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On peut adresser un reproche à Na Hong-jin, celui de n'être arrivé qu'après Park Chan-wok et Bong Joon-ho pour œuvrer à son tour au cœur du cinéma coréen, soit à la croisée maintenant bien connue des chemins du film policier, du thriller horrifique, du mélodrame et du politique (sans oublier la petite piste humoristique). Replacé dans la chronologie, ce mélange des genres ne fait donc pas décrocher à The chaser la palme de l'originalité. Cela n'en reste pas moins, à mes yeux, une belle réussite.
Des filles disparaissent dans Séoul. Un tueur en série sévit. La police, qui a d'autres chats (politiques) à fouetter, enquête mollement et maladroitement. Le boulot est donc plutôt fait par Joong-ho, ancien flic devenu proxénète et comptant quelques unes de ses filles parmi les disparues.
La première impression est celle d'un cinéaste assez sûr de son scénario, aussi tordu que prenant, pour ne pas l'enfouir sous une mise en scène tape-à-l'œil. On l'apprécie, à quelques ralentis près, pour son efficacité, son rythme, ses savantes alternances entre pauses et courses, son économie musicale, ses tours de vis et ses mystères non élucidés. Surtout, elle rend compte d'une topographie très particulière, celle d'un dédale de petites rues dans un quartier de la capitale sud-coréenne. A la suite du héros, nous sommes toujours ramenés au même endroit, un croisement où les ruelles et impasses semblent changeantes. A notre grande surprise, sans pour autant nous faire tomber dans l'irréel, ce coin peut se remplir ou se vider en un clin d'œil. En pleine nuit, un embouteillage impromptu peut soudain permettre une arrestation et l'un des plus horribles événements a lieu dans la journée, en un lieu trop tranquille où il devrait pourtant y avoir du passage.
Flirtant avec le thème de la vengeance de manière bien plus fine que ne l'a fait récemment Tarantino, Na Hong-jin fait de son personnage principal un maquereau a priori douteux voyant cependant sa carapace se fissurer petit à petit, perdant sa contenance, ses repères et ses nerfs, et surtout semblant progressivement bouffé par une culpabilité jamais réellement pointée mais bien présente, en sourdine.
THE CHASER de Na Hong-jin (Chugyeogja, Corée du Sud, 125 min, 2008) ****
Comédie d'aventures burlesque et bédéisante, Les tribulations d'un Chinois en Chine accentue mon allergie à Philippe de Broca, à son cinéma de pure surface et d'exténuantes gesticulations.
Situé à Hong Kong, dans l'Himalaya et dans le Pacifique, le film a réellement été tourné dans ces lieux, ce qui nous permet au moins d'apercevoir, derrière la pantalonnade, quelques rues et paysages bien vivants. Sur ce fond sont plaqués des personnages sans épaisseur aucune, décalcomanies qui bougeraient sans cesse. Ils y circulent mais ne s'y intègrent pas, tout comme les dialogues dont on les a affublé, ceux-ci résonnant de manière décalée par rapport à la situation vécue.
Dans le cadre, entre deux gags lamentables offerts par le duo Dupond-Dupont Mario David et Paul Préboist, on parle haut et fort, on est étourdi par les couleurs, on brasse de l'air. Jean-Paul Belmondo, insupportable d'un bout à l'autre, saute partout, saute pour rien, saute pour sauter, saute pour montrer qu'il saute. C'est un burlesque qui ne produit rien, pas même, pour ce qui me concerne, le rire.
LES TRIBULATIONS D'UN CHINOIS EN CHINE de Philippe de Broca (France - Italie, 104 min, 1965) ****
Retour vers le futur est un film-pli. Sa construction met en miroir les choses et permet de jouer sur la répétition et le redoublement. C'est ainsi que se justifie notamment cette longue mise en situation familiale réservée au personnage de Marty McFly : elle produira ses bons fruits comiques dans la partie 1955 du film. C'est ainsi, également, que certaines trouvailles de mise en scène ne sautent aux yeux qu'à une deuxième vision. Par exemple, au début, tel cadrage, empreint de second degré, en contre-plongée sur Marty enlaçant sa copine et laissant voir derrière eux l'horloge arrêtée de la mairie. A l'évidence, Zemeckis et Spielberg s'y entendent pour imposer, non seulement l'idée de suite, de série, mais aussi de "culte" et de re-visionnage.
Le plaisir et le sympathique vertige sont bel et bien ("à nouveau", ce que je n'attendais pas forcément, presque trente (!) ans après) au rendez-vous. Bien sûr, l'axe de vision est très spielbergien par la manière dont la famille américaine est vénérée en même temps qu'elle est mise en danger. Ce qui est intéressant ici, c'est qu'elle l'est par le sexe, dans son origine-même, Marty se retrouvant rapidement dragué par sa jeune mère. Le dénouement de la scène principale illustrant ce thème est d'ailleurs, à l'image du film entier, tout à fait ingénieux et il est le seul qui soit "satisfaisant" pour tous : "J'aurais l'impression d'embrasser mon frère, c'est très étrange" avoue Lorraine en se reprenant au dernier moment. De l'autre côté, paternel, Zemeckis offre la possibilité d'un agréable renversement, en faisant du fils le conseiller qui aiguille la vie du père.
Se gardant assez bien de verser dans la pure nostalgie comme dans la moquerie (en 1955, c'est plutôt Marty qui subit les vannes à cause de son "gilet de sauvetage"), Retour vers le futur déroule avec bonheur, vivacité et humour le scénario du fantasme absolu : le saut dans le passé pour faire dévier la trajectoire des choses et des gens et, plus accessoirement, pour se sentir dans la peau de l'inventeur (du rock'n'roll ou du skate board). Notons bien, tout de même, que la réussite d'une vie se mesure pour nos auteurs à la taille de la voiture et au brillant de sa carrosserie et que si le père "devient" écrivain, il ne pond que des best sellers assurant le confort de la famille.
Une fois la machine relancée, Retour vers le futur 2 entraîne dans un tunnel désastreux. En commençant par aller dans l'autre sens, vers l'avenir (qu'il est décidément difficile d'imaginer : pour ce qui a trait aux modes de vie, rien de ce qui est annoncé par le film pour 2015 ne sera effectivement réalisé dans deux ans), le projet s'effondre temporairement. Les lieux, repeints aux couleurs du futur, et surtout les dialogues sont les mêmes, et la répétition lasse. Cela d'autant plus que la surcharge est la norme, dans les décors comme dans les comportements. Pire encore : il faut supporter non seulement l'auto-citation zemeckiso-spielbergienne mais également un ahurissant festival de placement de marques, chaque plan présentant une innovation technique (soit quasiment tous dans cette partie-là) laissant apparaître gracieusement tel sigle connu de tous.
Heureusement, nous étions, en quelque sorte, sur une fausse piste, Zemeckis ayant sans doute conscience de ne pas pouvoir simplement refaire dans le futur ce qu'il avait fait dans le passé. Là-bas, nous y retournons donc. Et ce retour vers 1955 joue à nouveau sur le vertige, de manière moins "profonde" mais au moins aussi divertissante puisque les voyages multiples provoquent cette fois-ci des démultiplications des "moi" et des confrontations insensées. Le recyclage devient décalage du regard : nous voyons autrement les scènes connues, à la faveur des changements d'angle.
Mais le bémol à apporter est assez évident : le nœud dramatique perd de son importance. On se moque un peu, finalement, de ces rebondissements incessants (assez gratuits cette fois). Ces allers-retours dans le temps et ces bouleversements du cours des événements font que tout apparaît assez vain, l'aspect "cartoon" du cinéma de Zemeckis aidant.
Pour éviter la redite, le concept gouvernant Retour vers le futur 3 se devait d'être différent. Hormis introduction et conclusion, tout cet épisode se passe donc à la même époque, en 1885. Plus linéaire et plus simple, il propose moins un voyage dans le temps que dans l'imaginaire cinématographique. Références et clins d'œil n'étaient certes pas rares dans les deux premiers volets, mais cette dimension devient primordiale ici. La meilleure preuve est avancée par la scène du passage d'un temps à l'autre, la machine (la célèbre DeLorean trafiquée) prenant son élan dans un drive in et face à l'écran. Littéralement, Marty, donc, y entre.
Arrivé au Far West, il peut se faire appeler Clint Eastwood (et se servir des idées de Leone pour se tirer d'un duel) et prendre plaisir à marcher dans la grand' rue avec un colt à la ceinture. Il peut aussi constater l'écart séparant la "réalité" de la "fiction". Toutefois, sans doute trop vite après avoir blagué sur la tenue trop voyante et colorée du néo-cowboy ou sa marche dans le crottin, le film abandonne cette piste réflexive. Il est vrai qu'il s'agit avant tout de reproduire les images du western hollywoodien. Ce jeu, ainsi que la maîtrise du rythme et la réussite des morceaux de bravoure, assurent la distraction.
Il était sage, cependant, de s'arrêter là.
RETOUR VERS LE FUTUR de Robert Zemeckis (Back to the future, Etats-Unis, 116 min, 1985) ****
RETOUR VERS LE FUTUR 2 de Robert Zemeckis (Back to the future Part 2, Etats-Unis, 108 min, 1989) ****
RETOUR VERS LE FUTUR 3 de Robert Zemeckis (Back to the future Part 3, Etats-Unis, 118 min, 1990) ****
Fondation du nouveau cinéma allemand, Anita G. présente conjointement une autorité, une rigueur toutes germaniques, et une liberté, une invention caractéristiques des vagues ayant déferlées au début des années soixante.
La rigueur en question n'est pas seulement d'origine culturelle. Alexander Kluge est cinéaste, mais également juriste et écrivain. Son écriture n'a donc rien de désinvolte. Si la forme d'Anita G. est celle du portrait éclaté dont les reflets multiples se projettent vers le peuple allemand entier et son histoire, si la déconstruction est de mise et si la première partie laisse penser que l'ordre de ses séquences est aléatoire, la progression du récit, par chapitres introduits par des intertitres, s'avère parfaitement logique et rigoureuse.
Soit, donc, Anita, 22 ans, célibataire, sans emploi ni domicile, passée récemment de l'est à l'ouest et arrêtée pour vol de pullover. Dès la sortie de sa convocation chez le juge, Alexander Kluge la talonne et rend compte de son existence, de ses rencontres, de ses déboires, de ses errances et de ses emportements, tout cela en fragmentant la représentation. Les séquences se collent les unes aux autres, sans véritable début ni fin, afin de ne donner sa forme au tableau qu'une fois le pas de recul effectué.
La mise en scène passe par de multiples états puisque l'on y trouve aussi bien de l'expressionnisme que du documentaire, de l'onirisme que du réalisme, du discours que du sensoriel. Elle s'appuie sur la fiction, l'archive, l'écrit, la voix off ou l'animation. Dès lors, bien que centrée sur Anita, d'une part elle n'épuise pas le mystère du personnage, et d'autre part elle peut s'étoiler pour montrer la société ouest-allemande, directement (tel témoignage sur la guerre vient s'intercaler) ou indirectement (à travers les rencontres et les réactions).
Très vite, nous remarquons que la plupart des gens que croise Anita appartiennent à une institution (justice, université, fonction publique fédérale) ou sont présentés sous l'éclairage de leur métier (patron, éducatrice religieuse). Jamais ils ne représentent directement un système oppressant mais tous tentent d'exercer leur influence, de forger le caractère, d'apprendre "la vie" à Anita, qui désire effectivement apprendre mais à se façon à elle, hors du moule. De cette pression sociétale, Kluge fait ressortir l'individu, le singulier inadapté qui est repoussé. Le parcours d'Anita est en fait clairement dessiné : passage devant le juge, galère et changements incessants de lieux de vie et de travail, tentative d'embourgeoisement et, en désespoir de cause mais en parfaite conscience, entrée en prison.
Décrit ainsi, Anita G. peut paraître tout à la fois pessimiste, esthétisant et théorique. Pourtant, au-delà de la belle homogénéité donnée à ses matériaux disparates et de son montage stupéfiant, quelque chose le fait tenir éloigné de ces fantômes : ce sentiment de la vie qui le traverse. Celui-ci naît de la convergence de plusieurs facteurs. Tout d'abord, les non-professionnels sont, de manière évidente mais nullement gênante, les plus nombreux devant la caméra. Ensuite, les "institutionnels" qui se succèdent sont avant tout des êtres incarnés. Enfin, raison principale, Anita est jouée par Alexandra Kluge, sœur (et non épouse) du cinéaste. Ses grands yeux ouverts, qui charment de manière très particulière et assez peu conventionnelle, nous forcent à suivre ses avancées perpétuelles, par-delà tous les obstacles, avancées inconscientes parfois, sans doute. Alexandra et Alexander : une belle double découverte familiale.
ANITA G. d'Alexander Kluge (Abschied von gestern, R.F.A., 88 min, 1966) ****
Cool la musique agréablement funky et rétro (nous sommes bien dans un remake) de David Holmes, agrémentée de pincées de Handsome Boy Modeling School, Quincy Jones ou Elvis Presley. Résultat d'un mood assez proche de celui de Tarantino (entre le pastiche, l'hommage, le clin d'œil et le pur fun), elle s'avance toutefois de manière moins tambourinante (et s'il faut comparer, nous pouvons dire cela de toutes les composantes du film).
Cool le casting. Les cinq stars, George, Brad, Matt, Andy et Julia, font le job, c'est-à-dire qu'elles ne donnent pas l'impression de faire grand chose d'autre qu'être là, ce qui s'avère la plupart du temps suffisant puisque les "présences" sont évidentes et les personnages clairement dessinés. Derrière eux, les featuring sont aussi agréables, mention spéciales aux "vieux", Carl Reiner, dont le cœur est prêt à flancher à tout moment (occasion d'une jolie petite manipulation du cinéaste qui nous fait croire que le malaise du personnage, au plus fort du suspense, est réel et non feint), et Elliott Gould, en "parrain" d'un mauvais goût réjouissant (un peu gay, peut-être).
Cool le décor de Las Vegas, rendu par Soderbergh plus élégant qu'il n'est certainement. La remarque peut s'étendre à l'apparence des personnages : même les aspects les plus bling-bling n'attirent pas les quolibets du spectateur.
Cool la mise en scène, le cinéaste faisant preuve d'un flow ondoyant et chaleureux. Le montage et les mouvements d'appareil sont vifs sans excès, le rythme, égal, est assuré d'un bout à l'autre de ces presque deux heures d'horlogerie, le film est hautement musical, aussi bien dans ses transitions que dans ses morceaux de bravoure, l'humour est bien dosé, l'accumulation des péripéties défie la vraisemblance avec un grand smile.
Nevertheless, trop de cool peut aussi, sinon tuer le cool ou couler le truc, au moins coller le trouble. Ce n'est pas désagréable cette coolitude au carré (et on ne peut pas parler non plus "d'ennui") mais on en sort avec l'impression que le film a glissé sur nous comme le surfboard sur la vague océane. Aucun effort n'est réalisé pour placer des choses derrière la surface, dans la profondeur. Si l'opération qui est détaillée ici est éminemment complexe (et si elle impose à certains des protagonistes de "jouer" plusieurs rôles), le récit, les caractères et les enjeux ne le sont guère. Catchy, brillant et amusant, Ocean's eleven, c'est l'histoire d'un casse spectaculaire, et seulement cela, ce qui en limite quelque peu la portée (y compris dans la filmographie de Soderbergh). Une phrase sortie par Clooney est symptomatique par la façon dont elle désamorce toute inquiétude ou tension future. Devant son pack, ses onze complices réunis pour la première fois, il lance la soirée par un "si vous voulez laisser tomber, il est encore temps : mangez un morceau et tchao, sans rancune". Alors je veux bien que l'on fasse un film criminel sans une goutte de sang (la seule blessure est purement accidentelle) et avec des gangsters sympas, mais bon, ça c'est quand même un peu trop cool. Isn't it ?
OCEAN'S ELEVEN de Steven Soderbergh (Etats-Unis, 116 min, 2001) ****
Réalisées en 1987 (la première) et en 1991 (la seconde), ces deux séries qui n'en font qu'une se placent donc pour Alain Cavalier entre Thérèse (1986) et Libera me (1993). L'inscription de ces 24 portraits dans l'évolution stylistique du cinéaste, leur importance dans son processus de réflexion sur la fiction et le documentaire, sur le rapport au personnage, au récit et à la technique, sont donc limpides.
L'un des tout premiers plans du premier film de la série montre les mains de "la matelassière" (les portraits sont titrés ainsi par le métier qu'exerce chacune des femmes rencontrées par Cavalier) et il est emblématique. Le cinéaste affectionne en effet ces cadrages sur des parties du corps ou bien sur des objets vus de près, posés sur des tables, des fonds unis qui épurent. Et de manière aussi simple qu'il filme, il parle sur ces images-là pour situer. Pour nommer précisément, aussi. Il a choisi de ne filmer que des femmes, souvent âgées et travaillant "à l'ancienne". L'une de ses motivations est d'enregistrer leur présence, de laisser une trace.
Ces femmes, il les filme à l'ouvrage, expliquant ou leur demandant d'expliquer leurs gestes. Et face à elles, il fait, lui aussi, son métier, il montre que, cinéaste, c'en est un. On remarque, au fil des portraits, la tentation, de moins en moins contenue, de Cavalier d'entrer dans le cadre et d'y faire entrer ses deux accompagnateurs (son et image). Mais même dans la première série, où il ne donne pas à voir de reflets de lui et son équipe restreinte, il rend compte de la fabrication par la voix et les choix de montage. Il peut très bien, par exemple, demander à son opérateur un fondu au noir ou un panoramique (ce qui ne va pas sans quelques hésitations ou erreurs). Il peut demander le clap. Il peut "diriger", en demandant qu'une tête se redresse, qu'une phrase soit redite, qu'une musique soit jouée dans la pièce ou qu'un objet soit montré.
Deux métiers sont donc face à face, rendant encore plus passionnante la présentation. L'un enrichit l'autre : à un moment, Alain Cavalier se demande à voix haute ce qu'il va pouvoir tirer de ces portraits pour réaliser ses films suivants et, en même temps, il espère que l'expérience a plu à ces femmes filmées. Sans attacher moins d'attention à elles, il parle de plus en plus de lui et de son passé.
24 portraits, ce n'est donc pas "Nos beaux métiers d'autrefois". Ce sont des mains et des visages de femmes (Cavalier avoue d'ailleurs que le visage est sa préoccupation première), filmés alternativement. Et par-dessus, se déroule leur parole. Cavalier les fait parler pendant le travail et passe sans cesse des questions sur ce sujet à celles plus personnelles. Ces dernières arrivent comme à l'improviste (sans jamais paraître irrespectueuses) et portent sur les enfants, les maris ou la solitude. Elles sont simples mais peuvent ouvrir des vannes.
Au début de cette année, Ludovic Maubreuil a proposé depuis son blog l'un de ces questionnaires cinématographiques dont il a le secret, consacré cette fois-ci au cinéma qui se/nous regarde. Voici mes réponses, qui s'ajoutent à celles déjà nombreuses collectées par l'auteur de l'indispensable Cinématique.
*****
1) Avez-vous déjà accroché chez vous une affiche de film ?
Ma chambre d'adolescent était tapissée de posters pop et un pan de mur était dédié aux petites fiches cinéma que l'on trouvait dans le magazine Première mais la première véritable affiche que j'y ai punaisé est celle des Ailes du désir de Wim Wenders (œuvre de Guy Peellaert), film ayant été pour moi, avec une poignée d'autres entre 85 et 87, déterminant.
2) Quelle affiche, placardée à l'intérieur d'un film, préférez-vous ?
Celles qui menacent un Griffin Mill (Tim Robbins) mal embarqué dans The Player de Robert Altman.
3) Avez-vous une salle de cinéma régulière ?
Enfant et adolescent périgourdin, le Cinéma Louis Delluc de Nontron, là où tout a commencé. Etudiant bordelais, le Cinéma Jean Vigo, aujourd'hui fermé, là où j'accumulais. Depuis une quinzaine d'années, le Cinéma Jean Eustache de Pessac, là où tout continue.
4) Quelle salle de cinéma, présente dans un film, préférez-vous ?
Celles où s'opèrent des passages insensés (La rose pourpre du Caire, Sherlock Junior) ? Mais je dois reconnaître que leur topographie reste floue dans mon souvenir. Celle où est décrite le plus précisément l'activité du cinéphile (Les sièges de l'Alcazar) ? Mais l'histoire contée, située dans les années cinquante, est un peu trop lointaine de ce que nous vivons ici et maintenant. Je mentionnerai alors une autre salle, qui m'a beaucoup marqué bien que s'y déroulent des choses souvent peu attirantes de mon point de vue, que l'ambiance y soit plutôt à la fin du monde et que le film qui la prend comme son lieu unique ne soit pas le meilleur de son auteur : celle de Goodbye Dragon Inn de Tsai Ming-liang.
5) Avez-vous un souvenir marquant dans une salle de cinéma, n’ayant pas de rapport avec le film projeté ?
Nous étions deux dans la salle, une jeune femme s'étant installé quelques rangs derrière moi. Le film s'appelait Taxidermie. Lorsqu'il commença, je me dis que le réalisateur était particulièrement audacieux de déformer son image de cette façon. Cependant, le doute arriva avec les premiers dialogues, dénués de sous-titres. Je réalisai alors qu'il s'agissait bel et bien d'un problème de format de projection. Parlant trop mal le hongrois pour pouvoir suivre de cette façon, il fallait donc que je signale le souci à l'accueil. De retour dans la salle, en attendant que les choses se remettent en ordre, je pus entamer une agréable conversation avec la charmante jeune femme, conversation qui fut malheureusement stoppée par la reprise du film. Pour cette raison peut-être, Taxidermie me déplut fortement.
6) Avez-vous déjà assisté à un tournage ?
Non. Je suis généralement très peu attiré par les secrets de cuisine.
7) Qu’avez-vous filmé dont vous soyez le plus satisfait ?
Quelques bêtises entre amis, des instants familiaux... Rien que du privé.
8) Avez-vous une anecdote véridique à nous conter, vous mettant en scène avec une personnalité du cinéma ?
J'ai bien croisé, au hasard de quelques festivals locaux, une poignée de personnalités mais je ne vois rien qui relève de l'anecdote à conter.
9) Quelle personnalité du cinéma aimeriez-vous rencontrer pour nourrir une telle anecdote ?
Je m'imagine assez peu converser avec de très grands cinéastes ou acteurs admirés. Mais évidemment, si Juliette Binoche...
10) Quel est le personnage cinématographique le plus proche de ce que vous êtes, ou de ce que vous avez été ?
Aucune idée. Mais bien plus jeune, dès que j'adorais un film, je pensais que le héros avait quelque chose à voir avec moi. A la fin du lycée, je croyais ainsi être très proche du personnage d'Hippolyte Girardot dans Un Monde sans pitié (ma fréquentation, à ce moment-là, d'une fille portant le même prénom que Mireille Perrier dans le film n'arrangeant pas les choses).
11) Avez-vous une quelconque ressemblance physique avec une actrice ou un acteur ?
Il y a six ou sept ans, une soirée un brin animée me vit surnommé par mes amis "Jim Carrey". Je grimace cependant beaucoup moins.
12) Apparaissez-vous réellement dans un film ?
Non.
13) Quel regard-caméra vous a le plus touché ?
Le premier me venant à l'esprit est, sans originalité aucune, celui de Jean-Pierre Léaud sur la plage des 400 coups. Mais, un autre, tout de même plus récent, m'a particulièrement interpellé :
14) Quelle séquence en caméra subjective vous a le plus marqué ?
Celle de Docteur Jerry et Mister Love, qui permet à Jerry Lewis de jouer sur tellement de niveaux (du comique au référentiel)...
15) Existe-t-il un remake que vous appréciez ?
En laissant de côté le cinéma classique américain qui, de Lang à Hitchcock en passant par Cukor ou McCarey, a pu en proposer de remarquables (parfois même des auto-remakes), je ne peux m'empêcher de rappeler que je fus l'un des rares à avoir défendu, ici-même, Le Deuxième souffle d'Alain Corneau.
16) Un que vous détestez ?
La Planète des singes de Tim Burton me semble doublement affligeant : en le comparant avec l'original de Franklin J. Schaffner et en remarquant qu'il inaugure pour le cinéaste d'Edward aux mains d'argent une décennie affreuse.
17) Quelle est votre image ou séquence favorite parmi celles faisant allusion, au sein d’un film, à un autre film ?
Pour répondre de manière légèrement détournée, je citerai le cas particulier de l'insertion d'images tirées d'un film ancien pour évoquer le passé d'un personnage à l'écran. Ainsi, je fus particulièrement touché de voir apparaître le Terence Stamp du Poor cow de Ken Loach dans L'Anglais de Steven Soderbergh et les Ariane Ascaride et Gérard Meylan de Dernier été dans La ville est tranquille de Robert Guédiguian.
18) Citez votre scène préférée parmi celles utilisant un miroir
Parmi les innombrables, qu'elles soient érotiques (Eyes wid shut, L'insoutenable légèreté de l'être), mystérieuses (Mulholland drive), horrifiques (La mouche), comiques (Dans la peau d'une blonde), je peux revenir vers les "fondamentaux" en me rappelant le choc que produisit sur moi, alors que je n'étais pas encore "cinéphile", une séquence du Sang d'un poète de Jean Cocteau.
19) Avez-vous le souvenir d'une apparition involontaire de l'équipe de tournage à l'image ?
Les reflets sur les vitres de la maison du Garçu de Maurice Pialat.
20) Quelle est votre préférence parmi les actrices/acteurs ayant joué plusieurs rôles dans le même film ?
Peter Sellers jouant le Capitaine Mandrake, le Président Muffley et le Dr. Strangelove (mais malheureusement pas le Major Kong, comme cela était initialement prévu) dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick.
21) Quel est pour vous le meilleur interprète d’un personnage traité à plusieurs reprises dans l'histoire du cinéma ?
Max Schreck en Nosferatu/Dracula dans le Nosferatu de F.W. Murnau.
22) Parmi les cinéastes ayant fait l’acteur chez les autres, qui mérite d'être retenu ?
Certainement Orson Welles. Mais j'apprécie énormément John Huston chez Roman Polanski (Chinatown) ou Richard C. Sarafian (Le convoi sauvage). Qu'aurait donné l'inachevé The other side of the wind, tourné par Welles et joué par Huston au début des années soixante-dix ?
23) Quelle apparition d’un réalisateur dans son propre film vous semble la plus mémorable ?
Furtive mais tout à fait "signifiante" me semble être celle de Martin Scorsese dans cette scène de l'étourdissant After hours :
24) Quel est à vos yeux le plus grand film sur le cinéma ?
Du muet à aujourd'hui, de la grosse production au journal intime, bref, de Show people à Pater, il existe tant de films, parmi les plus grands, parlant plus ou moins directement du cinéma qu'il n'est guère évident d'en distinguer un. Je choisirai donc un cinéaste ayant créé presque à chaque coup des œuvres que l'on pourrait qualifier de "métafilms", un cinéaste nous ayant montré à maintes reprises et simultanément la machinerie du cinéma et la magie qu'elle peut produire... Federico Fellini et 8 1/2.
Sur la côte picarde, Sylvian rencontre deux belles touristes, une mère et sa fille. Se liant à elles, il va passer quelques précieuses journées estivales en leur compagnie.
L'air de famille rohmerien d'Un monde sans femmes est évident. Pour ne pas écraser Guillaume Brac, son réalisateur, disons qu'il se place dans une continuité contemporaine, qu'il prolonge à sa façon les beaux films de plage de Rohmer. Mais plus que le décor ou la mise en scène, c'est la construction du scénario qui permet de faire ce rapprochement. Au fil du récit, peu à peu, se dégage une logique que l'on qualifierait d'implacable si le naturel n'était pas préservé de bout en bout par le cinéaste. Car Un monde sans femmes possède la forme d'un conte moral : la situation de départ est précisément posée (un jeune homme du coin, solitaire, une jeune mère séduisante et une fille de 17 ans plus discrète mais tout aussi charmante), l'évolution des rapports entre les trois personnages est finement observée et mise en relief par quelques interventions extérieures, le dénouement, bien que pudique, "dit" les choses, la mise en scène garde sa ligne claire....
Le lien avec Rohmer (d'autres ont aussi évoqué Rozier) ne gêne pas, au contraire, et on peut tout autant évaluer ce qui diffère entre ces deux cinémas (les dialogues par exemple, plus directs, plus simples, moins littéraires chez Guillaume Brac). Surtout, cette réflexion ne vient qu'après coup, après avoir été grandement touché par cette éclaircie que provoque cette irruption féminine dans un univers masculin plutôt replié, cette éclaircie que provoque ce (premier) film. Chose étonnante, qui doit autant à l'écriture qu'à l'interprétation (formidable trio Vincent Macaigne, Laure Calamy, Constance Rousseau), les personnages apparaissent, dès le début, avec leurs défauts en avant, ou en tout cas, aussi visibles que leurs qualités (gaucherie un peu lourde dans l'humour de l'un, exubérance parfois gênante de l'autre, distance renfrognée de la troisième). Cela pour mieux nous les rendre attachants.
Brac est avec eux, comme avec ce qui constitue leur environnement (la station balnéaire, les autres personnages locaux), sur le fil, tenant un merveilleux équilibre. Il invente un suspense sentimental et parvient miraculeusement (dans le sens où l'on s'étonne de "marcher" une nouvelle fois à ce genre de situation) à nous faire redouter, de la part de Sylvain, de Patricia ou de Juliette, le mot de trop, le geste déplacé ou le refus cassant, à nous faire éprouver la fébrilité de l'instant, à nous faire guetter les moments de bascule où tout se décide. Pour atteindre ce but, Brac devait trouver le juste tempo (parlant de rythme, soulignons la belle scène de danse en boîte de nuit, le type même de séquence souvent salopée par les réalisateurs français) et faire preuve d'honnêteté dans la construction des personnages. Cette honnêteté se révèle notamment à travers les touches comiques qui parsèment le film. Les gens qui vivent sur l'écran, que ce soit le temps d'une seule scène ou bien pendant toute la durée, véhiculent un humour qui semble toujours leur appartenir en propre, qui n'est pas plaqué mécaniquement par un auteur tout puissant.
Un monde sans femmes révèle un cinéaste français qui réhausse le quotidien le plus simple, le plus prosaïque, le "déjà-vu", en quelque chose de discrètement déchirant (cette parenthèse ensoleillée prend place dans la grisaille du reste de l'année, jamais montrée, tout juste perceptible). Ce film est une sorte de trésor caché, à l'image même du personnage de Juliette, celui qui passe en fait au premier plan, qui au début restait au fond de l'appartement, qui ensuite marchait derrière lors de la pêche aux crabes, mais qui finit par prendre ses "responsabilités narratives" à la faveur d'un instant déterminant, un soir en boîte (trois fois rien en apparence, un simple regard mais qui provoque un total et définitif changement de point de vue, un renversement très touchant).
UN MONDE SANS FEMMES de Guillaume Brac (France, 58 min, 2012) ****