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  • Close-up

    (Abbas Kiarostami / Iran / 1990)

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    closeup4.jpgEn 1990, sortait dans les salles françaises Où est la maison de mon ami ?, révélant ainsi aux spectateurs le nom d'Abbas Kiarostami. Ce que l'on ne pouvait savoir à l'époque, c'est que ce film clôturait un cycle plutôt qu'il n'en entamait un. Revoir aujourd'hui Close-up (Nema-ye Nazdik), l'opus suivant du cinéaste iranien, permet en effet de réaliser à quel point celui-ci donne au frottement entre documentaire et fiction une étonnante dimension réflexive. Ce questionnement, inauguré ici brillamment, bien que, peut-être, un peu trop ostensiblement, Kiarostami va par la suite l'affiner et le fondre idéalement dans des récits à la fois distanciés et bouleversants, au cours d'une décennie prodigieuse le menant de Et la vie continue... à Ten.

    Si Close-upn'est pas dépourvu d'émotion, notamment dans ses fameuses dix dernières minutes, celle-ci a toutefois tendance à s'effacer derrière le jeu intellectuel proposé autour du réel et des images. Le prétexte en est donc ce petit fait divers, cette affabulation du dénommé Hossain Sabzian, qui abusa de la crédulité d'une famille de Téhéran en se faisant passer pour le célèbre cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf. L'homme est difficile à cerner. D'une douceur extrême, en proie à des difficultés familiales et professionnelles, il ne donne pour explication à son comportement répréhensible que son amour immodéré du cinéma et sa reconnaissance infinie pour ceux qui le font et qui parviennent à projetter sur l'écran toute sa souffrance (il utilise l'expression plusieurs fois, notamment en réponse à la question que lui pose Kiarostami sur ce qu'il attend de ce film en train de se faire). Les propos tenus lors des entretiens, des reconstitutions ou du procès, dévoilent des pensées éminemment complexes. A la folle envie de Sabzian d'être le réalisateur Makhmalbaf, répond presque, chez les victimes de sa tromperie, celle d'y croire malgré tous les troublants indices qui s'accumulent. Close-up, en tentant de comprendre encore et encore les raisons d'un comportement pénètre très profondément dans la psychologie (et, par la même occasion, incidemment dirait-on, fait aussi remonter la question sociale par l'évocation du chômage et de la pauvreté). Le regard de Kiarostami est perçant.

    Du point de vue purement cinématographique, le film est aussi, en quelque sorte, une "école du regard". On entend, à l'entame du procès de Sabzian, Abbas Kiarostami expliquer à l'accusé comment celui-ci va filmer son déroulement, explications des termes techniques à l'appui, le premier d'entre eux étant bien sûr le gros-plan, le close-up. Mais il faut, avant d'aller plus loin, revenir sur l'étonnante construction du récit. Le film débute par le trajet en taxi d'un journaliste jusqu'à la maison de la famille Ahankhah. La circulation aidant, la vie bruisse tout autour de la voiture et, à l'intérieur, seul le montage et les changements d'axe de la caméra trahissent la fiction (ou la reformulation d'une réalité). Comme Kiarostami nous laisse sur le pas de la demeure, dans la rue, nous ne voyons rien de l'arrestation de Sabzian sur les lieux de son "forfait", sinon son départ pour le commissariat. Passé le générique, qui ne survient qu'au bout d'un quart d'heure, nous assistons à la première rencontre entre Kiarostami et Sabzian emprisonné. Elle est filmée de derrière une vitre et un magnifique zoom vient ponctuer l'émotion que provoque des propos douloureux. Vient ensuite le temps du procès, enregistrement documentaire entrecoupé de quelques scènes reconstituées retraçant les événements passés. L'arrestation de Sabzian est ainsi remise en scène, cette fois-ci en nous plaçant dans la maison, offrant donc à notre regard ce qui, au début, était relégué hors-champ (au cours de la séquence s'organise d'ailleurs une magnifique chorégraphie policière).

    On le voit, jusqu'à un épilogue dans lequel sont utilisées les techniques du reportage d'investigation (téléobjectif, micro HF, camionnette), Close-upne cesse de tourner autour du réel. Sa force repose sur le fait que Kiarostami ne cherche pas à nous tromper (il n'empêche pas l'intrusion des perches des micros et laisse même un clap à l'image) mais parvient cependant à laisser circuler un certain doute. A cela s'ajoute l'impressionnant empilement des niveaux de lecture que permet cette mise en abyme, Kiarostami offrant la possibilité à un homme se rêvant cinéaste ou acteur, de rejouer devant la caméra la supercherie qu'il avait imaginé. En découle une délicieuse impression de vertige de représentation et le plaisir de savourer des petits moments grisants, essentiellement lors des échanges portant sur le fait de jouer son propre rôle ou sur l'œuvre passée de Kiarostami. Souffrance et sourire en coin, donc. Tristesse et légèreté. Close-upest décidément le noyau dur du cinéma d'Abbas Kiarostami.

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • C'était mieux avant... (Janvier 1985)

    Un petit exercice comptable m'ayant quelque peu retardé dans mon planning, il est plus que temps, histoire de poursuivre notre voyage mensuel dans le passé, de tourner la page de Décembre et de s'intéresser à l'offre cinématographique qui était proposée aux spectateurs français en Janvier 1985 :

    bolero.jpgMalgré quelques navets, le plat servi était particulièrement consistant. Passons rapidement, de A à R, sur A nous les garçons (de Michel Lang, une comédie avec le jeune Franck Dubosc), Apocalypse dans l'océan rouge (de John Old Jr alias Lamberto Bava, un film de monstre marin), L'arbre sous la mer (une tentative de cinéma fantastique par Philippe Muyl), L'aube rouge (de John Milius, film d'anticipation tendance propagande anti-communiste), Boléro (John Derek filmant les aventures érotiques de sa femme Bo - souvenir ému d'une affiche affolante), Brigade des mœurs (polar de Max Pecas, interdit aux moins de 18 ans), Ça n'arrive qu'à moi (de et avec Francis Perrin), Le défi du tigre (de Walter Gordon avec Mister T), Glamour (de François Merlet), Horror kid (de Fritz Kiersch d'après Stephen King), Les orgies de Caligula (série Z italienne de Frank Kramer et Laurence Webber), Rendez-vous à Broad Street (film de Peter Webb, interprété et écrit à la gloire de lui-même par Paul McCartney) et Les rues de l'enfer (avec Linda Blair, film de Danny Steinman).

    On s'interroge un peu plus longuement sur quelques propositions françaises : Les enragés de Pierre-William Glenn (avec Fanny Ardant et François Cluzet), L'été prochain de Nadine Trintignant, Ni avec toi ni sans toi d'Alain Maline (mélodrame avec Philippe Léotard et Evelyne Bouix), Palace d'Edouard Molinaro (les aventures, en 1944, du duo Auteuil-Brasseur), Le téléphone sonne toujours deux fois de Jean-Pierre Vergne (écrit et interprété par les cinq - à l'époque - Inconnus), Un film (Autoportrait), essai autobiographique de Marcel Hanoun.

    lacompagniedesloups.jpgEn ce temps-là, les néo-nazis n'avaient qu'à bien se tenir : Roger Hanin (Train d'enfer) et Gilles Béhat (Urgence) les avaient à l'œil. L'espagnol Mario Camus connaissait le succès avec ses (académiques ?) Saints innocents, chronique campagnarde des années 60. Pour Le Pape de Greenwich Village, Stuart Rosenberg, réunissait (en vain ?) un casting très huppé (Mickey Rourke, Eric Roberts, Darryl Hannah). El Norte de Gregory Nava traitait de l'émigration clandestine des Mexicains vers les States.

    Gravissons une nouvelle marche et évoquons Les amants terribles de la critique des Cahiers, Danièle Dubroux (chassé-croisé amoureux et distancié dans un hôtel romain), Another country, un regard sur le système social anglais des années 30, réputé d'honnête facture (par Marek Kanievska, avec Rupert Everett et Colin Firth), Le crime d'Ovide Plouffe de Denys Arcand et Sœurs de scène, classique du cinéma chinois datant de 1965 et signé par Xie Jin. En ce mois de janvier 85, trois films, reliés plus ou moins solidement au fantastique ou à la SF, firent sur nous, adolescents, leur petit effet : Philadelphia experiment de Stewart Raffill, Razorback du videoclippeur Russell Mulcahy et La compagnie des loups de Neil Jordan (cités ici dans un ordre allant probablement du moins intéressant à revisiter aujourd'hui au plus résistant face aux aléas du temps).

    jevoussaluemarie.jpgSix mois après avoir assisté au Retour de l'inspecteur Harry, nous retrouvions Clint Eastwood, lequel déléguait (apparemment très relativement) la mise en scène de La corde raide à Richard Tuggle, pour un résultat pour le moins troublant ("Flic ou violeur ?" assenait l'inquiétante affiche de ce film peu confortable dans lequel la star rudoyait allègrement son image). Les frères Taviani, Paolo et Vittorio, alors valeurs sûres du cinéma italien proposaient leur Kaos (Contes siciliens), une suite de récits adaptés de Luigi Pirandello. Le film me glissa personnellement un peu dessus, mais il a ses défenseurs. Plus ébouriffant fut le retour de Francis Ford Coppola, après la récréation Outsiders/Rusty James : avec Cotton Club, le cinéaste déballait un nouvel objet visuel fascinant, mélange de film de gangster et de musical se terminant dans un long feu d'artifice éblouissant. Et le tour des auteurs n'est pas fini puisque Jean-Luc Godard et John Cassavetes étaient aussi au rendez-vous : Je vous salue Marie se frottait au sacré et reveillait les intégristes (petit scandale à la clé) et Love streams était une nouvelle occasion (et finalement la dernière) de voir le cinéaste américain (se) diriger (avec) Gena Rowlands (ici dans le rôle de sa sœur). Malgré leur force, ils ont été tous deux, dans ma mémoire, totalement éclipsés par quelques autres Godard et Cassavetes.

    strangerthanparadise.jpgFinalement, ce mois de janvier n'a-t-il pas été avant tout le grand moment d'une double révélation ? La première, pleine de douceur, est celle de Jim Jarmusch, dont sortait le deuxième film, Stranger than paradise, très supérieur à un premier essai (Permanent vacation) pourtant déjà stimulant. Les images et les sons de cette déambulation à trois s'achevant en Floride, imposaient un style et allaient nous accompagner longtemps. La seconde, plus tonitruante, est celle d'un Lars Von Trier débutant dans le long-métrage, mais déjà aussi arrogant que génial. Element of crime, c'est le souvenir d'un néo-polar à l'aspect poisseux, pourrissant, et pourtant particulièrement revigorant (tous comme deux titres que j'ai omis de mentionner jusque là, James Band 069, agent secret pour obsédées sexuelles et Sexfinger ?).

    jeunecinema164.jpgDu côté de la presse cinéma, Première (94) mettait en couverture Lanvin et Giraudeau, "ensemble pour la première fois" (pour Les spécialistes, qui allaient casser la baraque en mars) et Cinéma 85 (313), Michel Bouquet. Cinématographe (106) proposait un dossier spécial "box office" tandis que les autres se répartissaient équitablement les titres à mettre en vedette : Kaos pour Jeune Cinéma (164), La compagnie des loups pour L'Ecran Fantastique (52), Love streams pour les Cahiers du Cinéma (367), Les favoris de la lune (d'Otar Iosseliani, film sorti le mois suivant) pour Positif (287), L'été prochain pour La Revue du Cinéma (401) et Cotton Club pour Starfix (22).

    Voilà pour janvier 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : La corde raide, La compagnie des loups & Stranger than paradise vus par Mariaque, La mort en direct vue par Raphaël.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1980)

    Suite du flashback.

     

    C308.jpgPOS231.JPG1980 : L'année des Cahiers démarre avec Eisentein et son inachevé Que viva Mexico. Serge Le Péron et Serge Daney font le point sur le cinéma noir américain (avec notamment un entretien avec Melvin Van Peebles). Des dossiers sont consacrés aux cinémas allemands et japonais, tandis qu'un hommage est rendu à Roland Barthes. Youssef Chahine, Samuel Fuller, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Barbet Schroeter, Rudolf Thome et Wim Wenders sont successivement mis en avant, mais la vedette de l'année est Marguerite Duras, à qui est consacrée un numéro spécial. Du côté des signatures, on découvre celle d'Olivier Assayas (en particulier avec un texte sur les effets spéciaux publié sur quatre numéros). Serge Toubiana devient co-redacteur en chef.
    En face, Positif fait un nouvel éloge des Italiens Rosi, Bellocchio et Fellini, trouve de quoi se réjouir du côté français (Deville, Tavernier, Pialat et Resnais), revient sur l'œuvre de Manoel de Oliveira et présente les documentaires de Martin Scorsese. Le champ géographique balayé par la revue est impressionnant puisque sont proposés des entretiens avec Lino Brocka, Yilmaz Güney, Akira Kurosawa, Lester James Peries, Ousmane Sembène et Krzysztof Zanussi. La revue (dans laquelle apparaît le nom de Vincent Amiel) concocte également de copieux dossiers Max Ophuls et Kenji Mizoguchi.

    Janvier : Que viva Mexico (Sergueï M. Eisenstein, Cahiers du Cinéma n°307) /vs/ Le voyage en douce (Michel Deville, Positif n°226)

    Février : Le mariage de Maria Braun (Rainer Werner Fassbinder, C308) /vs/ La mort en direct (Bertrand Tavernier, P227)

    Mars : Simone Barbès ou la vertu (Marie-Claude Treilhou, C309) /vs/ Le testament du Docteur Mabuse (Fritz Lang, P228)

    Avril : France Tour Détour Deux Enfants (Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, C310) /vs/ Le cavalier électrique (Sydney Pollack, P229)

    Mai : Au-delà de la gloire (Samuel Fuller, C311) /vs/ La cité des femmes (Federico Fellini, P230)

    Juin : Les yeux verts (Marguerite Duras, C312-313) /vs/ Mon oncle d'Amérique (Alain Resnais, P231)

    Eté : Mon oncle d'Amérique (Alain Resnais, C314) /vs/ Lettre d'une inconnue (Max Ophuls, P232-233)

    Septembre : Le dernier métro (François Truffaut, C315) /vs/ Shining (Stanley Kubrick, P234)

    Octobre : Sauve qui peut (la vie) (Jean-Luc Godard, C316) /vs/ Loulou (Maurice Pialat, P235)

    Novembre : Shining (Stanley Kubrick, C317) /vs/ Nick's movie (Wim Wenders et Nicholas Ray, P236)

    Décembre : Marguerite Duras et Elia Kazan (C318) /vs/ L'impératrice Yang Kwei-fei (Kenji Mizoguchi, P237)

     

    C315.jpgPOS234.JPGQuitte à choisir : Duras et le "locataire à vie" Godard ont donc droit à quatre couvertures à eux deux (et pour des films dont il n'est pas facile de croiser la route). Le film de Treilhou est singulier mais quelque peu chétif. Et Fuller, y compris avec son dernier "classique", m'a souvent intéressé mais rarement passionné. Côté Cahiers, il manque donc des renforts à Eisenstein, Fassbinder et Truffaut (Kubrick et Resnais se trouvant entre les deux feux) pour pouvoir profiter du léger tâtonnement de début d'année de Positif (et encore...  autour du chef d'œuvre de Lang, il n'est pas certain que le Deville et le Pollack soient négligeables). Car pour ce qui est de la suite, à partir de mai, de Fellini à Mizoguchi, ça file sur les chapeaux de roues... Allez, pour 1980 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • À côté

    (Stéphane Mercurio / France / 2007)

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    acote10.jpgQuand il aborde, de biais ou de front, la question de l'emprisonnement, tout documentaire qui se respecte doit à un moment ou à un autre travailler la notion d'espace. À côté, le beau film de la réalisatrice Stéphane Mercurio s'efforce de faire parler les femmes, les enfants, les pères et les mères de détenus dans les locaux de la maison d'accueil jouxtant la prison pour hommes de Rennes. Cette structure est avant tout un lieu de rencontres et d'échanges, à l'abri des regards pesants de la société, un lieu où l'entraide et le réconfort sont possibles, un lieu où sont facilitées les démarches administratives comme la prise de rendez-vous pour le parloir. C'est aussi un espace de transition et les témoignages recueillis, tout comme les choix de mise en scène, nous font prendre conscience de l'importance de cet état d'entre-deux. La maison d'accueil est pour ces personnes en visite, très majoritairement des femmes, l'une des étapes du passage, toujours douloureux, d'un monde à l'autre, l'un des lieux, avec la voiture ou le train permettant le trajet, où s'effectue un changement psychologique destiné à absorber, plus ou moins efficacement, le choc du face à face dans le parloir.

    Un parloir, nous n'en verrons aucun durant tout le métrage. Stéphane Mercurio filme les pièces de vie et le petit jardin du centre d'accueil. Elle se fait observatrice et capte de simples conversations ou se fait parfois délicatement interventionniste, se mêlant aux échanges ou recueillant des témoignages, cela sans rien changer au cadre ni à la lumière afin de maintenir la flamme du réel. Ses parcimonieuses relances prennent la forme de questions courtes, simples et discrètes, sans sollicitation émotionnelle déplacée. Ainsi, s'il arrive en certaines occasions que l'on apprenne la raison de l'incarcération d'un mari ou d'un fils, cette information est toujours donnée volontairement par la famille puisque la cinéaste ne formule jamais la question que chacun, inconsciemment, se pose : "Qu'a-t-il fait ?". Les différentes situations et les enjeux qui en découlent pour chaque famille se font sentir tous seuls, sans que l'on ait à nous l'expliquer par un commentaire (la plus grande différence se faisant entre l'accompagnement d'une courte peine et celui qu'implique une détention plus longue).

    Une mosaïque prend forme grâce aux larges espaces de parole qui sont laissés à ces femmes, certaines revenant plusieurs fois devant la caméra, au fil des jours, d'autres ne faisant qu'un seul passage. Stéphane Mercurio n'entremêle pas les témoignages, fait confiance au hasard des rencontres et prend le temps qu'il faut, garde au montage trente secondes ou dix minutes. Hormis lorsqu'il s'agit d'attraper une conversation à la volée, les plans commencent un peu avant et se terminent un peu après le dialogue entre la cinéaste et ses interlocuteurs. Cette subtilité de mise en scène, alliée au tact dont la réalisatrice fait preuve dans les échanges, assure la remarquable gestion des temps forts, des larmes et des silences.

    Il arrive que la cinéaste suive certaines personnes jusque chez elles, mais dès qu'elle passe le pas de la porte de la maison d'accueil, la mise en scène change. Tout ce qui se passe au dehors n'est en effet vu qu'à travers des séries de photographies, alors que l'enregistrement sonore garde sa continuité. Non seulement ce parti-pris est d'une grande force esthétique mais il traduit encore une fois parfaitement la segmentation de ces vies de femmes de prisonniers et, de plus, il préserve leur part d'intimité y compris lorsqu'elles ouvrent les portes de leurs appartements.

    Au-delà des multiples informations pratiques sur le fonctionnement réel du système carcéral français, ce sont l'inquiétude des mères, les dents serrées des pères et l'attente des femmes qui saisissent. "Il a demandé à faire du sport, c'est complet. Il a demandé à étudier, c'est complet." Passé un certain seuil de peine, pour tous, le constat est le même : le travail de réinsertion est un leurre et l'endurcissement est la règle. Ainsi, la bataille se poursuit longtemps après le jour de la libération. Car si, bien évidemment, y sont évoquées toutes les aberrations aboutissant à la situation que l'on connaît, de la surpopulation à l'opacité totale du fonctionnement interne en passant par l'arbitraire de certaines décisions, le film de Stéphane Mercurio pointe surtout une évidence rarement dite : les conséquences d'un emprisonnement ne sont pas seulement supportées par l'auteur de l'acte répréhensible mais également par son entourage. Cet "élargissement" de la peine toutes les femmes en témoignent, qu'il se fasse sentir par l'explosion de la cellule familiale, par les difficultés financières ou par la rupture de certaines relations sociales. Dès que l'on réfléchit sérieusement, comme le fait ici Stéphane Mercurio, au problème de la prison, il apparaît vite qu'il faut repenser les choses bien au-delà du simple appareil carcéral. Ce qui nous renvoie fatalement aux propos que réitère souvent Robert Badinter : "J'ai compris qu'il existe une loi d'airain en matière carcérale : vous ne pouvez pas porter les conditions de vie des détenus au-dessus de celles des travailleurs les plus défavorisés."

    (Chronique dvd pour Kinok)