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2010s - Page 15

  • J'ai rencontré le diable

    kim,corée,polar,horreur,2010s

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    "Pénible histoire de fantômes asiatiques. Beaucoup de scènes effectivement effrayantes mais répétitives (4 ou 5 fois le coup de l'armoire, 4 ou 5 fois le plan de la main qui agrippe). Usant pour les nerfs, le tout n'est pas réhaussé par une exposition et des moments de transition statiques. Le mélange rêve dans le rêve - fantôme - transfert de personnalité est embrouillé, ce qui rend le récit et la psychologie absolument incompréhensibles. Il y a bien un éclaircissement final (encore une fois à la Sixième sens) mais il n'explique toujours pas certaines scènes rétrospectivement." Voilà ce que j'avais griffonné en mai 2006 après avoir découvert à la télévision Deux sœurs, un des succès précédents de Kim Jee-woon. Aujourd'hui, je n'ai plus aucun souvenir de ce film, hormis l'image d'un inquiétant sac posé sur le sol d'un appartement.

    Je ne sais si, malgré l'abondance de séquences-choc qu'il propose, je vais oublier aussi rapidement J'ai rencontré le diable. Ce thriller horrifique m'a semblé d'une autre qualité mais il subsiste tout de même dans ce cinéma-là une certaine confusion.

    Un homme sans histoire se venge de l'assassin de sa fiancée non pas en le tuant mais en le harcelant sans relâche, en le torturant à plusieurs occasions, en lui promettant l'enfer pendant des jours et des jours. Ce sujet a de quoi nous faire glisser vers la plus grande, la plus périlleuse et la plus vertigineuse ambiguïté morale mais ce sont plutôt la confusion et les hésitations du style que l'on retient et qui, finalement, en atténuent les effets. Dans un premier temps, le récit ne semble suivre qu'une seule ligne droite, ne s'attaquer qu'à une obsession et n'obéir qu'à de la mécanique, ce qui a pour conséquence, assez surprenante mais pas désagréable, de repousser tout questionnement. La répétition improbable des actes de violence (extrême) et le jeu qui s'instaure entre le chat et la souris tirent tant vers l'absurde et la position du cinéaste semble si évidente que le besoin de s'interroger ne se fait pas sentir. Pourtant, cette dynamique est soudain ralentie, une fois, puis deux, puis trois, par un dialogue faisant intervenir des proches du "héros" ou les autorités et venant surligner ce que faisait déjà très bien sentir le film : l'inanité de la vengeance et la transformation de qui la commet en monstre.

    Ces béquilles sont encombrantes, jusqu'à en gâcher assez sévèrement les dernières minutes, de l'ultime torture aux larmes du vengeur. Kim Jee-woon en rajoute souvent, il fonce tête baissée, sans trop de discernement. Il est notamment peu rigoureux sur la question du point de vue (par rapport, par exemple, à Park Chan-wook, auquel on ne peut que le comparer, rarement à son avantage, tant les points communs avec Old boy et quelques autres titres sont nombreux). Le basculement qui s'opère de temps à autre n'est pas assez affirmé à mon sens. Les mouvements de caméra destinés à nous placer littéralement au-dessus de l'un puis de l'autre, lorsque chasseur et proie changent de statut, inaugurent des segments clairs mais n'entraînent pas de changement de perspective aussi radical que l'on pourrait espérer. Pas aussi radical, en tout cas, que ne l'est la représentation de la violence, recourant allègrement aux effets gore les plus estomaquants.

    Malgré tout cela, quelque chose résiste et fascinerait presque, par moments. D'une part, il y a, encore une fois, cette horrible vision, sans cesse réactivée par les auteurs de thrillers et de drames sud-coréens, d'une société perdue, incapable d'éradiquer le mal qu'elle cache en son sein. Un mal insaisissable, renaissant constamment sous de nouvelles formes. D'autre part, il aura rarement été montré aussi clairement comment la vengeance enclenche un mécanisme de violence incontrôlable et se propageant de manière centrifuge, soit parce que la surenchère s'installant entre les deux antagonistes provoque très tôt l'implication des proches, soit parce que la traque est à l'origine de dégats collatéraux perçus comme négligeables mais faisant des victimes bien réelles.

    Ce but-là, Kim Jee-woon l'a atteint, malgré les quelques handicaps qui peuvent entraver sa mise en scène et sa conduite du (trop long) récit. Son film bénéficie également d'une interprétation solide, de brillants éclats (le combat au couteau dans le taxi) et de cette faculté, très partagée parmi ses collègues coréens, de passer dans une même scène d'un registre à l'autre sans mettre en péril l'équilibre de l'ensemble.

     

    kim,corée,polar,horreur,2010sJ'AI RENCONTRÉ LE DIABLE (Akmareul boatda)

    de Kim Jee-woon

    (Corée du Sud / 140 min / 2010)

  • Un été brûlant

    garrel,france,2010s

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    Bien sûr, Un été brûlant traite un sujet simplissime et rabattu (sous le soleil d'Italie, une femme quitte un homme qui ne s'en remet pas et un deuxième couple, "témoin", manque de peu d'être entraîné dans le naufrage), reprend des figures de style et des thèmes présents dans les films précédents de Garrel, convoque évidemment toute la famille du cinéaste, au sens généalogique comme au sens professionnel du terme... On aurait vite fait de considérer l'opus comme mineur dans la filmographie. Je ne sais pas si il l'est et cela m'est bien égal. Il se trouve que je m'y suis senti bien, comme dans la majorité des œuvres de Garrel que j'ai pu voir depuis vingt ans, en premier lieu J'entends plus la guitare, Le vent de la nuit, Sauvage innocence, Les amants réguliers. De chacun de ces titres, il ne me reste que quelques bribes, des images, des sons, quelque chose de diffus, pas beaucoup plus, mais ils gardent mon affection. Un été brûlant suivra sans doute le même parcours dans ma mémoire.

    Le léger voile recouvrant ces films me fit écrire au moment de ma découverte des Amants réguliers quelques lignes à propos de la longueur des plans filmés par Garrel peut-être valables pour ce titre-là mais sans doute pas pour les autres, contrairement à ce que ma formulation trop générale pouvait laisser penser. Dans Un été brûlant, certains plans s'étirent ainsi "gratuitement" mais ils n'en perdent pas pour autant leur force. Ils y puisent même parfois la leur. L'introduction, assez godardienne, est magnifique : le piano de John Cale, la route défilant sous les phares, la femme nue qui tend le bras, l'homme qui pleure, se prend un poteau et se meurt. Son agonie dure en ne laissant entendre que les bruits de ferraille, de flammèche et de court-circuit électrique. Survenant plus tard, la longue séquence de la danse de Monica Bellucci, passant d'un homme à un autre, est suffisamment commentée ailleurs pour que j'y revienne ici. Profitons tout de même du rapprochement de ces deux moments pour apprécier le rapport particulier de Garrel à la musique. Il est vraiment plaisant de retrouver de temps à autre un cinéaste qui ne se serve pas de celle-ci comme simple illustration et facile attrape-spectateur.

    Pour certains, le film passera peut-être pour une succession de clichés. Ce qui m'a intéressé pour ma part, sur ce plan-là, c'est la manière dont Garrel part effectivement de l'énonciation, par les personnages, de ces clichés pour mieux les faire broder autour, pour mieux asseoir et affiner le propos au fil des dialogues. On se dit alors qu'en creusant encore et toujours ce sujet, on finit par trouver régulièrement des choses nouvelles (ou, la mémoire étant ce qu'elle est, qui paraissent nouvelles). C'est ainsi que cette étude de couple échappe malgré tout à la futilité et parvient à dire (et à montrer) quelques vérités, à émouvoir, même, assez souvent, notamment lorsqu'est illustrée l'idée que s'occuper vraiment de quelqu'un c'est en délaisser un autre.

    Si le point de départ et celui d'arrivée sont clairs (le récit est en fait un flash back), la séduction qu'exerce le film tient aussi à la façon dont est suivi le chemin qui les relie : la progression dramatique ne se fait jamais en donnant l'impression de s'appuyer sur des chevilles de scénario, comme dans un quelconque marivaudage d'un Doillon des mauvais jours. Cette fluidité et ce flottement, auquel concourt pareillement la bande son, sont des plus agréables.

    Enfin, j'aime Un été brûlant pour l'honnêteté qui me semble le traverser. Garrel y fait le point sur son cinéma, sa situation personnelle, sa position morale et idéologique, et son statut d'artiste. Peut-être y a-t-il ici un certain confort (pour le cinéaste comme pour moi en tant que spectateur), mais Garrel ne se planque pas, ne fait pas le malin, ne triche pas.

     

    garrel,france,2010sUN ÉTÉ BRÛLANT

    de Philippe Garrel

    (France - Italie - Suisse / 95 min / 2011)

  • Habemus Papam

    habemuspapam.jpg

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    Nanni Moretti nous parle de la fatigue, de la recherche d'une certaine normalité et d'un renoncement. Je ne pense pas du tout qu'il faille en conclure qu'il est fatigué, qu'il rentre dans le rang et qu'il renonce. Habemus Papam, œuvre imparfaite (comme l'est tout le cinéma Moretti) et passionnante (idem), décrit une angoisse soudaine déclenchée par une promotion imprévue et bouleversante ainsi que le retrait qu'elle provoque. C'est un film qui prend le risque de déjouer une attente, qui tourne en rond, qui évite la charge dénonciatrice, qui laisse les choses en suspens (une annonce officielle est sans cesse repoussée, un tournoi de volley-ball s'arrête avant les demi-finales). Ce faisant, il est cependant parfaitement honnête avec son sujet et son personnage principal, nouveau Pape élu et perdu, qui refuse d'endosser sa charge.

    L'énormité du postulat de départ peut demander un temps d'acceptation. L'arrivée à l'écran de Moretti lance véritablement le film et une fugue l'entraîne vers des sommets qu'il ne quittera quasiment plus jusqu'à son terme. Que lors de cette escapade, l'homme d'église soit "en civil", que rien ne le distingue des passants et qu'il ne puisse pas être reconnu, son visage ne s'étant encore affiché nulle part, voilà ce qui nous le rend soudain proche. Par le dépouillement imposé, son état d'âme et son angoisse sont universalisés.

    Mais même lorsqu'il paraissait dans ses habits de souverain pontife, il faut dire qu'il ne cessait d'appeler les autres à l'aide. A ses côtés, ou plutôt en face de lui, le psychanalyste convoqué par les autorités vaticanes (qui oublient de lui demander s'il est croyant), autre figure de guide, semble bien, à un moment donné, prendre en charge les cardinaux désemparés qui l'entourent, mais il se révèle tout autant, lui aussi, en recherche et avoue bientôt au moins un manque, celui de son ancienne compagne. Ainsi, c'est en s'intéressant à un monde à part, refermé sur lui-même, inaccessible au commun des mortels et au sein duquel l'ordre hiérarchique ne peut être discuté que Nanni Moretti nous entretient de la permanence du lien avec les autres. Intelligent, il laisse voir cette ouverture sans en passer par la morale (ce qui ne manquerait pas de provoquer le discours attendu) mais par la mise en scène.

    Les premières scènes posent plutôt des frontières, entre l'exceptionnel et l'ordinaire, entre le palais et la rue. L'impression est forte d'un champ-contrechamp dont le point de bascule serait le balcon au-dessus de la place Saint Pierre et elle est redoublée par la présence de rideaux fort théâtraux. La claustration imposée au psy et la découverte du fonctionnement de ce concile prolongé sont à l'origine de moments étranges. Cette étrangeté culmine dans la grande scène de la représentation théâtrale, l'un des endroits du film où est illustrée le plus clairement l'idée d'une perméabilité inévitable entre les mondes. On peut voir également ainsi la promenade de Piccoli, incognito au milieu de ses fidèles rassemblés sur la place, tout étonné et ravi d'être passé de l'autre côté.

    Certainement Nanni Moretti nous demande de nous débarrasser de nos œillères et pense que le choix de l'autarcie, telle que la revendiquait le jeune Michele Apicella, n'est plus tenable. Au placement de nos pas dans ceux d'un guide, il faut préférer la liberté individuelle, mais tout en ayant conscience que celle-ci doit s'accomplir sans briser les liens sociaux. Les béquilles que sont la religion, la psychanalyse, l'art et le sport (institutions et activités successivement étudiées dans le film) ne peuvent aider seules à guérir.

    Ce "message" déçoit assurément ceux qui attendent d'abord de Moretti de vigoureux coups de pieds dans la vie de la péninsule (de ce point de vue, Habemus Papam nous renvoie au temps de son grand mélodrame La chambre du fils). Les éclats de voix, les coups de théâtre et l'incongruité des situations sont présents mais, il est vrai, de façon moins saillante que dans les œuvres des années 80-90. Mais nous pouvons alors, par exemple, admirer la subtilité de l'écriture, la courte phrase dans le dialogue qui vient tardivement nous confirmer que cette femme est bien celle du psy, les petites séquences centrées sur le garde suisse reclus qui nous prouvent que le responsable de la communication ne mentait qu'à moitié lorsqu'il assurait que le pape avait retrouvé un grand appétit ou bien encore la façon dont le cinéaste ne croise pas, à la fin, les micro-récits qu'il avait mis pourtant en marche. Nanni Moretti, qui annonce au départ une rencontre prometteuse, celle du souverain et du psychanalyste, scinde en fait son film et se projette dans les deux personnages principaux, à égalité, personnages qu'il ne fait jamais véritablement se rejoindre. C'est ici, notamment, que l'on se rend compte qu'Habemus Papam reste éminemment "morettien", dans ce qu'il dit du cinéaste lui-même, plus ou moins ouvertement. On ne peut s'empêcher par exemple de penser, devant cette lassitude exprimée d'un côté comme de l'autre, au statut qu'a acquis depuis de nombreuses années, auprès de beaucoup de cinéphiles l'aimant d'un amour trop exclusif, Nanni Moretti, celui qui tient le cinéma italien à lui tout seul. Que l'on puisse ressentir cela prouve que notre homme n'a pas perdu la main.

    Quant à moi, il me reste à ajouter, pour en terminer avec cette note sur ce film qui restera comme l'un des meilleurs de cette année, un mot sur Michel Piccoli, une nouvelle fois génial, rendant visible l'étincelle qui nait dans son regard lorsqu'il dit à la psychanalyste qu'il est un acteur et nous touchant profondément lorsqu'il exprime son désir de se fondre, de se diluer, de disparaître.

     

    habemuspapam00.jpgHABEMUS PAPAM

    de Nanni Moretti

    (Italie - France  / 100 min / 2011)

  • La guerre est déclarée

    donzelli,france,comédie,2010s

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    Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm ont scénarisé et joué leur propre histoire, celle de leur couple et de l'épreuve qu'il eut à traverser très tôt : la grave maladie de leur petit garçon détectée à l'âge de 18 mois. Ils l'ont titrée La guerre est déclarée, reprenant ainsi une terminologie régulièrement entendue dans les témoignages de parents d'enfants atteints de cancer ou de handicap. Leur "film d'hôpital" est plein de vigueur, sans cesse tiré vers le haut par leur décision de repousser toute lamentation et tout apitoiement, au point d'en sourire, souvent (ou de pousser la chansonnette). L'idée est donc d'aller à rebours de tout ce qui peut être attendu devant un tel sujet et il est vrai que le ton du film, léger, a de ce point de vue le goût de l'inédit.

    Toutefois, ce film, couvert d'éloges, ne m'a pas entièrement convaincu. Son originalité est louable mais la recherche de celle-ci me semble un peu trop systématique. Pour le dire autrement, j'ai eu l'impression, à plusieurs moments, de voir Valérie Donzelli en train d'essayer d'être absolument originale. C'est particulièrement sensible lorsque les saynètes qu'elle compose se mettent en place plus lentement que les autres (la séquence où elle doit annoncer par téléphone, depuis Marseille, la mauvaise nouvelle à son compagnon resté à Paris). On voit là, trop bien, les efforts déployés pour éviter les clichés.

    La mise en scène de Donzelli repose sur la re-création de moments de vie mais réhaussés par des trouvailles, des trucs, des collages. Alors bien sûr, des choses fonctionnent très bien. Mais d'autres moins. C'est que l'assemblage de ces petites séquences manque légèrement de fluidité narrative (de même que l'esthétique générale n'a rien de renversant). Par conséquent, le spectateur est rapidement amené à soupeser chaque proposition qui lui est faite, à établir une hiérarchie à partir de ce collier de petites scènes décalées.

    Cela m'a détaché, m'a éloigné quelque peu du film. J'ai vu un écart, une différence de degré selon les séquences : premier ou deuxième en fonction de leur teneur, plus ou moins référencées (nous avons notamment des voix off dont nous ne savons pas trop d'où elles viennent à part d'autres œuvres de cinéma), plus ou moins humoristiques, plus ou moins réalistes, plus ou moins esthétisantes, plus ou moins musicales... L'écart, je l'ai perçu aussi dans le jeu du couple Donzelli - Elkaïm, inégal sur la durée (et, malgré moi, j'ai parfois senti un "parasitage" dû à ma connaissance du fait que tout ceci soit, si l'on peut dire, "rejoué" par les protagonistes). Mais de la justesse il y en a, bien sûr. Par exemple dans la vision de l'hôpital, dans le rapport à ce monde si particulier (malgré quelques inévitables (?) raccourcis dramatisant ce rapport).

    Ce couple est attachant et parvient à transmettre son volontarisme et son énergie. Leur film est vif, assez beau sur le rapport amoureux, et parfois émouvant. Je regrette cependant qu'il ne m'ait pas bouleversé. Jusqu'à un certain point, il me parle de choses vécues et me renvoie à des souvenirs peu agréables. Ma relative déception n'est pas une sorte de protection car il me semble vraiment qu'il y a dans La guerre est déclarée, une balance à faire entre qualités et défauts. Beaucoup de critiques et de camarades blogueurs sont passés outre ces derniers mais j'avoue, pour ma part, avoir un peu plus de mal à le faire.

     

    donzelli,france,comédie,2010sLA GUERRE EST DÉCLARÉE

    de Valérie Donzelli

    (France / 100 min / 2011)

  • La grotte des rêves perdus

    Herzog,France,Allemagne,Documentaire,2010s

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    Didactique et poétique, concret et réflexif, abordant simplement des sujets aussi complexes que la connaissance humaine, le mystère des origines, la naissance de la représentation ou le progrès en art, La grotte des rêves perdus est un documentaire qui réussit à s'adresser avec la même intelligence à des publics divers (j'en ai fait l'expérience familiale).

    L'entrée en matière me semble idéale. Suivant un petit groupe de scientifiques, Werner Herzog et ses techniciens s'approchent puis pénètrent pour la première fois dans la grotte de Chauvet. Avant de s'engager dans les salles principales, leurs accompagnateurs énoncent les derniers conseils et de strictes consignes. Leur matériel et la répartition des tâches qu'imposent les conditions de travail très particulières nous sont décrites. Sans doute ces explications servent-elles avant tout à faire comprendre le caractère exceptionnel de ce tournage, dans un lieu clos, interdit à tout autre regard que ceux de quelques professionnels (n'y ayant d'ailleurs accès que sur une très courte période dans l'année), mais elles passionnent déjà, en mêlant l'éblouissement de la découverte aux démarches pratiques et techniques qui le rendent possible.

    Le temps imparti étant relativement court (une petite poignée d'heures par jour), le naturel des interventions des chercheurs, effectuées le plus souvent à l'intérieur de la grotte, est préservé. On n'y sent jamais la trop grande perfection due à la répétition des prises de vue et aux recadrages des propos que l'on trouve dans la majorité des documentaires pédagogiques télévisés. Les informations sont délivrées de manière vivante, "en direct" à l'équipe et donc au spectateur. Tout au long de son film, Herzog équilibre bien les séquences de discours scientifique et la pure contemplation des joyaux de l'art rupestre ornant les murs de la grotte. Et il y a certes de quoi les admirer, le décor, parois et sols recouverts d'ossements, se révélant de toute beauté.

    Le recours à la 3D se justifie aisément (autant que chez le coreligionnaire d'Herzog, Wim Wenders, inspiré lui aussi au même moment). Ici, elle prolonge l'effet obtenu par cet art préhistorique du dessin qui joue déjà parfaitement du relief du support. Elle permet de s'approcher au plus près des peintures, des stalactites et des crânes d'ours, autant de choses qu'Herzog et ses techniciens n'ont bien sûr pas le droit de toucher mais que l'image 3D rendent presque palpables. Cet art de 30 000 ans, on peut donc l'effleurer, le faire venir à nous et les scientifiques peuvent l'analyser, déduire que ces deux figures ont été tracées par la même main ou préciser un ordre chronologique dans la succession des traces laissées sur les murs.

    Mais comprendre l'Homme du paléolithique est une autre histoire... Pour saisir un surprenant dessin sur une roche conique, si la caméra s'approche, elle ne peut toutefois pas en faire le tour complet. De la même façon, les pensées des ces ancêtres sont inaccessibles. Il nous reste donc à imaginer. Et à nous projeter dans ces temps-là nous voyons vite se confondre imaginaire et spirituel. Herzog est alors en terrain connu. Pour finir (ou presque), il peut nous faire communier et sacraliser dans un dernier hommage ces magnifiques peintures et gravures, les filmant longuement (sur la musique prenante signée par Ernst Reijseger, très importante dans la réussite poétique du film) comme jadis Tarkovski le fit pour Roublev.

     

    Herzog,France,Allemagne,Documentaire,2010sLA GROTTE DES RÊVES PERDUS (Cave of forgotten dreams)

    de Werner Herzog

    (France - Etats-Unis - Canada - Allemagne - Grande Bretagne / 90 min / 2011)

  • This must be the place

    sorrentino,italie,irlande,2010s

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    "Car tel quel, le film paraît bloqué au même endroit
    que son avatar robert-smithien de héros :
    en plein milieu du pire des années 80"
    (Joachim Lepastier, Cahiers du Cinéma n°669, juillet-août 2011)

     

    Salut les potes !

    Pfff… L'année scolaire n'a pas encore démarré que mes parents me mettent déjà la pression par rapport au Bac ! Du coup, hier, j'ai mis mon walkman sur les oreilles et je suis parti faire un tour. Comme le disquaire d'à côté n'a toujours pas reçu The Joshua Tree, le nouveau U2 qui a l'air d'enfer, je me suis fait une toile. Super 8 semble pas mal mais les films de Spielberg, je préfère les voir avec les copains et comme j'étais tout seul, j'ai choisi This must be the place de Paolo Sorrentino. Je n'étais pas spécialement chaud au départ mais la bande annonce, que j'ai vu l'autre jour avec Steph juste avant L'aventure intérieure, m'a plutôt accroché en me promettant de la bonne musique et un récit tordu.

    Le problème, c'est que, en fait, j'ai perdu deux heures de mon temps à regarder un film débile.

    Déjà, l'idée du cinéaste est bizarre : il a choisi de se lancer dans une sorte de science-fiction puisque son scénario se déroule dans le futur, en 2011 pour être précis. Il nous montre ce que pourrait devenir une star du rock d'aujourd'hui dans une vingtaine d'année. Il imagine donc la vie d'un certain Cheyenne alors que celui-ci, après avoir vendu des millions de disques, a arrêté les drogues et la musique et s'ennuie dans son immense baraque, en compagnie de sa femme et de son chien, tout en s'habillant et se maquillant chaque jour comme s'il allait monter sur scène.

    Alors, dès le début, on touche le fond et jamais on ne remontera, au contraire de la caméra qui, elle, vole dans les airs autant que celle d'Alan Parker dans Birdy dont le sujet, au moins, justifiait les acrobaties. C'est clair, la photo est soignée, les cadres étudiés et les mouvements millimétrés. Tous les plans sont hyper-expressifs. Le hic, c'est qu'on ne respire plus, que tout se réduit à l'image. Inutile de chercher, il n'y a rien derrière les masques ou les décors.

    Faisant tout tomber dans la caricature, Paolo Sorrentino n'évite aucun cliché sur la gloire passée, la rock'n'roll attitude et le décalage qu'elle peut créer avec la réalité environnante. Je préviens tout de suite : je ne suis pas en train de me plaindre que l'on se moque de cette culture-là, qui m’attire aussi. Récemment, j’ai adoré The Rutles d'Eric Idle ou Spinal Tap de Rob Reiner, qui montrent que l'on peut rire des travers des rockers sans prendre les spectateurs, amateurs ou pas, pour des cons. De toute façon, le film de Sorrentino n'est pas drôle un instant et joue en plus sur une corde sensible absolument détestable. Le réalisateur nous met en garde, nous les jeunes : écouter Cure trop longtemps peut nous conduire au suicide ! Voilà l'un des détails qui me font dire que Sorrentino, au fond, s'en cogne totalement de la musique. Il n'y a qu'à voir comment il la filme, mixée n'importe comment et sans aucune idée visuelle. Je suis prêt à parier que la séquence du concert a été pensée par David Byrne et non par lui, la trouvaille étant purement scénique.

    David Byrne, justement, est présent à travers le titre du film (qui est bien sûr celui d’une chanson de ses Talking Heads) et, largement, sur la bande-son. Dans le scénario, il intervient dans son propre rôle et, pour le faire apparaître plus vieux de 25 ans, Sorrentino a en fait engager son père (enfin, je crois). Du coup, la version de This must be the place que l’on entend en concert est un peu mollassonne. Quant à la scène dialoguée qui suit, elle n’est là que pour offrir un nouveau grand moment d’émotion à Sean Penn, le père de Byrne n’étant qu’un faire valoir.

    Oui, vous avez bien lu, c’est bien le petit Sean Penn qui est la star du film. Le mari de Madonna n’a pas de chance : à peine sorti du bide de Shanghai surprise, il se voit embarqué dans cette galère, maquillé, vieilli artificiellement pour qu’il ait l’air d’avoir 50 ans. Dans ce rôle, il en fait des caisses comme c'est pas permis, en alignant les tics énervants. À Côté, Robert De Niro dans Angel heart c’est Erland Josephson...

    Bon bien sûr, il n’y a pas que la petite histoire du rocker fatigué dans le film, loin de là. Il y a aussi une errance à travers les States, une leçon sur la nécessité des liens familiaux et la recherche d’un ancien nazi. Vu que le début est déjà complètement nul, le reste ne nous étonne pas plus que cela, aussi improbable soit-il. Les dix dernières minutes vont certes encore plus loin dans le ridicule, mais je n’ai guère envie de m’appesantir dessus.

    Il faut seulement que je vous parle, avant de partir, de deux personnes. La première est Wim Wenders. Sorrentino a fait, avec This must be the place, une espèce de Paris Texas pour les nuls. Il a même été chercher Harry Dean Stanton (qui a quand même pris un sacré coup de vieux en trois ans seulement !). A un moment, j’ai eu peur que la femme à la fenêtre, à Dublin, ce soit Nastassja Kinski. Mais non, ouf ! Sur la recherche du lien, sur l’espace traversé, sur la musicalité de la narration, sur l’étrangeté du réel, dois-je vraiment préciser que Wenders se situe cent coudées au dessus ? D’ailleurs, il est déjà passé à autre chose avec Les ailes du désir, que j’ai eu la chance de voir le mois dernier en avant-première. On y trouve une séquence de concert avec Nick Cave qui disqualifie déjà les pauvres petites tentatives de Sorrentino. Mais je ne vous en dis pas plus, vous découvrirez tous ce chef d'œuvre prochainement… La seconde personne est Jonathan Demme. Voilà sans doute un autre modèle de Sorrentino, modèle qu’il ne parvient pas à approcher de plus près que le premier. Demme, lui, est un authentique cinéaste rock (comme Wenders, d'ailleurs). Son récent film-concert avec les Talking Heads, Stop making sense, est peut-être le plus beau du genre (David Byrne a dû sentir la différence en passant de l’un à l’autre) et l’an dernier Dangereuse sous tous rapports réussissait un mélange des genres auquel Sorrentino ne parviendra certainement jamais. Mon magazine Première me dit que Demme prépare un film sur la mafia avec Michelle Pfeiffer. Je suis très impatient.

    Quant à Sorrentino, que deviendra-t-il ? Peut-être doit-on lui conseiller de rester en Italie, de se tourner vers les problèmes de son pays, de s’exercer à la bouffonnerie à partir d’un sujet sur un homme politique par exemple (pas sûr que le résultat soit mémorable, mais cela ne pourra pas être pire). Sinon, je crains vraiment que dans 25 ans, personne ne se souvienne de lui…

    Bon, il est temps que je vous laisse. Ma mère m’appelle pour manger et la note du Minitel va encore être salée (déjà que ma mob est en panne !). Et puis tout à l’heure, je dois aller chez Jean-Bapt regarder un concert d’Echo and the Bunnymen.

    Allez, tchao !

     

    PS : En cherchant bien, j’ai trouvé un mérite à Sorrentino, celui d’avoir fait participer (mais est-ce vraiment sa responsabilité ?), pour la bande originale, un certain Will Oldham. Celui-là n’a pour le moment sorti aucun disque (et pour cause, il n’aurait, apparemment que 17 ans !), mais s’il le fait dans l’avenir, je pense que je les achèterai tous, tellement ses chansons me plaisent.

     

    sorrentino,italie,irlande,2010sTHIS MUST BE THE PLACE

    de Paolo Sorrentino

    (Italie - France - Irlande / 118 min / 1987 - 2011)

  • La piel que habito

    lapielquehabito.jpg

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    Il arrive quelque fois que, soudain, dans un film, un plan ou un simple détail nous fasse dire : "Voilà, c'est ça !" Il arrive qu'un instant nous semble tout à coup porter en lui la réussite de l'ensemble et la cristalliser mieux que d'autres. Dans La piel que habito, lorsque le Dr Robert Ledgard inflige une douche au jeune homme qu'il séquestre depuis plusieurs jours dans son garage, le jet d'eau froide plaque le tee-shirt sale à la peau, la faisant apparaître en transparence entre les plis humides. La caméra d'Almodovar ne manque pas de s'attarder sur ce spectacle. Ici se rencontrent idéalement, plastiquement, le sujet (l'identité, le corps, la peau) et les habituelles préoccupations (homo-)érotiques du cinéaste. Bien sûr, ce n'est pas le seul endroit où se signale la réussite d'Almodovar dans ce travail d'adaptation du roman de Thierry Jonquet, Mygale, pour donner naissance à un vrai film de genre (au sens cinématographique du terme, voire sexuel puisqu'avec ce cinéaste, on peut toujours élargir le champ).

    Un autre détail, un autre plan, tout aussi révélateur. Au terme d'une étreinte ayant mal tourné, Vicente rajuste la robe de Norma, inanimée, recouvre ses seins dénudés, remonte sa culotte. Vicente veut effacer les traces. Mais disons plutôt : il veut réparer. Cette idée de réparation court tout le long et le Dr Ledgard est évidemment celui qui en est prisonnier de la manière la plus évidente. Savant fou, obsédé, il ne cesse de vouloir réparer, repriser, recréer, sans même voir que les fautes et les responsabilités de tous ces "accidents" sont les siennes et que sa quête de perfection est totalement vaine.

    Le docteur doit recoudre les lambeaux, recoller les morceaux. Justement, l'art du collage d'Almodovar aura rarement été aussi performant qu'ici. Collages entre les plans tout d'abord, qui rendent étranges bien des séquences (par exemple celle du suicide de la femme, séquence pourtant, au départ, pas forcément bien embarquée). Collages à l'intérieur des plans ensuite. L'irruption de Zeca en costume de tigre fait pencher vers le grotesque. Moins agressif est le jeu visuel proposé à partir de la silhouette de Vera, ses combinaisons entièrement noires ou couleur chair la découpant parfaitement du fond du décor. Et plus vertigineux se révèlent ces plans composés à partir d'une différence d'échelle, qu'ils convoquent un écran géant ou une maison de poupée. Ce principe du collage va au-delà du visuel : il autorise les débordements, les envolées musicales, les cris et les coups de théâtre.

    Il n'est donc pas étonnant que la figure de l'emboîtement ne concerne pas seulement l'esthétique du film mais également son déroulement. Certes la première partie de La piel que habito peut à l'occasion paraître plate ou du moins la mise en place (pseudo-)scientifique qui s'y effectue impose quelques plans que l'on peut considérer comme étant peu utiles. Mais ils le sont plutôt a posteriori. La construction narrative est singulière, faisant advenir une série de flash-backs après l'exposition, si longue et déjà si dense qu'il ne restera finalement pas grand chose à y ajouter lorsque se fera le retour au présent. Avec ces sauts dans le passé, le film commence à tourner sur lui-même, tout en se décentrant légèrement à chaque tour. En devenant de plus en plus précis, en tendant vers l'explication de toutes choses, le récit annexe toujours plus de personnages et ne cesse de se complexifier. Ce faisant, pour aborder les problématiques de l'identité et de la ressemblance, il est aisé pour un cinéaste aussi habile de créer du trouble et de susciter le plaisir d'être manipulé. Plaisir aussi de voir ses intuitions concernant les rotations et les déplacements qui s'opèrent (sensation d'un récit qui se termine "pas loin" mais tout de même "à côté" de là où il avait commencé) validées par l'image en fond de générique de fin, une structure d'ADN, porteuse de sens à bien des égards.

     

    lapielquehabito00.jpgLA PIEL QUE HABITO

    de Pedro Almodovar

    (Espagne / 117 min / 2011)

  • Melancholia

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    L'accueil qui nous est réservé à l'orée du film comble nos attentes et au-delà. Au cours de ce pré-générique, Lars von Trier compose une série de plans d'une beauté à couper le souffle. Il invente une peinture en léger mouvement au fil de tableaux centrés sur deux héroïnes confrontées à la fin du monde. La lumière qui les enveloppe est incroyable, jamais vue peut-être, et la musique de Wagner les élève encore. Il y a l'humidité qui impregne les sols, la moiteur, la lourdeur des gestes, les effets soulignés de l'attraction terrestre mais aussi le geste pictural, les cieux imposants et les accords de Tristan et Isolde. Le prologue de Melancholia n'annonce pas seulement sa fin, il en pose d'emblée les enjeux : étudier un système de forces entre deux pôles opposés et naviguer entre la pesanteur et la grâce.

    D'un tel morceau d'anthologie, il faut savoir se relever, si possible le prolonger, même en sourdine, le temps de retrouver en toute logique son onde de choc au moment de boucler l'œuvre. Malheureusement, Lars von Trier, pendant les deux heures qui suivront, n'aura pas grand chose à ajouter à sa brillante introduction, rien qui intéresse particulièrement en tout cas. La sidération esthétique ne sera plus au rendez-vous, les tableaux apocalyptiques ne revenant que très brièvement, sans avoir la même densité.

    Choisissant une construction narrative en deux parties, Lars von Trier a choisi de consacrer la première à la description d'une cérémonie dont le fiasco renvoie clairement à l'excellent Festen (1998) de son ancien collègue du Dogme, Thomas Vinterberg. L'agacement qu'elle a provoqué chez moi a rendu impossible mon attachement à la seconde et donc au film. Il faut dire que la mise en scène de von Trier, en dehors du prologue et de ses quelques prolongements, est une nouvelle fois basée sur la proximité et la mobilité de la caméra. Superficiellement, ce principe passe pour un signe de spontanéité et de liberté. Pourtant, il y a là une feinte car ces plans à l'allure mal assurée n'en pointent pas moins des composants ultra-signifiants. Le "pic du plan", c'est bien le recadrage d'une photo laissée sur un divan, c'est bien l'entame sur la chaise vide de la mariée quand tout le monde s'impatiente, c'est bien le regard lourd de sous-entendus, c'est bien le gag récurrent du jeu de main devant les yeux. Dans ce maelstrom supposé vivifiant, combien de plans vraiment allégés, vraiment arrachés ?

    Cette façon de faire serait peut-être acceptable si elle n'était redoublée par la lourdeur des propos et des comportements. En guise de dialogues, nous avons une ribambelle de mots-coups de poings, des "I hate you so much", des "Get the hell out of here", des "I hate you and your society"... Le moindre des membres de cette famille réunie en l'occasion est un cas pathologique et le patron de la mariée ne peut être que détestable. La jeune femme en crise peut se refuser à son mari et chevaucher le premier venu. Stratagèmes douteux et inimitiés profondes éclatent de toute part. Règle du genre, dira-t-on... La fête n'en est pas moins ennuyeuse, la narration relâchée et les ellipses inopérantes.

    Ce trop plein de névroses est-il au moins causé par les bouleversements cosmiques à l'œuvre ? Rien ne le laisse véritablement penser. Seule la légendaire misanthropie de l'auteur semble l'expliquer.

    La seconde partie, où le champ d'observation se resserre sur la figure principale, sa sœur, son beau-frère et son neveu, laisse espérer que Lars von Trier parvienne enfin à s'approcher des sommets bergmano-tarkovskiens qu'il vise. Mais la patte reste toujours aussi lourde, dans le traitement des détails (le tube de médicaments, le refus par le cheval puis la voiturette de passer le pont) comme dans la caractérisation des personnages (l'opposition entre les sœurs, les doutes cachés du mari, le dialogue sur le départ du majordome). L'éblouissement esthétique ne naît ici que de coups massues, par le montage (apparition de Justine nue) ou le tour de force scénaristique (la disparition de John). Le flux majestueux s'est bel et bien retiré dès le générique de début. Il ne nous reste, peut-être, que la beauté de Kirsten Dunst.

     

    PS : En vous laissant un mot l'autre jour, j'annonçais tenir, concernant ce film, une position minoritaire. J'avais en fait, pour un temps, oublié que la blogosphère cinéphile était l'un des endroits les moins prévisibles qui soient, contrairement à la presse cinéma. Minoritaire, ma position ne semble finalement pas l'être si l'on s'enquiert des nombreuses réserves exprimées notamment sur Une fameuse gorgée de poison, Il a osé !, Baloonatic, La Cinémathèque de Phil Siné, Le blog de Dasola, princécranoir, Christoblog ou Le Ciné-Club de Caen.

     

    melancholia00.jpgMELANCHOLIA

    de Lars von Trier

    (Danemark - Suède - France -Allemagne / 136 min / 2011)

  • The Green Hornet

    gondry,etats-unis,comédie,2010s

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    Exercice gondrien plaisant que ce Green Hornet. S'annonçant clairement moins personnel que la plupart des précédents du réalisateur, il risquait moins de décevoir à l'arrivée comme ce fut parfois le cas auparavant.

    Narration rectiligne et bricolages toujours présents mais à la marge : la forme est relativement classique. Le film est sans prétention (ce qui nous repose après Batman commence et Le chevalier foncé) mais pas sans ambition. Son scénario est balisé et le parcours du super-héros mis en scène ici est traditionnel. Le traumatisme niché au cœur de l'enfance, le choix de la double vie et la complication amoureuse qui en découle ne sont pas écartés. Il sont au contraire pleinement assumés, et avec le sourire. Le regard est amusé mais pas moqueur. Les auteurs ne se nourrissent pas des clichés du genre pour mieux le dévitaliser à leur seul profit : The Green Hornet est un pastiche, non une parodie.

    Il est certain que sur près de deux heures, et compte tenu de la tonalité humoristique de l'ensemble, d'une part la tension dramatique n'est pas vraiment au rendez-vous et d'autre part le rythme paraît inégal. Par endroits, à l'amorce de la dernières partie notamment, les courroies de transmission patinent. Par excès de graisse peut-être. Mais ce gras, pour l'essentiel fourni par Seth Rogen, n'est pas que mauvais cholestérol et peut même être bénéfique. L'idée de faire de la naissance d'un super-héros le simple prolongement d'un gros délire de jeune adulte immature et fêtard est particulièrement féconde. Pour ce nigaud de Britt Reid, se déguiser en justicier de la nuit, c'est continuer la "teuf". Ceci étant posé, fonctionnent bien à l'écran les passages obligés que sont les transformations (costume, armes et accessoires), l'éclatement de la rivalité entre partenaires et autres tourments sentimentaux.

    Le film est donc distrayant, en particulier grâce au duo que forment le Green Hornet et son acolyte Kato (Jay Chou), le mérite de cette réussite particulière revenant certainement moins à Gondry qu'à cet acteur-scénariste-producteur-issu du stand up et du cinéma de Judd Appatow qu'est Seth Rogen. Toutefois, le réalisateur a bien mené sa barque, encadré, pas entravé.

    Parmi les multiples clins d'œil parsemant ce Green Hornet, je retiens avec joie celui adressé aux amateurs de Blake Edwards et de La Panthère rose : ce pugilat destructeur entre Britt et Kato qui rappelle, armure comprise, ceux auxquels se livraient dans le temps le grand inspecteur Clouzeau et son serviteur... Kato.

     

    gondry,etats-unis,comédie,2010sTHE GREEN HORNET

    de Michel Gondry

    (Etats-Unis / 115 min / 2010)

  • Un amour de jeunesse

    unamourdejeunesse.jpg

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    Assurément, Un amour de jeunesse est un joli film mais des flux contraires l'animent et il peut donc, alternativement, charmer et agacer, émouvoir et laisser pensif ou impatient. En décrivant la passion adolescente puis l'amour adulte de son héroïne Camille, Mia Hansen-Love traque l'irréductible singularité de toute expérience dans une histoire déjà racontée cent fois.

    D'apparence souple et libre, le récit est en fait assez solidement charpenté. L'écriture a donné à chacun des blocs dont la succession fait la narration une place et un enchaînement des plus logiques. On pourrait parler, à propos de cette écriture, d'une "subtilité affichée", tant les éléments et les détails la constituant sont rendus "visibles mais pas trop". On note ainsi l'importance des accessoires qui font retour, tels les lettres ou le chapeau offert, le recours en des endroits stratégiques à de styles musicaux discrètement signifiants ou le tissage de quelques fils thématiques comme, sur la fin, le désir d'enfant. Mais de tous, l'apport le plus décisif semble concerner l'architecture. Dans la deuxième partie, cette discipline prend concrètement place dans le récit et c'est bien sûr par ce biais professionnel que Camille (re)construit sa vie.

    L'une des choses qui déçoivent quelque peu dans Un amour de jeunesse, c'est que, généralement, ces éléments arrivent alors que l'on a déjà perçu ce qu'ils sont chargés de rendre explicite. Ainsi, les cours d'architecture interviennent quand on est déjà séduit par le traitement de l'espace par la cinéaste. De même, on réalise que chaque bloc narratif sera précisément daté à l'écran (encore une fois, "subtilement" : sur un carnet ou un tableau de classe) au moment où l'on se dit que Mia Hansen-Love saisit fort bien la question du temps, sans en passer par ces repères, notamment en détachant complètement (de la narration comme "du reste du monde") l'intermède lumineux du séjour en Ardèche. Ce fragment, d'ailleurs, est bel et bien une parenthèse, l'échelle de temps utilisée se révélant beaucoup plus grande qu'attendu.

    Le récit court en effet sur dix ans. Étrangement (volonté romantique ?), sur cette durée, les corps ne changent absolument pas. Camille (comme son amoureux) est la même à 15 ans et à 25 ans. En revanche, les ambiances ne cessent de s'opposer, entre celles de la campagne et de la ville, de l'école et du bureau, de la rue et de la chambre.

    Relativement long, inégal, le film peine à nous tenir jusqu'au bout. Mia Hansen-Love crée une belle dilatation des temps courts, qui, paradoxalement, est plus touchante lorsqu'elle se fait par assemblage de plans furtifs, par fragmentation, par montage en parallèle, que par l'intermédiaire de plans séquences. Mais concentrer les événements pour enjamber les années s'avère pour la cinéaste plus difficile. Quand Un amour de jeunesse cherche à magnifier des moments privilégiés (comme déjà envolés), il est réussi. Quand il en montre les à-côtés et les conséquences sur toute une vie, il l'est moins.

     

    unamourdejeunesse00.jpgUN AMOUR DE JEUNESSE

    de Mia Hansen-Love

    (France - Allemagne / 110 min / 2011)