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2010s - Page 18

  • Black swan

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    Black swan, c'est avant tout un mélange improbable entre le documentaire sur le ballet et le thriller fantastique, la rencontre, pourrait-on dire, entre Frederick Wiseman et Roman Polanski. Rarement, me semble-t-il, l'exercice de la danse aura été montré de manière aussi juste dans une fiction. Le travail, la répétition sans fin des mêmes gestes, toujours plus épurés, l'illustration de l'axiome "danser, c'est souffrir" (et craindre le vieillissement), la hiérarchie s'établissant entre les danseuses : tout cela est fidèlement représenté. La réussite du projet, vu sous cet angle-là, nécessitait une mise en scène précise et équilibrée. Elle l'est (à quelques effets superflus près, péché mignon d'Aronofsky, j'y reviendrai), le cinéaste laissant les séquences s'installer dans des durées suffisantes. Le concours d'une véritable actrice-danseuse était également indispensable, sous peine de voir l'édifice s'effondrer à force de tricheries visuelles. Natalie Portman excelle dans les deux registres.

    A ces côtés, se tient Vincent Cassel (pas mal du tout), héritant du rôle du directeur du ballet et prenant ainsi en charge l'archétype hollywoodien de l'étranger-pygmalion troublant, manipulateur et (faussement) démiurge. Ce sont souvent ses apparitions qui provoquent les soubresauts nous faisant passer du documentaire à la fiction. Cette alternance entre les deux registres se fait de manière habile, continue, et agréable, en particulier par rapport à la gestion du rythme général.

    Le film se révèle en fait assez passionnant car on sent qu'il manque à tout moment de dérailler. Mais la forme de Black swan sied très bien à son thème, à l'idée même de ballet. Les heurts, les coups au cœur, les sursauts répercutent cinématographiquement les syncopes de la musique, les explosions gestuelles de la danseuse, les excès et l'irréalité du spectacle de danse.

    Le passage par le prisme du genre, celui du thriller donc, et l'illustration d'une trajectoire somme toute prévisible (dans sa globalité, non dans ses détails) permet de faire l'économie de lourdeurs psychologisantes. Ce versant-là du film tire notamment sa force du strict respect du point de vue qu'il s'impose, celui du personnage principal, Aronofsky ayant parfaitement retenu cette leçon polanskienne. Puisque nous voyons le monde avec les yeux de Nina, il devient logique (et assez jubilatoire) que celui-ci n'existe plus au-delà la danse et, plus précisément, de ce ballet de Tchaïkovsky qui imprégnerait tout et ferait le vide autour. Ainsi, la jeune femme se retrouve-t-elle à arpenter un hôpital bien peu animé, à monter dans un taxi dont on ne voit jamais le chauffeur, à se faire applaudir lors d'une réception par une foule d'invités dont seuls deux visages se détachent réellement, à connaître un triomphe sur la scène new yorkaise devant un public dans lequel on ne distingue clairement que sa mère... Avec Nina, à qui Natalie Portman donne mille visages (elle semble en changer d'une séquence à l'autre), nous nous aperçevons rapidement que les miroirs nous trompent, qu'ils font mine d'ouvrir l'espace alors qu'ils ne font qu'oppresser, qu'ils renvoient sans cesse des images que l'on ne veut pas voir (impressionnante scène du vieux pervers dans le métro, avec ce reflet que la vitre semble imposer à Nina qui détourne son regard).

    Bien sûr, des miroirs, il y en a quelques uns en trop dans Black swan, comme par exemple celui qui, à sa jointure, scinde le portrait du directeur Thomas au moment même où celui-ci explique la dualité de la femme-cygne dans l'œuvre de Tchaïkovsky. Darren Aronofsky ne peut apparemment pas résister à ce type d'effet, presque subliminal parfois. Mais eu égard à l'énergie et à l'efficacité de son film, je lui pardonne aisément ses débordements stylistiques et si, finalement, il ne donne peut-être pas l'impression de creuser très profond, Black swan se pose en héritier parfaitement crédible des fabuleux Chaussons rouges de Powell et Pressburger.

     

    Pour un avis radicalement opposé.

     

    blackswan00.jpgBLACK SWAN

    de Darren Aronofsky

    (Etats-Unis / 108 mn / 2010)

  • Le temps des grâces

    marchais,france,documentaire,2010s

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    (Chronique dvd parue sur Kinok)

    Le temps des grâces est un documentaire qui alerte sur les dangereuses mutations qu'a connu l'agriculture de notre pays depuis les trente glorieuses jusqu'à aujourd'hui. Non, ne fuyez devant cet énoncé... ce film engagé n'est signé ni par Yann Arthus-Bertrand ni par Nicolas Hulot mais par Dominique Marchais, qui réalise ici un premier long métrage aussi complexe et intelligent dans son contenu qu'inventif et maîtrisé dans sa forme.

    Nous écoutons tout d'abord les témoignages de quelques agriculteurs travaillant aux quatre coins de l'hexagone. Ceux-ci présentent leurs exploitations, expliquent leurs méthodes de travail, se positionnent par rapport à la situation actuelle de l'agriculture en France. Leurs interventions sont montées très simplement, les unes après les autres, et sont entrecoupées de plans descriptifs des campagnes qu'a traversé Dominique Marchais au cours de son enquête. La parole des paysans se déploie largement et les relances par le cinéaste sont rares.

    Puis, progressivement, la place est laissée à d'autres acteurs de ce secteur : microbiologistes, économistes, paysagistes, chercheurs agronomes... Du cas particulier, du concret, nous passons à l'analyse scientifique, à la prospective, à une vue d'ensemble sur tout ce système qui va à sa perte, sans toutefois que ce glissement du point de vue se fasse clivant, l'existence d'un dialogue et d'une interdépendance entre ces différents corps de métier étant évidente. Chacun a sa légitimité. Le rythme des interventions devient alors plus vif, sous l'effet du resserrement des témoignages et de leur entremêlement, et les propos tenus se font de plus en plus denses, jamais soumis à la moindre simplification. Ici, pas de jugement péremptoire, pas de discours formaté, pas d'utopie écolo béate, mais une série de propos réellement "pensés". Les problématiques se précisent au fur et à mesure et en même temps élargissent l'espace de réflexion. Ainsi, sans quitter les abords des fermes et des lieux de recherche agricoles, sans dévier de son sujet, Le temps des grâces a une portée effective bien plus large et se pose, sans avoir l'air d'y toucher, en grand film politique.

    Les maux dont souffre l'agriculture moderne sont lumineusement exposés. Course à la production, pollution, épuisement des sols, uniformisation des produits et des territoires... Les aberrations découlant de choix politiques, économiques et éducatifs ineptes sont pointées. Mais parallèlement, des pistes sont défrichées pour sortir du piège. Ces solutions existent et sont relativement simples, allant de la plantation de haies à une collectivisation de terres cultivables (et non de l'activité en elle-même), en passant par la couverture des sols par des résidus de broyage de rameaux permettant leur régénération. Elles nécessitent toutefois un changement radical de politique, le passage du produire plus au produire mieux et surtout un affranchissement des diktats de l'industrie (bataille rude à mener car comme le dit si pertinemment la biologiste Lydia Bourguignon, "la nature, si on s'en sert bien, a une gratuité qui est gênante à notre époque").

    L'un des prolongements de ce faisceau de réflexions concerne le paysage et cette composante essentielle du débat a l'avantage de pouvoir fournir une matière éminemment cinématographique. Dominique Marchais compose une série de plans magnifiques apportant une respiration et des temps de pauses. Mais il ne s'agit pas alors de se repaître paresseusement de belles images. Ces plans ont une durée, un cadre, un rythme, une pulsation, et leur assemblage est dû à un montage (et un mixage) tout à fait remarquable. Un jeu s'instaure parfois entre l'image et le son : des interlocuteurs peuvent être maintenus hors-champ longtemps après qu'ils aient commencé à nous parler ou bien la bande son, si calme, peut subir une soudaine invasion bruitiste à l'entrée d'une bergerie. Les transitions d'un plan à l'autre sont toujours soignées, souvent signifiantes mais jamais appuyées ni simplement illustratives. Ces écueils sont notamment évités par la prise en compte d'une donnée toute simple : la durée nécessaire du plan qui suit l'idée énoncée précédemment.

    Prenant d'abord appui sur les propos de ses interlocuteurs, c'est donc aussi "cinématographiquement" que Dominique Marchais interroge le paysage, avec ces plans fixes de sous-bois ou de champs cultivés, ces panoramiques embrassant tout un espace et ces travellings automobiles allant d'un bout à l'autre des villages. Cette dimension fait que Le temps des grâces n'est pas seulement une enquête passionnante et minutieuse doublée d'une mise en garde salutaire (ce qui serait déjà précieux). C'est aussi un film qui montre précisément ce que c'est aujourd'hui, concrètement, physiquement, de vivre en France.

     

    tempsdesgraces00.jpgLE TEMPS DES GRÂCES

    de Dominique Marchais

    (France / 123 mn / 2010)

  • Au-delà

    eastwood,etats-unis,mélodrame,2010s

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    La motivation me manquait, la fraîcheur de l'accueil réservé à ce nouvel Eastwood (*), dans la presse et sur le net, m'ayant presque découragé. J'avais tort (et je vais sûrement me retrouver bien seul).

    L'introduction d'Au-delà m'a personnellement stupéfait et je suis déjà reconnaissant au cinéaste de m'avoir fait remettre des images sur cet événement inconcevable que fut le tsunami asiatique de 2004, moi qui répugne depuis toujours à regarder les douloureux documents amateurs pris sur le vif des grandes catastrophes de notre temps. Cette reconstitution très localisée (un hôtel, une rue) et pourtant très impressionnante sera en fait le seul moment  qui, par son rythme, sa tension et son ampleur, se rapprochera du genre du thriller fantastique que le titre et l'argument d'Au-delà semblent annoncer. Plusieurs spectateurs ont été déçus de voir le film démarrer si fort pour, selon eux, s'affaisser ensuite. Peut-être attendaient-ils autre chose que ce que leur donne Eastwood : un vrai mélodrame.

    Ces premières séquences, traumatisantes, sont en fait le point de départ de la partie "française" du récit, qui en compte deux autres. Or, passée la violence du choc initial, nous constatons rapidement que cette histoire est la moins sombre, la moins dramatique des trois. De l'avis général, c'est également, au-delà du prologue, la plus faible cinématographiquement parlant. Deux ou trois séquences sont effectivement, disons, "limites". Celles des réunions chez l'éditeur, en particulier, heurtent quelque peu l'oreille par le contenu, le rythme et le ton des dialogues en français (**). Mais après tout, alors que, de notre côté, nous goûtons particulièrement les séquences du cours de cuisine italienne, il est fort possible que nos voisins transalpins les perçoivent comme une série de clichés peu supportables. Par ailleurs, Cécile de France est ici plutôt meilleure que chez Miller ou Klapisch.

    Surtout, ce segment a son utilité, celle du trépied qui assure une assise plus sûre et qui évite la prévisibilité d'une structure binaire, chose qui a été, par le passé, suffisamment reprochée à Eastwood. Un contrepoint est apporté par cette peinture d'un monde plus superficiel (celui des grands médias), aux personnages ressentant et dégageant des émotions moins directes, moins intenses. C'est une autre voie, une autre façon.

    Assurément, les deux autres histoires parallèles sont supérieures. La partie anglaise est d'excellente facture, très émouvante dans sa façon de décrire le lien indémêlable mais rompu brutalement entre deux jeunes jumeaux de la banlieue londonienne. La partie américaine est meilleure encore, scrutant sans pathos la douleur d'un Matt Damon vivant son don, celui de communiquer avec les morts, comme une malédiction. Deux séquences magnifiques de séduction sont au centre de ce récit-là. La simplicité, la franchise et la délicatesse eastwoodiennes font merveille dans ces moments d'intimité (voir la façon dont la caméra se rapproche peu à peu et isole les deux personnages amoureux du reste du groupe qui les entoure).

    Si l'on s'affranchit quelque peu de cette vision segmentée d'Au-delà, on trouve plus de subtilité et d'intelligence qu'il n'y paraît lorsque l'on se contente de soupeser les mérites de tel ou tel épisode. La construction repose sur une alternance classique que d'aucuns ont jugés trop attendue. Personnellement, c'est justement l'absence d'effets de manche dans les transitions, la rareté des croisements évidents, autres que thématiques, avant la toute dernière partie, qui me plaisent ici. Le thème, si difficile à manier, de la mondialisation passe d'abord par l'usage pertinent, réaliste, justifié, d'outils comme internet ou le téléphone portable, mais il s'efface bientôt devant l'idée de connexion. Connexion virtuelle puis "spirituelle". Mais celles-ci ne doivent pas faire oublier la nécessité d'une communication plus directe, passant en particulier par le toucher (les gestes de Damon qu'il réitère discètement lorsqu'il visite, à Londres, la maison de Dickens, auteur qu'il admire). Cette conscience donne tout son sens au dénouement.

    Je l'ai dit, l'œuvre est mélodramatique. Mais elle vise à apaiser. Elle se déploie avec une tranquilité remarquable, et cela sans asséner de message, les histoires abordées et les rapports décrits étant très différents les uns des autres. Face au deuil, à la mort, à l'après, chacun pense peut-être avoir une réponse ou une explication, mais celles-ci restent personnelles et ne sont pas érigées en règle par Eastwood. Ainsi, son film nous dit l'importance de l'individu au sein du collectif mais aussi celle de la présence aux autres, du toucher, du réel, du concret. Et l'importance de faire son deuil, d'accepter enfin de lâcher ce que l'on ne peut plus tenir entre nos mains.

     

    (*) : Accueil parfois aussi mauvais que pour le Somewhere de Sofia Coppola, mais plus "compréhensible", mieux argumenté et plus cohérent par rapport aux attentes et aux positions des uns et des autres. Bref, comme disait l'autre : ça se discute.

    (**) : Ajoutons, toujours à propos de nos oreilles, que la musique, une nouvelle fois signée par le cinéaste lui-même, n'est pas forcément très inspirée ni très bien utilisée.

     

    audela00.jpgAU-DELÀ (Hereafter)

    de Clint Eastwood

    (Etats-Unis / 129 mn / 2010)

  • Somewhere

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    - Tiens... on dirait que la chasse est ouverte. Chacun y va de son petit mot cassant à l'encontre de la jeune et riche héritière.

    - Oui et bien ne comptez pas sur moi pour y participer !

     

    Une défense de Somewhere, en écoutant les Strokes.

     

    Is this it

    Ce qu'il faut retenir du déjà fameux premier plan du nouveau film de Sofia Coppola, ce n'est peut-être pas tant le manège répétitif de la Ferrari noire de Johnny Marco que son arrêt soudain devant nous, sans raison particulière.

    Végétant à l'hôtel Château Marmont de Los Angeles, la star ne se lance dans des projets ou ne se soumet qu'à des activités qui, immanquablement, tournent court. Suivre une belle blonde en décapotable n'aboutit à rien, partir en balade mène à la panne de voiture, se lancer dans une partie de jambes en l'air provoque l'endormissement, accepter de se faire masser par un homme entraîne une inquiétude insurmontable. Il n'est alors pas étonnant qu'un aveu attendu, si important, soit formulé mais pas entendu, recouvert qu'il est par le bruit d'un hélicoptère. La remise d'un prix en Italie apportait pourtant la promesse d'un dépaysement libérateur mais là aussi, le discours de remerciement est court-circuité par un numéro berlusconien de danseuses sexys et, l'insatisfaction étant la même à Milan qu'à Hollywood, une nouvelle fuite s'impose.

    En s'inscrivant dans ce registre, en ponctuant la quasi-totalité de ses séquences par ces petites déconvenues, en les stoppant là où le mouvement s'arrête, contrarié, Sofia Coppola prend le risque de la déception. L'exercice est d'autant plus périlleux que, notre point de vue devant épouser celui du héros, l'image ne doit pas trop stimuler l'œil ni le son ambiant trop flatter l'oreille (ainsi, les scènes avec les stripteaseuses laissent entendre les crissements des mains sur les barres et maintiennent la musique à l'arrière-plan sonore, non mixée, sortant directement du lecteur CD posé à terre). La cinéaste doit donc faire preuve de discrétion sans trop abdiquer pour autant sur le terrain de la forme.

    Room on fire

    Sofia Coppola a toujours eu le talent de transformer une suite de saynètes en touchant récit impressionniste. Cet art de la vignette s’adapte parfaitement au sujet choisi car il concourt à relayer la perception fragmentaire du personnage principal. Celui-ci, dont les emplois du temps sont dictés par une invisible assistante, ne cesse de voir les choses lui échapper, se dérober progressivement. Et nous avec. Nous apercevons subrepticement une voiture accidentée sur le côté, nous croisons des jolies blondes interchangeables, nous imaginons des paparazzi en planque dans des 4x4, nous lisons des textos haineux et non signés… autant de flashs sans explications.

    C'est la simple présence de sa fille Cleo qui va aider Johnny. Oh, les choses changent à peine mais suffisamment, elles prennent une forme plus nette et une plus grande consistance. Sans Cleo, ce que Johnny peine à faire, c'est trouver matière à accrocher son regard. Il est important que les spectacles des deux filles dans la chambre encadrent celui que donne Cleo au skating. Devant le show érotique, Johnny s'endort, son regard ne tient pas, alors que l'exercice de sa fille le ravit, ouvrant grands les yeux et ne se laissant pas distraire par son portable.

    Tous ces plans rapprochés sur Stephen Dorff, excellent au demeurant, se justifient ainsi. Son regard, que l'on sent progressivement se renouveler, est notre relai. C'est l'un des nombreux côtés wendersiens de Somewhere, le souvenir le mieux ravivé étant celui d'Alice dans les villes, la présence de la jeune fille et la tentation du road movie aidants.

    First impressions of earth

    La dernière séquence reprend l'idée du court-circuit, sciemment provoqué cette fois-ci lorsque Johnny stoppe sa voiture sur le bas-côté. Il s'avance alors et semble enfin soutenir du regard une ligne de fuite.

     

    Quatre remarques complémentaires :

    - C'est Truffaut ou Godard qui disait que c'était aux cinéastes d'origine ouvrière de s'intéresser aux ouvriers ? Apparemment, de nos jours, il est devenu, aux yeux de beaucoup, indécent de ne filmer que ce que l'on connaît.

    - Je me demande comment peut-on, dans une critique du film, rapprocher autant de fois Somewhere de Lost in translation tout en faisant descendre la note de 4 sur 5 à 0 sur 5.

    - Je préfèrerai toujours les tics du cinéma indépendant US à ceux du cinéma d'auteur français.

    - Lorsque Sofia Coppola réalisera réellement un mauvais film, nous pourrons encore fermer les yeux et écouter la bande son.

     

    somewhere00.jpgSOMEWHERE

    de Sofia Coppola

    (Etats-Unis / 97 mn / 2010)

     

  • Mardi, après Noël

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    C'est l'histoire banale d'un adultère, aujourd'hui, à Bucarest. Mardi, après Noël est un film douloureux car il crée une intense proximité avec le spectateur. Ce qui se passe sur l'écran, on pourrait le toucher du doigt, tant cela semble tout près. Pourtant, nous ne sommes pas sous l'emprise d'une mise en scène de l'urgence, de l'intervention, où une caméra nerveuse et accrocheuse se collerait sous le nez des acteurs, mais devant une esthétique du plan séquence transparent. Transparent dans le sens où le plan sert avant tout à enregistrer, sans chercher à contraindre ou à signifier trop lourdement. Si un personnage est isolé dans le cadre ou repoussé dans le flou de l'arrière-plan, il ne le reste pas assez longtemps pour que l'évènement prenne la valeur d'un discours esthétique, d'un marqueur de style. Nous avons simplement le sentiment fugace d'un délitement.

    A partir de là, c'est peu dire que le film ne porte pas de jugement et que Radu Muntean ne propose pas une étude psychologique. Ses personnages sont là, c'est tout. Nous ne parlerons pas de réalisme mais de présence, d'évidence et de vie. La femme, placée devant le fait accompli de l'adultère par le mari a ses mots aussi banals qu'imparables : "Cela devait arriver puisque c'est arrivé." En fait, nous ne le réalisons qu'après coup mais nous n'avons finalement vu durant tout ce film que des situations archétypales, des passages obligés pour toute histoire de tromperie conjugale : le prélassement dans les bras de l'autre, la rencontre fortuite entre les deux femmes, l'escapade sur un coup de tête, la révélation du secret, la rupture... Le petit miracle du film est que ces scènes parviennent à avoir le goût de l'inédit.

    Cette réussite tient à plusieurs facteurs, savamment dosés. L'interprétation est sans faille, l'écriture est d'une belle finesse et, surtout, le rythme qui gouverne les plans séquences est d'une extraordinaire précision. Avec simplicité, il se cale sur les dialogues, d'apparence anodine sans être ennuyeux, peut-être légèrement condensés par rapport à la vie réelle, afin de préserver l'énergie des séquences. C'est un film de conversation, un constat sur le couple qui dit tout d'une vie sans presque rien avancer, une vue en coupe éclairée d'une lumière bergmanienne. C'est aussi, encore une fois, une très bonne nouvelle cinématographique venant de Roumanie. 

     

    mardiapresnoel00.jpgMARDI, APRÈS NOËL (Marti, dupa craciun)

    de Radu Muntean

    (Roumanie / 99 mn / 2010)

  • Le nom des gens

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    C'est un film sympathique, assez drôle, actuel mais pas sans distance, que j'ai vu dans une salle comble plus d'un mois après sa sortie. Ce qui empêche Le nom des gens d'accéder au statut d'excellente comédie est sa mise en scène, peu personnelle (alors que le sujet traité l'est absolument mais cela a été suffisamment rabaché dans la presse pour ne pas avoir à y revenir ici). Celle-ci se fonde trop exclusivement sur une série d'idées souvent séduisantes mais qui pourraient sortir tout aussi bien du cerveau d'un Jean-Pierre Jeunet. Les récits entrecroisés des origines de Bahia et Arthur, les petites fantaisies spatio-temporelles et l'attendrissement devant certains objets du quotidien ou certaines anecdotes renvoient régulièrement vers l'univers de l'auteur d'Amélie Poulain. Mais reconnaissons bien que la plupart de ces "trucs" fonctionnent ponctuellement. J'aime assez, par exemple, l'illustration de cette incapacité qu'a Arthur de visualiser son père jeune ou cette manie que l'on a chez les Martin de n'acquérir que du matériel qui finit inexorablement par être démodé quelques mois plus tard.

    D'autres réserves viennent à l'esprit mais celles-ci peuvent plus aisément se voir "retournées". La succession de saynètes, l'impression de catalogue et les invraisemblances (la dernière partie autour de l'islamiste), les auteurs les assument certainement au nom de la fable contemporaine. De même, l'aspect décousu du récit découle de l'alternance du point de vue, les bourrasques provoquées par Bahia ayant leur répercussions jusque là. Parmi les scènes d'émotion, ma préférence va aux plus simples, à la merveilleuse façon qu'a Sara Forestier de répondre à la question de Jacques Gamblin s'étonnant de son choix de coucher avec lui alors qu'il n'est pas de droite : "Toi c'est pas pareil. Toi j'taime."

    Plus que le côté "coquin" du film (pour agréable qu'il soit, il ne se transforme jamais en autre chose, à cause du maintien du déséquilibre entre la nana délurée et le mec pudique, le désir ne semble circuler que dans un sens) c'est l'approche politique qui intéresse. Elle est plus subtile que ne le laissent entendre les journalistes lorsqu'ils mettent en exergue telle phrase sur les étrangers prononcée par l'héroïne. Ces propos sont en effet soit parfaitement intégrés aux discussions, soit, justement, gentiment pointés comme purs slogans, discours construit au fil d'une éducation et d'un militantisme particuliers. A ces sorties plus ou moins pertinentes de Bahia, les auteurs, essentiellement par l'entremise du personnage masculin, ajoutent des contre-exemples ou des nuances, de façon à éviter le manichéisme et le trop politiquement correct. Faisant cela, ils ne cherchent toutefois pas à contenter tout le monde (contrairement à Ozon et sa Potiche) ni à brouiller les pistes sur la position politique qu'ils tiennent. C'est tout à leur honneur.

     

    nomdesgens00.jpgLE NOM DES GENS

    de Michel Leclerc

    (France / 100 mn / 2010)

  • Another year

    (Mike Leigh / Grande-Bretagne / 2010)

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    anotheryear.jpgEncore sous le coup du traumatisme causé par Be happy, j'ai eu du mal à m'enthousiasmer totalement pour Another year, œuvre qui semble pourtant combler une majorité de critiques et de spectateurs. L'heure n'est donc pas encore tout à fait, pour moi, à la réconciliation avec le cinéma de Mike Leigh. Je reconnais toutefois plusieurs qualités au nouveau film de l'auteur de Naked.

    La construction en est plutôt habile, bien que s'appuyant classiquement sur les quatre saisons d'une année, déroulées du printemps à l'hiver et colorant le récit en fonction. Habile dans sa manière de faire dériver à petits pas son point de vue, le "couple modèle" au centre de l'attention n'agissant en fait que comme révélateur et s'effaçant presque, au final, devant l'un des personnages lui tournant autour. Leigh reste par ailleurs un remarquable observateur des comportements et son regard est toujours des plus perçants - même si la façon dont il redonne vie à ce que capte son œil, n'est ici pas toujours pleinement satisfaisante.

    Another year est avant tout un film de conversations, familliales ou amicales, qui joue complètement le jeu. C'est-à-dire que, sans hésitation ni roublardise, y sont évoqués quelques noms et plusieurs anecdotes que le spectateur ne peut connaître et ne connaîtra jamais véritablement. A l'image de la saisissante introduction, des pistes s'ouvrent qui ne sont pas empruntées par la suite. Au moins dans la première partie, se remarquent l'absence d'enjeux dramatiques et la banalité des propos avancés, des gestes effectués dans les cuisines, les salles à manger et les couloirs. Le film est plutôt intéressant dans le sens où il ne semble bâti que sur ces échanges sans importance mais qui, sous leur apparente petitesse et par leur répétition, en disent long, à la fois sur les personnages et sur l'état d'esprit de l'auteur.

    En même temps, l'impression de bavardage est là et les instants que l'on apprécie le plus sont ceux qui se glissent "entre" ou "après" les mots, quand le cinéaste leur laisse la place. Il en va ainsi, par exemple, de la séquence centrée sur les regards que portent Gerri et Mary sur le pauvre Ken lors du barbecue.

    En d'autres temps souvent stimulant, le paradoxe d'un réalisme retrouvé en empruntant les chemins du théâtre est dans Another year quelque peu pénalisant. Les croisements dans le lieu principal du récit et la technique de jeu des comédiens font parfois tiquer. Il y a dans bien des interprétations du sur-expressif et du faux naturel. Avec ce type de film choral, ou du moins réunissant plusieurs individus à l'importance comparable, et dépendant à ce point des acteurs, l'un des risques est de laisser le spectateur juger un à un ces derniers, et leurs personnages, selon ses préférences et sa sensibilité. Ainsi, la nouvelle petite amie du fils, jugée si "marrante" par le père, me ferait personnellement fuir à toutes jambes. Un peu plus embarassant, la composition de Lesley Manville, qui a semble-t-il impressionné tout le monde ou presque, m'a plutôt fatigué, malgré la force indéniable du final qui lui est consacré.

    Cette force, que l'on peut d'ailleurs ressentir dans le quatrième chapitre, "hivernal", à partir de la séquence de l'enterrement, pose en quelque sorte problème. Il y a en effet, dans ces moments, une certaine insistance de la mise en scène, qui en dit alors trop quand, ailleurs, elle en disait très peu. Sans doute est-ce là une conséquence du léger déplacement narratif évoqué plus haut mais j'aurai aimé observer un travail moins inégal sur la durée.

    Ainsi, je vois bien, dans la filmographie de Mike Leigh, quatre ou cinq opus supérieurs à cet Another year estimable mais un peu boiteux.

  • Potiche

    (François Ozon / France / 2010)

    ■□□□

    potiche.jpgPotiche est à peine moins mauvais que sa bande annonce ne le laisse penser. Post-moderne en diable, le dernier film de François Ozon apparaît sans enjeu ni point de vue. Quel intérêt à filmer aujourd'hui une vieille pièce de théâtre de boulevard si c'est pour se contenter d'imiter de manière nostalgico-fétichiste le style cinématographique des années 70 ? Au bout d'une heure trois quarts de projection, nous ne trouvons toujours pas la réponse à la question.

    Au moment où Blake Edwards nous quitte, nous peinons décidément à voir en François Ozon, malgré ses déclarations d'intention et ses efforts, un auteur comique, la capacité de Potiche à déclencher le rire étant à peu près nulle. Tout juste ai-je personnellement décroché deux ou trois sourires, suite à un bon mot ou à une réaction amusante, ce qui, au bout du compte, est déjà ça de pris tant le début du film est calamiteux (là où l'on voit les acteurs forcer la note, histoire de se mettre immédiatement au niveau (?) du matériau de départ). Mais le manque d'invention de la mise en scène, l'absence d'emballement du récit et de géniale trouvaille de comédien(ne) sautent aux yeux. Les petits décalages créés par l'emploi anachronique de certaines répliques "sarkozystes" n'arrangent rien. Je suis certain que les blagues autour des "Casse-toi pov' con !" et autres "Travailler plus pour gagner plus" font aujourd'hui, en privé, hurler de rire notre Président lui-même et ses laquais. Replacer ces mots dans le contexte de Potiche serait subvertif ? Allons donc...

    La dimension politique du film d'Ozon est d'ailleurs désarmante, pour ne pas dire affligeante. La caricature fait peine à voir, au point que certaines "comédies de gauche" signées Coline Serreau ou Gérard Jugnot paraissent, à côté, des chefs d'œuvres de finesse. Gardant sa position de retrait, Ozon se garde bien de faire le moindre choix. Il s'agit pour lui de critiquer un peu tout le monde pour ne froisser personne (les gens de gauche ont du cœur mais sont un peu cons, les gens de droite peuvent être odieux mais, paradoxalement, c'est le ridicule qui les sauve). Bien évidemment, Catherine Deneuve triomphe aux élections législatives en se présentant "sans étiquette".

    Il y a tout de même, au cœur de ce marasme, quelque chose qui fait que Potiche vaut mieux qu'une émission d'Arthur, quelque chose qui résiste à la mécanique boulevardière et à la dissolution du politique : la présence de Gérard Depardieu, son corps, sa diction, son regard. A l'écran, il parvient même à élever ses partenaires, à les arracher, le temps de leurs scènes en commun, à l'artificialité ambiante (Jérémie Renier et, bien sûr, Catherine Deneuve, sans qu'il soit pour autant nécessaire de nous sommer de nous émouvoir outre mesure de leurs retrouvailles, celles-ci ayant de toute façon lieu tous les cinq ans à peu près). Grâce à Depardieu, quelque chose, dans cette lisse Potiche, accroche.

  • Mystères de Lisbonne

    (Raoul Ruiz / Portugal - France - Brésil / 2010)

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    mysteresdelisbonne.jpgMalgré ses deux cent soixante six minutes, les chemins géographiques qu'elle parcourt et la multiplicité des récits qu'elle donne à voir et entendre, je ne suis pas sûr que l'on doive vraiment parler des Mystères de Lisbonne (Mistérios de Lisboa) comme d'une œuvre "monstrueuse", le style de Ruiz me paraissant y être présent dans sa totale nudité, comme épuré. Certes, quelques étrangetés subsistent, dans un coin du décor, dans un comportement ou, plus couramment, dans le choix d'un cadrage, et des "trucs" de mise en scène venant du théâtre ou du muet sont une nouvelle fois utilisés avec bonheur, mais le plan ruizien est dans ce film beaucoup moins chargé et bizarre qu'à l'accoutumé.

    De manière plutôt inattendue, le dispositif, reposant sur l'usage du plan-séquence, est assez frontal et donne la sensation d'un aplat qui serait ça et là travaillé avec délicatesse pour lui donner quelques courbures (les travellings en demi-cercle) et reliefs (la profondeur de champ dans la séquence de l'incendie). Ruiz semble inventer sous nos yeux le "plan fixe mouvant" ou bien le "travelling immobile". Il est dès lors fort logique que les personnages, pourtant emplis de dignité et d'assurance, soient sujets au vertige et s'évanouissent si régulièrement.

    Sur le plan narratif également, le film déjoue certaines attentes, construit qu'il est sur une succession horizontale de récits, ceux-ci n'étant pas entremêlés ni vraiment enchâssés (à peine trouve-t-on un ou deux "récits dans le récit"). Ruiz parvient à préserver d'un bout à l'autre l'imprévisibilité de son histoire mais ne cherche pas à nous égarer entre différents niveaux. Il reprend les codes du feuilleton, dans lequel comptent les liens entre les épisodes mais surtout le plaisir de l'épisode en tant que tel. Ne se chevauchant pas, les différents récits présentés ne font que se répondre de loin en loin et, la longueur aidant, joue des réminiscences que perçoit le spectateur, celui-ci partageant alors le trouble de certains personnages et se posant la même question qu'eux : "Cette personne, où l'ai-je déjà vu ?". Si les rimes peuvent perdre, à la première vision en tout cas, de leur efficacité sur cette durée extrême (comme l'intérêt peut faiblir aussi parfois, avouons-le), cette dilution s'intègre parfaitement au projet.

    Plaisir du feuilleton, de l'épisode, plaisir d'écouter les récits qui nous sont contés, par différents protagonistes. Leur illustration recouvre la majeure partie du film. Juste avant que n'intervienne l'entracte, le Père Dinis, personnage principal, prêtre justicier aux identités multiples et grand organisateur omniscient, nous annonce qu'il lui a été demandé d'effectuer deux nouvelles visites à des personnes dont le rôle avait été jusque là secondaire et cela sonne pour nous comme autant de promesses de nouveaux récits. L'envie est irrépressible pour le spectateur de se plonger dans la deuxième partie, cette envie étant comparable à celle des domestiques, des invités, des divers comparses, qui ne peuvent s'empêcher d'écouter aux portes, de coller le nez aux fenêtres, d'entrouvrir les tentures des salons privés, happés par le mystère. Il s'agit toutefois moins de saisir une révélation, d'avoir une explication, que de se laisser porter, sans chercher à savoir où le récit va nous mener. Il arrive d'ailleurs que des comportements, des gestes, des rires ou des propos paraissent inexplicables et restent inexpliqués. Les rebondissements subissent aussi un traitement particulier, chaque fois repoussés au plus loin dans le déroulement des séquences.

    Les histoires des Mystères de Lisbonne nous emportent. Mais dans ce flot majestueux, derrière la netteté de la magnifique photographie, la beauté des costumes et des décors et la vigueur de la troupe réunie, se déploie une gravité à laquelle le cinéaste nous avait guère habitué. Les apparitions et disparitions des personnages dans le champ génèrent plus d'inquiétude que de surprise. Surtout nous frappent ces multiples concomitances : une femme ne survit pas à un accouchement, des enfants sont sauvés des flammes mais pas leur mère, à deux pas de l'école religieuse, on pend des hommes, dont l'un s'avère être le père d'un petit camarade... C'est paradoxalement dans une œuvre de près de 4h30 que Raoul Ruiz nous dit que la vie et la mort, l'origine et le terme, ne sont finalement pas si distants  les uns des autres que l'on veut le croire.

  • Le soldat dieu

    (Koji Wakamatsu /Japon / 2010)

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    soldatdieu.jpgPendant la guerre sino-japonaise, le soldat Kurokawa revient chez lui en héros couvert de médailles mais sans ses bras, ni ses jambes, ni l'usage de la parole. Son épouse Shigeko s'en occupe alors comme elle peut, subissant le poids de cet homme-tronc insupportable et violent. Mais la répétition des parades dans le village, des tâches domestiques, des soins, des repas et des faveurs sexuelles va mener finalement vers une inversion du rapport de domination dans le couple.

    Le retour du mutilé de guerre est un ressort classique du mélodrame que l'impétueux Wakamatsu tend ici à l'extrême. Son soldat brisé n'a rien de l'être sensible envoyé au front malgré lui, un dialogue nous apprenant d'ailleurs que ses accès de violence envers sa femme ne datent pas de sa réapparition. En guise d'action de guerre, on ne nous montre que le viol et le meurtre qu'il commet sur une Chinoise, avant de se faire écraser par une charpente enflammée. La première réaction de Shigeko, passée la sidération devant l'horrible vision de l'état de son mari est d'essayer de l'étrangler. Wakamatsu exacerbe le genre du mélodrame guerrier mais plutôt qu'à une explosion des codes, il travaille à une implosion ou à un épuisement.

    Un huis-clos s'installe, rythmé par les mêmes actions revenant jour après jour. Dormir, manger, baiser pour Kurokawa. Succession identique pour Shigeko mais s'y ajoutent de façon éreintante les travaux intérieurs et extérieurs. Les scènes se répètent, sans apprêts, en particulier celles de sexe, frontales et jouant de la monstruosité, de l'incongruité ou du grotesque, sans toutefois les rendre repoussantes en bloc car si condamnation il doit y avoir, elle ne doit bien sûr pas porter sur cela. A plusieurs reprises, des séquences - généralement parmi les moins confortables - se terminent sur un panoramique identique ayant pour cible le pan de mur contre lequel reposent les médailles de Kurokawa, le journal qui annonce son retour et une photo du couple impérial.

    Seules quelques promenades d'apparat apportent une aération. Shigeko exhibe dans sa charrette celui qui est devenu, aux yeux des villageois, le "soldat-dieu". Adulé, il se tient figé, bien droit, en uniforme. De retour à l'intérieur, Wakamatsu n'a de cesse de le mettre à nu, moignons à l'air et montre le héros local comme un ver de terre grotesque, odieux, bavant et grognant. La vision tient de l'anti-nationalisme rageur, dont l'une des manifestations les plus saisissantes est le chant patriotique qu'entonne une Shigeko à bout de nerfs au moment où elle torche son homme-tronc.

    Aller droit au but n'empêche cependant pas Wakamatsu de laisser planer quelques ambiguïtés. La tyrannie masculine est, sinon totalement renversée, du moins contrée. Shigeko, en reprenant le dessus, réalise, sans en avoir conscience, une double vengeance : l'une en sa faveur, l'autre pour la fille violée, dont le souvenir, provoqué par les étreintes, revient hanter violemment l'esprit et le corps du mari. Et paradoxalement, c'est une sorte d'équilibre qui est trouvé par le couple au bout d'un déchaînement paroxystique éprouvant les limites du spectateur. Mais le calme revenu, la conscience désembuée ne peut désigner qu'une seule issue morale à la situation.

    Film complexe quant aux rapports qui s'établissent entre les personnages et peu enclin à ménager l'œil, l'esprit et l'estomac du spectateur, mais film très direct dans la formulation de son message politique, Le soldat dieu (Kyatapira) impressionne, même s'il ne retrouve pas tout à fait la force, notamment sur le plan narratif (l'insertion d'images d'archives et de flash-backs est plus classique) du précédent Wakamatsu, United Red Army.

     

    FIFIH2010.jpgSortie aujourd'hui. Film présenté en avant-première (et primé) au