune pêcheur camarguais et un pur sang sauvage convoité par un groupe d'éleveurs. C'est un conte initiatique, dont l'aspect est renforcé par les techniques utilisées : pas de son direct, quelques bruitages, un commentaire sobre et simple, une belle partition musicale. Le scénario a la clarté des histoires pour enfants et en appelle à la liberté, à la pureté des sentiments, au corps à corps avec la nature. Le message est compréhensible par tous sans verser dans la niaiserie, et ose la fin suspendue, poétique, plutôt que rassurante et réconciliatrice.

    Mais la marque du film, ce qui lui fait passer les âges et dépasser le stade de la belle petite histoire, c'est sa photographie. Pour la droiture de son propos et surtout pour son plaisir de montrer un paysage dans toute sa grandeur, Crin-Blanc pourrait presque passer pour le seul western du cinéma français. Lamorisse a filmé la Camargue comme les Américains filmaient l'Ouest ou comme Eisenstein souhaitait filmer le Mexique. Il se grise de mouvements, de lumière aveuglante, de chevauchées dans des étendues désertiques ou inondées, jusqu'à étirer ses séquences parfois inconsidérément. Le noir et blanc admirable, le montage vif donnent le souffle requit. Jouant de la photogénie du jeune Alain Emery, soignant chaque cadrage, Lamorisse n'est ici pas très loin de Flaherty.

    2d35458b7f00a5e89c966a5e12922f9f.jpgA la suite de Crin-Blanc, Le ballon rouge apparaît quelque peu en retrait. Un petit garçon trouve sur le chemin de l'école un ballon rouge. Celui-ci s'avère doté de pouvoirs magiques : il obéit au doigt et à l'oeil, le suit dans la rue, l'attend sagement à la porte de l'école... Cette touche de couleur vive dans la ville attire vite la convoitise de tous les autres enfants, plus ou moins bien intentionnés.

    Le public visé est le même, la volonté de proposer un spectacle poétique très soigné toujours intacte. Le fil narratif est plus ténu que dans le précédent, procédant par petites saynètes plutôt que par une progression fortement charpentée. La poésie se fait plus volontariste, pré-existant et non naissant des images. Sympathique, le symbolisme est plus épais, redoublé par le travail sur les couleurs. Mais un choc est ressenti à la vision du Ballon rouge : ces images sidérantes des rues parisiennes des années 50. Le garçon se ballade partout, au milieu des passants, dans les autobus, dans les ruelles étroites. Ces plans documentaires, comme remis à jour par un archéologue, nous donnent l'impression de voir la vie de l'époque pour la première fois comme cela.

  • Triple agent

    (Eric Rohmer / France / 2004)

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    8d751f3e3be8bd528cd0d97cea6bf12f.jpgUn film d'espionnage par Eric Rohmer. Il y aura donc très peu de gunfights.

    Comme à son habitude, Rohmer filme essentiellement des conversations. Il n'est affaire que de parole : de son usage, de sa portée, de ses fondements. Et ce principe rohmérien est soutenu ici par un contexte historique si fort et des événements narratifs si importants qu'il en prend une force irrésistible. Le cinéaste évoque en effet pour la première fois un passé relativement récent, lui qui, lorsqu'il délaissait ses chroniques contemporaines, peignait des époques beaucoup plus éloignées dans le temps (La Marquise d'O, Perceval, L'Anglaise et le duc). Son choix s'est porté sur la fin des années 30 et s'ajoute donc aux dangers connus de la reconstitution la difficulté d'évoquer les incessants soubresauts politiques qui traversaient alors toute l'Europe.

    Le scénario s'inspire d'une ténébreuse affaire de double enlèvement au sein du milieu russe blanc exilé à Paris. Entre l'arrivée au pouvoir du Front Populaire et les années de guerre s'égrènent les grands chocs de l'époque : guerre d'Espagne, purges staliniennes, pacte germano-soviétique. Tout cela est vu à travers le regard de Fiodor, ancien général, rattaché à une association des anciens de l'armée russe, et de sa femme Arsinoé, peintre qui reste à l'écart des activités politiques de son mari. Placé à un poste clé, là où diplomatie et espionnage se confondent, notre homme se dit de plus en plus influant et se sent de plus en plus menacé.

    Rohmer use d'un principe de mise en scène strict. Il entrecoupe sa radiographie du couple d'extraits d'actualités. Chaque chapitre de son récit est donc introduit par un montage d'images d'archives qui situe parfaitement la chronologie et les enjeux et permet ainsi de lancer directement les scènes qui suivent dans le vif du sujet. Cette séparation très nette, en plus d'éviter de pénibles explications dialoguées, confine la fiction dans les intérieurs du couple et préserve ainsi jusqu'à la fin le mystère du personnage de Fiodor. Impossible de trancher, de déceler sa part de jeu, de mégalomanie. Cet espion, nous ne le voyons jamais en mission à l'étranger et si peu en contact avec d'autres diplomates. Cela reste hors-champ. Rohmer ne dépasse pas le cercle de la famille et laisse tout passer par le texte. La situation est bénie de ce point de vue : un agent sait ou ne sait pas, parle ou pas, ment ou dit la vérité. L'importance et l'ambivalence de toute parole prononcée et le vertige des interprétations n'est alors pas difficile à faire sentir.

    La diction si particulière que Rohmer impose à ses comédiens et qui rebute tant de spectateurs dans ses films à sujets contemporains est ici recouverte d'une part par le décalage temporel (la façon de prononcer fassiste et non fachiste) et d'autre part par les accents étrangers (russes, ou grec pour Arsinoé). Triple agent, c'est aussi le plaisir de ses films multilingues qui ne trichent pas avec la réalité. Pour incarner son couple central, Eric Rohmer n'a pas choisi Patrick Bruel et Cécile de France mais les excellents Serge Renko et Katerina Didaskalou. Cette dernière prend la suite des héroïnes rohmériennes, brunes, lucides, à la fois terriennes et en quête d'absolu. Renko, lui est absolument prodigieux, laissant son regard intense trahir sa volonté de puissance derrière l'apparence moyenne de son physique.

    Réussissant dans les dialogues politiques à restituer un contexte extrêmement complexe sans le simplifier trop radicalement et à tracer le portrait d'un personnage loin du politiquement correct qu'aurait pu entraîner cette lecture d'un fait historique resté non élucidé, Triple agent, par delà quelques moments un peu guindés ou claustrophobes en regard des contes ensoleillés précédents, signe à nouveau le petit miracle que produit régulièrement le cinéma de Rohmer le doyen : si éloigné de nous, mais si nécessaire et si irréductible.

  • Dracula, prince des ténèbres

    (Terence Fisher / Grande-Bretagne / 1966)

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    0fc266af37955d11993dd3d75371c47f.jpgAprès Romero, un autre petit maître de l'horreur : Terence Fisher. Pour Dracula, prince des ténèbres (Dracula, prince of darkness), ce cinéaste brodait pour la troisième fois sur le mythe du comte-vampire, en moins de dix ans, toujours au sein de la fameuse firme Hammer. Ce volet est le moins réputé de la série, qui, elle-même, semble moins fertile que celle réalisée à la même époque et par les mêmes équipes autour de l'autre grande figure du genre : Frankenstein.

    Si Fisher soigne son décor et ses éclairages, il peine vraiment à nous intéresser jusqu'à l'arrivée des deux couples de visiteurs au château. Il faut attendre une bonne demi-heure pour voir apparaître Christopher Lee dans son costume favori, mais la scène de la résurrection du vampire est sans conteste la plus marquante et la plus étonnante du film (nous suivons les gestes meurtriers et précis du valet, déployant tout son savoir faire pour redonner vie à son Maître). S'emparant tout autant des corps que des esprits, conformément à l'approche habituelle du personnage, ce Dracula n'a pourtant de civilisé que l'apparence. Aucune phrase ne sortira de sa bouche et cet animal insatiable aura vite fait de semer la panique au sein du petit groupe de touristes guindés débarqués dans son antre. Parmi le chapelet de figures imposées, ce choc entre une force brute et incompréhensible et des victimes superficielles nous fait voyager jusqu'aux survivals de notre époque où d'imbéciles étudiantes tombent sous les crocs de boucher de quelques dégénérés campagnards. La dimension érotique est bien sûr présente dans deux ou trois jolies scènes de terreur-soumission et grâce au décolletté affolant de Barbara Shelley, que l'on regrette de voir finir avec un pieu dans le coeur. Pour relancer son récit, Terence Fisher a la mauvaise idée de laisser son couple de héros s'échapper du château pour trouver refuge dans une abbaye, pretexte à de nouveaux bavardages avant un affrontement final original mais bien empesé. On s'étonne également de l'atmosphère générale du film, qui semble se dérouler constamment un plein jour.

    Tout cela n'en fait donc pas l'entrée idéale pour qui veut découvrir le petit monde horrifique de la Hammer. Quant à Fisher, après avor vu les intéressants Gorgone et Frankenstein s'est échappé, la très moyenne Nuit du loup-garou et ce Dracula un brin faiblard, je me dirigerai vers d'autres de ses oeuvres pour espérer trouver les véritables pépites fantastiques tant louées par les connaisseurs.

    A lire aussi chez le Dr Orlof.

  • Le jour des morts-vivants

    (George A. Romero / Etats-Unis / 1985)

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    618511f28a9cd2537906111d4f07bf48.jpgConçu comme le troisième volet d'une trilogie entamée en 1968 avec La nuit des morts-vivants (Night of the living dead) et poursuivie en 1978 avec Zombie, le crépuscule des morts-vivants (Dawn of the dead), avant que Romero ne propose tardivement un quatrième opus (Land of the dead, 2005), Le jour des morts-vivants (Day of the dead) reprend la simplicité du principe narratif établi dès le premier film : un groupe hétéroclite d'une dizaine de personnes se réfugie dans un lieu clos, assiégé par une horde de monstres affamés de chair fraîche. C'est donc en creusant toujours ce même sillon que Romero construit son oeuvre, apportant cependant plusieurs variations. Le nombre de zombies augmente irrémédiablement à chaque fois, tandis que leur apparence et leur différences sont de plus en plus travaillées (parfois avec humour quand on peut distinguer parmi eux une mariée ou une danseuse en tutu). De même, l'aspect visuel des trois premiers épisodes passe d'un noir et blanc oppressant et fauché (Night...), aux lumières vives éclairant un centre commercial (Dawn...), puis aux couleurs froides d'une base militaire souterraine (Day...). Le titre de ce dernier est trompeur puisque, à part une introduction saisissante en plein jour et l'épilogue, nous ne sortirons pas de ce refuge sous terre, vite transformé en piège.

    Dans toute la série, il est aisé de saisir le sous-texte politique à travers le choix des personnages les plus lucides (des Noirs, des femmes), le retournement des valeurs de la société américaine (le consumérisme, le patriotisme) et la critique frontale des institutions (politiques et surtout militaires). Dans Day..., selon le schéma habituel, la menace vient autant de l'extérieur que de l'intérieur (par la contamination, puis la transformation en mort-vivant). Ici, des militaires côtoient dans le souterrain des civils, scientifiques ou responsables techniques, et, par leurs actes, redoublent bientôt les risques encourus par chacun. La charge de Romero est sans nuances, pratiquement tous les personnages sont caricaturaux (et on qualifiera pudiquement l'interprétation "d'inégale"). Retardant les scènes d'action proprement dites, le cinéaste laisse s'écouler quelques séquences bavardes et attendues pour faire sentir la montée des tensions dans le groupe. La "sélection" des survivants et des sacrifiés se fait sans surprise.

    Si cette prévisibilité, qui s'étant à toute la progression narrative peut gêner, il faut reconnaître qu'elle est au coeur même du projet. Le style de Romero ne se base pas sur l'effet de surprise, ni au général (le déroulement se fait en partant d'une introduction calme pour mener crescendo vers une violence finale paroxystique, signe du pessimisme de l'auteur qui rend toujours inéluctable la fin prochaine de notre civilisation), ni au particulier (les attaques ne font pas sursauter puisque les zombies sont relativement lents). Le cinéaste se veut aussi direct dans ses messages que réaliste dans sa mise en scène. Contrairement à la plupart des films de ce genre, chaque enchaînement est le résultat de réactions réfléchies (bien ou mal), en tout cas parfaitement crédibles par rapport à la menace qui les déclenche.

    Ce qui fait la force de Day of the dead (et des deux précédents, par ailleurs plus réussis) est cette façon de filmer l'horreur en face, sans faux-fuyants, dans un style simple, documentaire, scientifique (du côté du médecin légiste disons). Rarement a-t-on vu un tel étalage de tripes, autant d'éviscérassions (les maquillages et les effets spéciaux sont impressionnants). Le spectacle devrait choquer, révulser les spectateurs qui comme moi ne passaient pas leurs soirées adolescentes devant des films d'horreur, mais le sentiment est bien plus complexe. Ces scènes extrêmement gores sont finalement moins dérangeantes que ce bref plan de Night of the living dead où l'on voyait la petite fille commencer à dévorer ses parents dans la cave. Car aussi saignantes que soient ces images, elle sont soutenues par une nécessité absolue en termes de scénario (les morts doivent manger les vivants ou un membre doit être immédiatement amputé après une morsure). L'horreur froide de Romero, aussi poussée soit-elle, est donc moralement légitime : pas de serial killer, pas de torture, pas de jeu malsain avec le spectateur, juste la réalité d'une boucherie animale provoquée par la folie de quelques autorités irresponsables.

    PS : Pour l'anecdote, j'ai découvert que c'est un passage du début de ce film, l'appel au mégaphone, sur fond de musique synthétique, pour rechercher d'éventuels survivants dans la ville morte ("Hello, is anybody there ?... Hello... is anybody there ?..."), qui a été retravaillé par Gorillaz pour M1A1, l'un des meilleurs titres de leur premier album, éponyme, paru en 2001.

  • Le journal d'une femme de chambre

    (Jean Renoir / Etats-Unis / 1946)

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    3e91de7c2271f9040dbc68c154cd6ea1.jpgAprés la vision de ce film, en revenant sur mes lointains souvenirs de la version que Bunuel proposa ensuite et dans mon ignorance totale du roman d'Octave Mirbeau, je déclarais tranquillement à ma femme : "Bunuel a dû pas mal broder par rapport au livre avec son histoire de meurtre de petite fille. Renoir doit être plus fidèle." Bravo Ed ! Mes recherches d'infos le lendemain m'ont prouvé que j'avais tout faux. Renoir a complètement bouleversé le récit et c'est Bunuel qui s'est montré le plus proche de la vision de Mirbeau. Donc, Moralité n°1 : Je devrai lire plus. Et Moralité n°2 : Même avec les cinéastes que l'on admire le plus, il faut toujours se méfier de ses à-prioris.

    Le journal d'une femme de chambre (The diary of a chambermaid) fait partie de la poignée de films réalisés par Jean Renoir en exil à Hollywood pendant la seconde guerre mondiale. Cette version est bien sûr beaucoup moins marquante que celle de Luis Bunuel et c'est une oeuvre qui est loin d'égaler les pics successifs que le cinéaste aligna tout au long de la décennie précédente. La légende a retenu que Renoir avait eu les pires difficultés à s'adapter au système hollywoodien. De L'étang tragique à La femme sur la plage, les films de cette période sont peu disponibles et presque toujours réputés mineurs.

    Si Le journal... reste selon moi passionnant, c'est parce que d'une part, il révèle les tensions entre deux visions du cinéma (schématiquement, l'américaine et l'européenne) et d'autre part il fait résonner des échos de l'oeuvre antérieure du cinéaste. On peut s'amuser ainsi à repérer les caractéristiques affleurant ici et là de chacun des deux "auteurs" : Renoir et Hollywood. L'abondance musicale, le happy end sont assez éloignés des habitudes du réalisateur. Son art de peaufiner chaque second rôle afin de le rendre inoubliable est atténué ici, l'interprétation des silhouettes secondaires étant moins subtile et leur caractérisation passant beaucoup par le registre de la farce. Le travail des acteurs principaux est plus convaincant (Francis Lederer en fils de famille, Hurd Hatfield en valet et, bien sûr, Paulette Goddard, éclatante Célestine). Les poussant le plus possible vers le naturel lors des échanges amoureux (courte scène magnifique où Joseph détache les cheveux de Célestine) ou lors d'affrontements physiques, Renoir parvient aussi à glisser quelques détails réalistes dont il a le secret, tel ce costume qui tombe lorsque les femmes de chambre ouvrent la penderie. On remarque également plusieurs plans restant sur un personnage muet alors que d'autres débattent hors-champ et on se régale surtout de la fluidité de cette caméra. A cet égard, les scènes de fête foraine sont de grands moments : tout d'abord quand on suit la course enivrante de Célestine et de Mauger d'un stand à l'autre et enfin quand on assiste à la bagarre entre Joseph et Lanlaire, littéralement porté par les mouvements de la foule puis par un fabuleux travelling surplombant allant chercher la victime étendue.

    Si édulcorée qu'elle soit, l'adaptation laisse passer des éclats d'une belle noirceur dans les rapports humains et sociaux. La valse des maîtres et des domestiques rappelle évidemment La règle de jeu (de même que l'on retrouve les apartés dans la serre ou sur la terrasse et l'importance scénographique de la cuisine comme lieu de tous les passages). D'ailleurs, Le journal... est par certains côtés le négatif de La règle... Certes ce dernier était bien le "drame gai" décrit par son auteur, mais, ici, le pessimisme est plus flagrant, les caractères plus tranchés, peu de personnages sont sauvés au bout du compte. D'où une complexité moins grande que dans le chef d'oeuvre absolu de 1939, mais pour un résultat nullement négligeable.

  • Hellboy & Le labyrinthe de Pan

    (Guillermo del Toro / Etats-Unis & Espagne-Mexique / 2004 & 2006)

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    57f9022173a9164c2fc69174e98db318.jpgHellboy donc. Oui, oui, le monstre tout rouge qui bataillait sur M6 lundi dernier. Non je ne me suis pas mis au comics. Mes connaissances dans ce domaine se limitent toujours aux deux Batman burtoniens et au premier X-Men, attiré que j'étais par le nom de Bryan Singer (ça j'aurais pas dû...). De la même façon, la réussite du Labyrinthe de Pan, sorti l'an dernier, m'a poussé à aller vers un autre film de ce singulier réalisateur mexicain qu'est Guillermo del Toro.

    Ultra classiquement, Hellboy démarre par un prologue explicatif, situé en 44 et mélangeant domination nazie sur l'Europe et appel aux forces du mal. De même, un long affrontement final sera noyé sous les effets pyrotechniques et les allusions ésotériques barbantes (faire appel à des créatures aux noms imprononçables, ouvrir une porte vers un autre monde, des choses comme ça...). Entre les deux, reste un film plutôt intéressant. La chasse aux montres dans une métropole américaine est rondement menée par le cinéaste. Les lois du blockbuster imposent les traits humoristiques dont on se passerait bien ici. Del Toro tente de s'en acquitter avec l'auto-ironie du personnage principal. Ce Hellboy est d'ailleurs doté d'une vraie personnalité, excellement rendue par le regard de Ron Perlman sous le maquillage. Deux autres qualités caractérisent la mise en scène, qui haussent le film juste au dessus de la grosse machine de série et qui seront encore plus prégnantes dans le film suivant : le sens du décor, de l'atmosphère et de la photo et la représentation d'un bestiaire fantastique très original et cohérent.

    697ed5a6568c371100aef82ff46289f2.jpgPlus que vers le monde des super-héros, mon goût me porte vers le fantastique lié à l'imaginaire et au rêve. Et de ce point de vue, Le labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno) est, parmi les films récents, celui qui confronte le plus fortement la réalité et le merveilleux. Del Toro place une fois encore ses personnages dans un monde en guerre. Une grande bâtisse perdue dans la fôret est réquisitionnée par un bataillon franquiste. L'inquiétant capitaine Vidal y mène la chasse aux républicains avec un plaisir sadique de tortionnaire (Sergi Lopez, cabotin, très bon). La petite Ofelia (Ivana Baquero, remarquable) débarque dans cet endroit sur les pas de sa mère, veuve qui a choisi de vivre désormais avec Vidal. Passionnée de contes de fées, l'adolescente a tôt fait de rencontrer plusieurs créatures dans les bois environnants et de se laisser convaincre qu'elle retrouvera son père disparu après une série d'épreuves magiques.

    Del Toro a le don d'inventer et d'animer subtilement (en mêlant constamment effets numériques et animatronic) les monstres les plus originaux vus depuis des lustres. On n'oubliera pas de sitôt cet "homme blanc" à la fois ridicule et terrifiant. L'ensemble de l'oeuvre s'unifie dans une lumière bleutée, sans couleur vive. Le basculement dans l'imaginaire se fait dans ce film-là à chaque fois en douceur. Le scénario fait alterner séquences réelles et séquences fantasmées. Chacune de ces dernières est déclenchée par un événement important : ainsi, les deux mondes se répondent l'un à l'autre par un agencement très intelligent, sans pour autant que les rêves ne deviennent de simples illustrations des horreurs du réel. Bien sûr, la peur n'est pas ressentie très intensément. Nous sommes dans un conte, avec toutes ses étapes initiatiques. Ofelia triomphe forcément au cours des épreuves imposées. Le dénouement, assez gonflé, en est d'autant plus fort.

    En espérant qu'il ne se fasse pas broyer par la machine hollywoodienne, suivons ce réalisateur, le plus qualifié semble-t-il pour prendre la relève d'un Terry Gilliam qui apparaît aujourd'hui bien fatigué.

  • Control & 24 hour party people

    (Anton Corbijn / Grande-Bretagne / 2007 & Michael Winterbottom / Grande-Bretagne / 2002)

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    En 1991, à l'occasion de la sortie du film d'Oliver Stone, The Doors, plutôt agréable, j'avais été surpris par des propos très acides d'Agnès Varda qui regrettait notamment que Jim Morrison ait été réduit à l'écran à l'état de "pauvre pantin". Il m'aura fallu une quinzaine d'années pour comprendre l'énervement de la réalisatrice, le temps que le cinéma rattrape mes amours de jeunesse.

    c6f8b01de66ed9877d70de6bcf8f002c.jpgControl est un bon film, peut être excellent même (il a frôlé la Caméra d'or cette année à Cannes), mais il m'est bien difficile de le juger. Il est bien difficile de dépasser le petit jeu des ressemblances physiques. Il est bien difficile d'oublier toute la part de représentation de scènes connues ou déjà imaginées. L'iconographie autour de la figure de Ian Curtis, d'autant plus forte qu'elle est rare, la beauté de cette musique qui nous fait revenir tous les 3 mois à Unknown pleasures et Closer, depuis la fin des années 80 (j'avais 9 ans en 1980, je suis donc forcément arrivé à Joy Division en passant par New Order), tout cela faisait de la tentative de Anton Corbijn un sacré défi.

    Le cinéaste-photographe a choisi de retracer scrupuleusement le parcours de Curtis (à partir du livre de sa veuve) sur ses deux-trois dernières années. Cette volonté de tenir un récit très proche des faits, au contraire de l'évocation vague de Gus Van Sant pour le "Kurt Cobain" de Last days, fait peser la menace continue d'une déception due à la confrontation entre la mémoire et l'imaginaire du spectateur et la représentation cinématographique des événements. Cependant, force est de constater que pratiquement tous les choix de Corbijn sont justes, et en premier lieu celui de l'interprète principal : Sam Riley. Le noir et blanc du film retranscrit parfaitement l'ambiance (on songe parfois à Regard et sourires - Looks and smiles de Ken Loach, d'ailleurs réalisé en 1980) et s'accorde avec les souvenirs que peuvent avoir les admirateurs de Joy Division, groupe dont l'image a si peu été en couleurs. Obsédé par l'idée de paraître juste et honnête, Corbijn écarte toute tentation du biopic. Ici, pas d'événement traumatique ou fondateur qui expliquerait l'art du parolier-chanteur, juste la fascination très jeune pour le David Bowie du début des 70's. Ce n'est pas une fresque exemplaire et édifiante. Si lutte il y a, elle ne concerne pas celle d'un homme pour imposer sa vision artistique mais bien celle qu'il mène avec une réalité trop oppressante, pris entre sa femme, sa maîtresse, sa petite fille, son groupe. Et l'art ne sauve pas à tous les coups. Les fêlures peuvent donner naissance à de grandes chansons sans apaiser en retour. Anton Corbijn insiste bien là-dessus, en laissant de plus en plus de place aux moments de la vie quotidienne, au détriment des scènes musicales. C'est pourtant dans celles-ci qu'il excelle, offrant de remarquables séquences live par la proximité de la caméra et un montage adéquat, sans effets racoleurs ou superfétatoires (malgré la tendance à raccourcir les morceaux). Les scènes de crises conjugales sont moins réussies, moins inventives en tout cas. Peut être aurait-il dû lâcher la bride un peu plus, moins s'appuyer sur ce réalisme et faire confiance à son talent pour la composition d'images (témoins les plans où Curtis marche dans la rue, ou ceux ou il est cadré sur son canapé sans bouger).

    Pour pointer les réels défauts ou qualités du film, il faudrait, je crois, aller voir les avis de ceux qui ne connaissait rien de toute cette histoire. Enfin, pour conclure cette note bien trop vague, j'insisterai sur le plaisir sans cesse renouvelé d'entendre une telle musique à l'écran. Le plaisir aussi d'une ballade dans ce pays où le moindre looser a le rock dans les veines, où les plus sombres crétins deviennent les Happy Mondays, chose qui nous étonnera toujours à nous, concitoyens de Bruel et de Benabar.

    aaf9a9561472d9154bafbf28c217730d.jpgLe hasard m'avait fait découvrir quelques semaines auparavant 24 hour party people de Winterbottom, oeuvre qui reprend une bonne partie des événements liés au destin de Joy Division, puisqu'elle s'attache à suivre l'aventure de Factory Records et de son créateur Tony Wilson. Englobant une période plus vaste et beaucoup plus de personnages, Winterbottom fait lui le choix du pseudo-reportage distancié. Il reprendra ce même dispositif et le même guide (l'attachant Steve Coogan) dans son Tournage dans un jardin anglais(pour une tentative qui sera, elle par contre, complètement ratée). Des vignettes font ainsi se succéder tous les protagonistes de l'époque. Leur brièveté laisse souvent la désagréable impression de voir de jeunes gens singer les attitudes de musiciens connus. Avec étonnement, je me suis rendu compte plus tard que Sam Riley était déjà de la partie mais cette fois en Mark E. Smith de The Fall. L'aspect pénible du docu-fiction est heureusement atténué par le dynamisme et l'humour de la mise en scène.

    24 hour... et surtout Control, films que j'attendais et que je me devais de voir, me laissent ainsi l'impression mélangée d'une réussite maximale dans les contraintes que chacun s'est fixé et d'une tentative d'incarnation directe à jamais impossible. Autrement dit, c'est loin de ce que j'avais rêvé, mais ça ne pourrait pas être mieux fait.

  • Lame de fond & La toile d'araignée

    (Vincente Minnelli / Etats-Unis / 1946 & 1955)

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    c9d8b5bbbb1d5f75f7a492c0a1a57f8e.jpgLame de fond (Undercurrent) est l'un des premiers films de Vincente Minnelli. Coincée entre Yolanda et le voleur et Le pirate, deux formidables comédies musicales, l'oeuvre est assez curieuse. Katharine Hepburn y incarne Ann Hamilton, jeune mariée qui ne tarde pas à s'inquiéter de l'état mental de son si charmant mari (Robert Taylor), et qui rencontre le frère plus ou moins caché de celui-ci (joué par Robert Mitchum). Toute la première partie est une chronique mondaine moyenne, où Hepburn apparaît quelque peu en porte-à-faux. Elle partage pourtant une scène fascinante et trouble avec Jane Meadows, qui, dans les toilettes des femmes, lui jette des allusions déconcertantes sur son mari. Mais ce n'est pas un film noir qui démarre alors, plutôt un drame psychologique et conjugal, dans la lignée de Rebecca ou Gaslight. Malheureusement, Minnelli, ici, ne se hisse pas au niveau de ces modèles du genre. L'aspect psychanalytique rend le film bavard et trop explicatif, malgré le soutien d'une mise en scène efficace (parfois trop efficace : on s'aperçoit vite de l'omniprésence dans le cadre des portes et des escaliers ou de ces feuillages soulevés par le vent). Mitchum est mal employé dans ce rôle de frère sensible et secret. Il est aussi au centre d'une scène très faible où il explique lourdement pourquoi et comment il a disparu tout ce temps. De l'autre côté, Robert Taylor ne soulève guère l'enthousiasme et meurt de façon ridicule sous les sabots du cheval de son frère. Déjà maître de son style dans les musicals, Minnelli n'était peut être pas encore prêt pour un grand film dramatique (sous réserve de voir un jour L'horloge, qu'il réalisa en 45). Plus tard, la réussite de Madame Bovary (1949) lui ouvrira cette deuxième voie qui mènera entre autres aux Ensorcelés.

    Dix ans plus tard, La toile d'araignée (The cobweb) est d'une toute autre tenue. Minnelli peut étaler en couleurs et en CinémaScope ses éclats mélodramatiques comme Sirk à la même époque. L'histoire gravite autour d'un hôpital psychiatrique "ouvert", là où le docteur McIver tente quotidiennement de changer les rapports entre soignants et malades responsabilisés. La mise en route du récit se fait à rebours de la convention qui veut que l'introduction d'un film présente clairement les personnages tour à tour. Pendant plusieurs minutes, il est bien difficile de différencier patients et personnel de l'hôpital dans le mouvement organisé par Minnelli. De même, Lauren Bacall passe deux ou trois scènes à s'affairer à l'arrière plan avant de se détacher et d'entrer dans le jeu. Nous avons donc bien là une ronde, un grand film choral, genre tellement à la mode ces temps-ci. Une petite affaire de choix de rideaux pour décorer la salle de réunion est le prétexte, parcourant tout le film, pour révéler les tensions au sein de la direction de l'établissement, chez quelques malades et dans le couple du Dr McIver. La narration se développe comme la toile d'araignée du titre, Minnelli alternant des scènes agitées dans l'hôpital et une série de duos dans les appartements ou les bureaux. Ces duos sont orchestrés de manière admirable, souvent en plans séquences d'une grande fluidité. La monotonie que le procédé pourrait engendrer est balayée par les variations apportées d'une séquence à l'autre : ici le décor peut supporter toute la scène (les allées et venues de Widmark, au début, dans les pièces de sa maison), là un long plan est coupé au milieu pour y insérer un événement se déroulant plus loin (la mise en parallèle des deux débuts de liaison, celle entre les deux jeunes patients et celle entre Widmark et Bacall). Parfois, le cinéaste s'appuie aussi sur un découpage plus classique mais terriblement efficace (la conversation téléphonique tendue entre Lilian Gish et Gloria Grahame).

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    Cet art de la scénographie et du rythme que déploie Minnelli, il est rendu parfaitement aussi grâce à un casting cinq étoiles. Le jeu de Richard Widmark, tout en soudaines accélérations des gestes, fait des merveilles. Gloria Grahame, renversante, compose une femme de médecin déjantée aux bords de la nymphomanie. Charles Boyer est un directeur balançant entre classe aristocratique et faiblesses pitoyables pour les chambres d'hôtel et les petites secrétaires. Lauren Bacall porte le deuil le plus terrible avec un magnifique retenue. Enfin, Lilian Gish fait exister le personnage le plus typé rien qu'en prenant l'habitude de raccrocher au nez de ses interlocuteurs. L'excellence s'étend jusqu'au seconds rôles, dont celui de John Kerr en jeune peintre incompris. Son histoire d'amour naissante avec une autre malade est traitée avec la subtilité habituelle de Minnelli. Une scène magnifique et muette montre ce couple enlacé, sortant doucement d'une séance de cinéma : la jeune femme est en train de guérir de son agoraphobie. Les dialogues sont d'une grande intelligence et, se concentrant sur les rapports entre les gens, évitent la vulgarisation de la pratique psychanalytique (à l'exception du discours bref de Richard Widmark devant le conseil d'administration qui paraît alors superflu). Cette qualité dans les dialogues, l'histoire d'amour entre Widmark et Bacall, en bénéficie et s'y fait jour alors une merveilleuse émotion contenue. L'évolution de leurs sentiments, le cinéaste la relate subtilement, faisant bien sentir la grande complexité qu'entraîne, dans les rapports humains, un simple adultère.

    Portraits de névrosés, de nymphomanes, d'alcooliques : ces figures mènent certes plus tard à Dallas. Mais elles sont, dans les grands Sirk ou les grands Minnelli, les véhicules d'une réflexion profonde sur l'état de la société américaine des années 50. Pourtant moins citée que d'autres oeuvres de son auteur, La toile d'araignée, avec sa mise en scène d'une beauté sans pareil, prend bien sa place, tout près des classiques du genre.

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    Photos Cobweb (en noir et blanc): briansdriveintheater.com & doctormacro.com
  • Un secret

    (Claude Miller / France / 2007)

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    ce6685fa3042adffb99672a10934ca99.jpgEmbarrassant. En sortant de la projection je me suis dit que je traiterais le film de façon ironique en tirant en particulier sur Bruel. Puis, j'ai eu envie de l'expédier en deux-trois phrases. Mais bon, je vais tout de même me forcer à expliquer un minimum pourquoi j'ai vécu l'heure et demie la plus pénible depuis le début de cette année cinématographique.

    Claude Miller est un cinéaste attiré par les sentiments troubles, par les corps, par les terreurs de l'enfance. C'est aussi l'un des représentants de ce cinéma français du milieu, si malmené ces dernières années, un cinéma populaire de qualité et ambitieux. Mais, vraiment là, c'est pas possible. Premier handicap de taille : l'interprétation du "couple star". En me remémorant le très bon Toutes peines confondues (Michel Deville, 1991), j'espérais au mieux une surprise ou au pire ne pas être dérangé par ce pauvre Patrick Bruel. Peine perdue. Si j'ajoute que je suis assez peu sensible au charme de Cécile de France, la cause est déjà pratiquement entendue. Toute la presse s'est déjà moquée des scènes où les deux apparaissent vieillis, je n'en rajouterai pas. Pour les autres, Julie Depardieu, Nathalie Boutefeu, Ludivine Sagnier, Mathieu Amalric, c'est la routine (Michel Ciment au dernier Masque et la plume : "C'est le meilleur rôle d'Amalric cette année"; je t'aime bien Michel, mais je te jure, des fois, t'en fais trop....).

    Pour ce qui est du sujet, apparemment si cher à Miller, le fait qu'il ne soit pas porté par les acteurs de façon satisfaisante pour moi me le rend peu passionnant. La reconstitution d'époque est totalement empesée et la restitution de l'ambiance passe par des procédés d'une subtilité éléphantesque. Il semblerait que cette famille ne voit au cinéma que des actualités sur Hitler, tombe sur un discours chaque fois qu'elle allume la radio et ne laisse traîner dans sa maison que des journaux aux titres alarmistes. Un plan anodin traduit bien cette impression : un panoramique amorcé par un employé changeant la plaque portant le nom de la rue où habite la famille, baptisée maintenant "Rue du Maréchal Pétain". En plus de situer ainsi grossièrement son sujet dans l'Histoire pour-que-les-plus-jeunes-spectateurs-comprennent-bien et de multiplier les allers-retours temporels sans résultat, Claude Miller rate toutes les scènes clés. Car il a plein d'idées visuelles. Sauf que depuis quelques films (La classe de neige, précisément), il abuse d'effets balourds, notamment pour les moments les plus violents (ralentis, lumières inquiétantes, plans oniriques...). Un seul passage nous sort de la torpeur ambiante : le brusque accès de sauvagerie de François pendant la projection du film (Nuit et brouillard, peut-être) et ses explications à Louise.

    J'avais bien aimé Betty Fisher et autres histoires, mais trois ans après, je m'étais demandé si Claude Miller n'avait pas réalisé avec La petite Lili son plus mauvais film. La réponse était non.