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Nightswimming - Page 84

  • Cannes, revu et corrigé (5/6)

    (partie 1 - partie 2 - partie 3 - partie 4)

    *****

    1990

    sailoretlula.jpg

    Sailor et Lula de David Lynch

    Au palmarès aussi : Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau)

    Fiabilité : 50  % [18 films en compétition, Palme d'or : Sailor et Lula (David Lynch)]

    *****

    1991

    bartonfink.jpg

    Barton Fink d'Ethan et Joel Coen

    ou bien Van Gogh (Maurice Pialat)

    Au palmarès aussi : La belle noiseuse (Jacques Rivette), La double vie de Véronique (Krzysztof Kieslowski), Le pas suspendu de la cigogne (Théo Angelopoulos)

    Fiabilité : 47  % [19 films en compétition, Palme d'or : Barton Fink (Ethan et Joel Coen)]

    *****

    1992

    theplayer.jpg

    The player de Robert Altman

    ou bien Simple men (Hal Hartley)

    Au palmarès aussi : La sentinelle (Arnaud Desplechin), Le songe de la lumière (Victor Erice), Une vie indépendante (Vitali Kanevski), Crush (Allison McLean), Les enfants volés (Gianni Amelio)

    Fiabilité : 62  % [21 films en compétition, Palme d'or : Les meilleures intentions (Bille August)]

    *****

    1993

    naked.jpg

    Naked de Mike Leigh

    ou bien La leçon de piano (Jane Campion)

    Au palmarès aussi : Le maître de marionnettes (Hou Hsiao-hsien), Libera me (Alain Cavalier), Raining stones (Ken Loach), Adieu ma concubine (Chen Kaige)

    Fiabilité : 43  % [23 films en compétition, Palme d'or : Adieu ma concubine (Chen Kaige), La leçon de piano (Jane Campion)]

    *****

    1994

    autraversdesoliviers.jpg

    Au travers des oliviers d'Abbas Kiarostami

    Au palmarès aussi : Journal intime (Nanni Moretti), Exotica (Atom Egoyan), Trois couleurs : Rouge (Krzysztof Kieslowski), Pulp fiction (Quentin Tarantino), Un été inoubliable (Lucian Pintilie), Vivre ! (Zhang Yimou)

    Fiabilité : 61  % [23 films en compétition, Palme d'or : Pulp fiction (Quentin Tarantino)]

    *****

    1995

    underground.jpg

    Underground d'Emir Kusturica

    Au palmarès aussi : Good men, good women (Hou Hsiao-hisen), Kids (Larry Clark), Ed Wood (Tim Burton), La haine (Mathieu Kassovitz), Waati (Souleymane Cissé), Land and freedom (Ken Loach)

    Fiabilité : 62  % [24 films en compétition, Palme d'or : Underground (Emir Kusturica)]

    *****

    1996

    breakingthewaves.jpg

    Breaking the waves de Lars Von Trier

    ou bien Crash (David Cronenberg)

    Au palmarès aussi : Trois vies et une seule mort (Raoul Ruiz), Fargo (Ethan et Joel Coen), Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (Arnaud Desplechin), Un héros très discret (Jacques Audiard), Au loin s'en vont les nuages (Aki Kaurismäki), Trop tard (Lucian Pintilie)

    Fiabilité : 73  % [22 films en compétition, Palme d'or : Secrets et mensonges (Mike Leigh)]

    *****

    1997

    goutdelacerise.jpg

    Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami

    Au palmarès aussi : De beaux lendemains (Atom Egoyan), Happy together (Wong Kar-wai), L'anguille (Shohei Imamura), Western (Manuel Poirier), La femme défendue (Philippe Harel)

    Fiabilité : 50  % [20 films en compétition, Palme d'or : Le goût de la cerise (Abbas Kiarostami), L'anguille (Shohei Imamura)]

    *****

    1998

    fleursdeshanghai.jpg

    Fleurs de Shanghaï d'Hou Hsiao-hsien

    Au palmarès aussi : The hole (Tsai Ming-liang), Festen (Thomas Vinterberg), Le Général (John Boorman), La vie rêvée des anges (Erick Zonca), Dance me to my song (Rolf De Heer), Claire Dolan (Lodge Kerrigan)

    Fiabilité : 77  % [22 films en compétition, Palme d'or : L'éternité et un jour (Théo Angelopoulos)]

    *****

    1999

    letempsretrouve.jpg

    Le temps retrouvé de Raoul Ruiz

    Au palmarès aussi : L'humanité (Bruno Dumont), Tout sur ma mère (Pedro Almodovar), Rosetta (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ghost Dog (Jim Jarmusch), Pas de lettre pour le colonel (Arturo Ripstein), L'été de Kikujiro (Takeshi Kitano)

    Fiabilité : 73  % [22 films en compétition, Palme d'or : Rosetta (Jean-Pierre et Luc Dardenne)]

  • White material

    (Claire Denis / France - Cameroun / 2010)

    ■■□□

    whitematerial.jpgRévoltes, coups d'états, guerres civiles, génocides : l'Afrique n'en finit pas de sombrer et tout cela n'a pas de sens. Des causes, oui, mais pas de sens. Pas plus que n'en a le comportement de Maria Vial, gérante d'une vaste plantation qui, au moment où rebelles et militaires prennent la région en étau, refuse d'être évacuée avec l'armée française, continue à embaucher des gens lorsque ses ouvriers fuient, et nie le danger devant tout le monde, ses employés et sa famille. L'héroïne de White material refuse de voir et Claire Denis se sert de cette cécité pour faire passer à l'écran l'impression de dissolution du sens, la difficulté qu'il y a à saisir (aussi au sens de la rattraper) cette Afrique qui s'écroule. Ainsi, abondent les plans obstrués, la vision se trouvant gênée par la végétation, les grillages, la poussière soulevées par les hélicoptères, les vitres des véhicules. Toujours, quelque chose fait écran.

    La sensation d'observer un pays qui part à vau-l'eau est amplifiée par la construction chaotique du récit. L'avancée s'y fait sans repères politiques (le pays n'est jamais nommé; groupes rebelles, armée régulière et milices sont impossibles à différencier au premier abord), ni temporels (l'histoire ne se déroule que sur une poignée de jours mais la chronologie est bousculée et si l'on distingue bien un large flash-back, constituant l'essentiel du film, certaines séquences restent difficiles à situer). De même, il faut souvent attendre sa troisième ou quatrième intervention pour comprendre le statut de tel ou tel personnage.

    Pour faire tenir ensemble ces séquences flottantes, la cinéaste utilise l'art le moins figuratif qui soit : la musique. La superbe partition est signé des Tindersticks, collaborateurs maintenant réguliers de Claire Denis, et sa qualité étonnera ceux qui, comme moi, sont devenus au fil des ans plutôt indifférents à la routine discographique du groupe. Cependant, à la valoriser ainsi, à la laisser épouser si parfaitement le flux des images, à faire qu'elle soit garante de l'unité esthétique des séquences, la réalisatrice courre le risque de creuser un écart entre les séquences musicales et les autres, ces dernières apparaissant tout de suite plus ingrates et plus explicatives.

    Car si Claire Denis joue avec talent de l'ellipse, de l'ombre et de la suspension, elle ne s'appuie pas moins sur des situations et des personnages qui sont autant d'archétypes. Et ces modèles finissent par poser problème. La figure mythique populaire (le "boxeur"), le chien fou, le vieux maître... Bankolé paraît sacrifié, Duvauchelle incompréhensible, Subor monolithique, Lambert réduit à apporter les éclaircissements dramatiques jugés nécessaires. Les éléments éparpillés par le montage trouvent finalement leur place logique dans la narration et l'ordonnancement déçoit. Comme nous le pressentions, tout était donné d'avance, dès l'introduction du film, celui-ci apparaissant au final refermé sur lui-même. La mise en scène escamote la montée en puissance que l'on serait en droit d'attendre, préférant verser dans un symbolisme appuyé. White material perd de sa force au fur et à mesure qu'il avance, dans un mouvement inverse à celui espéré. La fin était au début. Certes, cette dévitalisation redouble celle des personnages et du pays entier qui semblent se vider sous nos yeux mais la conscience de ce lien entre la mise en scène et le sujet n'empêche malheureusement pas de trouver que le film ne tient pas toutes ses promesses.

  • Cannes, revu et corrigé (4/6)

    (partie 1 - partie 2 - partie 3)

    *****

    1980

    loulou.jpg

    Loulou de Maurice Pialat

    ou bien Mon oncle d'Amérique (Alain Resnais)

    Au palmarès aussi : Kagemusha (Akira Kurosawa)

    Fiabilité : 26  % [23 films en compétition, Palme d'or : Que le spectacle commence (Bob Fosse), Kagemusha (Akira Kurosawa)]

    *****

    1981

    porteduparadis.jpg

    La porte du paradis de Michael Cimino

    Au palmarès aussi : Excalibur (John Boorman), Regards et sourires (Ken Loach)

    Fiabilité : 32  % [22 films en compétition, Palme d'or : L'homme de fer (Andrzej Wajda)]

    *****

    1982

    nuitdesanlorenzo.jpg

    La nuit de San Lorenzo de Paolo et Vittorio Taviani

    Fiabilité : 27  % [22 films en compétition, Palme d'or : Missing (Costa-Gavras), Yol (Yilmaz Güney et Serif Gören)]

    *****

    1983

    largent.jpg

    L'argent de Robert Bresson

    Au palmarès aussi : Furyo (Nagisa Oshima), Nostalghia (Andreï Tarkovski), La ballade de Narayama (Shohei Imamura), La valse des pantins (Martin Scorsese), Chaleur et poussière (James Ivory), Le sens de la vie (Terry Gilliam et Terry Jones)

    Fiabilité : 50  % [22 films en compétition, Palme d'or : La ballade de Narayama (Shohei Imamura)]

    *****

    1984

    paristexas.jpg

    Paris, Texas de Wim Wenders

    Au palmarès aussi : The element of crime (Lars Von Trier)

    Fiabilité : 21  % [19 films en compétition, Palme d'or : Paris, Texas (Wim Wenders)]

    *****

    1985

    colonelredl.jpg

    Colonel Redl d'Istvan Szabo

    Au palmarès aussi : Rendez-vous (André Téchiné), Papa est en voyage d'affaires (Emir Kusturica)

    Fiabilité : 35  % [20 films en compétition, Palme d'or : Papa est en voyage d'affaires (Emir Kusturica)]

    *****

    1986

    therese.jpg

    Thérèse d'Alain Cavalier

    Au palmarès aussi : Le sacrifice (Andreï Tarkovski), After hours (Martin Scorsese), Down by law (Jim Jarmusch), Tenue de soirée (Bertrand Blier)

    Fiabilité : 40  % [20 films en compétition, Palme d'or : Mission (Roland Joffé)]

    *****

    1987

    ailesdudesir.jpg

    Les ailes du désir de Wim Wenders

    Au palmarès aussi : Yeelen, la lumière (Souleymane Cissé), Prick up your ears (Stephen Frears), Les yeux noirs (Nikita Mikhalkov)

    Fiabilité : 45  % [20 films en compétition, Palme d'or : Sous le soleil de Satan (Maurice Pialat)]

    *****

    1988

    drowningbynumbers.JPG

    Drowning by numbers de Peter Greenaway

    Au palmarès aussi : Tu ne tueras point (Krzysztof Kieslowski), Le Sud (Fernando E. Solanas), Bird (Clint Eastwood)

    Fiabilité : 28  % [21 films en compétition, Palme d'or : Pelle le conquérant (Bille August)]

    *****

    1989

    letempsdesgitans.jpg

    Le temps des gitans d'Emir Kusturica

    Au palmarès aussi : Sweetie (Jane Campion), Sexe, mensonges et vidéo (Steven Soderbergh), Trop belle pour toi (Bertrand Blier), Do the right thing (Spike Lee), Jésus de Montréal (Denys Arcand), Pluie noire (Shohei Imamura)

    Fiabilité : 45  % [22 films en compétition, Palme d'or : Sexe, mensonges et vidéo (Steven Soderbergh)]

  • Cannes, revu et corrigé (3/6)

    (partie 1 - partie 2)

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    1970

    enquetesuruncitoyen.jpg

    Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d'Elio Petri

    Au palmarès aussi : MASH (Robert Altman), Leo the last (John Boorman), Les choses de la vie (Claude Sautet)

    Fiabilité : 24  % [25 films en compétition, Palme d'or : MASH (Robert Altman)]

    *****

    1971

    raphael.jpg

    Raphaël ou le débauché de Michel Deville

    Au palmarès aussi : Le messager (Joseph Losey), Mort à Venise (Luchino Visconti), Johnny s'en va-t-en guerre (Dalton Trumbo), Panique à Needle Park (Jerry Schatzberg)

    Fiabilité : 24  % [25 films en compétition, Palme d'or : Le messager (Joseph Losey)]

    *****

    1972

    solaris.jpg

    Solaris d'Andreï Tarkovski

    Au palmarès aussi : Psaume rouge (Miklos Jancso), Les visiteurs (Elia Kazan), Abattoir 5 (George Roy Hill)

    Fiabilité : 28  % [25 films en compétition, Palme d'or : La classe ouvrière va au paradis (Elio Petri), L'affaire Mattei (Francesco Rosi)]

    *****

    1973

    lamamanetlaputain.jpg

    La maman et la putain de Jean Eustache

    Au palmarès aussi : La grande bouffe (Marco Ferreri), La planète sauvage (René Laloux), L'épouvantail (Jerry Schatzberg)

    Fiabilité : 25  % [24 films en compétition, Palme d'or : La méprise (Alan Bridges), L'épouvantail (Jerry Schatzberg)]

    *****

    1974

    conversationsecrete.jpg

    Conversation secrète de Francis Ford Coppola

    Fiabilité : 16  % [25 films en compétition, Palme d'or : Conversation secrète (Francis Ford Coppola)]

    *****

    1975

    professionreporter.jpg

    Profession : Reporter de Michelangelo Antonioni

    Au palmarès aussi : L'énigme de Kaspar Hauser (Werner Herzog), A touch of zen (King Hu), Parfum de femme (Dino Risi), Lenny (Bob Fosse)

    Fiabilité : 23  % [22 films en compétition, Palme d'or : Chronique des années de braise (Mohammed Lakhdar Hamina)]

    *****

    1976

    mrklein.jpg

    Mr. Klein de Joseph Losey

    ou bien Taxi driver (Martin Scorsese)

    Au palmarès aussi : Le locataire (Roman Polanski), Cria cuervos (Carlos Saura), La Marquise d'O (Eric Rohmer), Au fil du temps (Wim Wenders)

    Fiabilité : 45  % [20 films en compétition, Palme d'or : Taxi driver (Martin Scorsese)]

    *****

    1977

    amiamericain.jpg

    L'ami américain de Wim Wenders

    Au palmarès aussi : Une journée particulière (Ettore Scola), Padre Padrone (Paolo et Vittorio Taviani), La communion solennelle (René Féret), La dentellière (Claude Goretta)

    Fiabilité : 26  % [23 films en compétition, Palme d'or : Padre Padrone (Paolo et Vittorio Taviani)]

    *****

    1978

    arbreauxsabots.jpg

    L'arbre aux sabots d'Ermanno Olmi

    Au palmarès aussi : L'empire de la passion (Nagisa Oshima)

    Fiabilité : 23  % [22 films en compétition, Palme d'or : L'arbre aux sabots (Ermanno Olmi)]

    *****

    1979

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    Les moissons du ciel de Terrence Malick

    ou bien Apocalypse now (Francis Ford Coppola)

    Au palmarès aussi : Série noire (Alain Corneau), La drôlesse (Jacques Doillon), Le tambour (Volker Schlöndorff)

    Fiabilité : 33  % [21 films en compétition, Palme d'or : Apocalypse now (Francis Ford Coppola), Le tambour (Volker Schlöndorff)]

  • Coffret Lionel Rogosin

    On the Bowery (Lionel Rogosin / Etats-Unis / 1957) ■■■□

    Come back, Africa (Lionel Rogosin / Etats-Unis / 1959) ■■

    Good times, wonderful times (Lionel Rogosin / Grande-Bretagne / 1966) ■■■□

    L'écriture de l'histoire du cinéma est soumise depuis toujours à des mouvements alternatifs de flux et de reflux : au gré des marées, disparaissent et ré-apparaissent des œuvres. L'édition DVD vient aujourd'hui compléter ou remplacer l'activité des ciné-clubs et des cinémathèques pour favoriser les redécouvertes. Nous disons bien redécouverte. Existe-t-il en effet une seule grande œuvre qui, en son temps, n'ait été vue, aimée et analysée par personne ? Rogosin, depuis plusieurs années, n'était plus qu'un nom associé à deux titres de films devenus invisibles. Cette inaccessibilité, la fidélité à un genre (le documentaire) moins étudié que les autres et la maigreur d'une filmographie réduite à une poignée d'entrées, expliquent par exemple qu'entre 1965, année de la présentation de Good times, wonderful times à Venise, et 2005, année de la projection à Bologne d'une copie restaurée de Come Back, Africa, le cinéaste brille par son absence dans les colonnes des deux principales revues françaises de cinéma que sont les Cahiers et Positif, revues qui rendirent pourtant compte, parfois avec enthousiasme, de ses travaux dans la période précédente. En poursuivant l'effort réalisé par la Cinémathèque de Bologne, les éditions Carlotta contribue de manière exemplaire à tirer de l'oubli une figure jadis célébrée en tant que chef de file d'une nouvelle école documentaire américaine faisant le lien entre le néo-réalisme italien et le cinéma de John Cassavetes. Preuve de la nécessité de cette remise à jour : chacun des trois films constituant ce coffret suscite un questionnement différent relatif à l'importance que l'on peut reconnaître à une œuvre cinématographique.

    Du jamais-vu...

    bowery2.jpgLa vision d'On the Bowery procure une sidérante impression de jamais vu et les images tournées par Lionel Rogosin dans ce quartier de New York peuplé de clochards provoquent aisément le choc. En effet, qu'il soit américain ou autre, le cinéma n'avait pas, à l'époque, en 1956, l'habitude de montrer aussi crûment la déchéance humaine. Les effets de la misère et de l'alcool sur les hommes et les femmes du Bowery sont imposés au regard sans filtre édulcorant et, par rapport à ce qui est montré ailleurs dans le cinéma contemporain, on peut véritablement parler d'envers du décor. Toutefois, si On the Bowery se limitait à aligner, sans autre souci que celui d'estomaquer le spectateur, les séquences documentaires sur des corps titubants, s'il se réduisait à l'enregistrement informe d'une réalité sordide, il ne vaudrait pas mieux qu'un reportage à sensations. Or ce premier film d'un autodidacte de 32 ans est tout autre chose qu'un brouillon jeté à la figure.

    Rogosin s'est imprégné du lieu pendant plusieurs mois, y séjournant sans tourner, prenant le temps d'arrêter les principes qui allaient gouverner la réalisation : acteurs non-professionnels, enregistrement en son direct de conversations juste aiguillées, intégration d'une mini-fiction à la trame documentaire... Cette préparation porte ses remarquables fruits d'un bout à l'autre. Les plans sont composés avec sûreté, laissant voir une réalité qui est captée sans donner l'impression d'être volée, et la qualité technique est égale quelque soit le sujet et le lieu filmés. Le scénario, qui retrace le parcours d'un homme débarquant tout juste dans le quartier, est minimaliste, volontairement relâché, ponctué d'événements qui le sont si peu (le personnage principal se fait voler ses affaires dès la première nuit mais si l'on voit qui lui soustrait sa valise, cela ne constitue nullement ce qu'il convient d'appeler un nœud dramatique). Ce sont essentiellement des rencontres, des discussions et des déambulations qui sont mises en scène par un Rogosin qui ne transforme pas le besoin irrépressible de témoigner en leçon de morale intimidante et qui sait se mettre à l'écoute et laisser s'écouler le temps. Son film a une force que l'on retrouvera bien plus tard dans ces deux grands documentaires sur l'humanité en souffrance et son environnement que sont Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa et En construction de José Luis Guerin.

    Du nécessaire...

    africa5.jpgSelon les propos du cinéaste lui-même, On the Bowery aurait été conçu avant tout comme un essai avant de se lancer dans l'aventure d'un grand film dénonçant le régime d'apartheid sévissant en Afrique du Sud. Devant la caméra de Rogosin, une nouvelle fois, une réalité méconnue voire ignorée va en effet être éclairée et une population n'ayant pas voix au chapitre ni droit à l'image va se retrouver porteuse d'un récit. Come back, Africa est une date capitale dans l'histoire artistique du continent africain, ce qui en fait le titre le plus connu de Lionel Rogosin. Pour autant, un film important historiquement peut laisser un peu moins de satisfaction au spectateur que d'autres, et cela d'autant plus que le temps de sa conception s'éloigne.

    Bien plus fermement scénarisé que le film précédent, celui-ci est aussi beaucoup plus didactique et, malgré un ancrage toujours aussi fort dans le réel, penche très clairement du côté de la fiction. Les deux registres se différencient plus facilement et leur alternance produit quelques effets de plaquage. Cela n'est cependant pas dû aux contraintes techniques (Rogosin parvenant là aussi, dans des conditions difficiles de tournage, à effectuer un travail impeccable), mais au ton des diverses séquences. Lorsque Rogosin décrit les malheurs de son héros, le film paraît plus appliqué : la succession des embûches dans la recherche d'un travail et des petites humiliations par les employeurs blancs est là pour délivrer un message clair. Clair et argumenté car sont exposées minutieusement, à travers la fiction, les différentes causes de la misère des Noirs d'Afrique du Sud. De ce peuple, Rogosin a tenté de propager le grondement. Aujourd'hui, malgré la puissance que libère le montage des dernières séquences, son film se révèle quelque peu entravé et moins impressionnant que sa première tentative.

    De la provocation...

    times3.jpgCe n'est que six ans plus tard que Rogosin réalisera son troisième long métrage, ce Good times, wonderful times, titre reprenant à son compte l'expression d'une vieille baderne rencontrée dans un hôpital britannique et qualifiant ainsi le temps de la première guerre mondiale. Là encore, il s'agit d'aller droit au but mais par un tout autre moyen. Good times..., œuvre violemment pacifiste et anti-nucléaire, se construit à partir d'un procédé que l'on pourra juger facile mais auquel on ne peut nier une diabolique efficacité : le cinéaste entrecoupe le déroulement d'une party entre bourgeois londoniens d'images d'archives des différentes guerres et autres fléaux du vingtième siècle.

    Entre les deux types d'images, la coupe est volontairement franche et elle devient même le véritable moteur du film puisque toutes les réflexions provoquées le sont par la confrontation violente imposée par le montage. La masse d'archives compilées est impressionnante, les documents, pour une partie inédits à l'époque, sont souvent terribles. Mais c'est avant tout le régime auquel ceux-ci sont soumis qui surprend : le montage entrechoque des plans jusqu'à la provocation (rapprochant un instant foules transportées par le spectacle du nazisme et jeunesse dorée anglaise), la répétition d'images et de sons crée un certain vertige (les séquences interminables montrant ce peuple allemand acclamant le Fuhrer et sa clique paradant dans les villes du pays), le mixage propose mieux qu'un accompagnement sonore, il s'érige en commentaire. Rogosin nous bouscule, allant jusqu'à illustrer musicalement des images de camps de la mort. Il use de ralentis, de reprises, de chevauchements, dans une démarche rappelant par endroits celle de Godard. Il fonce tête baissée et par cette mise en forme particulièrement ambitieuse déploie une œuvre beaucoup plus profonde et ambiguë que son postulat de départ ne le laissait penser.

    Il faut d'ailleurs préciser que les séquences de soirée ont toute l'élégance, la vivacité et l'esprit requis pour croquer cette société basculant dans la folie du Swinging London. Cela ne fait pas oublier, loin de là, que les propos entendus, émanant de ces conservateurs à la mode sixties, "jouant" leur propre rôle avec un naturel confondant, sont plus d'une fois effarants (la simple confrontation de ceux-ci avec les images d'archives, que ne manque jamais de faire, à intervalles réguliers, Rogosin, suffit à les disqualifier aussitôt). Or, ce fourvoiement idéologique n'est pas incompatible avec le sens de l'humour, ni avec le charme, et chose toute aussi déstabilisante, on remarque que l'un des participants à la fête est joué par Rogosin lui-même. Veut-il dire par là qu'il aurait pu faire partie de ce groupe-là ? En faisons-nous, nous aussi, inconsciemment, par manque d'engagement, partie ? Entre deux images d'explosions atomiques ou de cadavres d'enfants, l'éternel retour de ces visages maquillés et hilares, de ces verres de champagne ou de whisky qui se cognent, provoque l'étourdissement et si une place est laissée in extremis aux révoltes des jeunes japonais, au discours de Martin Luther King et à la marche anti-nucléaire sur Londres, c'est bien un goût de cendres que laisse ce film fascinant, signé par un réalisateur oublié et décidément à redécouvrir d'urgence.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • Cannes, revu et corrigé (2/6)

    (1ère partie ici)

    *****

    1960

    dolcevita.jpg

    La dolce vita de Federico Fellini

    ou bien L'avventura (Michelangelo Antonioni)

    Au palmarès aussi : Le trou (Jacques Becker)

    Fiabilité : 21  % [29 films en compétition, Palme d'or : La dolce vita (Federico Fellini)]

    *****

    1961

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    Viridiana de Luis Buñuel

    Au palmarès aussi : Mère Jeanne des Anges (Jerzy Kawalerowicz)

    Fiabilité : 16  % [31 films en compétition, Palme d'or : Une aussi longue absence (Henri Colpi), Viridiana (Luis Buñuel)]

    *****

    1962

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    L'ange exterminateur de Luis Buñuel

    ou bien L'éclipse (Michelangelo Antonioni)

    Au palmarès aussi : Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda), La déesse (Satyajit Ray), Les innocents (Jack Clayton)

    Fiabilité : 23  % [35 films en compétition, Palme d'or : La parole donnée (Anselmo Duarte)]

    *****

    1963

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    Le guépard de Luchino Visconti

    Au palmarès aussi : Les fiancés (Ermanno Olmi), Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich)

    Fiabilité : 15  % [26 films en compétition, Palme d'or : Le guépard (Luchino Visconti)]

    *****

    1964

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    La femme du sable d'Hiroshi Teshigahara

    Au palmarès aussi : La peau douce (François Truffaut), Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy)

    Fiabilité : 24  % [25 films en compétition, Palme d'or : Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy)]

    *****

    1965

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    L'obsédé de William Wyler

    Au palmarès aussi : Le moment de la vérité (Francesco Rosi), Le knack... et comment l'avoir (Richard Lester)

    Fiabilité : 15  % [26 films en compétition, Palme d'or : Le knack... et comment l'avoir (Richard Lester)]

    *****

    1966

    religieuse.jpg

    Suzanne Simonin, la Religieuse de Jacques Rivette

    Au palmarès aussi : Les sans espoir (Miklos Jancso), Pharaon (Jerzy Kawalerowicz), La faim (Henning Carlsen), Un homme et une femme (Claude Lelouch)

    Fiabilité : 28  % [25 films en compétition, Palme d'or : Un homme et une femme (Claude Lelouch), Ces messieurs dames (Pietro Germi)]

    *****

    1967

    mouchette.jpg

    Mouchette de Robert Bresson

    Au palmarès aussi : Jeu de massacre (Alain Jessua), Blow-up (Michelangelo Antonioni)

    Fiabilité : 17  % [24 films en compétition, Palme d'or : Blow-up (Michelangelo Antonioni)]

    *****

    1968

    cannes68.jpg

    Mai 68, arrêt du Festival, dommage pour Rouges et blancs de Miklos Jancso

    *****

    1969

    manuitchezmaud.jpg

    Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer

    Au palmarès aussi : Dillinger est mort (Marco Ferreri)

    Fiabilité : 31  % [26 films en compétition, Palme d'or : If... (Lindsay Anderson)]

  • Cannes, revu et corrigé (1/6)

    Le jeu est totalement vain mais assez irrésistible : désigner, en fonction des sélections annuelles, ses Palmes d'or idéales. L'idée a germé dans l'esprit de Niko, tenancier du très recommandable blog Filmosphère.

    En attendant quelques chroniques de films encore aux fourneaux, je vous propose donc ci-dessous la première partie de ma liste personnelle, laquelle sera découpée par décennie. Mon honnêteté proverbiale et ma formation scientifique me poussent à accompagner mes préférences des noms des lauréats officiels et surtout du taux de fiabilité attaché à chacun de mes choix et calculé en divisant le nombre de films effectivement vus par le nombre total de films présentés en compétition.

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    Ah oui, au fait : comme chaque année, Nightswimming n'ira pas à Cannes (il a piscine).

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    1946

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    Rome ville ouverte de Roberto Rossellini

    ou bien Les enchaînés (Alfred Hitchock)

    Au palmarès aussi : La belle et la bête (Jean Cocteau), Hantise (George Cukor), La bataille du rail (René Clément), Brève rencontre (David Lean)

    Fiabilité : 16 % [44 films en compétition, 11 Grands Prix, par nationalité : L'épreuve (Alf Sjöberg), Le poison (Billy Wilder), La terre sera rouge (Bodil Ipsen et Lau Lauritzen Jr), La ville basse (Chetan Anand), Brève rencontre (David Lean), Maria Candelaria (Emilio Fernandez), Le tournant décisif (Fridrikh Ermler), La symphonie pastorale (Jean Delannoy), La dernière chance (Leopold Lindtberg), Les hommes sans ailes (Frantisek Cap), Rome ville ouverte (Roberto Rossellini)]

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    1947

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    Antoine et Antoinette de Jacques Becker

    Fiabilité : 21 % [24 films en compétition, 5 Grands Prix, par genre : Dumbo (Ben Sharpsteen), Ziegfeld Follies (Vincente Minnelli), Les maudits (René Clément), Antoine et Antoinette (Jacques Becker), Crossfire (Edward Dmytryk)]

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    1949

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    Acte de violence de Fred Zinnemann

    ou bien Le troisième homme (Carol Reed)

    Au palmarès aussi : Riz amer (Giuseppe De Santis)

    Fiabilité : 21  % [29 films en compétition, Grand Prix : Le troisième homme (Carol Reed)]

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    1951

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    Eve de Joseph L. Mankiewicz

    Au palmarès aussi : Los Olvidados (Luis Buñuel), Les contes d'Hoffmann (Michael Powell et Emeric Pressburger), Miracle à Milan (Vittorio De Sica)

    Fiabilité : 14 % [36 films en compétition, Grand Prix : Miroirs de Hollande (Alf Sjöberg), Mademoiselle Julie (Alf Sjöberg), Miracle à Milan (Vittorio De Sica)]

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    1952

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    Othello d'Orson Welles

    Au palmarès aussi : Umberto D. (Vittorio De Sica), Viva Zapata ! (Elia Kazan)

    Fiabilité : 17 % [35 films en compétition, Grand Prix : Othello (Orson Welles), Deux sous d'espoir (Renato Castellani)]

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    1953

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    Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati

    ou bien El (Luis Buñuel)

    Au palmarès aussi : La red (Emilio Fernandez), Le salaire de la peur (Henri-Georges Clouzot), La loi du silence (Alfred Hitchcock)

    Fiabilité : 17 % [35 films en compétition, Grand Prix : Le salaire de la peur (Henri-Georges Clouzot)]

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    1954

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    (par défaut) Monsieur Ripois de René Clément

    Fiabilité : 7 % [43 films en compétition, Grand Prix : La porte de l'enfer (Teinosuke Kinugasa)]

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    1955

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    Les amants crucifiés de Kenji Mizoguchi

    Fiabilité : 12 % [33 films en compétition, Palme d'or : Marty (Delbert Mann)]

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    1956

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    La complainte du sentier de Satyajit Ray

    Au palmarès aussi : Le mystère Picasso (Henri-Georges Clouzot)

    Fiabilité : 13 % [39 films en compétition, Palme d'or : Le monde du silence (Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle)]

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    1957

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    Le septième sceau d'Ingmar Bergman

    Au palmarès aussi : Un condamné à mort s'est échappé (Robert Bresson), Kanal (Andrzej Wajda)

    Fiabilité : 19 % [31 films en compétition, Palme d'or : La loi du seigneur (William Wyler)]

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    1958

    mononcle.jpg

    Mon Oncle de Jacques Tati

    Fiabilité : 12 % [25 films en compétition, Palme d'or : Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov)]

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    1959

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    Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais

    ou bien Les 400 coups (François Truffaut)

    Fiabilité : 7 % [30 films en compétition, Palme d'or : Orfeu Negro (Marcel Camus)]

  • C'était mieux avant... (Mai 1985)

    Il est loin, déjà, le mois d'Avril... Reprenons donc le cours de notre voyage dans le temps pour voir ce que nous proposaient les exploitants des salles de cinéma françaises en Mai 1985 :

    witness.jpgBirdy fit sur mon cerveau d'adolescent autant impression que Subway le mois précédent (Luc Besson est tout au long des années 80, un petit frère possible d'Alan Parker). Au fur et à mesure des révisions, il eut tendance à s'alourdir (sur de nombreux plans : le jeu de Nicholas Cage, la vision du Vietnam, les envolées de la caméra, les percussions de Peter Gabriel, la pirouette finale) jusqu'à en devenir pénible. Objectivement, cela doit pourtant rester comme l'un des films les plus regardables du cinéaste. Witness fut aussi fort apprécié par ma jeune personne. Peter Weir, autre réalisateur culte de l'époque, filmait là un polar chez les Amishs, s'assurant au moins l'originalité du cadre. La présence d'Harrison Ford et de Kelly McGillis n'était alors pas étrangère à mon attachement. Aujourd'hui, l'œuvre doit toujours se révéler de bonne facture... L'autre film du mois vu au moment de sa sortie en salles est Le thé au harem d'Archimède, succès-phénomène de société de Mehdi Charef, d'après son propre livre autobiographique. De cette histoire de banlieue, j'avoue malheureusement ne pas me rappeler grand chose.

    De ce mois de mai assez relevé, je pointe quatre autres titres bien connus mais dont la découverte fut plus tardive. Rendez-vous constitue mon premier et meilleur souvenir lié à André Téchiné, cinéaste qui, par la suite, m'a souvent laissé de marbre. Fiévreuse, violente, charnelle (hystérique ont déploré certains), l'œuvre m'avait beaucoup marqué lors d'une lointaine diffusion télévisée. Le film réunit Lambert Wilson, Wadeck Stanczak et Jean-Louis Trintignant et s'est vu récompensé d'un prix de la mise en scène à Cannes, mais Rendez-vous, c'est bien sûr, avant tout, Juliette Binoche. De son côté, Jean-Luc Godard faisait à nouveau parler de lui en embauchant le couple star Nathalie Baye - Johnny Halliday. Derrière l'écran de fumée médiatique, un film, Détective, pénible. Bien plus réjouissante fut la livraison annuelle de Woody Allen. Si chacun peut éventuellement désigner dans la filmographie du new yorkais un film supérieur à celui-là, qui n'est pas tombé sous le charme de La rose pourpre du Caire ? Prolongeant la réflexion du Sherlock Jr de Keaton en inversant son postulat (cette fois, c'est le personnage de fiction qui quitte l'écran pour entrer dans la réalité), Allen proposait là un spectacle irrésistible et particulièrement émouvant pour tout spectateur sujet à la fascination des images cinématographiques.

    nostalghia.jpgToutefois, le très grand film du mois était dû à quelqu'un qui n'en aura guère été avare dans sa carrière malgré la relative faiblesse quantitative de sa production. Avec Nostalghia, Andreï Tarkovski, exilé en Italie, sondait en effet les profondeurs de l'âme avec une puissance émotionnelle et esthétique toujours aussi impressionnante. J'y avais trouvé pour ma part des visions sidérantes (l'ultime plan du film) et une expérience du temps inédite (le plan-séquence de la bougie portée d'un mur à l'autre).

    Parmi les autres sorties du mois, il subsiste encore de nombreux titres retenant l'attention. Pour son Adieu Bonaparte, Youssef Chahine enrôlait Michel Piccoli et Patrice Chéreau pour traiter de la campagne d'Egypte. Le tournage de Ran d'Akira Kurosawa avait été suivi par Chris Marker, ce qui donnait le "making-of" A.K. (si tant est que le terme, réducteur, puisse s'appliquer à un film de Marker). Avec Mishima, Paul Schrader se risquait à une évocation de l'écrivain japonais (il semble que la réussite ait été au rendez-vous, au moins au niveau plastique). Le méconnu John Byrum s'attaquait lui à Somerset Maugham pour adapter Le fil du rasoir, avec l'aide de son comédien principal et co-scénariste Bill Murray. Après le désastre du Bon Roi Dagobert, Dino Risi se tournait vers le désert de Lybie en l'an 1940 et remettait le couvert avec Coluche pour Le fou de guerre (cette fois-ci, avec apparemment plus de conviction). Série noire pour une nuit blanche, de John Landis, est réputé pour être un excellent et insolite polar, dans lequel on suit Michelle Pfeiffer et Jeff Goldlum et on croise, entre autres, Don Siegel, David Cronenberg, Vera Miles, Roger Vadim et David Bowie. Steaming est l'ultime réalisation de Joseph Losey, un "film de femmes" à l'origine théâtrale.

    parking.jpgMoins indispensables mais pas négligeables pour autant semblent être Les enfants de Marguerite Duras (un "enfant" à l'apparence d'adulte acquiert toutes les connaissances possibles sans la moindre éducation), Split image (L'envoûtement) de Ted "Rambo" Kotcheff (mise en garde contre les sectes que l'on imagine déroulée avec efficacité), That's dancing de Jack Haley Jr. (troisième volet d'une anthologie de séquences de comédies musicales, produit par Gene Kelly), Le retour des morts-vivants de Dan O'Bannon (variation que l'on dit plutôt digne par rapport au modèle posé par Romero). En revanche, Parking est une œuvre de Jacques Demy rarement défendue, même par les admirateurs du cinéaste. Cette réactualisation du mythe d'Orphée serait notamment plombée par l'interprétation de Francis Huster (ce qui n'est pas une surprise) et une partition très moyenne de Michel Legrand (ce qui l'est déjà un peu plus).

    Mask, mélodrame à succès de Peter Bogdanovitch (avec Cher), ne m'a jamais vraiment attiré. Born to be bad est un drame de Nicholas Ray, réputé mineur, datant de 1950 et interprété par Joan Fontaine et Robert Ryan. Toxic de Michael Herz et Samuel Weil est le "fleuron" des productions Troma, spécialisée dans le gore énorme et fauché. Pour être complet, je dois également citer : Nasdine Hodja au pays du business (de Jean-Patrick Lebel, enquête sur les Maghrébins de Seine-Saint-Denis), La cage aux canaris (film soviétique intimiste de Pavel Tchoukhraï), Marco Polo, le guerrier de Kublai Khan (du fameux Chang Cheh), Les quatre vengeurs de Shaolin (de Tsui Wing Fok), Gigolo (de David Hemmings, film ouest-allemand sur le Berlin des années 20, avec David Bowie et la présence furtive de Kim Novak, Maria Schell et Marlene Dietrich, rien que ça !), Divorce à Hollywood (de Charles Sheyer), Le meilleur de la vie (de Renaud Victor, mélodrame avec Sandrine Bonnaire et Jacques Bonnafé), Voleur de désirs (de Douglas Day Stewart) et Baby, le secret de la légende oubliée (production Disney de B.W.L. Norton sur le thème "on a trouvé des dinosaures en Afrique").

    Enfin, nous noterons la poursuite et l'amplification du racolage par les titres-chocs effectué par les distributeurs de pornos, étranglés par les pouvoirs publics et bientôt expulsés vers la vidéo : Bouche à bouche (sexe à sexe) (Joseph W. Sarno), Chaudes écolières (Frank Hover), Education spéciale pour collégiennes expertes (Joanna Morgan), Initiations anales pour sodomaniaques (Reine Pirau), OLAH (Orgasme, lesbiennes, anal, homo) (anonyme), Petites fesses juvéniles (pour membres bienfaiteurs) (anonyme), Petites vicieuses pour doubles partenaires très musclés (James H. Lewis), Prépare ton cul, je bande... (James H. Lewis, bis), Pucelles pour salle de garde (James H. Lewis, ter), Putes déchaînées (Joanna Morgan) et j'en passe un ou deux... A ce compte-là, Marilyn mon amour de Michel Leblanc n'a pas dû attirer beaucoup de monde...

    cinematographe110.JPGAu rayon presse, nous pouvions trouver un numéro exceptionnel des Cahiers du Cinéma (371-372) consacré au scénario dans le cinéma français (avec l'abonné Godard en couverture) et un "spécial Cannes" dans Premiere (98, Clint Eastwood, Harrison Ford, Juliette Binoche & Wadeck Stanczak, Claude Chabrol et Nathalie Baye & Johnny Halliday se partageant la une). L'Ecran Fantastique (56) fêtait Harrison Ford et Witness alors que Starfix (26) rencontrait Isabelle Adjani à l'occasion de de Subway. Comme ce dernier film, La maison et le monde de Satyajit Ray et La route des Indes de David Lean venaient de sortir le mois précédent. Ils se retrouvaient en couverture, respectivement, de Cinéma 85 (317) et de Positif (291). Cinématographe (110) ornait la sienne d'une photo tirée de Rendez-vous. Enfin, La Revue du Cinéma (405) anticipait sur l'arrivée de Pale rider sur les écrans en s'entretenant avec Clint Eastwood.

    Voilà pour mai 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : Détective vu par Christophe, Le fou de guerre et Série noire pour une nuit blanche vus par Mariaque (quelque part sur son nouveau blog), Parking vu par le Dr Orlof et encore Détective vu par Shangols.

  • Mammuth

    (Benoît Delépine et Gustave Kervern / France  / 2010)

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    Mammuth.jpg

    Je n'ai pas beaucoup aimé Mammuth, ma première expérience du cinéma de Delépine-Kervern.

    Je n'ai pas beaucoup aimé le grain de cette image qui, s'il est inhabituel, enlaidit encore un peu plus les gens et les lieux.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que des réminiscences de The Wrestler m'assaillent (l'allure de Depardieu, la caméra portée cadrant sa nuque, les scènes de supermarchés, le portrait de marginal, le chemin vers la rédemption, les retrouvailles, la relation entre un homme âgé et une fille plus jeune de la même famille), car elles sont toutes très défavorables à Mammuth.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que la Charente soit filmée comme le Nord de la France et de l'Europe. Je n'y vois pas d'intérêt, à part celui qu'ont les cinéastes de rattacher à tout prix leur œuvre à d'autres, celles de la famille qu'ils se sont choisi (l'équipe de C'est arrivé près de chez vous, Aki Kaurismäki, Noël Godin...).

    Je n'ai pas beaucoup aimé l'humour du film. Voir Depardieu bafouiller des banalités au téléphone, à moitié à poil, assis sur son lit, me fait très moyennement rire. Quant au trash, c'est une affaire de goût. En revanche, il est problématique de trouver des séquences comme celle de l'expédition punitive de Yolande Moreau et sa copine : celle-ci ne tient que par sa chute (les deux femmes réalisent tardivement qu'elles n'ont aucun moyen de localiser la voleuse de portable), chute qui se fait attendre et qui laisse le spectateur dans une position désagréable puisqu'il se demande si elle va vraiment venir ou si les auteurs n'ont tout simplement pas décidé de passer outre la vraisemblance (qui voudrait que l'absence totale de piste empêche les deux femmes de se "monter la tête" ainsi).

    Je n'ai pas beaucoup aimé m'apercevoir que Delépine et Kervern ont pensé leur film uniquement en termes de saynètes. Cela peut marcher, comme, pour rester parmi les nordistes, dans le cinéma de Roy Andersson, mais il y a chez le Suédois un réel travail sur le temps, l'espace, la symbolique. Si ses séquences restent cloisonnées, elles n'en contiennent pas moins une dynamique interne et leur empilement provoque en bout de course un mouvement général, un déplacement qui ne tient pas uniquement au scénario (de plus, Andersson fait une toute autre chose de la médiocrité des figures qu'il met en scène). A l'opposé, Mammuth ne repose que sur une série d'idées (tel dialogue, tel cadrage). Les auteurs se sont demandés pour chaque séquence comment la rendre originale et ils en ont oublié toute notion de continuité. Cela nous vaut une succession d'apparitions de vedettes-amis du duo (de Poelvoorde à Siné) mais entrave constamment notre adhésion aux personnages principaux, contrairement à ce que les deux cinéastes semblaient souhaiter.

    Je n'ai pas beaucoup aimé ce qu'ils font d'Adjani, c'est-à-dire rien. Au risque de ne pas être cinéphiliquement correct, je préfère amplement voir le couple star réuni, aussi brièvement qu'ici, dans le Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau.

    Je n'ai pas beaucoup aimé que l'on me force à passer tout ce temps avec des neus-neus. En ne plaçant devant la caméra que des personnages de cons, il y a de fortes probabilités d'obtenir un film qui le soit aussi. Dans Mammuth, la bêtise est unanimement partagée. De nombreux critiques et commentateurs ont loué la tendresse de Delépine et Kervern pour les petites gens. Je trouve pour ma part qu'ils ont une drôle de façon de les aimer.

    En revanche, j'ai beaucoup aimé la scène où Depardieu est pris de panique, entraîné qu'il est par un groupe de vieux se pressant pour grimper dans leur autocar. C'est cruel et touchant. Cela dure peut-être vingt secondes. Ce n'est malheureusement relié à rien (il est impossible de se rappeler de ce qui précède et de ce qui suit).

    J'aime aussi beaucoup Anna Mouglalis.