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Nightswimming - Page 122

  • Êtes-vous Boormanien(ne) ?

    1614527515.jpgL'idée, soufflée récemment par eeguab, de parler de John Boorman me plaît. Une partie de son oeuvre étant bien connue, c'est l'occasion de se pencher sur la carrière du bonhomme.

    En gros, j'aime tout Boorman... sauf ses ratages. Et quand il se plante, il ne fait pas semblant. La découverte de Zardoz fut pour moi un grand moment de solitude, ne sachant que faire, rire ou pleurer, devant cet incroyable fatras philosophico-fantastique. Si La forêt d'émeraude impressionne à 14 ans, il ne reste d'autres visions plus récentes qu'un sentiment de balourdise dans la mise en scène et le message. Je ferais les mêmes reproches à cet autre film de jungle qu'est Rangoon.

    Ces échecs sont sans doute le prix à payer d'une volonté de toucher à plusieurs genres tout en gardant une ambition très élevée. Le point de non-retour, c'est Resnais à Hollywood et cela donne selon moi le plus grand polar des années 60. Délivrance, plus de trente ans après, garde sa force traumatisante et, sans trop m'avancer, j'imagine que sur la réflexion de l'impossible retour à la nature, il en remontre à cet Into the wild qui fit tant chauffer les claviers de certains bloggeurs au printemps dernier.

    Pour peu qu'on ait un peu de rigueur, difficile de rater un film se déroulant sur une île déserte. Avec l'intelligence de Boorman et l'interprétation de Lee Marvin et Toshiro Mifune, on obtient un saisissant Duel dans le Pacifique. Quant à Excalibur, le spectateur réticent à l'heroic fantasy que je suis vous le dit : c'est assez beau et très supérieur aux trois Seigneur des anneaux réunis.

    Les deux derniers Boorman n'ont pas été distribués en France (Country of my skull a juste été diffusé sur Canal+), on se demande bien pourquoi. Le plaisir que distillaient les ironiques The General et The tailor of Panama ne laissait deviner aucune baisse de régime du cinéaste. On aurait donc aimé pouvoir juger par nous même ces films mis au placard.

    Mes préférences :

    **** : Le point de non-retour (1967), Délivrance (1972)

    *** : Duel dans le Pacifique (1968), Leo the Last (1970), Excalibur (1981), Hope and glory (1987), The General (1998), The tailor of Panama (2001)

    ** : -

    * : La forêt d'émeraude (1985), Rangoon (1995)

    o : Zardoz (1974)

    Pas vu : Catch us if you can (1965), L'hérétique (1977), Tout pour réussir (1990), Country of my skull (2004), The tiger's tail (2006)

    N'hésitez-pas à me faire part des vôtres...

  • Louise B.

    Loulou et Le journal d'une fille perdue : deux films tournés à quelques mois d'intervalle par G.W. Pabst en 1928/29. Films-jumeaux admirables irradiés par une actrice à nulle autre pareille.

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    Après ces deux éclats : une petite poignée de rôles au début du parlant, puis le retrait définitif dès la deuxième moitié des années 30. Ne reste plus alors aux cinéastes qu'à faire revivre l'image au travers de leurs propres muses. Quant à nous, il nous faut revenir indéfiniment vers ces deux oeuvres météores pour que le nom de Louise Brooks continue à évoquer autre chose qu'une coupe de cheveux.

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    Anna Karina (Vivre sa vie, Jean-Luc Godard, 1962), Liza Minnelli (Cabaret, Bob Fosse, 1972), Juliette Binoche (Mauvais sang, Leos Carax, 1986), Elina Lowensohn (Amateur, Hal Hartley, 1994) et, disons, pour l'anecdote : Cate Blanchett (Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Steven Spielberg, 2008)

     

    PS : Ce petit hommage ne pretend certes pas à l'originalité. Une preuve parmi bien d'autres : la découverte lors de l'écriture de cette note de cette page sur le blog Cinématique.

    Photos Loulou et Journal : dvdbeaver.com

  • Cabaret

    (Bob Fosse / Etats-Unis / 1972)

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    613950862.jpgIl me semblait bien qu'une première vision, bien lointaine, de Cabaret, nonobstant sa réputation et ses huit médailles aux Oscars, ne m'avait pas plus enthousiasmé que cela. L'impression initiale est aujourd'hui confirmée.

    Tiré d'un spectacle à succès de Broadway, le film nous montre la rencontre et la brève liaison, dans le Berlin de 1931, entre Sally Bowles, chanteuse américaine délurée, et Brian Roberts, professeur d'anglais introverti. Autour d'eux gravitent un jeune arriviste, un riche industriel, une juive de grande famille. Le récit est scandé par les numéros du Kit-Kat Club, cabaret dont Sally est la vedette, aux côtés d'un mystérieux et étourdissant maître de cérémonie. Tout cela se passe au moment où les Nazis commencent à étendre leur influence sur tout le pays.

    Avec ce film, Bob Fosse bouscule le musical classique par deux coups d'épaule : les numéro musicaux assument une certaine vulgarité et ils baignent dans un contexte historique précis et dramatique. Ces séquences font toutes partie du spectacle du Kit-Kat Club; le problème de la transition parlé-chanté ne se pose donc pas. Fosse modernise tout cela par le montage, les cadrages en contre-plongée (point de vue du spectateur du premier rang), la mobilité de la caméra et les focales utilisées (ruptures, effets grossissants : certains plans lors du show semblent sortis du cinéma de Kubrick ou de Fellini). La mise en scène, de ce point de vue est bluffante, même si les promesses des deux extraordinaires premiers numéros (l'introduction sur le fameux morceau-titre et le bouillant Mein Herrde Liza Minnelli) ne sont pas toujours tenues par la suite.

    Pour tout ce qui se passe en dehors du cabaret, l'intérêt est loin d'être le même. Au niveau de l'esthétique, l'image cède à la mode des années 70 de traiter toute histoire se situant entre la Belle époque et la guerre de 40 à grands coups de flous artistiques et de sources lumineuses à la diffusion irréelle. Les intrigues amoureuses, qui se traînent en longueur à force de pudeur, sont ainsi enjolivées. Certes, cette joliesse s'oppose à l'agressivité des numéros musicaux, ainsi chargés de commenter ce que les protagonistes, dans leur bulle, ne veulent pas voir : la réalité d'une société moribonde et l'arrivée d'un fléau. Le problème est que la montée du nazisme est montrée de façon bien conventionnelle. Une scène assez démagogique nous montre un charmant blondinet entonnant un chant nazi lors d'une fête de village. Tous les convives finissent par reprendre en coeur, debout, exaltés. Tous sauf nos trois héros, qui font quand même mine de s'inquiéter un peu en repartant. L'autre approche est celle, parfois impressionnante mais rabattue depuis le chef d'oeuvre que fût Les damnésde Visconti (en 1969) : la description d'une société décadente, allant à sa perte, peuplée de vivants aux masques de mort et laissant le chemin ouvert à Hitler et ses hommes.

    Film ambitieux, bénéficiant de la présence et de la gouaille de Liza Minnelli et de l'inquiétante figure de Joel Grey en maître de cérémonie démiurge (et d'une bonne interprétation de Michael York), Cabaret n'est donc pas sans défauts, comme l'est All that jazz. Le meilleur film de Bob Fosse reste, définitivement, le non-musical Lenny.

  • Serpico

    (Sidney Lumet / Etats-Unis / 1973)

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    1004846913.jpgHistoire vraie traitée à chaud quelques mois seulement après son épilogue, décision du producteur Dino De Laurentiis de changer de réalisateur juste avant le tournage, plan de travail serré (Al Pacino devant impérativement partir à une date précise pour retrouver l'équipe du deuxième Parrain)... Et ben, vu le résultat, y'a pas à dire, i'sont forts ces Ricains.

    Frank Serpico est un jeune flic new yorkais doublement atypique : d'une part, il a un look, un mode de vie et un état d'esprit proches de ceux des gens de la rue, meilleur moyen pour lui de passer inaperçu et de mener à bien ses enquêtes, et d'autre part, il refuse toute corruption. Son apparence et ses méthodes ne lui valent pas que des amis, mais tous sont forcés de reconnaître son efficacité. En revanche, son honnêteté infaillible et sa volonté de dénoncer la gangrène s'étant installée au sein de toute la police de la ville provoquent ses mutations incessantes puis des menaces de plus en plus précises.

    Serpicosuit fidèlement le parcours semé d'embûches de son héros réel. Le film de Lumet se pose peu la question du genre. Il s'agit non pas de suivre une enquête policière, mais d'observer une succession d'étapes répétitives : Frank Serpico débarque dans une équipe, se rend compte des magouilles qui s'y développent, décide, lorsque la mise à l'écart et la pression subie sont trop fortes, d'en référer à une autorité quelconque, et attend désespérément une décision d'en haut. Quels que soient le niveau de l'échelle et le chemin choisi, les mêmes maux reviennent. L'ultime solution sera de contacter des journalistes du Times. Le scandale pourra éclater... sans que rien ne change vraiment.

    En ce début des années 70, l'époque était aux policiers vengeurs, type Charles Bronson, n'hésitant ni à franchir allègrement les limites de la loi, ni à faire de leurs enquêtes des affaires personnelles au-delà de la morale. Si Serpico n'a rien à voir avec ce type de flic, le film n'en fait pas pour autant un chevalier blanc exemplaire. L'homme est sûr de lui, solitaire et individualiste, et son idéalisme tient de l'obsession, quasiment de la maladie. Face à lui, les autres personnages de policiers ne sont jamais développés. C'est qu'ils ne sont pas là pour établir un catalogue des problèmes à régler, mais pour éclairer en retour le personnage central. Dans bien des films de ce genre, on retrouve des idéalistes luttant ainsi jusqu'à voir leur vie privée mise en danger. Celle de Serpico se fissure également, mais celui-ci est dès le début présenté comme virevoltant, libre de toute attache. Les compagnes ne le restent jamais très longtemps et le cliché est balayé.

    Si le vrai Frank Serpico, le scénario et l'interprétation d'Al Pacino (*) rendent ainsi aussi passionnant le personnage, il ne faut pas oublier le travail de Sidney Lumet. Aidé par les mutations multiples de son héros, d'un commissariat à un autre, le cinéaste nous montre New-York sous tous ses aspects. Sur les toits, dans les rues, dans chaque quartier se ressentent les pulsations de la ville. Le regard documentaire n'est pas synonyme de platitude, ni dans l'image, ni dans le rythme. Par un montage brut, les plans démarrent toujours avec des corps en mouvements : jamais, contrairement à certaines tentatives françaises, nous n'avons l'impression que le mot "Action" vient tout juste de retentir pour faire bouger l'acteur et le faire réciter un texte. Le résultat est 130 minutes d'une temporalité indécise dans le récit, mais jamais ennuyeuse pour nous.

    Le duo Lumet-Pacino sera bien sûr reconstitué deux ans plus tard pour Un après-midi de chien. A nouveau sur la base de faits réels, le film sera encore supérieur à Serpico, par son resserrement, sa tension et le génie de l'acteur, ne se cachant plus sous la barbe ou le chapeau hippie, mais comme mis à nu.

     

    (*) Si l'on en croit certains sur le net, Serpicoserait le "premier grand rôle d'Al Pacino". Il n'est donc pas inutile de rappeler que, même si l'on considère que le premier Parrain(1972) repose beaucoup sur Marlon Brando, c'est en tête d'affiche de l'excellent Panique à Needle Parkde Jerry Schatzberg, en 1971, que Pacino se révéla. 

  • Ouvre les yeux

    (Alejandro Amenabar / Espagne / 1997)

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    1282859453.jpgJ'ai pas tout compris mais c'est pas désagréable.

    Ne comptez pas sur moi pour mettre à plat l'intrigue d'Ouvre les yeux (Abre los ojos), second long-métrage d'Alejandro Amenabar, du moins pour sa deuxième partie. Le jeune, riche et dynamique César tombe amoureux de Sofia. Spécialiste des aventures d'une nuit, il est d'autant plus déboussolé que sa dernière conquête, Nuria, s'accroche péniblement à lui. Sa vie bascule lorsque celle-ci l'entraîne dans une virée suicidaire en voiture. Elle meurt, lui est défiguré. Tout cela est très clair, sauf que ce début de récit est conté par César, affublé d'un étrange masque, prostré dans la cellule d'un asile psychiatrique et accusé de meurtre. Pour le reste (changements d'identité, morts qui reviennent à la vie, démiurge tirant les ficelles...), bornons-nous à écrire que la confusion entre rêve et réalité sera maintenue jusqu'à la fin.

    Ouvre les yeuxdémarre dans l'eau de rose en décrivant la naissance de l'amour entre César et Sofia. Son loft à lui est immense et moderne, son appartement à elle est encombré et poétique. Eduardo Noriega et Penélope Cruz sont charmants, lisses. Heureusement, cette vision de sitcom, Amenabar va s'ingénier à la fissurer, tel le visage de son héros, par l'irruption du fantastique (puis de la science-fiction). Certes, ce ne sont pas des abysses lynchiens qui s'ouvrent sous nos pieds, mais le virage vers le film de genre nous soulage. En prenant un tel chemin, les références ne tardent pas à se bousculer. Parmi les plus évidentes, explicitées ou non : Le fantôme de l'Opéra, les thrillers de DePalma, Vertigo... Celles-ci sont assez bien intégrées, ne pesant pas trop sur le film, qui parvient à tenir une ligne personnelle.

    Culminant lors d'une belle scène de boîte de nuit où la monstruosité du nouveau visage de César n'apparaît que par intermittences selon les lumières des spots ou l'état de conscience des autres, le jeu autour de la beauté physique n'est qu'une donnée du scénario comme une autre. On nous épargne donc avec bonheur le discours sur la différence et sur la grandeur de l'âme au delà des apparences.

    Amenabar use parfois d'effets voyants (un court plan vu de derrière le masque de César : mouais, bof...), mais sans débauche numérique. Son histoire charrie son lot d'arbitraire qui ne donne pas forcément l'envie de remonter le fil dans le sens inverse, une fois la fin arrivée. Toutefois, le "n'importe quoi" a ici suffisamment de saveur pour ne pas nous laisser dans l'indifférence. Évidemment, ce serait un peu fort de parler de vertige ou d'émotion forte mais, à l'image d'autres films un peu clinquants, un peu vains, tels Sixième sens ou Memento, cela se laisse voir. Et puis rappelons qu'Amenabar haussera sérieusement son niveau de jeu trois ans plus tard avec Les autres.

  • Le petit lieutenant

    (Xavier Beauvois / France / 2005)

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    142940381.jpgAvec Le petit lieutenant, Xavier Beauvois tente de faire une photographie de la police au travail, comme Tavernier le fit en 1992 avec L.627. En suivant un jeune diplômé qui débarque dans une brigade criminelle à Paris et en filmant son quotidien, le cinéaste s'est voulu au plus près de la réalité. Or, première incongruité dans cette optique, il ne distribue dans les rôles de policiers que des visages connus. Cette équipe est donc composée de Nathalie Baye, Jalil Lespert, Roschdy Zem, Antoine Chapey et Beauvois lui-même. On peut ajouter Jaques Perrin en juge. Inutile de dire que, malgré le savoir-faire de chacun, l'effet de réel recherché en prend déjà un coup.

    Pour mieux faire passer la pilule du didactisme, le cinéaste nous fait partager le regard du nouvel arrivant sur ce petit monde. Le problème, c'est qu'il veut absolument tout traiter, tout dire. Nous avons donc un catalogue de personnages (Beauvois, fidèle à son image de rebelle du cinéma français s'est réservé le rôle le plus réac et le plus violent) et de situations reflétant toutes les contradictions qui tiraillent la profession. Donc : Les flics boivent, mais pas toujours; il y a des cons, mais d'autres respectent les lois de la République; c'est pas facile d'entrer dans la police quand on est d'origine maghrébine, quoique ça dépend dans quelle brigade tu te retrouves. Bref, comme le dit l'autre dans sa chanson : "Y'en a des bien". C'est sans doute cette volonté d'exhaustivité qui fit écrire à certains que Beauvois avait réalisé là un grand film humaniste.

    L'autre terme retrouvé dans bien des critiques était "regard documentaire". Il est vrai que l'accent est mis sur la routine et que le fil conducteur est une enquète plutôt banale (le point de départ en est le meurtre d'un SDF). L'intention est louable mais la mise en scène a vraiment du mal à suivre. Neutralité de l'image, cadrages passe-partout, dialogues parsemés de répliques qui font mouche ("On nous a filé le fils de Colombo !") bien surlignées par le découpage hyper-classique : la différence avec un téléfilm ne saute pas vraiment aux yeux. On est loin d'une interrogation du réel. Autre aspect désagréable : les blagues de bureau. Chacun, quelque soit son activité, doit connaître ça, pas toujours fier de ses rires. Alors les voir sur un écran... La scène du pétard fumé dans la rue par Baye et Lespert, qui se termine de façon très prévisible par la sympathique mise en garde du jeune homme ayant tiré une taffe avec eux, m'évoque exactement ça : ces moments professionnels et comiques que l'on se remémore entre collègues jusqu'à l'overdose. De plus, quand Beauvois sort du documentaire, c'est pour faire de la bonne vieille psychologie. Car la patronne, alcoolique repentie, retrouve dans le petit lieutenant son fils disparu très tôt.

    La barque est donc sacrément chargée. Qu'est-ce qui l'empêche, selon moi, de couler complètement ? Tout d'abord mon attachement à Jalil Lespert, acteur que j'ai toujours trouvé très intéressant, arrivant dans chacun de ses rôles (chez Cantet, Guédiguian, Resnais) à dépasser son apparente lourdeur. Ensuite, ce changement de point de vue inattendu, au milieu du récit. Procédé toujours intriguant, même si il n'est pas ici totalement assumé. Et enfin trois instants de violence éclatants sans prévenir : deux actes sanglants brutaux et anti-spectaculaires, à l'arme blanche, puis par balles, et un coup de fil annonciateur du pire (un plan qui dure un peu plus que les autres, le temps de nous laisser nous demander pourquoi, avant de laisser tomber le couperet).

    PS : Le Dr Orlof a été plus rapide que moi à dégainer. Allez donc lire son avis (pas plus enthousiaste).

  • La chute de la Maison Usher

    (Roger Corman / Etats-Unis / 1960)

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    1403213053.jpgVoici ma première rencontre, longtemps attendue, avec Roger Corman. Ses propres films étant peu diffusés, son nom semble aujourd'hui évoquer plus un type de production et un statut de "parrain" de jeunes talents qui débutèrent chez lui (Scorsese, Coppola, Hellman, Demme, Dante...) qu'une oeuvre de cinéaste. Celle-ci est pourtant pléthorique, comptant plus de cinquante longs-métrages de 1955 à 1971 (puis plus une seule mise en scène jusqu'à un Frankenstein, en 1990). Comme l'ensemble de ses productions, l'éclectisme caractérise ces films : westerns, policiers, musicals. Toutefois, sa réputation s'est faîte essentiellement sur le fantastique. Sur ce point, parmi bien d'autres, son aventure peut se comparer à celle des productions Hammer qui faisaient dans le même temps les beaux jours du cinéma britannique.

    La chute de la Maison Usher (House of Usher) est la première d'une longue série d'adaptations d'Edgar Poe (suivront en particulier : Le puits et le pendule, L'enterrement prématuré, Le corbeau, Le masque de la mort rouge, La tombe de Ligeia... titres qui font rêver). La totalité du film se déroule dans la demeure des Usher. Le jeune Philip Winthrop vient y chercher Madeline, qu'il a connu à Boston et avec qui il doit se marier. Mais Madeline semble sous l'emprise de son frère Roderick. Tous deux se disent victimes d'une malédiction pesant sur tous les membres de la famille Usher et les contraignant à attendre la mort dans leur château. Philip, refusant toute idée de demeure ou de lignée maléfique, cherche donc à quitter l'endroit avec Madeline.

    La première qualité du film est picturale. De très beaux mouvements d'appareil nous accompagnent dans la découverte de ce funeste endroit. Corman place dans son décor des tentures, costumes ou verres d'un rouge éclatant, comme autant de lacérations du cadre. L'apparition soudaine de Roderick avec sa veste écarlate en est la première manifestation et des ongles ensanglantés en sont l'une des dernières, en toute logique. La maison des Usher est vivante et nous le sentons parfaitement.

    Avec le domestique, seuls quatre personnages prennent part au récit (si l'on excepte le cauchemar de Philip dans lequel une assemblée vampirique me fit penser à la fois aux morts-vivants de Romero et à la cérémonie de Rosemary's baby). Le jeune premier, Mark Damon, a un physique original mais son jeu l'est moins. Madeline est interprétée par Myrna Fahey, qui finit mal en point mais en nuisette bien sûr, ce qui est très bien. Vincent Price, impérial, n'a donc aucun mal à dominer l'ensemble, lui qui, dans toute la première partie, se retient magnifiquement, ne laissant que son sourcil se mettre de temps à autre en accent circonflexe.

    Corman et son scénariste (Richard Matheson) ont eu l'intelligence de laisser la porte ouverte à plusieurs interprétations des faits : l'explication surnaturelle, la folie contagieuse ou la simple manipulation. Malheureusement, le dénouement, si satisfaisant par son pessimisme, ne convainc pas vraiment en terme de mise en scène. Ici, Corman, faute de moyens, n'arrive pas à trouver le moyen détourné de faire ressentir l'ampleur de la catastrophe, alors qu'il avait jusque là plutôt bien réussi à filmer les prémisses de la terreur.

  • Don't come knocking

    (Wim Wenders / Etats-Unis / 2005)

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    827706905.jpgLa semaine dernière, je posais la question "Êtes-vous Wendersien ?". Or il se trouve que Arte a diffusé ce jeudi soir Don't come knockingqui, présenté à Cannes en 2005 était passé chez pas mal de gens pour le film du grand retour du cinéaste. Cependant, j'ai du mal à écrire que le hasard fait bien les choses tant ces deux heures de chromos furent pénibles pour moi. Je n'en appellerai pas cruellement au passé de Wenders. Je n'utiliserai pas non plus l'ironie pour le démonter (bien que ce Ne viens pas faire toc-toc le mériterait). Je me bornerai à dire calmement quel mauvais film nous avons là.

    Dès le départ, avec ce cow-boy qui s'échappe à cheval d'un tournage en plein désert, on sent que ça ne va pas aller : ces images léchées, ce portait rabattu d'une équipe de cinéma au travail, ces silhouettes stéréotypées, cet humour qui se force à paraître incongru... Le premier quart d'heure est une catastrophe et les choses ne s'arrangent guère par la suite. La faute en incombe autant à Wenders qu'à Sam Shepard qui signe un scénario sans intérêt particulier et qui joue sur une seule note son rôle d'acteur vieillissant. Ce Howard Spence, ancienne gloire revenue de tous les excès, décide de tout plaquer, de se délester de son attirail de cow boy de pacotille et de ses cartes de crédit. Et tout ça pour quoi ? Pour aller voir sa mère, laquelle était restée sans nouvelle de lui depuis trente ans. Celle-ci en profite pour lui annoncer qu'il est père depuis longtemps. Il se dirige donc vers le Montana à la rencontre de son fils et de la femme qu'il a aimé brièvement, des années auparavant.

    Si cette quête relance un tantinet la machine, l'émotion qu'elle est censée provoquer, grâce aux retrouvailles à l'écran de Sam Shepard et Jessica Lange, n'advient jamais. Certaines scènes sont d'ailleurs assez pathétiques puisque Wenders cherche à jouer sur plusieurs tableaux (voir la crise que pique Jessica Lange dans la rue, en disant à Shepard ses quatre vérités... le tout sous les yeux de deux culturistes en train de faire leur gym). C'est que le cinéaste veut faire un film décalé. Mais si Wenders était le roi de la rigolade, ça se saurait. Toutes ses tentatives tombent à plat et les seules qui marchent un petit peu (comme le personnage mono-maniaque de détective pour assurances, joué par Tim Roth) semblent copiées sur l'absurde de Lynch ou des frères Coen.

    Tout est enrobé de nostalgie, rien n'a de prise sur une quelconque réalité. Nous n'avons qu'une série de vignettes décalées, où la mise en scène se réduit à des touches bariolées, humoristico-poético-gnan-gnan, dénuées de toute rigueur dans la narration ou les dialogues, du niveau disons d'un Klapisch ou d'un Besson période Subway. Le regard porté sur les plus jeunes a la couleur de la guimauve (passant par exemple totalement à côté du potentiel émotionnel et énigmatique que portait le personnage angélique interprété par Sarah Polley).

    D'accord, Wim Wenders sait encore comment bien placer deux ou trois accords de guitare pour amorcer une séquence, filmer un batiment dans un cadrage-hommage à Hopper ou faire ressentir l'agressivité lumineuse d'un casino, mais cela s'arrête là. Ah si, Don't come knocking a pour moi un avantage : me rappeler combien était agréable la balade sur le même thème paternel du Broken flowersde Jarmusch (héritier officiel de Wenders) et me faire dire que finalement le récent voyage au pays des néons proposé par Wong Kar-wai (héritier officieux) dans My blueberry nights n'était pas si mal.

  • Shine a light

    (Martin Scorsese / Etats-Unis / 2008)

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    42365756.jpg"C'est un cliché, mais les sixties n'ont vraiment pris fin qu'au début des seventies. Je me rappelle avoir faitExile on main street en France et aux Etats-Unis, puis être parti en tournée, très content de moi, en me disant : "On est en 1972. Merde. On a tout fait." Après ça, on a quand même continué, mais je ne pense pas que les résultats aient été aussi géniaux." (Propos de Mick Jagger à Nick Kent, repris dans le livre de ce dernier : L'envers du rock)

    Pourquoi filmer les Rolling Stones en concert aujourd'hui ?, se demande-t-on avant, pendant et après la projection de Shine a light. Sûr que Martin Scorsese, n'a pas dû trop vouloir se poser la question, tout heureux qu'il fut sans doute de pouvoir enfin capter le groupe dont les morceaux déboulent inlassablement dans chacune de ses chroniques de la vie urbaine, et ce depuis Mean streets. Il a eu la bonne idée de démarrer son documentaire sur l'accumulation comique des contretemps stressants provoqués par les caprices de la diva Mick Jagger (qui renâcle à l'idée d'avoir autant de caméras braquées sur son groupe, qui retarde au maximum la révélation de la set list etc...). Le montage tire le tout vers l'absurde et rend cette mise en bouche très agréable (Scorsese surjoue un peu la panique tout de même). On pourrait ainsi rêver à un Lost in La Manchaconsacré à un spectacle des Stones qui partirai en vrille. Mais le jeu s'arrête avec le début du show.

    Au cours de celui-ci s'intègrent, entre les morceaux, quelques images d'archives souvent fascinantes, mais qui, au fur et à mesure, ne semblent être là que pour interroger inlassablement le mystère de la longévité et de la vigueur éternelle du groupe. Pour ce qui est de la captation de la soirée proprement dite, Scorsese veut, comme les Stones, en mettre plein la vue, au risque de brasser de l'air pour rien : une grue, une bonne quinzaine de caméras (et la désagréable impression qu'elles ne sont braquées que sur Jagger). Le réalisateur n'est pas le dernier des manchots, mais on aimerait un découpage moins épileptique, histoire de poser un peu notre regard sur un musicien plus de quatre secondes. Autre bizarrerie, au niveau sonore, le mixage use d'un effet particulier : placer soudain très haut le son de l'instrument qui est à l'image. Cela met parfois à mal la fluidité musicale et provoque une sensation étrange, très éloignée de la réception que l'on a de la musique en assistant à un concert. Bref, malgré le stress initial, Scorsese a pu déployer sa technique, bien servi par le cadre restreint de cette petite salle new-yorkaise.

    C'est ici qu'il faut dire un mot du contexte. Apparemment, le concert se fait ce soir-là au profit d'une fondation gérée par les Clinton. Bill et Hillary sont donc présents, avec tous leurs invités, râââvis de serrer la main de chacun des vieux rockers et de se faire prendre en photo à leurs côtés. On retarde même un peu l'ouverture des hostilités parce que la maman d'Hillary n'est pas encore arrivée. Bien sûr, on sent la joie ironique de Scorsese à nous montrer toutes ces saynètes. En tout cas, inutile de dire que dans ces conditions, Jagger a dû être le seul à pouvoir rentrer avec des baskets aux pieds. Comme dans les années 60, les femmes sont au premier rang, mais le gling-glingdes bracelets et des Rollex couvre maintenant les cris aigus. Avec un tel public ("You are fantastic !", "I love you" leur lance souvent Jagger, trop cool), qui scande parfaitement les "Hou-Hou... Hou-Hou..." de Sympathy for the Devilet met la même application à fêter l'événement que l'assistance chaude-bouillante-téléguidée des émissions télé d'Arthur, les Rolling Stones ne risquent certes pas se laisser dépasser par les événements comme à Altamont en 69 (voir le bon documentaire des frères Maysles, Gimme shelter, qui revient sur ce fameux concert où, dans un climat de grande violence, un membre du service d'ordre Hell's Angels poignarda à mort un spectateur sous le nez de Jagger et sous l'oeil des caméras).

    Malgré tout cela, on doit aller dénicher la petite étincelle, le petite flamme qui brûle encore au fond des yeux (au fond du portefeuille aussi). Elle subsiste plus facilement dans le détachement de Charlie Watts, Ron Wood ou Keith Richards, magnifique Pirate des Caraïbes plein d'auto-dérision, que dans le cirque de Mick Jagger. Il faut qu'une guitare l'oblige à rester derrière son pied de micro pour qu'il oublie son cours d'aerobic et qu'il nous livre un peu d'essence pure de rock.

    Si l'on se penche sur la musique elle-même, on va du très bon au très mauvais, en passant par le banal. Le délicat As tears go by se transforme en slow à gros sabots. La montée vers la transe de Sympathy for the Devil devient un morceau sans forme qui s'abîme dans les gesticulations et les petits cris du chanteur. Live with meest massacrée en duo par Jagger et Christina Aguilera (- Christina qui ? - Christina Aguilera, une sorte de Céline Dion rock'n'roll FM). En rappel, la routine, trop bien huilée : Brown sugar ("Yeah! Yeah! Hou!" reprennent en coeur les rebelles du premier rang) et pour finir, allez, devinez... cherchez bien... encore quelques secondes... Oui, gagné ! C'est bien (I can't get no) Satisfaction. Quelle surprise ! Du coup, les bons moments, car il y en a quelques uns, il faut les chercher là où on ne les attend pas forcément. Deux invités supplémentaires, d'un autre calibre que la donzelle pré-citée, poussent Jagger à se concentrer enfin sur autre chose que ses sauts de cabri et ses déhanchements : le génial Jack White (des White Stripes et, occasionnellement, des Raconteurs) sur un très beau Loving cupet l'impressionnant Buddy Guy (72 ans) sur Champagne and reefer, blues chargé d'électricité. Keith Richards a, comme d'habitude, le droit au micro pour une poignée de morceaux. Moins bon chanteur que son acolyte, il n'en dégage que plus d'émotion sur Connection et surtout You got the silver. Pour ne pas finir trop injustement avec Jagger, signalons la merveilleuse country de Faraway eyes et un Some girls nerveux, soutenu par trois guitares tendues comme un string.

    Quand je suis sorti de la salle de cinéma, personne n'avait cassé de fauteuil.

  • El Perdido

    (Robert Aldrich / Etats-Unis / 1961)

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    1207096873.jpgUn bon Aldrich, auquel le scénario de Dalton Trumbo donne un air de tragédie classique. Bren O'Malley (Kirk Douglas) arrive dans le ranch mexicain de son ancienne maîtresse Belle Breckenridge (Dorothy Malone), mariée à un éleveur qui a déjà un pied dans la tombe (Joseph Cotten). O'Malley est poursuivi depuis la frontière par Stribling (Rock Hudson) qui veut le livrer à la justice pour le meurtre de son beau-frère et la mort indirecte de sa soeur. Ils se retrouvent et, suite à leur embauche par Breckenridge pour convoyer, tous ensemble, ses 1000 têtes de bétail jusqu'au Texas, ils passent un accord : une fois passés en Amérique, ils régleront leurs comptes. Aux dangers extérieurs attendus (bandits, indiens...) pendant le périple, s'ajoute la complication des relations dans le petit groupe qui inclut Belle et sa fille Melissa (Carol Lynley), autour desquelles tournent les deux hommes. Leur estime mutuelle naissante n'empêchera pas l'affrontement final au coucher du soleil.

    On le voit, El Perdido (The last sunset) met tout de suite en place des enjeux dramatiques très forts, portés par des personnages au lourd passé (enjeux auxquels viendra s'ajouter un autre dilemme sur la fin, dont je ne dirai rien sinon qu'il pousse O'Malley dans une voie sans issue). Pour certains spectateurs, l'accumulation peut gêner et faire prendre à quelques ingrédients la couleur du cliché (comme l'a ressenti ma voisine de canapé). Mais c'est qu'en ces temps-là, ma bonne dame, la vie était rude, les expressions directes et les passions exacerbées. La réussite du film tient essentiellement dans la capacité qu'a Aldrich d'inscrire et de prolonger ces éléments purement scénaristiques dans sa mise en scène. Il fait preuve dans El Perdido, du générique du début jusqu'au dernier plan où "The end" s'inscrit dans un coin de l'écran, d'un sens de la composition confondant. Sa science de l'espace et la façon qu'il a de placer ses comédiens dans le plan impressionnent : lignes de fuite, visages en enfilade ou côte à côte (surtout ceux de Malone et Lynley, mère et fille très crédibles). La circulation ne cesse de se faire entre chaque personnage, par duo, trio ou quatuor, mais plus que la ronde, c'est plutôt la ligne droite qui soutient la construction visuelle de ce film basé sur un trajet : dans la séquence de l'attaque redoutée des indiens, les chariots sont regroupés au centre du troupeau, mais au lieu d'avoir l'encerclement habituel, nous avons deux files d'assaillants qui fendent le groupe de bovins pour en prélever une partie, compensation qui évite l'affrontement.

    Les rôles sont distribués sans surprise mais très efficacement. Kirk Douglas, par son jeu au bord du cabotinage, est un tueur-poète idéal. Rock Hudson, qui n'est pas le plus fin ni le plus vif des acteurs fait un cow-boy frustre très acceptable (qui n'attend pas que le corps de Breckenridge soit refroidi pour dire à Belle qu'il veut l'épouser). Dorothy Malone fait passer par ses grands yeux bleus et ronds toutes les fêlures possibles de la vie et Carol Lynley a de charmants airs de Sue Lyon ou Caroll Baker. Morceau de bravoure du film, le duel final annonce Leone. Son étirement, son montage de plus en plus court, ses brusques variations d'échelles de plans et l'escamotage du tir décisif, qui prolonge le suspense en différant de plusieurs secondes la révélation à nos yeux du résultat, tous ces effets ne sont pas indignes des meilleurs moments du grand Sergio.