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Nightswimming - Page 124

  • La guerre des espions

    (Masahiro Shinoda / Japon / 1965)

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    guerrespions.jpgTroisième temps de mon périple chez Masahiro Shinoda. Si Assassinat ployait quelque peu sous le poids de la politique, La guerre des espions (Ibun Sarutobi Sasuke) doit sa réussite au fait qu'il soit d'abord une enthousiasmante variation sur un genre avant de distiller ses réflexions.

    Nous voilà en 1614. deux grands seigneurs se disputent le pouvoir sur le Japon. La période n'est pas à la guerre mais la recherche d'informations et les complots sont continuellement orchestrés de chaque côté, par l'intermédiaire d'espions redoutables : les ninjas. Cette lutte nous est montrée du point de vue de Sarutobi Sasuke, ninja dont le seigneur, Sanada, n'a pas encore choisi son camp, préférant attendre en envoyant aux quatre coins du pays ses informateurs.

    La quantité de noms entendus et de nouveaux personnages arrivant au fil du récit demande encore une fois une attention très soutenue. Mais ici, même le héros semble par moments totalement dépassé. Il prend en fait part à la traque d'un homme, un nommé Noriji, espion que tous veulent retrouver et que l'on ne découvrira pas avant le dénouement. Peinture d'un monde tirant vers l'absurde à force de revirements et recherche d'un Saint Graal : les thèmes croisent ceux du roman noir américain. Dans un bonus du dvd, Shinoda évoque l'admiration que l'auteur du roman original portait à Hammett et Chandler. Sarutobi Sasuke, interprété par un Koji Takahashi au visage anguleux, est le personnage le plus attachant des trois oeuvres de Shinoda dont je vous ai entretenu jusqu'à présent. Certainement parce qu'on le voit évoluer tout au long du film, ballotté entre un désir de retrait inculqué par son maître, hostile à la guerre, et une volonté d'engagement dans une cause qu'il croit juste, pour finir par ne se laisser guider que par l'amour. En parallèle, sont dressés deux beaux portraits de femmes, qui, malgré leur condition, ne véhiculent pas de thématique sacrificielle et n'appellent à aucun apitoiement.

    Je l'ai dit plus haut, La guerre des espions est un parfait film de genre, un film de ninjas (ne manquent même pas les fameuses étoiles aux effets dévastateurs). Les nombreux combats font preuve d'une grande inventivité. La séquence de l'évasion en particulier, qui est composée admirablement : l'affrontement de Sasuke avec les gardes est masqué d'abord par l'ombre de l'héroïne qui se redresse pour s'échapper, puis par une bougie et se poursuit, toujours en travaillant la profondeur de champ, par un travelling latéral le long d'une palissade aux parois tantôt détruites, tantôt intactes. Plus tard, un combat important démarre de façon réaliste pendant une fête populaire nocturne mais se poursuit dans l'abstraction totale d'un paysage désert et ensoleillé. Shinoda n'est ainsi pas avare en surprises. Les apparitions et disparitions de ses personnages sont saisissantes. Lors d'une sublime séquence de bain, trois comparses pittoresques dialoguent avec Sasuke, alors qu'au premier plan, arrive vers lui, dans l'eau fumante, très lentement, une femme inconnue, qui finit par lui susurrer qu'elle lui donnera plus tard un rendez-vous pour des informations. Dans l'autre sens, l'effet de surprise peut être le même. Sasuke affronte Sakon, ninja blanc virevoltant, venu le jauger dans sa chambre d'auberge. Ce dernier s'éclipse en lançant cette phrase : "Au fait, il y a une femme morte à côté". Et effectivement...

    Shinoda déplace ses ninjas, blancs ou noirs, en jouant magnifiquement des sources lumineuses. Dans les décors cloisonnés autant que dans les clairières ou les forêt, sa mise en scène ravit, qu'elle se concentre sur une balade amoureuse ou sur un combat. Beaucoup de plaisir, donc.

  • Assassinat

    (Masahiro Shinoda / Japon / 1964)

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    assassinat.jpgDeuxième étape de ma visite chez Masahiro Shinoda : Assassinat (Ansatsu).

    A la fin du XIXe siècle, dans la peur d'une invasion étrangère, le Japon connut une série de soubresauts menant le pays au bord de la guerre civile. Le pouvoir était partagé par deux représentants : d'un côté l'Empereur et sa cour à Kyoto, de l'autre, le Shogun (le "Général") soutenu par les militaires. Ce titre de Shogun avait fini par se transmettre de façon héréditaire et il ne disparut qu'avec la restauration Meiji en 1868 qui redonnait l'entier pouvoir à l'Empereur.

    Merci Wikipédia pour ces bases historiques. Et merci aussi la jaquette du dvd et les cartons introductifs. Car Assassinat, sous son habillage de film de sabre, est une oeuvre politique d'une grande complexité pour qui n'est pas familier avec l'histoire du Japon féodal. L'intrigue principale se situe en 1863. Le samouraï Hachiro Kiyokawa, nationaliste combattant le Shogun (accusé de faiblesse face à l'étranger), est arrêté et cependant gracié par ce dernier, qui lui propose de former une garde chargée de rétablir l'ordre dans la région. Kiyokawa accepte, allant jusqu'à éliminer d'anciens camarades révolutionnaires. Au bout d'une longue marche avec sa petite armée, il finit par dévoiler son double jeu, retournant, avec l'assentiment de l'Empereur, les hommes engagés à ses côtés par le Shogun. Tout cela pour conquérir lui aussi une parcelle de pouvoir.

    Les intrigues politiques sont aussi compliquées que le personnage de Kiyokawa est impénétrable. Shinoda livre ici une réflexion sur le pouvoir très pessimiste, proche du nihilisme. Dans la première moitié du film, tout en posant les enjeux politiques, le cinéaste lance une enquête sur la personnalité du samouraï. Par l'intermédiaire de l'un des hommes du Shogun, chargé de surveiller et d'éliminer, quand il le faudra, Kiyokawa, nous naviguons au gré des rencontres et des souvenirs de chacun, de flashbacks en flashbacks. Ses combats, ses amours : des bribes d'informations sont lâchées. Mais le puzzle reste incomplet, l'homme insaisissable.

    Le genre appelle le hiératisme, seulement, l'enquête provoque surtout des bavardages et une répétition lassante, chacun y allant de son anecdote. Toujours très soigné, le travail sur l'image se double de sauts temporels et de récits dans le récit qui, si ils forcent l'admiration, nous laissent souvent complètement perdus dans cette histoire. Cette construction à tiroirs s'arrête à mi-film. Le cours chronologique des choses reprend et notre intérêt avec. Shinoda orchestre quelques combats de sabre violents et réalistes, sans excès musical ou sonore et on suit jusqu'au bout la montée et la chute inévitable de son protagoniste, héros parfaitement impénétrable. En nous montrant le parcours de ce manipulateur extrémiste, l'auteur brosse le tableau noir d'une époque charnière tout en tendant un miroir à la société japonaise contemporaine. Mais pour ma part, il me manque bien trop de clefs pour pouvoir apprécier à sa juste valeur la perspicacité de ce regard.

  • Fleur pâle

    (Masahiro Shinoda / Japon / 1964)

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    fleurpale.jpgPlaisir de la découverte. Voici la première des quatre galettes d'un coffret dvd consacré au cinéaste japonais Masahiro Shinoda, qui m'était jusque là parfaitement inconnu. L'homme, né en 1931 et ayant signé en 2003 son trente-deuxième long-métrage, a débuté en 1960, soit au moment où le cinéma mondial commençait à bouger dans tous les sens. Shinoda appartient donc à la Nouvelle Vague japonaise et Fleur pâle (Kawaita hana) prend place dans ce mouvement grâce à, au moins, deux caractéristiques : un fort sentiment de vie rendu par le plaisir communicatif de filmer les rues et, conjointement, un désir d'expérimentation esthétique.

    Muraki retrouve Tokyo après avoir passé trois années en prison et reprend sa place au sein de son clan de yakuzas. Il trouve que rien n'a vraiment changé, quoi qu'en disent ses compagnons (qui eux voient bien que les luttes d'antan laissent petit à petit la place aux alliances à visées économiques). Passée une période de transition relativement calme, Muraki se porte volontaire pour remplir un nouveau contrat qui doit inévitablement le reconduire en prison. Mais comme son titre l'indique (d'autant plus qu'il s'inscrit à l'écran, au bout de plusieurs minutes, sous le visage indéchiffrable d'une belle jeune femme), Fleur pâlen'a pas grand chose à voir avec un film de yakuzas classique. En effet, dès qu'il remet les pieds dans son tripot favori, Muraki croise le regard de Saeko, flambeuse diaphane, fille riche, venue d'on ne sait où pour se mêler aux joueurs clandestins.

    Nous avons alors, en parallèle, la description des activités du clan et le développement de la relation entre Muraki et Saeda. Les deux lignes narratives ne convergent que pour se rejoindre à la toute fin, lorsque le héros proposera à son étrange amatrice de sensations fortes l'expérience ultime, plus grisante encore que le jeu ou la drogue : le spectacle d'un meurtre. Ce dénouement sera bien le seul moment de représentation de la violence engendrée par les yakuzas, et encore, la manière en est opératique et donc déréalisée. Comme Kitano plus tard, Shinoda aborde le genre par des chemins de traverse.

    Dans un noir et blanc contrasté, le style est vif et heurté, à l'image de l'époque. Très morcelées au début, les séquences peuvent très bien par la suite tenir en un seul plan. S'ajoutent à cela des ellipses intrigantes : le personnage du yakuza drogué, pièce essentielle de la dernière partie, restera constamment hors-champ ou à peine cadré à la volée, au fond d'une pièce ou à l'angle d'une rue mal éclairée. Les règles des jeux de cartes sont incompréhensibles, mais les nombreuses scènes s'y rapportant sont assez fascinantes par les regards qui se croisent et qui semblent tous converger vers la seule femme se joignant à ces assemblées de noctambules. L'architecture japonaise, avec ses panneaux coulissants, rend comme toujours un grand service à la mise en scène : surcadrages, obturations et découpages géométriques abondent.

    Depuis au moins Boulevard du crépuscule, nous avons souvent l'impression qu'un récit entamé par une voix-off l'est depuis l'au-delà. Les propos introductifs de Muraki ne font pas exception, avec leur pessimisme et leur ton morbide. Selon notre yakuza, l'homme est un animal qui s'agite en vain. Shinoda nous enjoint donc à observer l'espèce à distance. Prises sur le vif, les scènes de rue ou d'hippodrome isolent Muraki au téléobjectif. Il ne se fond pas dans la masse. Il est ici aussi seul que lorsqu'il arpente le soir venu les ruelles désertes le menant d'hôtels en tripots. Muraki n'est pas une marionnette : personne ne tire les fils (son boss, après l'acceptation du contrat, lui répète pendant plusieurs jours "Prends ton temps..."). Il est bien un insecte qui fait ce qu'il a toujours fait, à peine bousculé par une histoire qui pourrait ressembler à de l'amour, mais qui garde de toute manière, jusqu'au bout, son mystère entier.

  • Un conte de Noël

    (Arnaud Desplechin / France / 2008)

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    contenoel.jpgPas facile de parler d'Un conte de Noël. Avec les cinq premiers films d'Arnaud Desplechin, de La vie des morts à Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", les choses étaient claires : je savais exactement ce que j'admirais dans chaque opus. Mais avec Rois et reine et aujourd'hui ce Conte de Noël, tout se complique. Comme si, en devenant a priori plus accessible, son cinéma devenait encore plus insaisissable.

    Une fête de famille et des retrouvailles plus ou moins souhaitées après un traumatisme : tous les ingrédients du film choral basique sont réunis. Rassurons-nous, nous ne sommes pas dans Ceux qui m'aiment prendront le train. La première partie déroute, comme souvent dans ce genre de récit où l'on nous présente en parallèle une multitude de personnages. Mais cette narration est si étrange... Nous sommes dans un flux; les scènes semblent déborder les unes sur les autres (surtout grâce à la musique). Pourtant les ruptures de tons abondent : des débordements comiques aux larmes. Une courte séquence nous montre l'un des fils, Ivan, passer derrière les platines lors d'une fête. Ses dons de DJ lui font destructurer les morceaux pour mieux les ré-inventer. Scratches, superpositions de couches sonores, indécision du rythme : éléments caractéristiques de ce passage électro, éléments caractéristiques de tout le film. Des événements, chargés dramatiquement, prennent forme mais rien ne semble se résoudre réellement. Jamais de façon classique en tout cas. Je défie quiconque de deviner au début de n'importe quelle séquence du film où celle-ci va mener. Peu de cinéastes en France réussissent ainsi à faire naître le mystère à partir de données aussi prosaïques.

    Une fois encore, on dira de Desplechin qu'il ne filme que des bourgeois et des gens très cultivés. Et le regard n'est pas critique. Ce n'est pas du social, ce n'est pas du politiquement correct-engagé. On sent très bien qu'il joue avec ça. Et lui au moins ne se pose pas la question de savoir si c'est pas un peu trop de filmer ces gens en train de fumer et picoler continuellement, de blaguer avec le judaïsme ou de faire dire des grossièretés aux enfants. Quand à cette histoire de culture, peut-être encombre-t-elle parfois, mais remarquons seulement qu'elle permet de faire passer de façon très fluide toutes les références mythologiques ou littéraires qui paraîtraient ailleurs pédantes ou plaquées. Et ce travail donne des dialogues ciselés, toujours étonnants même dans les situations les plus convenues sur le papier, tel l'échange bouleversant entre Simon, amoureux sacrifié, et Sylvia, dans la cuisine. La troupe de comédiens habituelle s'en délecte (il est inconvenant de ne détacher qu'une personne, mais Chiara Mastroianni est bien la fille de ses parents).

    Comme dans Rois et Reine, le personnage de Mathieu Amalric s'oppose totalement à celui d'une femme (ici celui d'Anne Consigny) et on sent, dans les deux films, un déséquilibre. Le burlesque, la folie dynamique de l'homme tranche avec la névrose et le repli sur soi de la femme. La surprise et la satisfaction du spectateur provient du premier plus que de la seconde.

    Je conclue cette note besogneuse en disant que si Un conte de Noëlm'a moins impressionné que les travaux précédents de son auteur (peut-être parce qu'il me fait cette fois-ci plus penser à Truffaut qu'à Resnais), Desplechin reste, au sein d'une génération de cinéastes qui donna tant de premiers films prometteurs au début des années 90 (Ferran, Kahn, Beauvois, Ferreira-Barbosa, Lvovsky, Masson...), de loin le plus important et le plus régulier.

  • Êtes-vous Boormanien(ne) ?

    1614527515.jpgL'idée, soufflée récemment par eeguab, de parler de John Boorman me plaît. Une partie de son oeuvre étant bien connue, c'est l'occasion de se pencher sur la carrière du bonhomme.

    En gros, j'aime tout Boorman... sauf ses ratages. Et quand il se plante, il ne fait pas semblant. La découverte de Zardoz fut pour moi un grand moment de solitude, ne sachant que faire, rire ou pleurer, devant cet incroyable fatras philosophico-fantastique. Si La forêt d'émeraude impressionne à 14 ans, il ne reste d'autres visions plus récentes qu'un sentiment de balourdise dans la mise en scène et le message. Je ferais les mêmes reproches à cet autre film de jungle qu'est Rangoon.

    Ces échecs sont sans doute le prix à payer d'une volonté de toucher à plusieurs genres tout en gardant une ambition très élevée. Le point de non-retour, c'est Resnais à Hollywood et cela donne selon moi le plus grand polar des années 60. Délivrance, plus de trente ans après, garde sa force traumatisante et, sans trop m'avancer, j'imagine que sur la réflexion de l'impossible retour à la nature, il en remontre à cet Into the wild qui fit tant chauffer les claviers de certains bloggeurs au printemps dernier.

    Pour peu qu'on ait un peu de rigueur, difficile de rater un film se déroulant sur une île déserte. Avec l'intelligence de Boorman et l'interprétation de Lee Marvin et Toshiro Mifune, on obtient un saisissant Duel dans le Pacifique. Quant à Excalibur, le spectateur réticent à l'heroic fantasy que je suis vous le dit : c'est assez beau et très supérieur aux trois Seigneur des anneaux réunis.

    Les deux derniers Boorman n'ont pas été distribués en France (Country of my skull a juste été diffusé sur Canal+), on se demande bien pourquoi. Le plaisir que distillaient les ironiques The General et The tailor of Panama ne laissait deviner aucune baisse de régime du cinéaste. On aurait donc aimé pouvoir juger par nous même ces films mis au placard.

    Mes préférences :

    **** : Le point de non-retour (1967), Délivrance (1972)

    *** : Duel dans le Pacifique (1968), Leo the Last (1970), Excalibur (1981), Hope and glory (1987), The General (1998), The tailor of Panama (2001)

    ** : -

    * : La forêt d'émeraude (1985), Rangoon (1995)

    o : Zardoz (1974)

    Pas vu : Catch us if you can (1965), L'hérétique (1977), Tout pour réussir (1990), Country of my skull (2004), The tiger's tail (2006)

    N'hésitez-pas à me faire part des vôtres...

  • Louise B.

    Loulou et Le journal d'une fille perdue : deux films tournés à quelques mois d'intervalle par G.W. Pabst en 1928/29. Films-jumeaux admirables irradiés par une actrice à nulle autre pareille.

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    Après ces deux éclats : une petite poignée de rôles au début du parlant, puis le retrait définitif dès la deuxième moitié des années 30. Ne reste plus alors aux cinéastes qu'à faire revivre l'image au travers de leurs propres muses. Quant à nous, il nous faut revenir indéfiniment vers ces deux oeuvres météores pour que le nom de Louise Brooks continue à évoquer autre chose qu'une coupe de cheveux.

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    Anna Karina (Vivre sa vie, Jean-Luc Godard, 1962), Liza Minnelli (Cabaret, Bob Fosse, 1972), Juliette Binoche (Mauvais sang, Leos Carax, 1986), Elina Lowensohn (Amateur, Hal Hartley, 1994) et, disons, pour l'anecdote : Cate Blanchett (Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Steven Spielberg, 2008)

     

    PS : Ce petit hommage ne pretend certes pas à l'originalité. Une preuve parmi bien d'autres : la découverte lors de l'écriture de cette note de cette page sur le blog Cinématique.

    Photos Loulou et Journal : dvdbeaver.com

  • Cabaret

    (Bob Fosse / Etats-Unis / 1972)

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    613950862.jpgIl me semblait bien qu'une première vision, bien lointaine, de Cabaret, nonobstant sa réputation et ses huit médailles aux Oscars, ne m'avait pas plus enthousiasmé que cela. L'impression initiale est aujourd'hui confirmée.

    Tiré d'un spectacle à succès de Broadway, le film nous montre la rencontre et la brève liaison, dans le Berlin de 1931, entre Sally Bowles, chanteuse américaine délurée, et Brian Roberts, professeur d'anglais introverti. Autour d'eux gravitent un jeune arriviste, un riche industriel, une juive de grande famille. Le récit est scandé par les numéros du Kit-Kat Club, cabaret dont Sally est la vedette, aux côtés d'un mystérieux et étourdissant maître de cérémonie. Tout cela se passe au moment où les Nazis commencent à étendre leur influence sur tout le pays.

    Avec ce film, Bob Fosse bouscule le musical classique par deux coups d'épaule : les numéro musicaux assument une certaine vulgarité et ils baignent dans un contexte historique précis et dramatique. Ces séquences font toutes partie du spectacle du Kit-Kat Club; le problème de la transition parlé-chanté ne se pose donc pas. Fosse modernise tout cela par le montage, les cadrages en contre-plongée (point de vue du spectateur du premier rang), la mobilité de la caméra et les focales utilisées (ruptures, effets grossissants : certains plans lors du show semblent sortis du cinéma de Kubrick ou de Fellini). La mise en scène, de ce point de vue est bluffante, même si les promesses des deux extraordinaires premiers numéros (l'introduction sur le fameux morceau-titre et le bouillant Mein Herrde Liza Minnelli) ne sont pas toujours tenues par la suite.

    Pour tout ce qui se passe en dehors du cabaret, l'intérêt est loin d'être le même. Au niveau de l'esthétique, l'image cède à la mode des années 70 de traiter toute histoire se situant entre la Belle époque et la guerre de 40 à grands coups de flous artistiques et de sources lumineuses à la diffusion irréelle. Les intrigues amoureuses, qui se traînent en longueur à force de pudeur, sont ainsi enjolivées. Certes, cette joliesse s'oppose à l'agressivité des numéros musicaux, ainsi chargés de commenter ce que les protagonistes, dans leur bulle, ne veulent pas voir : la réalité d'une société moribonde et l'arrivée d'un fléau. Le problème est que la montée du nazisme est montrée de façon bien conventionnelle. Une scène assez démagogique nous montre un charmant blondinet entonnant un chant nazi lors d'une fête de village. Tous les convives finissent par reprendre en coeur, debout, exaltés. Tous sauf nos trois héros, qui font quand même mine de s'inquiéter un peu en repartant. L'autre approche est celle, parfois impressionnante mais rabattue depuis le chef d'oeuvre que fût Les damnésde Visconti (en 1969) : la description d'une société décadente, allant à sa perte, peuplée de vivants aux masques de mort et laissant le chemin ouvert à Hitler et ses hommes.

    Film ambitieux, bénéficiant de la présence et de la gouaille de Liza Minnelli et de l'inquiétante figure de Joel Grey en maître de cérémonie démiurge (et d'une bonne interprétation de Michael York), Cabaret n'est donc pas sans défauts, comme l'est All that jazz. Le meilleur film de Bob Fosse reste, définitivement, le non-musical Lenny.

  • Serpico

    (Sidney Lumet / Etats-Unis / 1973)

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    1004846913.jpgHistoire vraie traitée à chaud quelques mois seulement après son épilogue, décision du producteur Dino De Laurentiis de changer de réalisateur juste avant le tournage, plan de travail serré (Al Pacino devant impérativement partir à une date précise pour retrouver l'équipe du deuxième Parrain)... Et ben, vu le résultat, y'a pas à dire, i'sont forts ces Ricains.

    Frank Serpico est un jeune flic new yorkais doublement atypique : d'une part, il a un look, un mode de vie et un état d'esprit proches de ceux des gens de la rue, meilleur moyen pour lui de passer inaperçu et de mener à bien ses enquêtes, et d'autre part, il refuse toute corruption. Son apparence et ses méthodes ne lui valent pas que des amis, mais tous sont forcés de reconnaître son efficacité. En revanche, son honnêteté infaillible et sa volonté de dénoncer la gangrène s'étant installée au sein de toute la police de la ville provoquent ses mutations incessantes puis des menaces de plus en plus précises.

    Serpicosuit fidèlement le parcours semé d'embûches de son héros réel. Le film de Lumet se pose peu la question du genre. Il s'agit non pas de suivre une enquête policière, mais d'observer une succession d'étapes répétitives : Frank Serpico débarque dans une équipe, se rend compte des magouilles qui s'y développent, décide, lorsque la mise à l'écart et la pression subie sont trop fortes, d'en référer à une autorité quelconque, et attend désespérément une décision d'en haut. Quels que soient le niveau de l'échelle et le chemin choisi, les mêmes maux reviennent. L'ultime solution sera de contacter des journalistes du Times. Le scandale pourra éclater... sans que rien ne change vraiment.

    En ce début des années 70, l'époque était aux policiers vengeurs, type Charles Bronson, n'hésitant ni à franchir allègrement les limites de la loi, ni à faire de leurs enquêtes des affaires personnelles au-delà de la morale. Si Serpico n'a rien à voir avec ce type de flic, le film n'en fait pas pour autant un chevalier blanc exemplaire. L'homme est sûr de lui, solitaire et individualiste, et son idéalisme tient de l'obsession, quasiment de la maladie. Face à lui, les autres personnages de policiers ne sont jamais développés. C'est qu'ils ne sont pas là pour établir un catalogue des problèmes à régler, mais pour éclairer en retour le personnage central. Dans bien des films de ce genre, on retrouve des idéalistes luttant ainsi jusqu'à voir leur vie privée mise en danger. Celle de Serpico se fissure également, mais celui-ci est dès le début présenté comme virevoltant, libre de toute attache. Les compagnes ne le restent jamais très longtemps et le cliché est balayé.

    Si le vrai Frank Serpico, le scénario et l'interprétation d'Al Pacino (*) rendent ainsi aussi passionnant le personnage, il ne faut pas oublier le travail de Sidney Lumet. Aidé par les mutations multiples de son héros, d'un commissariat à un autre, le cinéaste nous montre New-York sous tous ses aspects. Sur les toits, dans les rues, dans chaque quartier se ressentent les pulsations de la ville. Le regard documentaire n'est pas synonyme de platitude, ni dans l'image, ni dans le rythme. Par un montage brut, les plans démarrent toujours avec des corps en mouvements : jamais, contrairement à certaines tentatives françaises, nous n'avons l'impression que le mot "Action" vient tout juste de retentir pour faire bouger l'acteur et le faire réciter un texte. Le résultat est 130 minutes d'une temporalité indécise dans le récit, mais jamais ennuyeuse pour nous.

    Le duo Lumet-Pacino sera bien sûr reconstitué deux ans plus tard pour Un après-midi de chien. A nouveau sur la base de faits réels, le film sera encore supérieur à Serpico, par son resserrement, sa tension et le génie de l'acteur, ne se cachant plus sous la barbe ou le chapeau hippie, mais comme mis à nu.

     

    (*) Si l'on en croit certains sur le net, Serpicoserait le "premier grand rôle d'Al Pacino". Il n'est donc pas inutile de rappeler que, même si l'on considère que le premier Parrain(1972) repose beaucoup sur Marlon Brando, c'est en tête d'affiche de l'excellent Panique à Needle Parkde Jerry Schatzberg, en 1971, que Pacino se révéla. 

  • Ouvre les yeux

    (Alejandro Amenabar / Espagne / 1997)

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    1282859453.jpgJ'ai pas tout compris mais c'est pas désagréable.

    Ne comptez pas sur moi pour mettre à plat l'intrigue d'Ouvre les yeux (Abre los ojos), second long-métrage d'Alejandro Amenabar, du moins pour sa deuxième partie. Le jeune, riche et dynamique César tombe amoureux de Sofia. Spécialiste des aventures d'une nuit, il est d'autant plus déboussolé que sa dernière conquête, Nuria, s'accroche péniblement à lui. Sa vie bascule lorsque celle-ci l'entraîne dans une virée suicidaire en voiture. Elle meurt, lui est défiguré. Tout cela est très clair, sauf que ce début de récit est conté par César, affublé d'un étrange masque, prostré dans la cellule d'un asile psychiatrique et accusé de meurtre. Pour le reste (changements d'identité, morts qui reviennent à la vie, démiurge tirant les ficelles...), bornons-nous à écrire que la confusion entre rêve et réalité sera maintenue jusqu'à la fin.

    Ouvre les yeuxdémarre dans l'eau de rose en décrivant la naissance de l'amour entre César et Sofia. Son loft à lui est immense et moderne, son appartement à elle est encombré et poétique. Eduardo Noriega et Penélope Cruz sont charmants, lisses. Heureusement, cette vision de sitcom, Amenabar va s'ingénier à la fissurer, tel le visage de son héros, par l'irruption du fantastique (puis de la science-fiction). Certes, ce ne sont pas des abysses lynchiens qui s'ouvrent sous nos pieds, mais le virage vers le film de genre nous soulage. En prenant un tel chemin, les références ne tardent pas à se bousculer. Parmi les plus évidentes, explicitées ou non : Le fantôme de l'Opéra, les thrillers de DePalma, Vertigo... Celles-ci sont assez bien intégrées, ne pesant pas trop sur le film, qui parvient à tenir une ligne personnelle.

    Culminant lors d'une belle scène de boîte de nuit où la monstruosité du nouveau visage de César n'apparaît que par intermittences selon les lumières des spots ou l'état de conscience des autres, le jeu autour de la beauté physique n'est qu'une donnée du scénario comme une autre. On nous épargne donc avec bonheur le discours sur la différence et sur la grandeur de l'âme au delà des apparences.

    Amenabar use parfois d'effets voyants (un court plan vu de derrière le masque de César : mouais, bof...), mais sans débauche numérique. Son histoire charrie son lot d'arbitraire qui ne donne pas forcément l'envie de remonter le fil dans le sens inverse, une fois la fin arrivée. Toutefois, le "n'importe quoi" a ici suffisamment de saveur pour ne pas nous laisser dans l'indifférence. Évidemment, ce serait un peu fort de parler de vertige ou d'émotion forte mais, à l'image d'autres films un peu clinquants, un peu vains, tels Sixième sens ou Memento, cela se laisse voir. Et puis rappelons qu'Amenabar haussera sérieusement son niveau de jeu trois ans plus tard avec Les autres.

  • Le petit lieutenant

    (Xavier Beauvois / France / 2005)

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    142940381.jpgAvec Le petit lieutenant, Xavier Beauvois tente de faire une photographie de la police au travail, comme Tavernier le fit en 1992 avec L.627. En suivant un jeune diplômé qui débarque dans une brigade criminelle à Paris et en filmant son quotidien, le cinéaste s'est voulu au plus près de la réalité. Or, première incongruité dans cette optique, il ne distribue dans les rôles de policiers que des visages connus. Cette équipe est donc composée de Nathalie Baye, Jalil Lespert, Roschdy Zem, Antoine Chapey et Beauvois lui-même. On peut ajouter Jaques Perrin en juge. Inutile de dire que, malgré le savoir-faire de chacun, l'effet de réel recherché en prend déjà un coup.

    Pour mieux faire passer la pilule du didactisme, le cinéaste nous fait partager le regard du nouvel arrivant sur ce petit monde. Le problème, c'est qu'il veut absolument tout traiter, tout dire. Nous avons donc un catalogue de personnages (Beauvois, fidèle à son image de rebelle du cinéma français s'est réservé le rôle le plus réac et le plus violent) et de situations reflétant toutes les contradictions qui tiraillent la profession. Donc : Les flics boivent, mais pas toujours; il y a des cons, mais d'autres respectent les lois de la République; c'est pas facile d'entrer dans la police quand on est d'origine maghrébine, quoique ça dépend dans quelle brigade tu te retrouves. Bref, comme le dit l'autre dans sa chanson : "Y'en a des bien". C'est sans doute cette volonté d'exhaustivité qui fit écrire à certains que Beauvois avait réalisé là un grand film humaniste.

    L'autre terme retrouvé dans bien des critiques était "regard documentaire". Il est vrai que l'accent est mis sur la routine et que le fil conducteur est une enquète plutôt banale (le point de départ en est le meurtre d'un SDF). L'intention est louable mais la mise en scène a vraiment du mal à suivre. Neutralité de l'image, cadrages passe-partout, dialogues parsemés de répliques qui font mouche ("On nous a filé le fils de Colombo !") bien surlignées par le découpage hyper-classique : la différence avec un téléfilm ne saute pas vraiment aux yeux. On est loin d'une interrogation du réel. Autre aspect désagréable : les blagues de bureau. Chacun, quelque soit son activité, doit connaître ça, pas toujours fier de ses rires. Alors les voir sur un écran... La scène du pétard fumé dans la rue par Baye et Lespert, qui se termine de façon très prévisible par la sympathique mise en garde du jeune homme ayant tiré une taffe avec eux, m'évoque exactement ça : ces moments professionnels et comiques que l'on se remémore entre collègues jusqu'à l'overdose. De plus, quand Beauvois sort du documentaire, c'est pour faire de la bonne vieille psychologie. Car la patronne, alcoolique repentie, retrouve dans le petit lieutenant son fils disparu très tôt.

    La barque est donc sacrément chargée. Qu'est-ce qui l'empêche, selon moi, de couler complètement ? Tout d'abord mon attachement à Jalil Lespert, acteur que j'ai toujours trouvé très intéressant, arrivant dans chacun de ses rôles (chez Cantet, Guédiguian, Resnais) à dépasser son apparente lourdeur. Ensuite, ce changement de point de vue inattendu, au milieu du récit. Procédé toujours intriguant, même si il n'est pas ici totalement assumé. Et enfin trois instants de violence éclatants sans prévenir : deux actes sanglants brutaux et anti-spectaculaires, à l'arme blanche, puis par balles, et un coup de fil annonciateur du pire (un plan qui dure un peu plus que les autres, le temps de nous laisser nous demander pourquoi, avant de laisser tomber le couperet).

    PS : Le Dr Orlof a été plus rapide que moi à dégainer. Allez donc lire son avis (pas plus enthousiaste).