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Nightswimming - Page 83

  • C'était mieux avant... (Septembre 1985)

    L'été passé, et notre emploi du temps n'allant pas en s'allégeant, il s'agissait de prendre une décision quant à la continuation de notre série mensuelle. Après mûre réflexion, devant la masse de courriers inquiets émanant de lecteurs fanatiques, nous avons décidé de ne pas saborder cette rubrique qui, en deux ans seulement, est devenue incontournable dans la blogosphère cinéphile internationale et de nous engager dans une Saison 3. Ainsi soulagés, nous pouvons tranquillement nous poser la question rituelle : Mais, Diable, que trouvions-nous donc dans les salles françaises en Septembre 1985 ?

    recherchesusan.jpgUne ligne de force inattendue se dégage de ce mois-ci : la célébration des noces du cinéma et de la musique pop-rock. Mad Max, au-delà du dôme du tonnerre, troisième volet de la saga de George Miller créait l'événement. Mel Gibson en partageait l'affiche avec la tigresse soul Tina Turner. Le film fut, dans notre souvenir, reçu de manière assez tranchée, les uns affichant une déception tenant à la débauche spectaculaire et à l'humanisme messianique dont l'auteur chargeait son personnage principal, les autres saluant l'originalité de sa vision et son dépassement formel. Du haut de nos 13 ans et quelques, nous nous étions ralliés alors au deuxième groupe. Y resterions-nous aujourd'hui ?

    En 85, le chanteur Sting, ayant déjà trouvé le groupe Police trop contraignant à l'endroit de son ego démesuré, misait autant sur la musique en solo que sur le cinéma. Dans La promise de Frank Roddam, il endossait les habits du Baron Frankenstein pour une variation romantique du mythe (en compagnie, charmante, de Jennifer Beals). Ai-je vu ce film ? Plus aucune idée... Plus fraîchement starisée (Like a virgin, 1984), Madonna jouait de façon plus modeste mais avec finalement un retentissement plus grand devant la caméra de Susan Seidelman pour la comédie urbaine Recherche Susan désespérément. Faute de l'avoir revu depuis, nous qualifierons prudemment le film d'agréablement mode et retiendrons surtout qu'il révéla une actrice particulièrement attachante, Rosanna Arquette (en attendant sa sœur...).

    breakfastclub.jpgIl n'est pas jusqu'à James Bond qui n'ait succombé à cette vague. Dangereusement vôtre de John Glen, avec un Roger Moore dangereusement vieillissant (ce serait son dernier effort dans le costume de 007), bénéficiait non seulement d'un titre, bientôt hit mondial (A view to a kill), signé des garçons coiffeurs de Duran Duran, mais aussi de la présence singulière de Grace Jones en bras droit du méchant Christopher Walken. Plus sincèrement et plus profondément lié à la culture musicale contemporaine, porté également par un succès discographique renversant (qui m'est devenu aujourd'hui, pour de multiples raisons, quasiment inécoutable), (Don't you) Forget about me de Simple Minds, Breakfast Club de John Hughes a marqué durablement de nombreux cinéphiles de ma génération (bien qu'assez "secrètement", la plupart d'entre nous, et moi le premier, hésitant à jeter à nouveau un œil sur cette histoire de lycéens astreints à une journée de "colle" dans leur établissement désert).

    Pour évoquer les rapports entre pop-rock et cinéma, nous nous arrêterons-là et nous garderons bien de gonfler ce corpus de films en y ajoutant P.R.O.F.S. de Patrick Schulmann au prétexte qu'il met en vedette Patrick Bruel. Si cette suite de sketchs en milieu scolaire n'est peut-être finalement pas si indigne que cela, la carrière musicale de son interprète principal l'est en tous points. Tant que nous sommes au rayon rigolade, passons sans regret sur Double zéro de conduite (italien, de Giuliano Carnimeo) et sur Le gaffeur (de Serge Pénard, avec Jean Lefebvre), mais rappelons le surprenant et historique succès public obtenu par Coline Serreau avec son aimable comédie sociologique Trois hommes et un couffin.

    police.jpgDeux grands auteurs étaient au rendez-vous de septembre : Maurice Pialat et Akira Kurosawa. Si nous reconnaissons que Police et Ran tiennent la dragée haute à presque tous les autres films de ce mois-là, nous avouons qu'ils ne font ni l'un ni l'autre partie de nos opus préférés au sein des belles filmographies des deux cinéastes. Venant après les superbes A nos amours et Kagemusha, et malgré leurs beautés respectives, ils peinent légèrement, selon nous, à réussir le grand écart entre un univers singulier et un genre bien défini (le polar) pour le Français et à faire oublier plusieurs longueurs (sur 2h45) et un hiératisme un peu pesant pour le Japonais. A l'inverse, Louis Malle en réalisant Alamo Bay effectuait sans doute son meilleur travail aux Etats-Unis. Très solidement charpenté, son film traitait avec une certaine force du racisme  anti-vietnamien gangrénant une petite communauté de pêcheurs américains (emmenés par Ed Harris).

    Dans cette liste mensuelle, d'autres œuvres sont certainement à découvrir : Dance with a stranger de Mike Newell, drame britannique de bonne réputation, situé dans les années 50 ; Dust de Marion Hänsel avec Jane Birkin et Trevor Howard ; Mystère Alexina de René Féret ; Notre mariage, mélodrame forcément distancié puisque signé par Valéria Sarmiento, épouse et collaboratrice de Raoul Ruiz ; Le pouvoir du mal réflexion philosophique de Krzysztof Zanussi ; Orinoko, essai poétique et historique du vénézuélien Diego Risquez. Avec plus de précautions, nous avançons les titres des films de Gérard Vergez (Bras de fer, Giraudeau et Malavoy bataillent sous l'Occupation), de Tobe Hooper (Life force, mélange d'horreur et de SF qui ne semble guère prisé, y compris par les connaisseurs), de Paul Morrissey (Le neveu de Beethoven, biopic franco-allemand), de James Bridges (Perfect, mêlant journalisme et aerobic, avec John Travolta et Jamie Lee Curtis), de Jeff Kanew (Touché, film d'espionnage) et de Yaky Yosha (Le vautour, drame israélien). Et ce n'est que poussé par notre volonté d'exhaustivité que nous mentionnons Les guerriers de la jungle (Ernst Ritter von Theumer), Les huit guerriers de Shaolin (Chou Ming), L'implacable défi (Bruce Le), Ninja III (Sam Firtsbenberg), Les 36 poings vengeurs de Shaolin (Chen Chih Hua), La femme pervertie (Joe D'Amato) ou Les confidences pornographiques de Lady Winter (de José Benazeraf avec Olinka, également à l'affiche de Je t'offre mon corps de Michel Leblanc).

    Enfin, n'oublions pas L'homme au chapeau de soie, remarquable film de montage réalisé par Maud Linder en hommage à son père Max, figure aujourd'hui malheureusement bien oubliée du burlesque "primitif".

    premiere102.jpgDans les kiosques, du côté des mensuels (Cinéma devenant, pour quelques temps, hebdomadaire), les couvertures se faisaient sur le film de Pialat (Cahiers du Cinéma (375), Cinématographe (113)), celui de Miller (Starfix (28), L'Ecran Fantastique (60), Premiere (102), qui publia par ailleurs un numéro en août avec Alain Delon en vedette (101)), et celui de Roddam (enfin, surtout pour afficher Sting, comme le fit L'Ecran Fantastique pendant l'été (59) et parler du genre, comme La Revue du Cinéma (408)). A Positif (295), on attendait impatiemment la sortie du Ginger et Fred de Federico Fellini (prévue alors seulement pour janvier 86) et chez Jeune Cinéma (169) on célébrait le cinéma indien.

    Voilà pour septembre 1985. La suite le mois prochain...

  • La révélation

    (Hans-Christian Schmid / Allemagne - Danemark - Pays-Bas / 2009)

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    revelation2.jpgAvec La révélation, titre français passe-partout remplaçant le Storm original mais pas forcément plus approprié, Hans-Christian Schmid a eu le mérite de se frotter à un sujet politique actuel et complexe. Développer une fiction à partir de l'activité d'une institution comme le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie n'est pas chose aisée. Le cinéaste allemand le fait sans complaisance vis à vis des magistrats y exerçant leur métier, n'hésitant pas à évoquer leur lassitude, la tentation des petits arrangements et, plus généralement, la difficulté à résister au pragmatisme politique international qu'impose, entre autres choses, la construction européenne. Tourné en 2008, le film entre en résonance avec le procès Slobodan Milosevic et l'arrestation de Radovan Karadzic et tente d'accompagner les réflexions autour de la place à donner à la Serbie dans l'U.E. Pour étoffer sa base documentaire, que l'on sent très travaillée en amont, Schmid brosse le portrait de deux femmes, l'une, véritable héroïne de cette histoire, procureure à La Haye, l'autre, victime de la guerre de Bosnie, et donne à son film l'apparence d'une enquête policière dont l'aboutissement est censé interroger les notions de responsabilité individuelle et de droiture morale.

    Les intentions sont là, hautement louables. Mais il reste à parler cinéma... En 2005, Sydney Pollack situait une intrigue criminelle au sein même du siège de l'ONU. L'envie du réalisateur des Trois jours du Condor de retrouver le goût des succès d'un certain cinéma américain des années 70 donnait à L'interprète une petite saveur désuète qui en faisait un film honorable. Hans-Christian Schmid, en tentant d'appliquer une forme américaine et très actuelle à son document cherche lui à dépoussiérer. Il ne veut surtout pas que l'on prenne La révélation pour un simple film-dossier mais pour un thriller politique moderne. Or, il semble qu'il y ait, ces derniers temps, une fatalité stylistique pesant sur le genre et que l'on doive s'appeler Roman Polanski pour faire une proposition dans laquelle il soit réellement question de mise en scène (The Ghost writer, 2010). Comme nombre de faiseurs de thrillers interchangeables, Schmid, s'ébroue ici dans le plus parfait académisme visuel et rythmique de notre époque. Les tons sont froids (lumière et musique), les raccords sont brusques, les cadres sont agités pour intimer l'ordre au spectateur d'être sous pression et de ressentir l'urgence. N'oublions pas les infimes variations de mise au point censées donner l'illusion d'une prise sur le vif. Salle d'audience, chambre d'hôtel, salle de bain, bureau, rue encombrée... quel que soit l'endroit, le style ne varie pas. Avec ses multiples lieux arpentés, des immeubles officiels de La Haye aux villes thermales de l'ex-Yougoslavie, on se serait pourtant attendu à un minimum de travail sur la notion d'espace.

    Du point de vue dramatique, le film ne se révèle pas plus original, le déroulement du récit restant prévisible d'un bout à l'autre, jusqu'à l'inévitable dénouement en forme de baroud d'honneur, vain mais digne. Dans ce qui nous est vendu comme une quête de vérité, nous cherchons en vain l'ombre d'un doute, la zone grise. Notre guide dans cette histoire, cette procureure intègre, est, jusqu'au bout, sûre d'elle-même et de ses jugements. De manière significative, toutes les séquences de confrontation lui laissent le dernier mot, mises à part les dernières où, de toute façon, ses interlocuteurs tiennent des positions que le spectateur doit mépriser. Notons enfin que, lorsque le film débute véritablement, notre héroïne vient de reprendre en main cette affaire qui traînait en longueur. Ce choix est destiné à faciliter le rapprochement du point de vue du spectateur avec le sien. Il n'est pas critiquable en soi (Polanski faisant à peu près le même avec le personnage de Ewan McGregor dans le film cité plus haut), mais il aboutit ici à quelques contre-temps étonnants, à quelques rebondissements obtenus à peu de frais, la magistrate ne paraissant pas plus que nous connaître exactement tout du fonctionnement du Tribunal et des impératifs de la politique européenne.

    Alors qu'ils assistent à un enterrement dans un village bosniaque, le fonctionnaire local chuchote à la procureure : "Regarde ces garçons. Ils sont toujours hantés par la guerre." La séquence ne semble exister que pour placer ces propos, bien évidemment validés part le montage qui leur colle alors un plan sur les hommes en question. Schmid est incapable d'exprimer cette idée autrement. Cette poignée de secondes résume tout le film : informé mais aussi simplificateur, appuyé, et, au bout du compte, assez pénible.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • The killer inside me

    (Michael Winterbottom / Etats-Unis / 2010)

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    killerinside.jpgLe Britannique Michael Winterbottom est un réalisateur moyen, dont les résultats oscillent entre le pas terrible et le pas mal, du moins pour ce que j'en sais, celui-ci tenant en effet une cadence de production impressionnante et difficile à suivre (une vingtaine de titres accumulés depuis le début des années 90). Précédé d'une légère odeur de souffre, essentiellement due à la sauvagerie de quelques meurtres (notre homme aimant se faire parfois provocateur comme lorsqu'il réalisa ce 9 songs alternant scènes de sexe et captations de performances rock, expérience au final plus ennuyeuse qu'autre chose, si l'on en croit la très grande majorité des spectateurs y ayant goûté), The killer inside me ne change en rien la position du cinéaste, ce dernier opus en date, bien que s'assurant l'une des meilleures places au sein de la filmographie, drainant en quantités égales qualités et défauts, habiletés et maladresses.

    Le scénario est une adaptation de Jim Thompson, auteur inspirant généralement les cinéastes (Peckinpah et Guet-apens, Corneau et Série noire, Tavernier et Coup de torchon, Frears et Les arnaqueurs). De fait, on retrouve avec un certain plaisir cette ambiance noire et poisseuse dans laquelle se trouve confiné le petit monde de Thompson, Winterbottom arrivant assez bien à la restituer. Le personnage principal est un salaud de première, psychopathe cogneur (surtout envers les femmes) se cachant derrière les traits d'un jeune shérif à la voix d'adolescent, toujours prêt, à la ville, à aider son prochain et s'adressant avec politesse et retenue aux dames. N'en rajoutant pas trop dans les regards par en dessous à l'attention du spectateur lorsque ses victimes ont le dos tourné, Casey Affleck est plutôt bon. Le parcours criminel de son Lou Ford nous révulse sans aller toutefois jusqu'à nous en détourner, son entêtement à creuser sa propre tombe en y entraînant le maximum de gens de son entourage nous paraissant d'une certaine façon assez fascinant. Du bon côté de la balance, grâce notamment aux acteurs (les filles comprises), nous mettrons également la gestion des temps faibles de l'enquête, rendant compte de la mentalité régnant dans le coin à l'aide de dialogues à l'allure si typique qu'ils en deviennent parfois (brièvement) obscurs.

    Ce récit, qui accroche suffisamment sur les presque deux heures de sa durée, n'est toutefois pas mis en scène avec une égale maîtrise. L'usage de la voix-off est un procédé classique du film noir, dont il n'y a ici, ni à se plaindre, ni à s'extasier. Les flash-backs sont quant à eux bien patauds, qu'ils prennent pour sujet un épisode traumatique de l'adolescence ou la friabilité des instants de bonheur passés dans les bras d'une belle femme. Plus appréciable est l'insertion de la séquence de la lettre, une scène que l'on voit telle qu'elle ne s'est pas passée. Mais Winterbottom n'est pas un cinéaste à l'aise avec les expérimentations narratives (cinq ans après, je cherche encore l'utilité de son Tournage dans un jardin anglais). Après 9 songs, la nouvelle alternance qu'il nous impose entre scènes d'amour (soft, cette fois-ci) et scènes de violence, ne produit pas vraiment de vertige. Ces dernières, sur lesquelles s'est bâtie la réputation du film, ont une force réelle. Certains les trouveront complaisantes. Nous n'irons pas forcément les contredire...

  • Le bruit des glaçons

    (Bertrand Blier / France / 2010)

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    bruitglacons.jpgLe grand retour de Blier ? Mon cul, oui !

    Il est cramé le mec... Le ressort est pété, rouillé, émietté. Depuis longtemps d'ailleurs. Depuis Un, Deux, Trois, Soleil, minimum. Ça fait près de 20 ans ! C'est foutu maintenant... Le moteur tourne à vide, il ne produit plus rien : là l'intro qui fait mouche pour faciliter le travail des journalistes ciné ("Je suis votre cancer" repris partout), là la mort qui rôde, là le flash-back poreux, là la scène-d'amour-qui-dérange-mais-qui-en-fait-est-très-pure, là, là, là, là et là aussi, les apostrophes lancées à la caméra. Cinéma de photocopieuse (et une photocopie de photocopie cela dégrade fortement la qualité), celle qui est à côté de la machine à café, là où l'on entend les meilleures vannes des collègues ("Ça colle au cul un cancer !"). On avait la petite musique stridante de Blier, il ne nous reste plus que son bon gros théâtre de l'absurde. Quatre acteurs (ou un peu plus à l'occasion) entre quatre clôtures d'une belle villa pour une histoire qui avance si peu. Une histoire qui avance si mal. A coups de coups de théâtre et d'idées purement littéraires. Attends, mais c'est quoi ce dénouement à la con ? Une trouvaille de scénariste tombant du ciel et que rien ne peut justifier dans tout ce qui précède (elle est passée où, tout à coup, l'omniscience du Cancer ?). Ou alors on n'a qu'à dire que le fameux style Blier, son fantôme plutôt, impose par sa distanciation qu'on lui passe tout : l'anonymat esthétique, la grossièreté des blagues, l'aléatoire des apparitions (Dupontel : Vous me voyez, Vous ne me voyez pas, Vous me voyez, Vous ne me voyez pas...). Et puis franchement, passer 90 minutes avec un poivraud... Rien de plus soûlant qu'un alcoolo. Un alcoolo ça finit toujours par plomber l'ambiance. Un alcoolo ça se casse la gueule dans l'escalier mais ça ne fait pas rire, ça se fait juste mal à la jambe. Toute façon, Dujardin n'a pas la carrure. Et Dupontel l'a trop. Lui je ne l'aime pas. Putain Bertrand... Dupontel et Dujardin... L'acteur de Jean Becker et celui de James Huth ! Kervern et Delépine ont pas voulu te rendre Depardieu ou quoi ?

  • Tant qu'il y aura des hommes

    (Fred Zinnemann / Etats-Unis / 1953)

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    tantquilyauradeshommes.jpgLa cause semble entendue. Le message étant martelé depuis des décennies, le moindre cinéphile le sait, parfois même sans l'avoir vu : Tant qu'il y aura des hommes (From here to eternity) (et par extension l'œuvre entière de Zinnemann...) est un film de prestige académique au vieillissement prématuré, rempli de fausses audaces, à peine sauvé par quelques éclairs et des numéros d'acteurs.

    Personnellement, je le trouve assez beau.

    La forme est classique, tantôt discrète, tantôt appuyée. Ce balancement a très vite été convoqué pour établir la preuve d'un manque de style propre. Or, on peut tout aussi bien le juger nécessaire à un film construit sur une série de tensions-explosions. De la fameuse scène de baignade amoureuse entre Deborah Kerr et Burt Lancaster, nous apprécions moins les fougueux baisers que la hâte fiévreuse avec laquelle les deux futurs amants ôtent leurs vêtements pour se tenir face-à-face en tenue de bain (Lancaster étant même, à ce moment-là, cadré au niveau du torse seulement), gestes brusques et libérateurs, que les plans de vagues déchaînées surlignent un peu inutilement. Plus loin, la première des trois explosions de violence jalonnant le récit saisit par sa sècheresse et vient rappeler que Zinnemann signa cinq ans auparavant l'un des meilleurs films noirs de l'après-guerre, Acte de violence. L'affrontement dans ce bar, qui reste finalement au stade de la menace de mort, donne à voir une vivacité de réaction des corps impressionnante. Lancaster notamment semble alors être traversé par une tension phénoménale. Dans ce registre de la force intérieure difficilement canalisée, son partenaire Montgomery Clift n'a bien sûr rien à lui envier. Tous les acteurs du film jouent d'ailleurs magnifiquement, y compris Frank Sinatra dans un rôle pourtant basé en partie sur le pittoresque (celui du "Rital"). Zinnemann les dirige avec précision et la qualité du scénario et des dialogues font le reste.

    En effet, l'écriture y est remarquable, donnant  l'impression d'un film choral tout en donnant une importance graduée aux différents protagonistes, le principal étant le soldat Prewitt interprété par Clift, dont la destinée éclaire indirectement celle des autres. Cette excellence de l’écriture est perceptible dès le début, les rapports, parfois complexes, s’établissant entre les personnages nous intéressant aussitôt. Cet épisode de la vie d’une caserne américaine du Pacifique, clairement situé dans le temps à la toute fin du récit (juste avant, un panneau de signalisation brièvement aperçu à l’arrière-plan fit office, pour moi, de révélation soudaine), est habilement conté en établissant des parallèles assez souple entre deux couples et entre quelques individualités. L’audace que l’on prêtait à Tant qu’il y aura des hommes à l’époque de sa sortie n’est certes guère décelable aujourd’hui. Tout juste distingue-t-on un possible sous-texte homosexuel, passant à travers les regards et les gestes d’affection de Lancaster à l’attention de Clift. Ce qui intéresse le plus n’est de toute façon pas là. Si audace il y a, elle est plutôt dans la volonté qu’a Zinnemann de proposer au public une histoire ambitieuse, intelligente, complexe. Ainsi, la vision de l’armée évite le manichéisme. Le film n’est pas une charge contre l’institution mais une observation critique de l’intérieur. Le soldat Prewitt, son sergent ou son copain envoyé en camp de redressement, ne sont pas des "hommes contre" (en trouve-t-on beaucoup dans l’armée de métier ?), ce sont juste des individualités assez singulière pour que le spectateur s’y attache et des personnes qui, en cherchant à préserver leur dignité, se retrouvent littéralement coincés dans ce carcan militaire qu'ils ne remettent pas fondamentalement en cause. L’ambiguïté de l’approche peut gêner notre bonne conscience, elle n’en est pas moins crédible et juste. A défaut de génie, Zinnemann fait preuve tout au long de son film d’une réelle sensibilité.

  • Tamara Drewe

    (Stephen Frears / Grande-Bretagne / 2010)

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    tamaradrewe.jpgLa Tamara de Stephen Frears étant plus charmante et moins horripilante que la Poppy de Mike Leigh, Tamara Drewe est plus supportable que Be Happy. Cependant, il n'est qu'à peine meilleur. En effet, Frears, partant d'une célèbre BD, signe là une comédie anglaise banale carburant à l'ironie contemporaine mais restant étonnamment vieillotte dans sa forme. Les caractères, détaillés sans nuances, y sont aussi convenus que les intentions du cinéaste paraissent vagues (jamais nous ne voyons vraiment à quoi il veut en venir avec ce récit choral). Son vaudeville campagnard est mou du genou, rarement drôle. L'impression est tenace d'avoir là un film de vieux, dans lequel seuls les personnages les plus jeunes, bien que n'étant pas moins superficiels que les autres, apportent quelques éclairs de vie. On retiendra ainsi, hormis la façon qu'a Gemma Arterton de porter - trop brièvement - short moulant et débardeur, la description d'un rapport maladif entre une jeune fan coincée dans son bled paumé et la célébrité qu'elle vénère (sujet pas toujours bien traité selon les scènes mais rendant le mélange de cruauté et d'empathie plus intéressant ici que lorsqu'il sert à colorer les thèmes de la rivalité artistique ou des déboires amoureux). Split screen, incrustations, brèves visualisations de fantasmes, intertitres saisonniers, utilisation des clichés attachés aux types sociaux dépeints : Frears déroule sans vigueur, sans invention particulière. Son Tamara Drewe, loin de lui faire retrouver la forme, fait surtout penser, avec nostalgie, aux récents films européens de Woody Allen, assez semblables dans leurs données de départ et leurs thématiques mais cent coudées au-dessus en termes de mise en scène.