(Francesco Rosi / Italie / 1962)
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Salvatore Giuliano, film-enquête de Francesco Rosi, se base tout entier sur un mouvement analytique. Un mouvement de rapprochement allant du général au particulier, du paysage aux individus. Mais contrairement à l'habitude, ce resserrement ne fait qu'épaissir et complexifier le mystère de départ. Démarrant sur la découverte du cadavre du célèbre bandit sicilien au cours de l'été 1950, le récit se déploie en deux lignes temporelles. De la fin de la guerre, où lui et ses hommes, instruments des indépendantistes, se battent contre l'armée italienne, à son assassinat, nous suivons les principales étapes du parcours de Giuliano, dont le massacre de Portella delle Ginestre (une dizaine de personnes assistant à une réunion organisée par les communistes, le 1er mai 1947, abattue par la bande à Giuliano, sur demande d'un commanditaire resté inconnu). Parallèlement, nous sont montrés quelques événements suivant sa mort, jusqu'au procès de ses compagnons.
Francesco Rosi a choisi une esthétique radicale, d'abord basée sur une multitude de plans larges au détriment des plans rapprochés. Ni Giuliano, ni ses camarades ne sont réellement individualisés par l'image (le "héros" n'est même jamais vu de près autrement qu'allongé mort). C'est bien plutôt le peuple sicilien qu'a voulu filmer Rosi. De longs panoramiques circulaires décrivent les lieux, ces montagnes, ces villages, ces fiefs ratissés sans succès par les forces de l'ordre. La focalisation se fait par moments, à l'aide de zooms rapides, lors des attaques des convois de carabiniers. Plus tard, ce sont plutôt de brusques raccords, des changements d'échelles saisissants qui prennent le relais pour saisir la réalité de plus près (la conversation entre Pisciotta et le mafioso dans la carrière).
Adepte du réalisme, le cinéaste tourne sur les lieux mêmes, avec des acteurs non-professionnels et seulement une dizaine d'années après les faits. Mais réalisme ne veut pas dire pauvreté d'expression. Salvatore Giulianose fait démystificateur tout en gardant son lyrisme. Une scène pivot montre si besoin en était que la quête de la vérité menée par Rosi passe aussi par la composition plastique : celle de la reconnaissance du corps de Giuliano par sa mère. Ce moment marque l'emploi plus régulier des gros plans qui nous étaient refusé pendant une heure. Et lors du procès, les panoramiques ne seront plus destinés à embrasser la campagne sicilienne mais les visages des accusés dans leur box.
Du combat bipolaire entre bandits séparatistes siciliens et soldats italiens, on passe ensuite à une partie à joueurs multiples. Et plus la vision devient précise et proche des hommes, plus le réseau se révèle dense et indémélable. Si la caméra parvient à mieux cerner les protagonistes, ceux-ci ne cessent de renvoyer vers d'autres, de citer de nouveaux noms, de mettre à jour des liens insoupçonnables entre chaque entité : bandits, mafia, politiciens, magistrats, carabiniers... A tous les niveaux, les choses se compliquent. Car l'analyse se fait aussi par le montage : Giuliano est celui qui prenait aux riches pour donner aux pauvres, dit un témoin local (et la mémoire populaire) et Rosi de coller l'un à l'autre la révolte des femmes du village, la douleur de la mère de Giuliano et les images du massacre des militants communistes. De tout cela ne ressort qu'une victime véritable : le paysan sicilien.
L'épilogue, situé en 1960, reprend la figure du début : un homme abattu au milieu de la foule. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Rosi ne boucle pas la boucle. Franchement pessimiste, il montre plutôt que la gangrène n'en finit pas de bouffer la société sicilienne. Salvatore Giuliano est bien un acte fondateur, tant pour son auteur que pour tout un cinéma politique européen et jusqu'aux films de complots américains des années 70. C'est aussi, peut-être, un bonne préparation avant de découvrir cette semaine en salles Gomorra.