Deuxième visite du Paranoid Parkde Gus Van Sant, un an après la première, et quelques réflexions complémentaires (croisant certaines pistes explorées dans un intéressant bonus dvd par Luc Lagier) :
L'écrit
Le premier plan du film, hors générique, montre la main d'Alex écrivant les mots "Paranoid Park" sur son cahier. Tout ce qui suit est donc un récit raconté par l'adolescent. Seulement, Gus Van Sant ne donne pas à voir son illustration mais sa construction, épousant le cheminement de la pensée de son protagoniste et son propre travail de remise en ordre des événements. Le processus d'écriture passe par des reprises, des ratures, des retours en arrière, des recommencements. La mise en scène reprend tout cela à son compte. Ici, le flash-back est un geste qui équivaut à l'arrachage d'une page de cahier.
Le flou
La caméra focalise régulièrement sur Alex en laissant les arrière-plans dans le flou. Cela est entendu, nous sommes dans la tête du personnage. Mais quel est ce fond ? Quels sont les lieux traités ainsi, de la manière la plus ostensible ? L'environnement scolaire, la cellule familiale (éclatée) et le centre commercial. Le procédé traduit certainement la difficulté d'appréhender le monde, il est moins sûr qu'il induise une condamnation envers des environnements qui pourraient être perçus comme aliénants. Les films de Gus Van Sant ne cessent de prouver son absence de moralisme. Ces cadres dans lesquels vit Alex ne sont ni bons ni mauvais, juste présents.
Les bruits
Dans ce monde qui s'est disloqué, il faut aussi remettre de l'ordre dans ce que l'on perçoit auditivement. Comme les images, le son saute, comme on le dit d'une chaîne de vélo. Dans la voiture que conduit Alex, l'autoradio passe sans transition d'un style de musique à un autre (hip hop / classique / rock). Plus tard, les choix de mise en scène pour la séquence de l'accident débouchent sur quelques incongruités sonores : la beauté de la musique s'oppose à l'horreur de l'image et aucun cri n'est entendu. Comme le démontre Luc Lagier dans son petit essai, la synchronisation de tous les éléments narratifs ne sera effective qu'avec l'apaisement d'Alex et la chanson d'Elliott Smith trouvera, elle, sa place, épousant parfaitement les images du dénouement.
Le rythme
Dans Paranoid Park, Van Sant ne cesse de varier les vitesses. Si celles-ci ont du mal à s'accorder dans l'espace mental d'Alex, c'est qu'il n'est pas prêt. D'après ses propres mots, il n'est pas prêt non plus pour se lancer dans l'arène au milieu des skateurs. Il reste donc sur le bord de la piste, assis sur sa planche. Le cinéaste le filme de dos regardant les autres : deux vitesses différentes dans le cadre. Au final, c'est bien son amie Macy qui, en le laissant s'accrocher à son vélo, l'aidera à trouver son rythme. Et enfin dans le plan, deux vitesses s'accordent.
L'accord parfait
Quand Alex est avec sa girlfriend Jennifer, quelque chose manque toujours : soit l'image est floue (dans le couloir du collège), soit le son manque (lors de la séparation), soit les longs cheveux font écran (lors de la scène d'amour). En revanche, avec Macy, dès le départ, les choses sont claires. Les sujets abordés sont précis. La compréhension est immédiate ("Quelque chose t'est arrivé") et la complicité évidente. Rien de plus beau au cinéma que deux trajectoires qui se rejoignent, dévoilant enfin quelques certitudes au milieu du chaos du monde.

Entre les murstire sa force de quelques parti-pris intelligents. Pendant les deux heures de projection, jamais nous ne sortons du collège Dolto et si de brèves incursions en salle des profs, dans le bureau du directeur ou dans la cour, nous sont autorisées, c'est bien dans la classe de 4ème, pendant les cours de François Martin (aliasFrançois Bégaudeau), que nous revenons incessamment. Le film débute le jour de la rentrée et se termine à la veille des vacances d'été, balayant ainsi une année scolaire, mais sans apporter de repère temporel particulier entre ces deux bornes. Le récit progresse par blocs de longues séquences, laissant entre chacune d'importantes ellipses, particulièrement reposantes (par exemple, celle qui ne nous explique pas comment ni pourquoi Khoumba revient sur sa décision de ne plus adresser la parole au prof). Travailler ainsi sur la durée permet de laisser les discussions se dérouler dans toute leur complexité et de ne pas mettre en valeur artificiellement les bons mots et les répliques saillantes.
Découverte totale que cette Mademoiselle Else (Fräulein Else) dont seul, au générique, le nom de Karl Freund à la photographie ne m'était pas inconnu. Paul Czinner, né austro-hongrois et réalisateur d'une vingtaine d'opus des années 20 aux années 60, signe là un très beau drame mondain, tiré de l'oeuvre d'Arthur Schnitzler (qui n'eut donc à attendre ni Ophuls ni Kubrick pour être adapté brillamment).
Les démons de la liberté est un film de prison. La Brute forcedu titre original, c'est celle qu'applique le surveillant en chef, le capitaine Munsey. Dans un mouvement progressiste, Jules Dassin se place résolument du côté des prisonniers, sur lesquels aucun jugement moral n'est porté. La surpopulation carcérale et le tout-répressif sont dénoncés. Richard Brooks, futur cinéaste engagé, signe le scénario.
Classique du muet hollywoodien, Notre-Dame de Paris (The hunchback of Notre Dame) accuse lourdement ses 85 ans. Si l'adaptation du roman de Victor Hugo est l'occasion d'un travail technique consciencieux au niveau des décors et de la photographie, on ne peut pas dire que la mise en scène de Wallace Worsley se signale de manière particulière. La caméra reste désespéremment statique. De rares plongées vertigineuses sur le parvis de Notre-Dame rompent heureusement ce faux-rythme visuel. La plus belle montre Quasimodo se laisser glisser le long d'une corde jusqu'à Esmeralda, ligotée devant la porte de la cathédrale. De même, sur la fin, un beau plan très bref recourt enfin à la profondeur de champ quand Jehan sort de l'ombre pour se jeter sur la jeune femme.
Le documentaire-portrait de musicien est un genre qui neuf fois sur dix ne véhicule que du commerce et de l'hagiographie. Matraqué par le marketing, le spectateur finit toujours plongé dans l'ennui si il n'aime pas l'artiste en question ou dans la déception si il en est un adepte. L'une des rares exceptions s'appelle No direction homeet cet éclairage du parcours de Bob Dylan, de sa jeunesse jusqu'en 1966, nous le devons à ce diable de Martin Scorsese.
- Ah non ! Tu ne vas pas encore commencer ta note en parlant de ta difficulté à écrire sur le cinéma de Desplechin, trois mois à peine après
Pour clôturer une semaine qui fut, la faute à Mike Leigh et à Christophe Honoré, particulièrement sinistre, cherchons un sujet qui redonnera le sourire. Cela fait plusieurs semaines que je me dis qu'il serait temps de faire découvrir au fiston l'oeuvre de Jacques Tati. Mais moi qui pensait trouver facilement les DVD, je me suis retrouvé le bec dans l'eau en parcourant tous les supermarchés culturels de la région. Pas un seul titre en rayon. Anciennes éditions épuisées, manque de demande ou politique du tout nouveauté ? Un peu des trois, je suppose. Il faudra donc que je passe par internet...
Soyons honnête. Même aux yeux du moins cinéphile des spectateurs, les films ne viennent pas au monde égaux. Chacun a beau se dire le plus éclectique du monde ou invariablement bon public, le jugement porté lors de la découverte d'une oeuvre nouvelle est toujours soumis aux lois de la probabilité. Ainsi, la probabilité que ma première rencontre avec le cinéma de Christophe Honoré se passe bien était assez faible, compte tenu de mes affinités avec certains critiques (ceux de Positif) ou certains bloggeurs qui n'ont jamais été tendres avec le cinéaste.
Quel étrange film que cet Allonsanfan, qui précède dans la filmographie des Taviani leur oeuvre la plus célèbre, Padre Padrone. Comme souvent chez eux, l'histoire italienne est vue à travers le prisme du conte. Les décors sont naturels, l'argument clairement situé dans le temps et l'espace, mais ce réalisme de départ est constamment perturbé par des éléments oniriques ou surnaturels. Si les Taviani procèdent par longues séquences, le rythme à l'intérieur de chacune est très heurté. La plupart des raccords sont particulièrement brutaux, ménageant ainsi constamment des surprises. Nombre de plans fixent le regard du héros, craintif ou étonné, joué par Marcello Mastroianni, pour enchaîner sur un contrechamp auquel rien ne nous prépare (par exemple, un gros plan de visage qui nous est inconnu). La mise en scène accumule ainsi les ruptures dans ses effets, aussi bien que dans les registres émotionnels. Une séquence peut passer du drame à la farce grotesque. Dans cet univers, tout peut donc arriver. Les hallucinations ont autant de réalité que le reste, les morts reviennent à la vie, les protagonistes se séparent puis se retrouvent nez à nez, où qu'ils aillent. La logique à l'oeuvre est celle du rêve et du cauchemar (autre élément tirant vers le fantastique et constitutif des réalisations italiennes de l'époque : le recours à la post-synchronisation, qui accentue les différences de niveau d'expression). Le film avance par a-coups et des longueurs y voisinent avec de très belles idées (la scène du repas avec la famille, la présence de la mer, la mort de Charlotte traitée en une ellipse brutale, la danse dans le repère des subversifs...).