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Nightswimming - Page 48

  • Zidane, un portrait du XXIe siècle

    Le synopsis tient en quelques mots : "Dix-sept caméras haute définition suivent Zinedine Zidane pendant 90 minutes au cours du match Real Madrid - Villarreal CF le 23 avril 2005". Le film de Gordon Douglas et Philippe Pareno, sorti en salles en 2006, tient plus de l'art contemporain que du reportage pour Téléfoot et on imagine l'effroi qui a du saisir certains spectateurs ayant choisi de passer une heure et demie avec leur idole et se retrouvant à subir cette vision hyper-fragmentée et ces recherches visuelles et sonores assaisonnées de post-rock.

    Au moins, n'ont-ils pas pu nier qu'ils n'avaient, sauf à l'avoir cotoyé, jamais été aussi près de leur "Zizou". Braquant les caméras et les micros sur lui, exclusivement, au point de faire des Ronaldo, Roberto Carlos, Beckham, Raul ou Figo qui l'entourent juste des apparitions, des silhouettes traversant le cadre, et de ne proposer qu'à quatre ou cinq reprises un plan général expliquant l'action, les réalisateurs ont cherché à faire une œuvre toute en "sensations". De ce point de vue, l'expérience est stimulante, même si sa durée peut être, pour beaucoup, rédhibitoire. Pendant 90 minutes, nous avons réellement la sensation physique de l'effort : la sueur coule, la respiration est difficile, les crachats sont nécessaires.

    Toutefois, Douglas et Pareno ne se sont pas contentés de cette approche "hyper-réaliste" de type "loupe Canal +". Ils ont également tenté d'épouser l'état d'esprit du joueur en cours de match et de trouver des équivalences esthétiques à cet état. Dans ce but est travaillée non seulement l'image (le montage est très vif, très destabilisant dans les premières minutes, la fragmentation du temps et de l'espace effaçant tout nos repères par rapport au terrain et à ce qui s'y passe en dehors du petit espace occupé par Zidane), mais également le son. Se mêlent, ou bien alternent, par un mixage audacieux, radical, bruits d'ambiance du stade, souffle ou mots sortant de la bouche du joueur, bruit du ballon ou des chocs avec les adversaires. Parfois même, une bande son totalement externe se superpose : celle d'une partie de foot entre gamins par exemple. Cette irruption nourrit bien sûr la réflexion sur le jeu, comme le font quelques propos de Zidane s'incrustant de temps à autre au bas de l'image. Footballeur, ce métier est décidément étrange : le sport, l'effort, le jeu, l'enfance...

    La musique du grand groupe écossais Mogwai m'a toujours semblé en lien étroit avec l'enfance. Plus exactement, ses peurs, ses angoisses. Elle est surtout, bien sûr, atmosphérique. Disant cela, il faut tout de suite préciser que le terme inclus l'orage, sa menace et son déchaînement. Le choix des cinéastes de faire appel à ces musiciens est d'une cohérence totale. Tout d'abord, ils étaient eux aussi, à l'époque, "numéro un". Ils étaient en effet réputé pour être ceux qui faisaient les concerts les plus bruyants. Ensuite, ils sont aussi peu prolixes que Zidane (qui, on s'en aperçoit ici, parlaient aussi peu sur le terrain qu'en dehors, ne lâchant guère plus que les indispensables "Va, va, va !", "Ahi ! Ahi !" et autres "Hey !" (*) à ses partenaires), signant essentiellement des morceaux instrumentaux. Enfin, comme je l'ai dit, ils installent un climat.

    Et un climat, ça joue sur le mental. Collant la forme de leur film à l'évolution mentale de Zidane durant la rencontre, les cinéastes nous font passer par tous les états, bien aidés par la dramaturgie de la soirée. En effet, peu avant la pause, c'est Villareal qui ouvre le score sur la pelouse de Madrid, équipe qui, ainsi menée, commence à douter. Pour preuve ce début de deuxième mi-temps de Zidane qui semble presque perdu, le film (et notre esprit) semblant s'égarer avec lui par la même occasion. Finalement, l'égalisation arrive grâce à Ronaldo et surtout un fabuleux débordement sur la gauche de... Zizou. Et peu après, la délivrance est là, avec un deuxième but marqué par les Merengues. Mais ce n'est pas tout. Alors que la fin approche, une chamaillerie concerne plusieurs joueurs, Zidane déboule en trombe, s'échauffe avec un adversaire et l'arbitre lui sort le rouge. Sortie du génie, seul, sous les applaudissements. La fin de carrière est proche (ce sera un an plus tard). Les réalisateurs ne pouvaient rêver mieux pour leur dernier plan que cette silhouette qui quitte le rectangle vert pour rejoindre les vestiaires.

    Zidane, un portrait du XXIe siècle ennuie de temps en temps et laisse parfois perplexe (le collage d'images en guise de mi-temps, glanées dans le monde entier et datées du même jour que le match : petite et grande histoire mêlées, comme le foot, soit, mais encore...) mais il intéresse et "interpelle" physiquement. Il n'amènera aucun anti-foot à réviser sa position et n'éclairera en rien ceux qui ne connaisse pas les règles ni les enjeux. Mais bon, ça, on s'en cogne. On a regardé pendant tout un match, de façon inédite, un sacré putain de grand joueur...

     

    (*) : Pour les non-hispanophones, successivement "Allez, allez, allez !", "Là, là !" et "Hé !"

     

    ZIDANE, UN PORTRAIT DU XXIe SIÈCLE de Gordon Douglas et Philippe Pareno (France, 90 min, 2006) ****

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  • Django unchained

    "Non, je ne voudrais pas faire les films qu'a faits John Huston dans les trente dernières années de sa vie. J'ai l'impression que, désormais, chaque mauvais film annule le bénéfice de trois bons et je veux garder de bonnes stats !" dit Quentin Tarantino dans le dernier Télérama. Django unchained annule donc la moitié de sa carrière puisqu'il n'a tourné jusqu'à présent que sept films. Dans le même temps (sur vingt ans), les autres grands réalisateurs américains qui peuvent lui être comparés (par l'âge, le goût pour les genres populaires et le statut d'auteur jamais remis en cause) tenaient une toute autre cadence : Joel et Ethan Coen en signaient onze, Tim Burton douze, Steven Soderbergh vingt et un.

    Sortir un film tous les trois ans assure à Tarantino le maintien de l'étiquette "culte" scotchée sur son dos et lui donne l'impression de pouvoir étirer sur presque trois heures l'histoire sans intérêt de son Django sans que personne ne sourcille. Or, à mes yeux, cette fois-ci, il s'écroule. A tous points de vue.

    Tarantino, cinéaste de la parole. Jamais ses dialogues n'auront à ce point plombé le récit. Ici, ils paraissent en effet interminables. D'une part, ils rendent le cynisme du personnage du Dr Schultz et la prestation de son acteur Christoph Waltz irritants au possible (et Di Caprio poursuit son travail sur le chemin scorsesien sans être, malheureusement, dirigé par le réalisateur des Infiltrés). D'autre part, contrairement à ce qu'il se passait dans les précédents films du cinéaste, ils sont totalement dépourvus d'enjeu : ni vraiment digressifs, ni vraiment utiles dramatiquement (ne s'y opère aucun retournement, aucun changement de point de vue). Il ne leur reste alors plus qu'à tourner inlassablement dans les bouches, à la grande auto-satisfaction de leur auteur.

    Tarantino, cinéaste déstructurant. Le récit est déroulé de façon linéaire, sans aucune surprise. Quelques flash-backs parfaitement attendus et de timides flash-forwards font une moisson bien maigre pour supporter l'alternance morne de séquences parlées et de séquences saignantes.

    Tarantino, cinéaste de la violence. Décidément, Django unchained confirme ce qu'Inglourious basterds laissait penser : la violence qui s'étale fonctionne dorénavant de la manière la plus simpliste et la plus basse qui soient. Lorsqu'elle est l'œuvre des salauds, elle sert à choquer le spectateur. Lorsque les héros y ont recours, elle le lie, par le clin d'œil, à leur vengeance et lui propose d'en jouir. Parfois, le cinéma de genre a bon dos...

    Tarantino, cinéaste du jeu historique. Voilà qui est nouveau depuis Inglourious, et ce n'est, à mon avis, pas du tout une bonne nouvelle. Il y a trois ans, il flinguait Hitler. Cette fois-ci, il venge les Noirs américains de décennies d'esclavage (mais par l'intermédiaire, bien sûr, d'un guide, presque un surhomme). Soit, je peux, à la rigueur, l'admettre, tout en précisant bien que Tarantino la joue facile, sans risque moral aucun, en toute bonne conscience. Mais ce qui m'agace profondément dans ce film, au delà de sa violence orientée, de sa longueur inadaptée et de son manque de stimulant narratif, c'est que, si il est pensé comme un hommage que j'imagine sincère au western italien, il l'est aussi comme instrument servant à faire la leçon au cinéma classique américain, de D.W. Griffith à John Ford. Nul doute qu'il y ait matière à interroger certains aspects de ce cinéma-là, mais à travers ce Django unchained et le discours qui l'accompagne, Tarantino le rejette sans aucun discernement, bien confortablement installé en 2012.

     

    DJANGO UNCHAINED de QuentinTarantino (Etats-Unis, 165 min, 2012) ****

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  • Les bêtes du Sud sauvage

    C'est un premier long métrage assez impressionnant dans sa manière de donner à voir un microcosme qui devient, par l'ampleur de la mise en scène, l'univers entier. Il n'est toutefois pas sans défaut, ce qui l'empêche d'atteindre par exemple le niveau des deux premiers Terrence Malick, modèle avoué de Benh Zeitlin. Ces quelques scories ne gâchent pas le plaisir si l'on veut bien considérer qu'elles sont la conséquence de la fougue du réalisateur. Mais celui-ci abuse, en particulier dans la dernière partie, des plans programmés pour l'émotion, des champs-contrechamps au bord des larmes, des photos de groupe bien soudé. Par ailleurs, pointant sa caméra sur la Louisiane et ses catastrophes, s'il repousse au maximum, à bon escient, les instants de confrontation (et leur cortège de justifications et d'explications) entre la communauté quasiment coupée du monde qui capte toute son attention et la ville et ses institutions à côté, le message politique qu'il fait passer n'en pèse pas moins son poids à la suite des choix dramatiques de la fin du film.

    Mais l'essentiel n'est pas là. La grande affaire des Bêtes du Sud sauvage, c'est la création perpétuelle d'un monde, celui, étrange, dur et merveilleux, de la petite Hushpuppy, fillette nous servant de guide et portant tout le récit sur ses épaules. Sur ce plan-là, la réussite de Zeitlin est totale. Ce parti-pris du point de vue exclusif fait d'abord passer la tarte à la crème de la caméra portée, fiévreuse et pugnace. La technique, que l'on ne pensait pas a priori parfaitement adaptée ici, s'avère finalement performante pour rendre la présence de ce formidable paysage du bayou et pour opérer une fragmentation de ce monde. Fragmentation qui est pourtant remise en ordre par le regard d'Hushpuppy qui effectue comme une recomposition sous forme de puzzle "libre" et harmonieux. Menés par elle, nous sommes donc soumis aux décrochages de la réalité, aux rêveries, aux pertes de repères. Les allers et retours entre la vie et la mort, les enroulements du temps, assurés de manière très fluide, parviennent à nous faire accepter le conte et également à nous toucher lorsqu'ils concernent ce rapport entre un père et sa petite fille. Ce sont ces accidents de la ligne narrative, ainsi que ces échanges-disputes s'étirant régulièrement jusqu'à l'explosion vivifiante des corps (bander ses muscles et crier pour montrer que l'on va survivre à tout), qui émeuvent, plus que les excès de mélo pointant ça et là.

     

    LES BÊTES DU SUD SAUVAGE de Benh Zeitlin (Beasts of the Southern wild, Etats-Unis, 92 min, 2012) ****

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  • Nagisa Oshima

    oshima

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    oshima

    oshima

    Se souvenir des Contes cruels de la jeunesse, des Plaisirs de la chair, de L'empire des sens, de L'empire de la passion, de Furyo, de Max mon amour et de Tabou

    et voir un jour, enfin, Nuit et brouillard du Japon, La pendaison, Le journal d'un voleur de Shinjuku, Le petit garçon, Il est mort après la guerre, La cérémonie...

     

    Source couvertures Positif et La Revue du Cinéma : Calindex

  • Convoi de femmes

    Cent quarante femmes à accompagner jusqu'à la Californie de 1851 pour un périple de trois mois, à travers rocailles, étendues désertiques et territoires indiens : voici la mission assignée à Buck Wyatt par son ami Roy, propriétaire d'un vaste ranch où ne s'affairent que des pionniers célibataires. Ces femmes, elles sont résolues à tout quitter, pour des raisons restant enfouies la plupart du temps, et à refaire leur vie auprès d'un mari choisi d'après un simple photographie.

    Convoi de femmes, avant de réunir, ne fait que séparer bien nettement. Les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Les migrantes et les quelques cowboys qui les escortent sous les ordres de Buck ont l'interdiction absolue de s'approcher de trop près les uns des autres. Le mur ainsi dressé entre les deux groupes donne à voir de manière fascinante cette différence entre les sexes (différence que Buck ne pensera longtemps qu'en termes de domination, de force et de faiblesse). Ce mur ne fait aussi, bien sûr, qu'exacerber les désirs, tant l'interdit est énorme et intenable.

    Ce principe posé à partir d'un argument déjà fort original à nos yeux, il ne peut se passer que des événements sortant de l'ordinaire, ainsi que des épreuves absolument terribles. Wellman, qui fond littéralement ses personnages dans le décor bien réel de pierre, de sable ou de boue, qui épure jusqu'à sa bande son dénuée de musique (ce sont les bruits des chariots, des coups de feu ou de fouet, des femmes qui chantent des berceuses, qui aident à accoucher et qui s'exclament, ce sont tous ces bruits qui font la musique la musique du film), n'épargne rien au spectateur des effrayants coups du sort. Buck avait prévenu : pour ramener cent femmes, il fallait partir avec un tiers de plus afin de prendre en compte les pertes. Personne, alors, n'est à l'abri. En un éclair, tel personnage auquel le récit semblait s'attacher particulièrement peut disparaître et la jeunesse ou l'amour ne met nullement à l'abri. La sècheresse de la mise en scène rend ces coups de tonnerre saisissants. Ils seraient mélodramatiques si le cadre westernien et l'avancée perpétuelle des membres du convoi n'empêchaient de s'apesantir dessus. Wellman ne fait pas de concessions. La violence et la dureté des événements qu'il choisit de traiter, la tension qu'il instaure, l'intransigeance et la droiture qu'il prête à ses personnages sont tels que les touches humoristiques, les plaisirs de la pause, les attendrissements passagers, n'apparaissent jamais comme des facilités mais comme des moyens d'enrichir la fresque, d'y glisser toutes les contradictions de la vraie vie.

    Remarquablement mis en images, alignant les plans noirs et blancs travaillés dans toutes leurs dimensions, Convoi de femmes est l'un des plus beaux et surtout l'un des plus émouvants westerns qui soient.

     

    CONVOI DE FEMMES de William Wellman (Westward the women, Etats-Unis, 118 min, 1951) ****

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  • A la relance

    Constatant qu'il m'est difficile ces temps-ci de déterminer si le ralentissement de mes publications ici est le résultat d'un manque de temps ou bien celui d'un manque d'envie d'écrire sur les films, et afin d'éviter l'ankylose, afin de ne pas tomber dans la routine qui guette, celle de l'exercice obligé de la critique-d'après-le-film-vu-hier-soir, afin de continuer à me consacrer comme je le souhaite à un projet qui me tient à cœur (Zoom Arrière) et d'en terminer avec un autre qui traîne plus que de raison (Une histoire de Positif, 4e partie), il me faut absolument changer le rythme de ce blog, l'accélerer en faisant plus court, plus vif et plus réactif, évoquer dorénavant les films en tendant vers la note plutôt que vers la critique, me contenter de quelques phrases, voire d'images... Seule façon, je suppose, de repousser le sentiment de lassitude, d'atténuer les effets de la dispersion sur le réseau et d'éviter que cet espace ne soit progressivement déserté.

    J'essaie. Je verrai bien.

  • Six courts métrages de D.W. Griffith

    (un programme diffusé en son temps par Le Cinéma de Minuit)

     

    The battle (1911, 19 min) ****

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    Une des méthodes qu'utilise Griffith pour s'affranchir de la contraignante présentation en tableaux indépendants qui caractérise le cinéma des premiers temps, c'est le prolongement, grâce au découpage (et à un cadrage très précis), de ces tableaux par les bords. Par un bord, plus exactement. Les plans s'assemblent ainsi les uns aux autres. C'est flagrant, presque schématique, ici. Dans la pièce principale de la maison de The battle se trouve l'héroïne et y entrent des soldats blessés cherchant un abri. A droite, une porte s'ouvre sur l'extérieur. De l'autre côté, on passe sur la terrasse en bois qui délimite à la fois l'entrée de la maison et le début du champ de bataille. Les axes et les échelles de plans sont toujours les mêmes et nous avons donc bien à gauche de la collure du plan l'intérieur et à droite l'extérieur. L'organisation de l'espace est claire, visant à la compréhension immédiate du spectateur.

    Le découpage fait penser à la pliure d'un livre ou mieux, d'un dépliant, car Griffith propose plus que deux volets. L'espace se prolonge en effet au-delà du mur servant de charnière aux plans (charnière très visible, mécanique, grinçante : peu à peu, au fil des films, Griffith va huiler tout ça). "Sur la droite", le champ de bataille s'étend assez loin. La ligne de front où combattent sudistes et nordistes est vue sous deux ou trois angles différents et même quelques coups d'éclats sont décrits à proximité du lieu.

    Cependant, la vision reste plutôt étroite, pas assez étendue en tout cas pour, à nos yeux d'aujourd'hui, englober la guerre. Le dispositif filmique est trop simple, comme l'est l'interprétation d'ensemble. Les acteurs principaux et les figurants montrent bien qu'ils sont tourmentés, qu'ils meurent ou qu'ils sont blessés, se tournant par exemple face à la caméra lorsqu'ils sont atteints par les balles de l'ennemi. De plus, le scénario est convenu : le jeune soldat couard, pris de panique lors de son baptême du feu, se ridiculise aux yeux de sa belle avant d'effectuer un acte de bravoure qui décidera du sort de la bataille. Tout de même, le rythme est des plus vifs, réglé comme du papier à musique.

     

    One is business, the other crime (1912, 15 min) ****

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    Le fonctionnement par "volets", qui atténue sérieusement la force de The battle, constitue l'attrait, le principe même, très réfléchi, de One is business, the other crime. Deux couples nous sont présentés : l'un riche, l'autre pauvre. S'opposent misère et bonne société, et, bientôt, vol et... corruption. Car l'ouvrier ne vaut pas moins que le grand bourgeois, il n'est pas plus condamnable, au contraire dira-t-on. Griffith traite de la réconciliation possible, de la tolérance, de l'entraide, l'homme riche donnant finalement du travail au pauvre qui a tenté de le voler.

    Le découpage tient ici de l'effet de miroir. Les pauvres sont montrés dans leur petit appartement avec fenêtre à rideaux sur la droite. Les riches le sont dans leur vaste salon avec de grandes ouvertures sur la gauche. Et nous passons sans cesse d'un lieu à l'autre. Le dispositif garde son évidence mais apparaît moins rigide, l'éloignement entre les deux habitations permettant l'insertion de plans de rues intermédiaires. Ceci va de pair évidemment avec l'usage du montage parallèle qui montre deux actions simultanées et qui précisément ici permet de faire tenir ensemble dans l'espace du film deux pièces de la belle demeure : le salon où s'introduit le voleur et la chambre à coucher depuis laquelle la femme seule entend ce dernier, s'empare d'un revolver et s'en va le surprendre.

     

    Death's marathon (1913, 17 min) ****

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    On sait que chez Griffith, le montage parallèle est souvent associé au "sauvetage de dernière minute". L'usage du procédé est déjà assez complexe dans Death's marathon, au cours d'un final qui relève l'intérêt un peu faible de la première partie de ce film. L'histoire est celle d'une rivalité amoureuse entre collègues qui restent loyaux, et de la dérive du "gagnant" jusqu'au suicide que l'autre essaye d'éviter. La dernière séquence (avant l'épilogue) distribue trois espaces : le bureau où s'est retranché le désespéré, sa maison où sa femme le retient par téléphone interposé, et, entre les deux, les lieux traversés à toute allure par son ami décidé à le sauver.

    Le téléphone est un véritable objet dramatique et "suspensif", ici admirablement utilisé. Y passe toute l'émotion, intense, de la scène (on fait s'exprimer le bébé pour que le père, au bout de fil, n'appuie pas sur la gâchette) et c'est à travers lui que la femme entendra le coup de feu si redouté. Car non, en effet, chez Griffith, le sauvetage ne réussit pas toujours ! Cela, on ne le sait pas forcément et la surprise est grande devant ce dénouement dramatique, à peine atténué par la formation d'un nouveau couple. C'est que, ayant établi ce modèle de figure cinématographique, Griffith veut en jouer à loisir pour mieux surprendre son spectateur.

     

    The miser's heart (1911, 18 min) ****

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    Lorsque le temps est ainsi étiré par la mise en scène, la cruauté peut s'installer d'autant mieux. Il faut voir celle dont font preuve les malfrats de Miser's heart pour obtenir le code du coffre fort où un vieil avare garde ses pièces. Ils n'hésitent aucunement à suspendre dans le vide une fillette venant de sympathiser avec ce dernier et, pire encore, à placer une bougie sous la corde retenant la gamine afin qu'elle se consume progressivement sous les yeux de leur prisonnier. Ce qui est très fort ici, et efficace narrativement, c'est que Griffith montre l'émergence de l'idée dans la tête du gangster, les étapes de sa réflexion.

    Esthétiquement, les "volets" se dépliant et se rabattant dominent encore dans The miser's heart, mais l'échelle semble plus grande, laissant observer, vraiment, un quartier. Partant d'un plus petit sujet, de l'écriture d'une chronique sociale passant par le fait divers, on aboutit, par rapport à la guerre de sécession de The Battle, à une œuvre paradoxalement plus ample. L'espace y est mieux parcouru, les caractères y sont mieux dessinés, la palette comportementale y est plus riche, le regard y est plus proche. Tout paraît plus spontané, moins appuyé.

     

    The musketeers of Pig Alley (1912, 17 min) ****

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    Mais, notamment en termes de jeu d'acteurs, dans cet ensemble de courts métrages griffithiens, voici venu le pic, l'éclair, la brûlure. The musketeers of Pig Alley est seulement le quatrième film de Lillian Gish (les trois premiers étant aussi des Griffith, réalisés cette même année 1912). Pourtant, dès sa première apparition, elle irradie par son extraordinaire capacité à préserver son naturel, à vivre la scène quand tant d'autres à l'époque, y compris chez Griffith, miment et jouent la comédie. Chaque geste et chaque regard de Mademoiselle Gish sonne juste et émeut par sa précision, sa vérité, sa grâce. Pour autant, la fameuse thématique de l'innocence en danger n'a que faire ici et on se rend compte que l'œuvre du cinéaste ne se réduit pas à cela non plus. Dans The musketeers, Lillian Gish épate par sa façon de tenir tête au gangster qui la courtise. Douce et attentionnée avec son homme, musicien les poches vides, elle devient sèche et inflexible face au mauvais garçon jusqu'à lui décocher une fulgurante et jolie baffe dans la poire. Elle figure finalement le rempart du couple.

    Ce court est l'un des Griffith les plus célèbres. Plusieurs atouts ont contribué à sa pérennité, en plus de la présence de la géniale actrice. La légende le présente comme le premier film policier ou criminel. Si c'est certainement abusif d'un point de vue strictement historique, ça ne l'est plus si l'on parle esthétique et naissance du mythe. Griffith présente une histoire de gangsters dans un quartier chaud de New York. Suivant avec autant de plaisir le bad guy que le couple positif, il montre une véritable jungle urbaine, un pullulement de pauvres gens et de voleurs dans des rues étroites. Le format de l'image et le retour à l'écran de certains lieux toujours cadrés de la même façon rendent ce monde étouffant et les trajectoires qui s'y dessinent pré-déterminées. Cependant, ce n'est plus une contrainte subie, c'est une organisation, un dispositif très pensé, destiné à diriger les protagonistes avec la précision d'un maître de ballet.

    Cet arpentage donne naissance à une formidable séquence au cours de laquelle deux gangs se suivent l'un l'autre à travers les ruelles, rasant avec précaution les murs de briques. C'est une poursuite au ralenti, une approche quasi-animale, pendant laquelle le temps se dilate avant l'explosion, l'échange de tirs en une poignée de secondes et quelques nuages de fumée. Ce double rythme, on le retrouvera ensuite partout jusque dans les plus modernes de nos polars.

    La séquence contient un plan iconique ayant lui aussi beaucoup fait pour la réputation du film. Celui de Snapper Kid (personnage excellemment "typé" par Elmer Booth), devançant deux acolytes, remontant vers nous le long d'un mur depuis le fond de l'image jusqu'au gros plan. Griffith a fait une nouvelle conquête : la profondeur, la transversalité. L'espace ne se parcourt plus uniquement dans deux dimensions, les gangsters, le plus souvent, s'avancent, s'enfoncent dans la foule. L'espace s'élargit encore.

    Ce gros plan sur le visage d'Elmer Booth n'est pas une invention cinématographique. Griffith n'a pas tout trouvé tout seul. Mais il est sans doute celui qui parvient alors à rendre ces trouvailles visuelles plus efficaces, à les insérer au mieux dans le récit, à s'en servir pour enrichir et exacerber l'expression. De là vient le sentiment d'assister à la naissance d'un langage, à une articulation nouvelle.

     

    The massacre (1914, 30 min) ****

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    L'image forte s'élevant au symbolique tout en restant parfaitement maintenue par la narration, on la trouve à nouveau dans The massacre, fresque westernienne réalisée trois ans après The battle, avec quel souffle supplémentaire ! Dans la dernière partie, les membres d'un convoi sont attaqués et encerclés par des indiens. Parmi eux, l'héroïne tient fiévreusement son bébé dans les bras. Des coups de feu sont tirés en tous sens, les corps tombent un à un. Au cœur de la séquence, un plan se signale effrontément : on y voit le visage apeuré de la jeune femme, à droite un pistolet qui vise le hors-champ, à gauche une main tenant une bible et, derrière, l'agitation.

    Le groupe est donc encerclé. La conquête de l'espace par Griffith se poursuit : ici, le cercle. Certes, la caméra ne tourne pas sur des rails mais elle s'éloigne et peut alors embrasser les vastes paysages, observer les courbes et les lignes droites que les chevauchées provoquent. On est définitivement débarrassé de l'exiguïté et de la frontalité de The battle.

    Après un prologue classique dans son alternance entre intérieur et extérieur et dans sa présentation d'un triangle amoureux, le film prend son envol avec l'attaque sauvage d'un campement indien. Et oui, l'ultime massacre évoqué plus haut est une vengeance... Le premier agresseur est l'armée et la description de son action est ponctuée par un plan saisissant, jeté avec une insistance inhabituelle. Inhabituelle parce qu'il ne s'y passe rien. On y voit "seulement" des braises volantes et un chien errant autour du corps d'une jeune indienne et de celui de son bébé resté sur elle. "Massacre" serait donc à mettre au pluriel, le second répondant au premier.

    Sur le plan de la morale griffithienne, la vision de ces courts métrages confirme une chose : Naissance d'une nation fut bel et bien une étonnante aberration. La façon dont sont traités les Noirs dans ce célèbre film devient effectivement incompréhensible en voyant comment apparaissent les nobles indiens dans The massacre, comment l'union des bonnes volontés se réalise dans One is business, comment la rédemption de l'avare ou de l'ancien voleur devient possible dans The miser's heart et comment le système est le premier responsable du pourrissement des valeurs dans The Musketeers.