(Paolo et Vittorio Taviani / Italie / 1973)
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Quel étrange film que cet Allonsanfan, qui précède dans la filmographie des Taviani leur oeuvre la plus célèbre, Padre Padrone. Comme souvent chez eux, l'histoire italienne est vue à travers le prisme du conte. Les décors sont naturels, l'argument clairement situé dans le temps et l'espace, mais ce réalisme de départ est constamment perturbé par des éléments oniriques ou surnaturels. Si les Taviani procèdent par longues séquences, le rythme à l'intérieur de chacune est très heurté. La plupart des raccords sont particulièrement brutaux, ménageant ainsi constamment des surprises. Nombre de plans fixent le regard du héros, craintif ou étonné, joué par Marcello Mastroianni, pour enchaîner sur un contrechamp auquel rien ne nous prépare (par exemple, un gros plan de visage qui nous est inconnu). La mise en scène accumule ainsi les ruptures dans ses effets, aussi bien que dans les registres émotionnels. Une séquence peut passer du drame à la farce grotesque. Dans cet univers, tout peut donc arriver. Les hallucinations ont autant de réalité que le reste, les morts reviennent à la vie, les protagonistes se séparent puis se retrouvent nez à nez, où qu'ils aillent. La logique à l'oeuvre est celle du rêve et du cauchemar (autre élément tirant vers le fantastique et constitutif des réalisations italiennes de l'époque : le recours à la post-synchronisation, qui accentue les différences de niveau d'expression). Le film avance par a-coups et des longueurs y voisinent avec de très belles idées (la scène du repas avec la famille, la présence de la mer, la mort de Charlotte traitée en une ellipse brutale, la danse dans le repère des subversifs...).
Dans Allonsanfan, les frères Taviani traitent de la période de la restauration italienne en situant l'action en 1816. Le héros de leur film est Fulvio Imbriani, leader d'une secte "Les Frères Sublimes" qui lutte pour faire triompher dans le Sud l'idéal révolutionnaire et renverser la noblesse en place. Lorsque nous faisons sa connaissance, Fulvio sort de prison et, empli de doutes, n'aspire à présent qu'à renouer les liens avec sa riche famille et couler une vie paisible et bourgeoise. Mais au gré de multiples pérégrinations, ses camarades n'auront de cesse de le ramener dans le chemin de la lutte armée. Ce que filment les Taviani, avec un bel aplomb, c'est une faillite révolutionnaire. Les actions d'éclats de la secte finissent toutes piteusement. La faute aux trahisons et à la tentation bourgeoise qui se niche en chacun. Mastroianni, à travers le rôle de Fulvio joue une nouvelle fois un homme sans qualité, prêt à tous les mensonges et ce à l'égard de tous, ses amis, ses camarades, sa femme, sa famille. Seul son fils, qu'il retrouve après six ans, a droit à une affection sincère (mais lors de la nuit qu'ils passent ensemble avant une nouvelle séparation, son père lui raconte une terrible histoire : il affabule et hallucine encore). Il est assez difficile de s'attacher à un personnage aussi ambigu, que l'acteur incarne comme en retrait.
Un mot pour finir, sur le titre, intrigant. Allonsanfan est en fait le prénom de l'un des subversifs. Le personnage est au second plan mais est ô combien important. Avec son regard souligné par un trait de lumière, il est celui qui portera jusqu'au bout l'espoir révolutionnaire.