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  • Le journal de David Holzman

    mcbride,etats-unis,documentaire,60s

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    (Dernière chronique dvd pour Kinok)

    A Joachim Lepastier

    et à Olivier Eyquem.

     

    Le journal de David Holzman est assurément un film précurseur et ce statut lui confère déjà une certaine valeur. Avant de découvrir cette œuvre rare et peu commentée depuis sa sortie en France en 1974 (soit sept ans après sa réalisation), il convient cependant de ne pas trop la fantasmer et de ne pas en attendre des choses qu'elle ne peut donner. Elle se présente sous la forme très directe d'un journal intime filmé. Mais David Holzman n'existe pas. Devant la caméra, l'acteur L. M. Kit Carson a endossé ce rôle, derrière, l'image a été réglée par Michael Wadleigh et la réalisation assurée par Jim McBride, débutant là une carrière dont la visibilité sera réelle dans les années quatre-vingt (A bout de souffle made in USA, The Big Easy, Great balls of fire). Le film est donc un précurseur dans ce genre très particulier qu'est le "documenteur".

    Pour que l'ambivalence joue à plein, les auteurs choisissant d'œuvrer dans ce cadre-là doivent être parfaitement dans leur époque et doivent avoir le nez collé sur la vitre pour regarder la réalité de leur temps. Pour que l'illusion soit préservée et que le spectateur soit habilement manipulé, il doivent s'approprier, plus ou moins délibérément, plus ou moins ironiquement, les formes artistiques privilégiées par l'époque. Le journal de David Holzman dialogue donc avant tout avec l'art de 1967. Il annonce moins qu'il ne récapitule et, tout précurseur qu'il soit, il renvoie plus vers l'arrière qu'il ne se projette vers le futur. David Holzman (le film comme le personnage) nous parle donc de Jean-Luc Godard ou de Vincente Minnelli et se lance à corps perdu dans une des aventures artistiques les plus courantes alors : le cinéma-direct (appelé encore cinéma-vérité). C'est donc en feignant de reprendre toutes les caractéristiques (économiques, techniques, narratives et morales) de ce cinéma-là que Jim McBride va le parodier dans le but de démontrer que non, contrairement à ce que put avancer Godard, le cinéma n'est pas la vérité 24 fois par seconde et que oui, dès qu'une caméra est braquée sur quelqu'un, la réalité en est changée.

    L'œuvre se présente sous l'apparence d'un assemblage de scènes arrachées à la (fausse) réalité. Le patchwork repose sur une alternance assez régulière entre les confessions de David Holzman ou de ses amis dans leurs appartements et les sorties de l'apprenti-cinéaste dans la rue. Une tendance assez marquée se dégage de cette construction narrative basée sur deux types de séquences : un air vivifiant circule dans les secondes (qui échappent à la recherche d'une signification) alors que les premières sont saturées de discours, qu'ils soient clairs ou balbutiants, directs ou indirects (le harcèlement, caméra au poing, par Holzman de sa petite amie). L'arsenal théorique tiré par la caravane du film plombe quelque peu celui-ci, l'étirement du temps des monologues accentuant cette impression. Malgré ce que laisse supposer le début de l'expérience, lorsque David Holzman nous présente ses amis le magnétophone Nagra et la caméra Eclair, la question de la fabrication, du "comment", est secondaire. Celle du "pourquoi" est un peu envahissante.

    Il ne faut pas non plus attendre du Journal de David Holzman une montée en puissance car nous nous trouvons là devant l'histoire d'un échec. Un échec sur toute la ligne. Le diariste à la caméra subit des contrariétés constantes car rien ni personne ne semble disposé à s'approcher de ce que lui croit pouvoir montrer de leur vérité. Enregistrant sans relâche, afin de mieux comprendre le monde, il ne peut que constater que celui-ci ne cesse de lui glisser entre les doigts. Cette série de désappointements provoque une certaine baisse de tension sur le plan du récit, mais elle véhicule, il faut le dire, un réel potentiel comique. De même, si le spectateur peut être désarçonné par cet évidement narratif, il se voit rattrapé par le col au moment de la conclusion, particulièrement astucieuse et cohérente.

    En elle même pas aussi troublante qu'attendu, l'œuvre le devient en fait un peu plus une fois mise en rapport avec la suivante, My girlfriend's wedding, deuxième film de McBride proposé ici en bonus par l'éditeur, avec beaucoup de pertinence. Mise en miroir devrait-on dire tant elle représente le double inversé du Journal, à tous les niveaux. Voici en effet un "vrai" documentaire dans lequel Jim McBride interroge sa compagne Clarissa sur sa vie passée, particulièrement chaotique, ses relations familiales, très difficiles, et ses aspirations, liées à une révolution moins politique que morale, avant de filmer son mariage... avec un autre homme que lui.

    Tourné plus vite encore que le premier, cet essai, en couleurs cette fois-ci, est d'une esthétique plus ingrate mais la façon dont est tissé le lien avec le spectateur est opposée. Si la longueur et la répétition des plans demandent toujours de s'accrocher sérieusement, l'attachement se fait peu à peu. Bien sûr, le fait que nous rencontrions là une personnalité d'exception donnant une tournure constamment inattendue à ses propos y est pour beaucoup mais on sent également, à travers les échanges et le regard du cinéaste, l'authenticité du rapport amoureux. Et si mystification il y a dans My girlfriend's wedding, elle n'est pas basée sur son mode de fabrication, mais, au-delà d'un titre que l'on peut considérer comme trompeur, sur l'un des sujets abordés, le mariage blanc.

    Ce passage par un cinéma dont McBride venait de souligner malicieusement les limites tout en en célébrant finalement l'existence ne laisse pas d'intriguer, comme le fait la suite de sa carrière, de sa fiction indépendante sur le péril atomique Glen and Randa (1971) à son activité pour la télévision durant les années quatre-vingt-dix, en passant bien sûr par ses estimables succès intermédiaires.

     

    mcbride,etats-unis,documentaire,60sLE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN (David Holzman's diary)

    MY GIRLFRIEND'S WEDDING

    de Jim McBride

    (Etats-Unis / 73 min, 61 min / 1967, 1969)

  • Memory Lane et le cinéma de Mikhaël Hers

    hers,france,2000s,2010s

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    (Cette chronique dvd est mon avant-dernière contribution pour Kinok, l'activité du site étant stoppée par son rédacteur en chef après huit ans d'efforts. C'est avec grand plaisir et avec fierté que, pendant trois ans, j'ai fait partie de l'équipe de rédaction, dans ce bel espace de cinéphilie.)

     

    Merci à Laurent Devanne

    et spéciale dédicace à Vincent Jourdan

     

    "Tu n'aimais rien autant que la légèreté de la pop"

    Ad Vitam publie ce double dvd. Memory Lane remplit la première galette alors que la seconde regroupe, en les nommant "bonus", les moyens métrages Charell, Primrose Hill et Montparnasse. L'éditeur ne nous entraîne donc pas à la découverte d'un film sorti en salles fin 2010 mais, en toute modestie, à la découverte d'un cinéaste.

    Dans tous ses films, Charell se tenant toutefois un peu à part, Mikhaël Hers s'intéresse à des groupes de jeunes gens vivant dans la banlieue Ouest de Paris, faisant leurs premiers pas hésitants dans la vie active, jouant, écoutant et parlant de musique et enfin, s'aimant. C'est si peu et beaucoup à la fois.

    Les récits ne prennent forment qu'à la suite de petites touches successives et ce qui frappe d'abord est la douceur des rapports décrits. Dans le moindre échange se remarque une attention rare à l'autre. Celle-ci ne ressemble cependant pas à une molle gentillesse. Non, cette attention soutenue fait au contraire que l'on imagine tout de suite la naissance, la continuation ou le souvenir d'un élan amoureux, quels que soient l'âge et le sexe des protagonistes en présence. Hers privilégiant toujours l'instant, le moment, les morceaux de vie, nous prenons les choses en cours de route. Par conséquent, l'impression première est, le plus souvent, fausse. Mais pas toujours. Primrose Hill nous mène ainsi vers une scène d'amour à laquelle nous assistons dans sa durée réelle. La frontalité et la franchise dont elle fait preuve ne sont pas inédites, loin de là, dans le cinéma contemporain, mais elle semble, de manière très originale, dénuée de toute espèce de provocation. C'est parce qu'elle est portée par le même rythme, le même flux que ce qui la précède. L'étirement du temps et la douceur ambiante s'y prolongent.

    Du premier au dernier métrage en date, nous profitons de la belle musicalité de la mise en scène. La bande son n'en est pas la seule responsable. La lumière naturelle, toujours un peu automnale, même en été, les travellings élégants s'accordant aux pas des marcheurs et le montage fluide y concourent amplement. Les œuvres donnent à voir, chacune, le naturel. Mais l'idée de justesse ne vient pas seulement d'une sûreté d'approche sociologique. Elle se faufile dans les espaces laissés dans les plans à une butée sur un mot ou à la remise en place d'une mèche de cheveux que le vent rend gênante. Elle s'installe dans le temps, aussi. Le temps des plans, généralement assez longs, scandant des récits pourtant fugitifs (Primrose Hill se passe en une journée, Montparnasse raconte trois histoires qui pourraient se dérouler la même nuit).

    Les gens que nous présente Mikhaël Hers sont généralement jeunes. Ils ont la vingtaine, approchent bientôt des 30 ans. Et ils ont un passé. La plupart du temps nous est contée une histoire de retrouvailles, une histoire dont le début a déjà été écrit, sans nous. Cela leur assure une consistance et suscite inévitablement notre curiosité, l'éclairage se faisant très progressivement et très imparfaitement. Ce passé est présent sous des formes variées, parfois banales comme les souvenirs scolaires ou les rencontres avec d'anciens camarades mais le plus souvent douloureuses avec ces parcours de vie déjà tortueux, ces difficultés professionnelles et plus encore, ces disparitions et ces fantômes. Pourtant, les films de Hers sont parmi les plus actuels qui soient. Les indications géographiques et culturelles y sont nombreuses. Nommer des lieux, des quartiers, des bars, des restaurants, des salles de concert ou des groupes de rock, c'est garder les pieds solidement plantés dans le présent et balayer le passéisme que peuvent faire craindre, pour certains, la délicatesse de la forme et le soin apporté à la circulation de la parole. Dans le présent, ces jeunes hommes et femmes y vivent et s'y débrouillent. Sentir le poids du passé ne provoque pas l'arrêt. D'ailleurs, ces gens marchent tout le temps et ils avancent, les récits s'ouvrant toujours en leur fin vers de nouvelles directions. L'émotion ressentie face au cinéma de Mikhaël Hers provient de cette tension qui habite les personnages, entre passé et présent.

    Premier essai, Charell est un beau film d'ambiance. Tiré d'une source littéraire, De si braves garçons de Patrick Modiano, il ne s'en cache pas. Les figures de style et les thèmes se mettent en place : délicatesse, nostalgie, discussions, amitiés, marches, musiques... Les coutures sont plus visibles qu'elles ne le seront par la suite. Comme les moyens visant à faire atteindre certains instants à l'étrangeté sont plus directs, de l'accompagnement musical aux postures des acteurs en passant par les éclairages. Les marges du fantastique sont parfois proches. Primrose Hill marque l'épanouissement du style, la forme se faisant moins rigide. L'étrangeté vient cette fois du point de vue adopté : cette histoire de quatre jeunes personnes est racontée par une cinquième qui leur est (ou a été) proche. Notre regard s'en trouve dédoublé et l'impression est forte de regarder l'écran presque à côté de cette narratrice à laquelle aucun des protagonistes ne fait allusion. Puis Montparnasse dénude encore. Et étrange, toujours, cette nuit captée par la caméra et où se déploient trois récits séparés, successifs. Le cinéma de Mikhaël Hers n'est pas réductible au seul réalisme.

    Tout cela mène donc à Memory Lane (y aboutit, peut-être, avant de passer à autre chose). Le film partage son titre avec un autre roman de Modiano et une chanson d'Elliott Smith. Il propose une série de variations sur quelques motifs que l'on peut déjà qualifier de "hersiens" et s'autorise même des rappels et des prolongements discrets d'histoires ébauchées dans Primrose Hill. Ici aussi les regards se tournent parfois vers un passé récent, lui même chargé "d'avant". Des personnages, peut-être, sont en train de disparaître eux aussi. Les lieux arpentés deviennent familiers. La musique est ciblée indépendante (parce que les personnages savent précisément ce qu'ils aiment, ce qui n'arrive finalement pas souvent au cinéma). Le naturel est là, parfois bouleversant comme lorsqu'il faut accompagner un père vers la sortie. Le récit repose toujours sur des bribes de pas grand chose et éparpille encore, traitant les différents membres du groupe de manière inégale. Il est filandreux et imprévisible. Il a également une portée plus large. Par quelques détails, il explique en partie pourquoi la douceur imprègne tant ce cinéma-là : il s'agit d'une phobie, rare au cinéma et d'autant plus précieuse, de la violence, jusque dans les mots.

    Les films de Mikhaël Hers nous attachent délicatement, recherchent la douce connivence (par le biais de sa troupe d'acteurs notamment), feignent d'énoncer des banalités pour mieux rendre ces moments uniques. Comme le fait la pop. Reste alors une question : ce cinéma peut-il toucher les spectateurs au-delà du cercle de ceux qui n'aiment effectivement "rien autant que la légèreté (et la profondeur) de la pop" ? Personnellement, nous l'espérons vivement.

     

    Tout Mikhaël Hers sur Inisfree.

     

    hers,france,2000s,2010sCHARELL

    PRIMROSE HILL

    MONTPARNASSE

    MEMORY LANE

    de Mikhaël Hers

    (France / 45 min, 55 min, 58 min & 98 min / 2006, 2007, 2009 & 2010)

  • Les chansons d'amour, Non ma fille tu n'iras pas danser & Les bien-aimés

    honoré,france,comédie,mélodrame,musical,2000s,2010s

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    Le poing point sur Honoré

    J'en étais resté , guère décidé à aller plus avant. Puisqu'il faut toujours se placer d'un côté ou de l'autre de la barrière lorsque l'on parle de ce réalisateur, j'ai accompagné le groupe des allergiques. Aujourd’hui, trois ans plus tard, la situation de Christophe Honoré est la même qu'alors, tout juste l'indifférence a succédé à la virulence chez la plupart de ses détracteurs. Les défenseurs, eux, continuent de trouver leur compte dans ce cinéma. Comme j’accorde du crédit à quelques uns parmi ces derniers, blogueurs, critiques ou spectateurs, l’idée de réactualiser ma position a fait son chemin peu à peu. La sortie en salles, au mois d’août dernier, d’un nouveau titre était l’occasion pour moi de faire le point, d’autant plus que je pouvais facilement profiter dans le même temps du prêt de deux DVD renfermant des films antérieurs.

    Premier temps : Les chansons d’amour ou Le beurre et le cul de la crémière

    Mon symptôme allergique semble se confirmer. La comédie musicale d’Honoré et Beaupain m’agace. "Le beurre, le cul de la crémière" est une expression que l’on entend dans l’une des chansons du film, peut-être la seule, d’ailleurs, à accrocher quelque peu l’oreille. Vouloir le beurre et le cul de la crémière, c’est quoi ?

    C’est revendiquer, en disposant des signes de reconnaissance dans les moindres recoins, l’héritage de la Nouvelle Vague, mouvement qui se créa essentiellement contre le cinéma en place, alors que l'on propose soi-même une œuvre consensuelle, fédératrice, populaire.

    C’est reprendre tous les tics du cinéma d’auteur parisien (la chanson française, les jeunes acteurs en vogue, les petits drames de chambres, la culture littéraire classique, le bon goût cinématographique, la classe sociale aisée) et jurer ses grands dieux que l’on est à cent lieues de ça, que l’on ne comprend pas pourquoi on passe aux yeux de beaucoup pour un réalisateur bobo.

    C’est glisser des clins d’œil supposés nous assurer d’une certaine intelligence et d’une certaine culture, et enchaîner sur de sinistres pitreries (voir les gamineries consternantes du personnage de Louis Garrel).

    C’est se lancer dans un plaidoyer pour l’hédonisme sexuel mais en rabotant tout ce qui dépasse, rendant le passage d’un partenaire à l’autre, quelque soit le genre, tellement souple et naturel qu’il en devient indifférent, inconséquent, qu’il n’engage aucunement.

    C’est filmer des dialogues qui donnent l’impression d’être courageux et éloignés de toute correction, alors qu’ils servent au contraire à rassembler dans un même jugement, à rameuter, à véhiculer un double discours attrape-tout (engueulade dans la rue entre Louis Garrel et Chiara Mastroianni : - J’suis inconséquent, j’suis idiot, et puis, oh, j’suis pédé… - C’est pas c’que j’ai dit ! C’est dégueulasse de me faire passer pour la conne !Chut !).

    C’est s’appuyer sur une musique de variété pop passe-partout qui puisse plaire à tout le monde et demander aux acteurs de chanter eux-mêmes pour faire naître une authenticité et une émotion particulière (le résultat étant surtout pénible pour les oreilles).

    Ces Chansons d’amour m’indiffèrent et je suis à deux doigts de me décourager définitivement. Je donne tout de même à Honoré une dernière chance...

    Deuxième temps : Les bien-aimés ou Comme la vie a passé vite, comme désormais tout est lent

    Une fois encore, la chronique sentimentale se transforme à l’occasion en véritable comédie musicale. Par conséquent, les premières scènes font craindre la redite par rapport aux Chansons d’amour (l'affiche, déjà...) et l’on se dit que le cinéaste en est arrivé à se citer lui-même. Pourtant, malgré l’impression de faiblesse, de déjà vu et de facilité qui se dégage de cette partie années 60 d’une histoire qui se déroulera sur quatre décennies, l’énervement ne pointe pas. Tout d’abord, la part de cliché est assumée et comme le dit plus tard le personnage de Catherine Deneuve, "tout était plus facile à l’époque". Ensuite, Christophe Honoré a la bonne idée de ne pas entremêler artificiellement les époques et de garder, au-delà de deux ou trois interventions d’un autre temps, le fil chronologique. Au lieu d’avoir un film inégal, nous avons alors un film qui s’améliore progressivement.

    Un film qui devient aussi plus profond. "Comme la vie a passé vite, comme désormais tout est lent" chante Deneuve. Au cours de la première partie, les enjambées sont grandes : de 1968 on passe à la fin des années 70 puis on effectue un grand saut par-dessus les années 80. Le regard est superficiel (et la reconstitution parfois très maladroite comme lorsqu’il faut évoquer la fin du printemps de Prague). Ensuite, parvenu à la fin des années 90, le récit se pose pour un bon moment et les bornes historiques se font plus rapprochées. On prend le temps de fouiller les caractères et de s’attacher aux personnages.

    Finalement, tout cela n’est pas dénué de force romanesque. L’écriture paraît bien plus sérieuse qu’auparavant, bien qu’Honoré conserve bien sûr son goût pour les traits d’humour (ce n’est pas ce qu’il réussit le mieux) et les clins d’œil cinématographiques (assez bien intégrés cette fois-ci : la famille tchèque porte le nom de Passer, on cite un proverbe jadis illustré par Rohmer, etc.). Contrairement à ce qu’il se passait dans Les chansons d’amour où elle arrivait tôt et ne provoquait pas d’émotion (notamment parce qu’elle était filmée de manière trop décalée en termes esthétiques – arrêts sur images en noir et blanc de type reportage), la mort a ici un vrai poids et valeur de choc. Et si elle touche ainsi, c'est que les échanges font preuve d'une belle vitalité. Les personnages des Biens-aimés, toujours en mouvement, se retrouvent très fréquemment aux alentours de quelques gares. Leurs déplacements font bouger le film, leur circulation le rend fluide. Courant les uns après les autres, ils se livrent parfois à une sorte de harcèlement amoureux qui se révèle souvent payant. L'idée était en germe dans Les chansons d'amour avec la ronde qui s'organisait autour de Louis Garrel (l'attirance obsessive qu'éprouvaient, différemment, Chiara Mastroianni et Grégoire Leprince-Ringuet était l'une des rares choses chargées d'intensité).

    Toujours inégales restent les chansons, comme les voix qui les portent. Elles sont toutefois plus espacées et sont donc reçues avec moins de fatalisme et par des oreilles plus attentives. Certaines, comme le duo franco-anglais (ou putôt américain), sont même (enfin) mémorables. L'aventure londonienne de Chiara Mastroianni, qui devient décisive pour toute une vie, est réussie et figure peut-être l'une des meilleures transpositions cinématographiques possibles d'une chanson des Smiths. L'effet est évidemment recherché par Honoré : ressemblance de Paul Schneider avec Morrissey, thème de l'amour impossible entre homo et hétéro, refrain claironnant "Heaven knows I'm miserable now" et T-shirt de Chiara siglé... The Smiths. Ces séquences libèrent une émotion qui ne retombera pas jusqu'au générique de fin, le cinéaste enchaînant alors en souplesse les sujets les plus casse-gueule (un discours sur le sida est rendu difficile à articuler car mis en français dans la bouche d'un Américain et l'évocation du 11 septembre 2001 se fait par un beau détour par Montréal).

    Parsemé de beaux moments (la transition de Madeleine jeune - Ludivine Sagnier à Madeleine vieillissante - Catherine Deneuve, sous les yeux de sa fille Véra - Chiara) et de belles idées (le subtil changement de voix-off en cours de récit, la mère finissant par prendre en charge l'histoire de sa fille), Les bien-aimés est un film séduisant, au-delà de ses quelques défauts et de la faiblesse de sa première demi-heure. J'ai bien fait de persister.

    Troisième temps : Non ma fille tu n'iras pas danser ou La recherche de l'équilibre

    Chronologiquement placé entre les deux autres, Non ma fille tu n'iras pas danser l'est également sur une échelle qualitative. Scindé en deux, le récit joue aux montagnes russes pour véhiculer notre intérêt fluctuant. Le portrait de famille est peint en organisant autour d'une figure centrale, Léna (Chiara, toujours), divers affrontements. Malheureusement, regarder ceux-ci c'est, invariablement, porter un jugement sur les personnages, se placer d'un côté ou de l'autre, sentir qu'il y en a toujours un qui a plus raison que l'autre et, finalement, faire des choix en fonction de préférences (par rapport aussi aux acteurs qui les incarnent : aïe, Marina Foïs...). Il y a là un déséquilibre, accentué encore par cette manie agaçante qu'a le cinéaste de filmer des gens qui font les malins, que ce soit de manière perpétuelle (le frère s'exprimant toujours au second degré) ou occasionnelle (aucun n'échappe au plaisir du "bon mot"). Chez Honoré, le "léger" est le plus souvent futile, référentiel, ironique, jamais dupe. Non ma fille tu n'iras pas danser a aussi, fort heureusement, un côté plus "adulte" et plus "franc".

    Une douleur secrète y serpente, comme le fait une musique plus lancinante et plus dramatique que d'ordinaire. Quelques plans légèrement troublants (des malaises, des frémissements) font passer des ombres et donnent de l'ampleur. On observe une dérive vers la névrose et cette instabilité est plutôt bien rendue par la mise en scène des déplacements imprévisibles, d'un foyer à l'autre, de Léna. Bien sûr, Non ma fille..., comme Les bien-aimés, doit énormément à Chiara Mastroianni, à son regard qui ouvre des failles mais qui, même dans l'affolement, ne nous inquiète jamais vraiment (à tort, ses personnages n'en revenant pas toujours) tant sa douce présence nous est familière.

    Je n'oublie pas qu'en plein milieu du film, exactement, un passage fait inévitablement parler de lui. Un récit légendaire venu de la mémoire bretonne s'intercale tout à coup dans cette histoire de famille contemporaine. La séquence est longue, sans paroles mais gorgée de danses et de musique. Elle annonce aussi un souvenir qui sera raconté à la fin. Elle est peut-être ratée mais elle est gonflée. Cette audace-là ne manque pas de panache.

    Situation actuelle

    Ainsi, sans me muer en véritable défenseur d'Honoré, je note une amélioration de mon rapport à son cinéma et je quitte le camp des réfractaires pour rejoindre putôt, au milieu du gué, les rares observateurs qui, comme le voisin Mariaque (ici ou ), gardent calmement un œil sur cette affaire sans avoir ni la bave aux lèvres ni un genou à terre.

     

    chansons00.jpgnonmafille00.jpglesbienaimes00.jpgLES CHANSONS D'AMOUR

    NON MA FILLE TU N'IRAS PAS DANSER

    LES BIEN-AIMÉS

    de Christophe Honoré

    (France / 100 min, 105 min & 140 min / 2007, 2009 & 2011)

  • Restless

    van sant,etats-unis,2010s

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    Enoch a perdu ses parents dans un accident de voiture, s'incruste aux enterrements ayant lieu dans sa ville et dialogue avec un fantôme. Annabel a une tumeur au cerveau et ses jours sont comptés. Ils sont jeunes et beaux. Ils se rencontrent, s'aiment et font leur petit bout de chemin ensemble.

    Gus Van Sant a, jusqu'ici, si bien filmé la jeunesse, a si parfaitement réussi à transposer un état d'esprit, qu'il en est arrivé à tourner comme un ado. Avec Restless, il prend un plaisir infini à montrer des petits trucs de gamins, de la craie sur le bitume aux bonbons sur les tables, des bécots sur les lèvres aux histoires (très signifiantes) d'insectes se nourrissant de cadavres. Il voit le monde tel que ceux-ci peuvent le rêver, se met à leur niveau et se complaît dans la niaiserie.

    La grande idée de Restless c'est d'aborder le grave sujet de la mort sans aucun pathos au point de prendre à chaque moment le contre-pied de la tristesse attendue, de faire passer avec délicatesse ce qui devrait s'avérer violent, de rendre naturel le surnaturel et d'accepter l'inacceptable. Or, si la mise en scène de Van Sant reste fluide, elle est ici dépourvue de la radicalité de ses grandes œuvres de la décennie précédente comme de l'énergie qui parcourait le plus classique Harvey Milk. Par conséquent, tout devient soudain lisse, sans aspérité, sans faille, sans éclat. Dans Restless, la violence s'évite facilement, les bons conseils sont aisés à recueillir (ils viennent du fantôme), un cadavre à la morgue a l'apparence d'une belle jeune fille, et un enterrement, c'est joli, surtout si on l'enrobe d'une chanson de Nico (artiste dont la musique, pourtant, me semble à l'opposé de la joliesse, du confort et du sourire). Enoch et Annabel font l'expérience de la mort comme d'autres font celle d'une sexualité tendre et apaisée. Leurs références aux kamikazes et au seppuku sont sources de gags (Nagasaki quand même pas, il ne faut pas abuser...) et probablement si la fille s'en va, sa sœur prendra le relai. Bref, dans Restless, la mort, c'est cool...

    Si la question habituelle dans ces cas-là est bien posée (Combien de temps reste-t-il à vivre à la malade ?), jamais l'idée de compte à rebours ne prend forme ni ne donne quelque épaisseur aux instants vécus. L'histoire est d'ailleurs vaguement intemporelle mais le refuge dans le passé de ces adolescents n'est finalement prétexte qu'à un beau défilé de mode en vêtements vintage.

    Auparavant, Gus Van Sant savait empaqueter ses cadeaux. Cette fois-ci, il n'a préparé que l'emballage, il n'a rien mis dedans. De toute façon, je crois qu'il ne m'était pas destiné.

     

    van sant,etats-unis,2010sRESTLESS

    de Gus Van Sant

    (Etats-Unis / 90 min / 2011)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (2007)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif2007 : Les Cahiers organisent leurs numéros autour, successivement, de Johnnie To et du cinéma de Hong Kong, d'INLAND EMPIRE, du diptyque de Clint Eastwood sur Iwo Jima, de Ne touchez pas la hache et du cinéma de Jacques Rivette, de Quentin Tarantino, de l'élection présidentielle et des annonces des candidats en matière de politique pour le cinéma, des Correspondances Erice-Kiarostami à Beaubourg, de Francis Ford Coppola et de L'homme sans âge et de La graine et le mulet. Ils rencontrent Pedro Costa (En avant jeunesse), Albert Serra (Honor de cavalleria), Alexandre Sokourov (Alexandra), Jia Zhangke, Tsai Ming-liang (I don't want to sleep alone), Isild Le Besco (Charly), Quentin Dupieux, Eric et Ramzy (Steak), George Romero (Diary of the dead), Mia Hansen-Love (Tout est pardonné) et Eric Rohmer. Ils publient des écrits sur Jean Eustache, Etienne-Jules Marey, Kim Novak, Catherine Deneuve, Serguei Paradjanov, Luigi Comencini, Jean-Luc Godard, Twin Peaks de David Lynch, le cinéma et la photographie, le cinéma et l'histoire et l'année 1971. La revue présente dix films inédits (d'Arnaud Desplechin à Shinji Aoyama) et confie ses clés à Juliette Binoche le temps d'un numéro.
    Dans Positif se lisent des entretiens avec Johnnie To, Nuri Bilge Ceylan, François Ozon, Jia Zhangke, Catherine Breillat, Cristian Mungiu, Lee Chang-dong, David Cronenberg, Abdellatif Kechiche, Corneliu Porumboiu (12h08 à l'est de Bucarest), Lucian Pintilie (Tertium non datur), Steven Soderbergh (The good german), Pierre Jolivet (Je crois que je l'aime), Gianni Amelio (L'étoile imaginaire), Stéphane Brizé (Entre adultes), Manoel de Oliveira (Belle toujours), Pascale Ferran (Lady Chatterley), Julian Schnabel (Le scaphandre et le papillon), Claude Chabrol (La fille coupée en deux), Wang Quan'an (Le mariage de Tuya), Claude Miller (Un secret), Fatih Akin (De l'autre côté), Alain Corneau (Le deuxième souffle), Todd Haynes (I'm not there), James Gray (La nuit nous appartient), Wong Kar-wai (My blueberry nights), Roy Andersson (Nous, les vivants), Audrey Tautou, Jeanne Balibar et Guillaume Depardieu, un hommage à Philippe Noiret et des textes sur Gong Li, Paradjanov, Lynch, Godard, Erice et Kiarostami, Louis Feuillade, Peter Whitehead, Bruno Dumont, Atom Egoyan, Sidney Lumet, Rouben Mamoulian, Joaquim Pedro de Andrade, Nagisa Oshima, le mélodrame mexicain, la Hammer Films, le cinéma allemand et les génériques de James Bond. Quant aux dossiers mensuels, ils concernent Eastwood, Rohmer, le trio Mizoguchi-Naruse-Ozu, Sam Peckinpah, Otto Preminger, Sacha Guitry, Robert Altman, le documentaire (Luciano Rigolini, Claudio Pazienza, Avi Mograbi, William Karel), les nouveaux comédiens français (Jamel Debbouze, Cécile de France, Ludivine Sagnier, Romain Duris), la mélancolie au cinéma (de Ford à Angelopoulos) et la distribution et l'exploitation.
     

    Janvier : Election (Johnnie To, Cahiers du Cinéma n°619) /vs/ Les climats (Nuri Bilge Ceylan, Positif n°551)

    Février : Lettres d'Iwo Jima (Clint Eastwood) et INLAND EMPIRE (David Lynch) (C620) /vs/ Lettres d'Iwo Jima (Clint Eastwood, P552)

    Mars : Ne touchez pas la hache (Jacques Rivette, C621) /vs/ Angel (François Ozon, P553)

    Avril : 12 propositions pour le cinéma, Présidentielle 2007 (C622) /vs/ Ne touchez pas la hache (Jacques Rivette, P554)

    Mai : Boulevard de la mort (Quentin Tarantino, C623) /vs/ Still life (Jia Zhangke, P555)

    Juin : Zodiac (David Fincher, C624) /vs/ Une vieille maîtresse (Catherine Breillat, P556)

    Eté : Juliette Binoche (C625) /vs/ Quand une femme monte l'escalier (Mikio Naruse, P557-558)

    Septembre : Les amours d'Astrée et de Céladon (Eric Rohmer, C626) /vs/ 4 mois, 3 semaines et 2 jours (Cristian Mungiu, P559)

    Octobre : Paranoid Park (Gus Van Sant, C627) /vs/ Secret sunshine (Lee Chang-dong, P560)

    Novembre : L'homme sans âge (Francis Ford Coppola, C628) /vs/ Les promesses de l'ombre (David Cronenberg, P561)

    Décembre : La graine et le mulet (Abdellatif Kechiche, C629) /vs/ La graine et le mulet (Abdellatif Kechiche, P562) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Je retrouve huit de mes dix films préférés à l'époque et ceux-ci sont plus souvent du côté Cahiers (To, Lynch, Rivette, Tarantino, Fincher, Van Sant, Kechiche) que du côté Positif (Mungiu en plus de Rivette et Kechiche). Je peux y ajouter ensuite les titres d'Eastwood, Breillat et Cronenberg. En revanche, ceux de Ceylan, Jia et Lee  avaient soulevé chez moi moins d'enthousiasme que prévu, tandis que j'avais totalement repoussé le film d'Ozon. Et comme je vois, dans la colonne de gauche, Juliette Binoche et un Rohmer que j'aimerai enfin découvrir... Allez, pour 2007 : Avantage Cahiers.

     

    Note : Ce blog étant apparu en 2007, la plupart des films cités sur cette page, ainsi que ceux qui le seront pour les années suivantes, ont fait l'objet d'une note (voir Index des films).

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Le convoi

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    Présenter Le convoi comme un titre mineur mais s'intégrant parfaitement dans la filmographie de Sam Peckinpah cela a plus d'allure et plus d'attrait que de le qualifier de lourde comédie d'action relatant les aventures d'un groupe de routiers sympas. Pourtant, durant sa première partie, le film n'est rien d'autre que cela. Le cinéaste n'y va pas de main morte pour s'installer dans ce genre, osant notamment une bagarre de "saloon" résolument parodique à voir l'usage du ralenti qui est fait, tendant ici à déréaliser et à épaissir le trait. Cette course poursuite entre trois chauffeurs et un policier pervers n'est ni très glorieuse ni très intéressante, à l'image des conversations codées ayant cours entre les routiers à travers leur CB.

    Ces échanges continus par ondes radio, si réalistes qu'ils soient, contribuent à une saturation des plans particulièrement éreintante. Car ce n'est pas tant le rythme qui fatigue mais l'accumulation à l'intérieur du cadre et d'une séquence à l'autre. Le film de Peckinpah nous saoule de messages, de sirènes de voiture de police, de klaxons de camions, d'une musique country que l'on apprécierait peut-être si elle était utilisée moins systématiquement, de défilés de poids lourds (un, puis deux, puis trois... jusqu'à cinquante, cent ?), de nuages de poussière et de fumées noires. Dans le même élan, le comique s'affiche grossièrement et nous empèche de prendre au sérieux tout ce qui se passe sur l'écran y compris lorsque la violence et le drame pointent leur nez (passage à tabac d'un Noir, lutte "à mort" entre le leader et le policier).

    La dimension politique du Convoi a également du mal à s'affirmer clairement au milieu de ce cirque mais elle nous retient assez pour ne pas rendre le film totalement négligeable. Suite à un acte de rébellion contre l'ordre policier, Rubber Duck se retrouve en tête d'un groupe de routiers auquel se joignent tous les éléments contestataires de la société américaine croisés dans les régions traversées pour atteindre le Mexique. Des hippies aux femmes libérées, du Noir opprimé à l'individualiste réfractaire, l'échantillon représentatif n'est pas mis en évidence de manière très fine mais dans la partie centrale du film, la plus intéressante et la moins lourde, on sent très bien, au-delà d'une amusante tentative de récupération politique par les autorités, que les diverses espérances et revendications formulées ne fusionnent jamais véritablement et que la vision désenchantée, détachée et pessimiste de Duck prédomine (soit, par extension, celle de Peckinpah).

    L'aventure se poursuit malheureusement dans un troisième acte au scénario toujours à la lisière de la bêtise (la crédibilité fut apparemment le moindre des soucis des auteurs), sacrifié, comme tout le reste, à la recherche de l'effet. L'évidence de la transposition dans l'univers du western éclate en plein jour mais celle-ci, d'une part, donne un tour plus attendu encore au récit (poursuite, vengeance, duel) et, d'autre part, pousse le cinéaste à composer des plans plutôt risibles, comme celui qui présente avant l'assaut un alignement de camions comme autant de cavaliers sur la colline. L'éclat de rire final, en plein chaos (comique), devient une figure "Peckinpahienne" inopérante car accusant la vanité non seulement du monde décrit mais surtout de sa représentation à travers ce film décevant, dont je garderai tout de même l'image d'Ali McGraw conduisant sa décapotable les jambes écartées et la jupe relevée sur les cuisses.

     

    leconvoi00.jpgLE CONVOI (Convoy)

    de Sam Peckinpah

    (Etats-Unis / 110 min / 1978)

  • L'Apollonide, souvenirs de la maison close

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    L'Apollonide est un projet ambitieux et il faut au moins lui reconnaître cela. Ambitieux non pas par les moyens mis en œuvre pour embrasser toute une époque, ni par la confrontation à un grand sujet, mais par sa mise en récit. Bertrand Bonello cherche à raconter autrement et forcément, parfois, c'est son film lui-même qui semble se chercher, freiner, patiner, tourner en rond (dans son dernier tiers, notamment, avant les séquences de fin). Malgré de nombreux petits décrochages et sauts temporels, la progression de la narration reste globalement linéaire et chronologique, tendue qu'elle est vers la fin programmée de cette maison close où travaillent, au tournant du XXe siècle, une dizaine de prostituées. Ce qui est passionnant de ce point de vue, c'est d'observer comment Bonello parvient à avancer sans vraiment prendre d'appui dramatique, à l'opposée de la démarche classique, sa construction étant faite de larges blocs plutôt que de courtes séquences bien reliées les unes aux autres. Ce choix, prisé de nos jours par quelques cinéastes, et non des moindres (on pense assez régulièrement, devant L'Apollonide, au travail d'Abdellatif Kechiche), peut être à l'origine d'une certaine fascination mais peut aussi avoir comme inconvénient d'amener le spectateur à hiérarchiser, à soupeser chaque segment selon ses préférences. Le film de Bonello n'échappe pas totalement à cet écueil. Derrière le parti pris narratif, on découvre d'ailleurs que le tour d'horizon thématique est assez complet par rapport au sujet : nous avons de grandes séquences centrées successivement sur l'ivresse, l'initiation, l'intimité, l'hygiène etc. Finalement, peu d'impasses sont faites mais, fort heureusement, l'impression de feuilleter un catalogue ne nous effleure pas. Cela est certainement dû à la "contemporanéisation" effectuée par le cinéaste. La bande son n'a rien à voir avec ce qui s'entendait à la Belle Epoque et certains dialogues sonnent de manière tout à fait actuelle. Paradoxalement, ce détournement de la convention, qui pourrait s'avérer artificiel, insuffle beaucoup de vie, qualité se signalant notamment dans quelques phrases courtes prononcées par la tenancière du bordel (Noémie Lvovsky chaperonnant les autres, toutes mémorables, d'Hafsia Herzi à Céline Sallette en passant par Jasmine Trinca ou Alice Barnole).

    Mais L'Apollonide est surtout un fantasme de bordel. L'idée de représentation, tout d'abord, y est prépondérante. Elle accompagne bien sûr, déjà, le travail des prostituées mais la mise en scène de Bonello redouble admirablement la leur au moment de montrer les jeux (ou les sévices) érotiques, le plus beau et le plus troublant étant celui où l'une des filles se transforme pour son client en poupée mécanique (la réussite sur ce terrain rend finalement le recrutement, pour jouer les rôles masculins, de collègues cinéastes très anecdotique, propice à faire parler dans la profession mais sans réel apport pour le simple spectateur, même le mieux informé). Ensuite, il y a cette horreur, sous-jacente (les avancées dans des couloirs sombres) et bientôt jaillissante (la mutilation au couteau). Une horreur qui renvoie certainement à une réalité mais qui est ici avant tout d'une grande puissance cinématographique. Enfin, à plusieurs endroits s'effectuent des dédoublements du point de vue, des passages de témoin qui s'accompagnent de répétitions. La sensation du rêve et celle de la claustration (même la sortie au lac, sous le soleil et dans la joie, place les filles à l'abri des regards et aucun plan n'est consacré au trajet) sont ainsi provoquées, comme elles le sont par l'organisation d'un espace fait de diverses frontières, à la fois très précises (dans le plan) et peu situées (dans l'architecture générale du lieu) : rideaux, portes, miroirs, vitres teintées. Assurément, et c'est sans doute là sa qualité principale, L'Apollonide est un film mental. Un film s'ouvrant et se refermant sur le rêve d'une fille. Une fille ou, en fait, une autre, car les ultimes secondes nous propulsent ailleurs, dans notre réalité, esquissant peut-être l'affichage d'un message de portée globale mais le désamorçant in extremis en laissant la fiction reprendre la main, la machine à fantasmer se relancer à nouveau.

     

    apollonide.jpgL'APOLLONIDE, SOUVENIRS DE LA MAISON CLOSE

    de Bertrand Bonello

    (France / 122 min / 2011)

  • Delta

    mundruczo,hongrie,2000s

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    Dans les premières secondes de Delta, accompagnés par un fond musical obsédant, nous glissons majestueusement sur les eaux du fleuve. Soudain, un assourdissant bruit de bateau nous surprend. Ce procédé, Kornel Mundruczo l'affectionne et le reprend souvent, de façon sonore (un jeune homme entre dans le café et le silence se fait aussitôt dans la salle) ou visuelle (il n'est pas rare qu'un plan très sombre soit collé à un autre baigné d'une lumière aveuglante). Parler de sursaut serait excessif et impliquerait une notion de dynamique absente du film (la pénible indolence du personnage masculin est une des causes de ce manque). Qualifions donc cet effet de dissonance.

    Dans le delta du Danube, un couple atypique se forme à l'écart de la communauté. L'homme et la femme construisent leur refuge au milieu des eaux, à peine relié à la terre ferme par une très longue passerelle. Ils sont frère et sœur et ils s'affirment donc dans la transgression. Celle-ci est symbolisée par cette maison sur pilotis qui n'est tenue au rivage (à la norme) que par un maigre fil. L'anéantissement des espoirs aura lieu bien sûr en cet endroit bien précis, là où se fait le passage, là où se trouve le lien que l'homme et la femme ont voulu garder malgré tout : sur ce pont étroit et interminable.

    Cette approche est très théorique et c'est bien là le problème du film de Mundruczo. Si le cadre choisi, naturellement somptueux, a tout pour accueillir le frémissement, le trouble et la sensualité, la mise en scène ne semble s'intéresser qu'à elle-même, prenant régulièrement la pose. La représentation du viol de la jeune femme est caractéristique. Elle tient d'abord dans un plan-séquence très large, en extérieur, dans lequel les personnages sont réduits à des silhouettes dans un paysage de friche industrielle. Mais cette distance instaurée pendant l'acte est annulée par le brusque raccord sur le geste de la fille essuyant sur ses cuisses le sperme de son beau-père, sous le regard de celui-ci. Cette alternance entre la distance réflexive et le choc de la proximité se retrouve lors du final dramatique. Nous réalisons alors, de manière très désagréable, que ce qui intéresse le cinéaste avant tout ce n'est pas tant de s'interroger sur un mécanisme de violence que de filmer l'humiliation.

    Lorsque Delta a été défendu, ce fut à l'ombre de Théo Angelopoulos et de Miklos Jancso. On y trouve pourtant ni la solennité (parfois) impressionnante du premier, ni le dynamisme interne des chorégraphies du second. Ni la complexité des strates temporelles ordonnées par le Grec, ni la mesure de l'espace arpenté par le Hongrois. En ne se focalisant pas uniquement sur l'usage du plan-séquence, il est possible d'évoquer également Scènes de chasse en Bavière. L'argument est en effet similaire à celui choisi par Peter Fleischmann : un jeune homme revient dans son village et réveille les pires instincts chez ses congénères. Ces trois noms sont liés à une autre époque mais le cinéma qu'ils faisaient avait notamment une force et une profondeur historique. L'œuvre, certes plastiquement superbe, de Kornel Mundruczo n'est pas traversée par l'Histoire, elle n'est que théorie, cherchant à créer du mythe moderne. Le regard de l'auteur est ici généralisant, contraignant, artiste, ivre de lui-même, ennuyeux.

     

    mundruczo,hongrie,2000sDELTA

    de Kornel Mundruczo

    (Hongrie - Allemagne / 95 min / 2008)

  • Panoptique, quatorzième session

    Vous brûlez de savoir

    quelle nouvelle version de La guerre des boutons est la meilleure ?

    Et bien, elles se valent et vous en aurez la preuve en parcourant

    le Panoptique du mois de septembre, qui se dévoile en cliquant sur le logo :

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