(Xavier Beauvois / France / 2010)
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Xavier Beauvois est tout de même un drôle de bonhomme. Voilà quelqu'un capable de signer à 24 ans un premier long-métrage assez impressionnant de sécheresse (Nord, 1991) avant de s'abîmer dans le pathos (N'oublie pas que tu vas mourir, 1995), puis, après un troisième essai que j'avais alors soigneusement évité (Selon Matthieu, 2000), de dresser un portrait anecdotique de la police française au travail (Le petit lieutenant, 2005) avant d'effectuer, avec Des hommes et des dieux, un geste plus essentiel, qui lui a valu un Grand Prix cannois et un beau succès public.
La réussite est d'abord rendue possible par l'intelligence dans la manière de camper les personnages. Dans les premières séquences, il n'y a que le Frère Luc que nous entendons parler, soit Michael Lonsdale, acteur le plus évidemment écclesiastique de la troupe (par son aura et son parcours). Ses camarades du monastère sont, eux aussi, suivis dans leurs activités quotidiennes, mais silencieusement. Au commencement est donc le geste. Et pour celui dont le visage est le mieux reconnu, Lambert Wilson, l'incarnation passe en premier lieu par l'adoption d'une démarche et de postures singulières. Au début du film, se trouve une scène dans laquelle les moines assistent à une cérémonie organisée par l'une des familles du village. Ce moment montre, de manière très simple, ce qui lie les trappistes et la population locale musulmane, en les mêlant chaleureusement aux habitants, mais également ce qui les distingue, puisque l'on perçoit un léger décalage entre les gestes et les allures des uns et des autres.
Bien aidé par l'implication des acteurs, Beauvois impose ainsi d'emblée une crédibilité. Le travail sur les dialogues est également, dans cette optique, à souligner. Les formulations entendues, qui dans d'autres bouches pourraient paraître soit simplistes soit empesées, sont, dans ce monde-là, parfaitement à leur place. De plus, cette simplicité et cette clarté de l'élocution permet d'évoquer avec force et concision les enjeux politiques, comme c'est le cas, par exemple, lors des visites des moines aux autorités inquiètes du village, belles et émouvantes séquences.
Émouvantes car Beauvois enregistre là, comme ailleurs dans le récit, ces dialogues inter-religieux que l'on sent (ou que l'on nous dit) aujourd'hui impossible. Il passe dans ces séquences le sentiment d'une perte, sans forcer le trait ni verser dans l'angélisme (les propos du responsable algérien qui avance l'idée d'une présence des moines français comme prolongement du colonialisme). Certains ont trouvé que Beauvois ne s'est pas mouillé. Je pense pour ma part que son propos est suffisamment clair et que son film n'aurait pas vraiment gagné à être accompagné d'un message plus appuyé.
Bénéficiant d'une belle lumière ciselée par Caroline Champetier et usant intelligemment de ses échelles de plans, le cinéaste façonne des petits blocs aux coupes très franches. Le montage est brutal, pouvant enchaîner d'un seul coup l'agitation d'un marché populaire et le silence d'un couloir du monastère. Il est coupant comme le froid hivernal qui enserre la région, rigoureux comme les rituels des trappistes. Il procure ce sentiment d'un temps qui passe de façon très particulière.
Cette avancée par succession de segments a son revers. Il faut trouver le moment et le lieu où le récit doit s'arrêter. Beauvois semble hésiter (ce que tendrait à confirmer les propos du cinéaste et de ses acteurs avouant que la scène des "têtes coupées" a bien été tournée, bien qu'elle n'ait pas été retenue dans le montage final) et si Des hommes et des dieux manque de peu de passer pour un très grand film, la cause est sans doute à chercher dans le fléchissement de la dernière partie. Ainsi, la scène, maintenant fameuse, du dernier repas au son du Lac des cygnes, me paraît, malgré certains gros plans très beaux, un peu trop longue, trop découpée et surtout gâchée par le mixage ne gardant que la musique. A l'image de celle-ci, plusieurs séquences viennent à nous comme des fins possibles. Des hommes et des dieux dure deux heures alors que les Fioretti de Rossellini ne débordent pas des quatre-vingt-dix minutes et la Thérèse de Cavalier à peine. Voilà la légère réserve que je formulerai à l'encontre de ce beau film.
Les deux précédents longs métrages de Lee Chang-dong, Oasis et
Le Britannique Michael Winterbottom est un réalisateur moyen, dont les résultats oscillent entre le pas terrible et le pas mal, du moins pour ce que j'en sais, celui-ci tenant en effet une cadence de production impressionnante et difficile à suivre (une vingtaine de titres accumulés depuis le début des années 90). Précédé d'une légère odeur de souffre, essentiellement due à la sauvagerie de quelques meurtres (notre homme aimant se faire parfois provocateur comme lorsqu'il réalisa ce 9 songs alternant scènes de sexe et captations de performances rock, expérience au final plus ennuyeuse qu'autre chose, si l'on en croit la très grande majorité des spectateurs y ayant goûté), The killer inside me ne change en rien la position du cinéaste, ce dernier opus en date, bien que s'assurant l'une des meilleures places au sein de la filmographie, drainant en quantités égales qualités et défauts, habiletés et maladresses.
Le grand retour de Blier ? Mon cul, oui !
La Tamara de Stephen Frears étant plus charmante et moins horripilante que la Poppy de Mike Leigh, Tamara Drewe est plus supportable que
Si le film ne décante pas si mal dans mon esprit depuis quelques jours, j'avoue qu'à regret je suis resté un peu extérieur au spectacle de L'illusionniste. N'en ayant vu aucun extrait et m'étant gardé de lire la moindre critique avant d'entrer dans la salle, je fus d'abord surpris, déconcerté, de voir que Sylvain Chomet tentait de façon si littérale de faire revivre le cinéma de Jacques Tati... et l'acteur lui-même. Son Tatischeff dessiné a exactement les mêmes postures, la même raideur, le même rythme de marche saccadé, la même retenue verbale, la même politesse excessive que les personnages créés par l'auteur de Playtime. Il m'a en fait fallu un temps certain avant de faire abstraction de ce fait, comme parfois on peut se voir gêner pendant les premières minutes d'un biopic consacré à une personnalité que l'on connaît. Cette idée du mimétisme, de la performance, resurgit d'ailleurs à la fin du métrage, au moment du générique se déroulant sur fond d'une chanson dont chaque couplet est chanté "à la manière de" (tous les grands sont imités, de Brel à Brassens, en passant par Piaf, Trenet, Gainsbourg etc...). Cela peut relever de l'anecdote mais ce choix me semble assez symptomatique de la démarche de Chomet, qui n'aboutit pas selon moi à un résultat totalement convaincant.
Comme tous les grands films de Kiarostami, Copie conforme raconte une histoire en même temps qu'il la montre en train de s'écrire. Ce double niveau n'est pas rendu sensible par un emboîtement. La caméra ne recule pas pour dévoiler un dispositif de représentation. Non, le jeu est plus subtil et plus mystérieux.
Révoltes, coups d'états, guerres civiles, génocides : l'Afrique n'en finit pas de sombrer et tout cela n'a pas de sens. Des causes, oui, mais pas de sens. Pas plus que n'en a le comportement de Maria Vial, gérante d'une vaste plantation qui, au moment où rebelles et militaires prennent la région en étau, refuse d'être évacuée avec l'armée française, continue à embaucher des gens lorsque ses ouvriers fuient, et nie le danger devant tout le monde, ses employés et sa famille. L'héroïne de White material refuse de voir et Claire Denis se sert de cette cécité pour faire passer à l'écran l'impression de dissolution du sens, la difficulté qu'il y a à saisir (aussi au sens de la rattraper) cette Afrique qui s'écroule. Ainsi, abondent les plans obstrués, la vision se trouvant gênée par la végétation, les grillages, la poussière soulevées par les hélicoptères, les vitres des véhicules. Toujours, quelque chose fait écran.
Le choix de ce Mariage à trois a donc été fait par défaut et je n'aurai probablement pas été voir ce nouveau Doillon sans ce concours de circonstances, ce que j'en savais jusque-là ayant faiblement stimulé ma curiosité (malgré l'estime que je peux avoir pour certains films de l'auteur,