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2010s - Page 20

  • Copie conforme

    (Abbas Kiarostami / Italie - France / 2010)

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    copieconforme.jpgComme tous les grands films de Kiarostami, Copie conforme raconte une histoire en même temps qu'il la montre en train de s'écrire. Ce double niveau n'est pas rendu sensible par un emboîtement. La caméra ne recule pas pour dévoiler un dispositif de représentation. Non, le jeu est plus subtil et plus mystérieux.

    Il est pris en charge d'abord par les personnages. Au fast-food, le fils expose clairement ce qu'il pense qu'il se passe entre sa mère et l'écrivain, puis ces deux derniers ne vont cesser de faire des propositions permettant autant de mises en scène de récit : aller se promener, entrer dans un café, observer un rituel (la première de ces propositions étant bien sûr de faire une conférence sur le thème "copie et original", sans compter celle, encore en amont et "hors du film", de lancer le "jeu"). Les dialogues concourent à cette mise à distance, s'appuyant sur des thèmes propices puisque le statut de l'oeuvre d'art est au centre des conversations. Du tableau (ou de la statue) au film, il n'y a qu'un pas et c'est donc, de manière évidente, la position du cinéaste lui-même qui est questionnée ici. Avec le travail sur le hors-champ, les cadrages et les reflets, la mise en scène n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de naviguer dans l'entre-deux. Le procédé le plus saisissant est sans doute celui qui consiste à briser le rythme des séquences entamées avec des plans assez larges et mobiles par l'intrusion de plans fixes rapprochés. Cette frontalité soudaine est très déconcertante, surtout lorsqu'elle concerne Juliette Binoche. Régulièrement, l'actrice semble regarder la caméra et la frontière avec le spectateur s'abolit. Un isolement brutal du personnage est réalisé par ce déchirement, pratiquement une extraction. Personnage ou actrice au travail ? Le film se met, sinon en danger, du moins en équilibre précaire. Parfois, dans les dialogues, des hésitations se font, on bute sur des mots. L'accident du réel est intégré avec le maîtrise habituelle du cinéaste.

    La beauté de Copie conforme tient à ce flottement (sensation amplifiée par cette césure narrative, si radicale que l'on met quelques minutes à s'y faire, à la digérer, à l'accepter) et à ce que l'indécidabilité se diffuse sur un fond de mise en scène de la "transparence". Cette simplicité apparente du geste kiarostamien laisse une nouvelle fois pantois : merveilleux choix de cadrages faisant réellement vivre le décor, admirable photographie des visages (jusque dans les jeux de pénombre), trame sonore précise dans l'emploi des différentes langues comme dans celui des éléments environnants (surtout les cloches d'église, cela bien avant le plan final).

    Que le sujet de la réflexion passe progressivement de l'art au couple et que le cinéma englobe les deux, est une autre raison d'aimer ce film qui, sous ses apparences d'oeuvre mineure, confirme encore, si besoin était, l'importance de Kiarostami. L'homme a ce don unique et précieux de transcender la mélancolie, voire le pessimisme, de ses récits par une forme qui permet d'avancer (aux personnages et aux spectateurs). Même lorsque l'on y parle de la mort ou de la fin d'une histoire, nous ne restons jamais à l'arrêt.

    Vu par un nombre manifestement inhabituel de spectateurs, pour un Kiarostami, et largement recensé ici ou là, Copie conforme a globalement déçu. Dommage.

    Un dernier mot : j'ai été assez ému de retrouver Juliette Binoche.

  • White material

    (Claire Denis / France - Cameroun / 2010)

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    whitematerial.jpgRévoltes, coups d'états, guerres civiles, génocides : l'Afrique n'en finit pas de sombrer et tout cela n'a pas de sens. Des causes, oui, mais pas de sens. Pas plus que n'en a le comportement de Maria Vial, gérante d'une vaste plantation qui, au moment où rebelles et militaires prennent la région en étau, refuse d'être évacuée avec l'armée française, continue à embaucher des gens lorsque ses ouvriers fuient, et nie le danger devant tout le monde, ses employés et sa famille. L'héroïne de White material refuse de voir et Claire Denis se sert de cette cécité pour faire passer à l'écran l'impression de dissolution du sens, la difficulté qu'il y a à saisir (aussi au sens de la rattraper) cette Afrique qui s'écroule. Ainsi, abondent les plans obstrués, la vision se trouvant gênée par la végétation, les grillages, la poussière soulevées par les hélicoptères, les vitres des véhicules. Toujours, quelque chose fait écran.

    La sensation d'observer un pays qui part à vau-l'eau est amplifiée par la construction chaotique du récit. L'avancée s'y fait sans repères politiques (le pays n'est jamais nommé; groupes rebelles, armée régulière et milices sont impossibles à différencier au premier abord), ni temporels (l'histoire ne se déroule que sur une poignée de jours mais la chronologie est bousculée et si l'on distingue bien un large flash-back, constituant l'essentiel du film, certaines séquences restent difficiles à situer). De même, il faut souvent attendre sa troisième ou quatrième intervention pour comprendre le statut de tel ou tel personnage.

    Pour faire tenir ensemble ces séquences flottantes, la cinéaste utilise l'art le moins figuratif qui soit : la musique. La superbe partition est signé des Tindersticks, collaborateurs maintenant réguliers de Claire Denis, et sa qualité étonnera ceux qui, comme moi, sont devenus au fil des ans plutôt indifférents à la routine discographique du groupe. Cependant, à la valoriser ainsi, à la laisser épouser si parfaitement le flux des images, à faire qu'elle soit garante de l'unité esthétique des séquences, la réalisatrice courre le risque de creuser un écart entre les séquences musicales et les autres, ces dernières apparaissant tout de suite plus ingrates et plus explicatives.

    Car si Claire Denis joue avec talent de l'ellipse, de l'ombre et de la suspension, elle ne s'appuie pas moins sur des situations et des personnages qui sont autant d'archétypes. Et ces modèles finissent par poser problème. La figure mythique populaire (le "boxeur"), le chien fou, le vieux maître... Bankolé paraît sacrifié, Duvauchelle incompréhensible, Subor monolithique, Lambert réduit à apporter les éclaircissements dramatiques jugés nécessaires. Les éléments éparpillés par le montage trouvent finalement leur place logique dans la narration et l'ordonnancement déçoit. Comme nous le pressentions, tout était donné d'avance, dès l'introduction du film, celui-ci apparaissant au final refermé sur lui-même. La mise en scène escamote la montée en puissance que l'on serait en droit d'attendre, préférant verser dans un symbolisme appuyé. White material perd de sa force au fur et à mesure qu'il avance, dans un mouvement inverse à celui espéré. La fin était au début. Certes, cette dévitalisation redouble celle des personnages et du pays entier qui semblent se vider sous nos yeux mais la conscience de ce lien entre la mise en scène et le sujet n'empêche malheureusement pas de trouver que le film ne tient pas toutes ses promesses.

  • Mammuth

    (Benoît Delépine et Gustave Kervern / France  / 2010)

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    Mammuth.jpg

    Je n'ai pas beaucoup aimé Mammuth, ma première expérience du cinéma de Delépine-Kervern.

    Je n'ai pas beaucoup aimé le grain de cette image qui, s'il est inhabituel, enlaidit encore un peu plus les gens et les lieux.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que des réminiscences de The Wrestler m'assaillent (l'allure de Depardieu, la caméra portée cadrant sa nuque, les scènes de supermarchés, le portrait de marginal, le chemin vers la rédemption, les retrouvailles, la relation entre un homme âgé et une fille plus jeune de la même famille), car elles sont toutes très défavorables à Mammuth.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que la Charente soit filmée comme le Nord de la France et de l'Europe. Je n'y vois pas d'intérêt, à part celui qu'ont les cinéastes de rattacher à tout prix leur œuvre à d'autres, celles de la famille qu'ils se sont choisi (l'équipe de C'est arrivé près de chez vous, Aki Kaurismäki, Noël Godin...).

    Je n'ai pas beaucoup aimé l'humour du film. Voir Depardieu bafouiller des banalités au téléphone, à moitié à poil, assis sur son lit, me fait très moyennement rire. Quant au trash, c'est une affaire de goût. En revanche, il est problématique de trouver des séquences comme celle de l'expédition punitive de Yolande Moreau et sa copine : celle-ci ne tient que par sa chute (les deux femmes réalisent tardivement qu'elles n'ont aucun moyen de localiser la voleuse de portable), chute qui se fait attendre et qui laisse le spectateur dans une position désagréable puisqu'il se demande si elle va vraiment venir ou si les auteurs n'ont tout simplement pas décidé de passer outre la vraisemblance (qui voudrait que l'absence totale de piste empêche les deux femmes de se "monter la tête" ainsi).

    Je n'ai pas beaucoup aimé m'apercevoir que Delépine et Kervern ont pensé leur film uniquement en termes de saynètes. Cela peut marcher, comme, pour rester parmi les nordistes, dans le cinéma de Roy Andersson, mais il y a chez le Suédois un réel travail sur le temps, l'espace, la symbolique. Si ses séquences restent cloisonnées, elles n'en contiennent pas moins une dynamique interne et leur empilement provoque en bout de course un mouvement général, un déplacement qui ne tient pas uniquement au scénario (de plus, Andersson fait une toute autre chose de la médiocrité des figures qu'il met en scène). A l'opposé, Mammuth ne repose que sur une série d'idées (tel dialogue, tel cadrage). Les auteurs se sont demandés pour chaque séquence comment la rendre originale et ils en ont oublié toute notion de continuité. Cela nous vaut une succession d'apparitions de vedettes-amis du duo (de Poelvoorde à Siné) mais entrave constamment notre adhésion aux personnages principaux, contrairement à ce que les deux cinéastes semblaient souhaiter.

    Je n'ai pas beaucoup aimé ce qu'ils font d'Adjani, c'est-à-dire rien. Au risque de ne pas être cinéphiliquement correct, je préfère amplement voir le couple star réuni, aussi brièvement qu'ici, dans le Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que l'on me force à passer tout ce temps avec des neus-neus. En ne plaçant devant la caméra que des personnages de cons, il y a de fortes probabilités d'obtenir un film qui le soit aussi. Dans Mammuth, la bêtise est unanimement partagée. De nombreux critiques et commentateurs ont loué la tendresse de Delépine et Kervern pour les petites gens. Je trouve pour ma part qu'ils ont une drôle de façon de les aimer.

    En revanche, j'ai beaucoup aimé la scène où Depardieu est pris de panique, entraîné qu'il est par un groupe de vieux se pressant pour grimper dans leur autocar. C'est cruel et touchant. Cela dure peut-être vingt secondes. Ce n'est malheureusement relié à rien (il est impossible de se rappeler de ce qui précède et de ce qui suit).

    J'aime aussi beaucoup Anna Mouglalis.

  • Le mariage à trois

    (Jacques Doillon / France / 2010)

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    J'étais venu pour une projection spéciale du film, rare, de Christian de Chalonge sur l'émigration des ouvriers portugais, O Salto (1967). Malheureusement, contrairement à ce qu'annonçait le programme, la copie présentée s'est révélée dépourvue de sous-titres. Étant tout sauf lusophone, je dus donc rapidement déclarer forfait. Il me fut alors proposé, afin de ne pas m'être déplacé pour rien, d'assister à l'une des autres séances du soir.

    lemariagea3.jpgLe choix de ce Mariage à trois a donc été fait par défaut et je n'aurai probablement pas été voir ce nouveau Doillon sans ce concours de circonstances, ce que j'en savais jusque-là ayant faiblement stimulé ma curiosité (malgré l'estime que je peux avoir pour certains films de l'auteur, Raja étant, en ce qui me concerne, le dernier en date). J'avoue donc que je n'étais pas dans les meilleures dispositions...

    Il faut dire aussi que Doillon tend un fagot entier pour se faire battre : thème rabattu de la valse des sentiments entre quatre personnages (thème se croisant avec celui non moins fréquent des affres de la création), dialogues très soutenus, respect des régles (unité de temps et de lieu) et des figures de style (entrées et sorties de champ) théâtrales, cadre bourgeois d'une vaste demeure campagnarde, casting venant du sérail du cinéma d'auteur national... La liste est trop longue pour que la barrière dressée entre le cinéaste et moi ne soient pas insurmontable. Consistant en une série d'affrontements plus ou moins feutrés, à deux, à trois ou à quatre, la majorité des séquences s'étire pour finir par filer entre les doigts, par laisser l'esprit vagabonder ailleurs, loin des petits problèmes de cœur et de cul qui nous sont exposés, analysés, décortiqués sans fin jusqu'à se vider de toute substance. De même, l'ahurissante inconstance à laquelle obéissent les émotions et les réactions des personnages (l'imprévisibilité étant ici érigée en règle) rendent celles-ci totalement insignifiantes. Enfin, l'artifice est partout. Longuement les acteurs déroulent leur texte tout en faisant semblant de mettre la table, de placer les couverts, de cuisiner, de manger, et nous ne voyons de ces actions que les rouages. L'effet de réel est nul.

    Comment, dans ces conditions, le film parvient-il à échapper au naufrage absolu ? Par l'envie, malheureusement bien trop intermittente et trop peu assumée, qu'a eu le cinéaste de prendre un peu de distance avec son sujet. Ce mouvement de recul se traduit par des mises en abîme légères et quelques touches humoristiques. Ainsi, à de rares instants, l'œuvre se déleste de son poids, cela lorsque les personnages "fictionnalisent", imaginent ce qui peut se passer en d'autres lieux ou ce qui pourrait advenir dans le futur, bref, s'abandonnent à créer eux-mêmes du récit au lieu de se cantonner à une réflexion stérile sur leur art et sur leur rapport aux autres. L'humour, quant à lui, est essentiellement amené par Louis Garrel, seule personnalité du groupe à dégager un peu de vérité comportementale et de légèreté intellectuelle. C'est à cet acteur que l'on doit les rares scènes quelque peu appréciables d'un film plombé.

  • The ghost writer

    (Roman Polanski / Grande-Bretagne - France - Allemagne / 2010)

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    ghostwriter.jpgQuels que soient leur sujet et leur degré de réussite, les films de Roman Polanski, du Couteau dans l'eau au Ghost writer ressemblent tous énormément à leur époque - précisons aussitôt qu'ils ne courent pas pour autant après la mode. Par conséquent, autant que la mise en avant (plutôt que le "retour") des thèmes favoris du cinéaste, il convient de saluer ses capacités de renouvellement formel, dans un cadre à la fois classique et très actuel.

    Notre guide dans cette sombre histoire, le nouveau nègre littéraire de l'ex-premier ministre britannique Adam Lang, est sans cesse pressé par le temps (le délai qui lui est imparti pour peaufiner les mémoires de son client est raccourci) et compressé par l'espace : envoyé sur une île au large des Etats-Unis, cloîtré dans une villa-bunker, constamment sommé de monter dans des véhicules aux vitres teintées. En ces lieux, les ouvertures qui s'offrent à lui sont illusoires, qu'il s'agisse de l'horizon d'une mer démontée, des larges baies vitrées de la maison ne renvoyant qu'un écho assourdi du monde extérieur ou des paysages défilant en voiture. Parfois, la caméra semble se coller à lui (et aux autres personnages), le plan se bouchant alors sous nos yeux. Mais ce sont surtout les matières, les meubles, les pièces, qui disent la claustration (The ghost writer est l'un des rares films contemporains s'appuyant sur un décor travaillé, sur une architecture pensée et sur une topographie précise, bien que "ré-inventée"). A ces éléments s'ajoute bien sûr, la technologie, l'excellent gag de l'exercice de sécurité figurant le point d'orgue ludique de cette réflexion. Les causes de la paranoïa semblent d'ailleurs, elles aussi, cheminer à travers elle (la scène du GPS, autre belle trouvaille).

    Le classicisme du film est celui du thriller de haute-volée ayant retenu toutes les leçons données par Lang et Hitchcock sur le rythme et les relations avec l'espace. Il vient aussi de la manière dont sont appréhendés les différents éléments constitutifs de l'ouvrage, du scénario à la photographie, du décor à la musique, du jeu d'acteurs au montage, tous jugés d'égale importance. Surtout, ce classicisme se ressent dans la position qui est assignée au spectateur. Polanski oriente notre regard de façon à ce qu'il ne puisse qu'épouser celui du personnage d'Ewan McGregor, ce ghost writer se faisant le réceptacle parfait de nos projections fictionnelles. Pas de femme, pas de famille, pas de passé, pas de nom : voilà l'homme de la situation pour le politique en mauvaise posture qu'est Adam Lang. Et voilà pour le spectateur, le témoin-relais idéal. La légitimité professionnelle du personnage est posée sans difficultés et l'acteur a suffisamment de charisme pour que Polanski se permette de jouer sur une note basse, sans volontarisme ni héroïsation (sur cette "transparence du nègre", je vous invite à lire l'excellent texte de mon collègue T.G.). Son aventure n'est pas flamboyante et cet écrivain semble entraîné par le courant au moins autant qu'il provoque de vagues. Entièrement dévoué à sa tâche puis au dévoilement d'un mystère (dévoilement qui, après tout, s'inscrit dans le prolongement du contrat initial qui est de mettre en forme une biographie), celui-ci se voit interdire par le récit tout écart. Même la relation sexuelle inattendue à laquelle il s'adonne ne provoque pas de bifurcation. Polanski tient son sujet jusqu'au bout.

    A travers ce récit saturé de faux-semblants, de mystères et de mensonges, se distingue une belle estime du spectateur. Le film peut, en son centre, souffrir de chutes de tension mais elles sont d'abord dues à ce matériau, difficile à manier esthétiquement, qu'est le flux d'images télévisuelles d'information, et ensuite à la nécessité d'exposer clairement l'enjeu politique et judiciaire de l'histoire. Si la bascule sans retour du côté du pur thriller intervient donc à point nommé pour savourer la maîtrise de la mise en scène du cinéaste, c'est bien le scénario qui va in fine "rattraper" les séquences centrales, apparues plus faibles au premier abord. Il faut en effet louer sans retenue le travail d'adaptation de Robert Harris à partir de son propre roman car non seulement son récit a la diabolique efficacité requise par le genre mais il dispense encore de nombreuses subtilités de construction, tels cet étrange écho se créant autour d'une mort ayant suivie une fâcherie, ou cette évolution du regard porté sur Adam Lang (Pierce Brosnan fait passer ce retournement au cours de la fantastique séquence de l'entretien en avion, Lang devenant en quelque sorte véritablement la bête politique qu'il est sensé être au moment, tardif, où il a le discours le plus sincère).

    Si The ghost writer se termine sur une victoire dérisoire, le spectateur, invité à refaire le film une seconde fois, a, lui, tout gagné.

  • Le refuge

    (François Ozon / France / 2010)

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    refuge.jpgA un moment, pour bien nous faire comprendre l'émoi érotique de son héroïne, François Ozon la jette dans les bras d'un séducteur. Pas n'importe lequel : un mec spécialement attiré par les femmes enceintes. Plus tard, il la confronte à une dame étrange, sur la plage. Que celle-ci commence à la questionner avec insistance et indiscrétion  puis demande la permission de caresser son ventre rond ne suffit pas, il faut absolument qu'elle s'avère être, au bout de cinq phrases prononcées, totalement tarée. Comment faire passer un peu de trouble avec de tels raccourcis supposés "osés" ?  Est-ce la peine de contourner les clichés liés à la maternité pour se plonger dans d'autres ? De toute manière, dans Le refuge, les dialogues sont d'une banalité terrifiante, l'image est constamment moche (pas un seul plan qui n'accroche l'œil et lors de la séquence où l'on voit Mousse danser en boîte de nuit, l'envie de crier : "Tu peux pas reculer ta caméra un peu !"), la bande-son propose une chanson française plan-plan, le récit se vautre dans toutes les conventions de notre réalisme cinématographique national (mon dieu !, cette famille bourgeoise... et ces lunettes de soleil dans la maison... et ce plan sur la comédienne principale en pleurs...). Isabelle Carré, par ailleurs merveilleuse actrice, ici réellement enceinte, est constamment sur ses gardes, tentant de se donner à la caméra tout en se préservant. Tout du long, il m'a semblé la voir réfléchir à son rôle, à ses limites, à ses répercutions. Cela est gênant mais compréhensible. Plus grave est le fait qu'elle soit entourée d'acteurs au jeu médiocre (Melvil Poupaud, lui, disparaît, comme tout le monde le sait maintenant, au bout de dix minutes, les seules du film à être un tant soit peu intéressantes). La fin, forcément audacieuse, est atterrante (pourquoi ne pas terminer le film avec un débat sur l'homoparentalité tant qu'on y est...). Bref, le dernier film de François Ozon est nul.

    A cette séance, le public était féminin à 90%. D'ailleurs, j'aurai bien aimé avoir l'avis de ma femme, qui est enceinte de 8 mois.

  • Shutter Island

    (Martin Scorsese / Etats-Unis / 2010)

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    shutterisland.jpgLe demi-échec de Gangs of New York semble avoir décidément contraint Scorsese à ronger son frein pour un bon bout de temps en travaillant dans un cadre plus conventionnel que celui dans lequel il navigua pendant ses vingt-cinq premières années d'activité. Du beau boulot, il en fit pendant la décennie 2000, mais s'extasier devant les solides Aviator et autres Infiltrés fut tout de même moins aisé que devant Casino et A tombeau ouvert, pour se limiter à la période précédente. Le mieux est donc encore de se contenter de ses brillantes variations actuelles sur des genres bien définis. Avec Shutter Island, voici venu le temps du thriller paranoïaque et angoissant.

    Clairement, le film délimite un espace mental et l'introduction est à cet égard magistrale. Une brume épaisse, un imposant ferry qui s'en extrait, un marshal fédéral et son partenaire qui semblent seuls sur le pont de ce vaisseau-fantôme, une île qui apparaît au milieu de nulle part. Pour une fois, les touches de numériques apportées pour représenter la mer et le ciel plombant sont pleinement justifiées, accentuant l'étrangeté du cadre de cette discussion entre les deux policiers. Jusqu'à ce que ceux-ci soient accueillis au sein de l'hôpital psychiatrique d'où s'est évadée une patiente, la musique ne cesse de monter, de gronder, semblant naître de quelques cornes de brume, avant d'éclater, déjà, et de nous saisir.

    Teddy Daniels, que l'on a rencontré pour la première fois alors qu'il avait, sur le bateau, la tête dans le lavabo, est un enquêteur au bord du gouffre, les nerfs à vifs. Au jeu fiévreux de Leonardo DiCaprio, au travail sur la texture oppressante des images, s'ajoute l'art du montage de Scorsese (et de Thelma Schoonmaker), une nouvelle fois en évidence, une nouvelle fois fascinant. Le cinéaste a le don de lacérer la surface de son récit par des coups de cutter totalement imprévisibles, que ceux-ci prennent la forme de remontées de traumatismes ou de soudains décentrages de la perception du réel.

    L'écheveau se fait de plus en plus complexe au fil du récit, par la conjonction des drames du passé, des soupçons de complots au présent et des horreurs redoutées pour l'avenir. L'accumulation des visions et des hallucinations font glisser vers le fantastique. Elles provoquent aussi plusieurs longueurs (certaines séquences sont très étirées menant le film jusqu'à ses 2h17). Le chemin de croix de Teddy Daniels est balisé par toute une série de confrontations, la plupart du temps sans témoins. Ces rencontres-clefs acquièrent une force réelle par la sensation d'isolement matériel et mental qu'elles génèrent : sous le ciel bas et lourd menaçant le ferry, dans le noir des cachots, devant le paysage défilant lors du trajet en jeep. De plus, les champs-contrechamps séparent Daniels de ses interlocuteurs et Scorsese ajoute encore entre eux la grille d'une cellule ou les flammes dans une grotte. Les effets sont appuyés mais ne manquent pas d'efficacité. Le train-fantôme reste, malgré bien des secousses, sur ses rails.

    Garder ainsi en état d'alerte constante le spectateur, tisser sous ses yeux un réseau si dense de potentialités narratives, l'entraîner dans une montée en puissance qui lui fait accepter bien des choses ahurissantes, tout cela implique de négocier le final avec une incroyable aisance, sans quoi la chute risque d'être brutale. Elle l'est. La dernière demie-heure ne tient plus. Elle aligne trois séquences interminables : une explication, une illustration, une coda ambiguë. Défaire une si belle construction en dévoilant un jeu trop riche pour être crédible... Signe de l'échec partiel du film : le twist final ne donne pas envie de le "relire" sous ce nouvel éclairage.