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Nightswimming - Page 87

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1983)

    Suite du flashback.

     

    cdc346.jpgPOS264.JPG1983 : Année de consensus, nonobstant Garrel et Godard.
    Les deux films élus en janvier s'étaient déjà retrouvés l'un et l'autre en couverture courant 82, Travail au noir sur celle de Positif et Identification d'une femme sur celle des Cahiers. Plus tard, Fanny et Alexandre est aussi un amour partagé. Quant à Raoul Ruiz, un numéro spécial des Cahiers lui est consacré en mars avant que Positif ne concocte un dossier autour de son œuvre en décembre. Sans bénéficier de "doubles couvertures", La valse des pantins, Boat people, A nos amours et la redécouverte chinoise Les anges du boulevard sont largement étudiés dans Positif alors que T'es fou Jerry et La ballade de Narayama le sont dans les Cahiers. Dans les deux revues apparaissent également au sommaire des textes ou des entretiens liés à La vie est un romand'Alain Resnais, Furyode Nagisa Oshima et Poussière d'Empire de Lâm Lê.
    Aux  Cahiers, les autres principaux écrits portent sur Mikio Naruse, André Bazin, le "cinéma d'auteur" et Carl Dreyer. La revue publie un entretien avec Gilles Deleuze à l'occasion de la parution de L'image-mouvement, ainsi qu'avec Isabelle Adjani. En face, Positifchoisit de rencontrer une autre actrice, Shelley Duvall. La revue propose un dossier Billy Wilder, un hommage à Bunuel, un entretien avec Ennio Morricone, un ensemble sur la science-fiction et un coup d'œil sur le cinéma français (du droit d'auteur aux femmes réalisatrices). 1983 est également l'année d'un retour sur D.W. Griffith, au centre de plusieurs numéros de l'une et l'autre des deux revues.

    Janvier : Travail au noir (Jerzy Skolimowski, Cahiers du Cinéma n°343) /vs/ Identification d'une femme (Michelangelo Antonioni, Positif n°263)

    Février : L'enfant secret (Philippe Garrel, C344) /vs/ Sans soleil (Chris Marker, P264)

    Mars : Les trois couronnes du matelot (Raoul Ruiz, C345) /vs/ Tootsie (Sydney Pollack, P265)

    Avril : Fanny et Alexandre (Ingmar Bergman, C346) /vs/ L'écran magique (Gianfranco Mingozzi, P266)

    Mai : La valse des pantins (Martin Scorsese, C347) /vs/ Fanny et Alexandre (Ingmar Bergman, P267)

    Juin : L'argent (Robert Bresson, C348-349) /vs/ T'es fou Jerry (Jerry Lewis, P268)

    Eté : Ludwig (Luchino Visconti, C350) /vs/ Certains l'aiment chaud (Billy Wilder, P269-270)

    Septembre : Boat people (Ann Hui, C351) /vs/ La ballade de Narayama (Shohei Imamura, P271)

    Octobre : Prénom Carmen (Jean-Luc Godard, C352) /vs/ Et vogue le navire (Federico Fellini, P272)

    Novembre : A nos amours (Maurice Pialat, C353) /vs/ A la poursuite de l'étoile (Ermanno Olmi, P273)

    Décembre : Les anges du boulevard (Yuan Mu Zhi, C354) /vs/ La ville des pirates (Raoul Ruiz, P274)

     

    cdc348.jpgPOS272.JPGQuitte à choisir : Dans ce climat de concorde critique, doit-on marquer une préférence ? J'aurai tendance à mettre en rapport les estimables Boat people et Tootsie, les stimulants Pantins et Narayama, les beaux Bresson et Olmi. Et Bergman, Godard, Antonioni, Skolimowski, Ruiz, Pialat, Fellini, Marker... Du beau monde des deux côtés, la plupart du temps pour des titres majeurs. Allez, pour 1983 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • There will be blood (2)

    Quelques notes complémentaires et illustrées sur l'immense film de Paul Thomas Anderson, suite à une nouvelle visite, deux ans après la première.

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    L'histoire est, entre autres, celle d'un lien père-fils qui se noue puis se dénoue. Au fil du récit, les contacts se font de plus en plus nombreux, les bras étreignent de plus en plus fort, avant que les gestes d'affection disparaissent peu à peu. Accompagnant et amplifiant cette évolution, la mise en scène commence par réunir à chaque occasion les deux personnages dans le même cadre. Puis, une fois passé l'accident, les champs-contrechamps prennent le relais, jusqu'à devenir la figure quasi-exclusive des scènes les mettant en présence, jusqu'à mettre finalement entre eux une limite infranchissable (un bureau), une distance impossible à annuler.

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    Paul Thomas Anderson ne filme pas des couchers de soleil mais les effets de la lumière sur les personnages. Accessoirement, retourner ainsi sa caméra lui permet de mettre en valeur des gestes à la fois simples, précis, réalistes, justifiés et marquants. Se faisant, il fait sienne l'une des caractéristiques les plus admirables du cinéma américain classique.
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    L'usage récurrent du plan-séquence n'est pas le marqueur d'une virtuosité spectaculaire, cette technique n'étant pas employée pour orchestrer de complexes et vains croisements. Anderson y voit plutôt le moyen de fondre parfaitement ses personnages, ses objets, ses motifs, son récit dans le paysage, et cela dans toutes ses dimensions, profondeur, longueur. Un long travelling n'est pas là pour en mettre plein la vue mais pour prendre une mesure. Paul Thomas Anderson est un arpenteur. Cette approche de l'espace et du temps, d'une part, donne son ampleur au film et, d'autre part, l'assouplit, le rend plus flottant, plus libre, en ménageant par exemple la surprise d'entrées dans le champ inattendues, des entrées non forcées, presque aussi poétiques que celles que l'on observe chez Miklos Jancso.
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    Dans There will be blood, ceux qui se retrouvent, à un moment où à un autre, à terre, finissent par trépasser...
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    ... Certes, Daniel Plainview, lui, bien que tombé ou affalé plusieurs fois ne mourra pas à l'écran. C'est que, contrairement aux autres, nous le voyons à chaque fois se relever, dans la continuité du plan.
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    ... Mais quelque chose nous dit que ses redressements ne s'effectueront pas éternellement. Arrivés au seuil de cette histoire, nous le quitterons assis, en sursis. Et finalement, le seul protagoniste à être sauvé n'aura jamais été projeté à terre. H.W., puisqu'il s'agit de lui, aura en effet vu sa chute, provoquée par le souffle de l'explosion du puits, être amortie par le toit d'une baraque, très haut-dessus du sol.
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    La réussite du pari de Plainview, construire un pipeline pour l'exploitation de son pétrole, marque le début de la fin. En cessant de chercher à s'élever, en préférant travailler sur l'horizontalité, il s'assure la fortune mais il provoque sa perte ou du moins, une certaine dévitalisation. C'est à ce moment-là, d'ailleurs, que le récit, à coups de larges ellipses temporelles, se met alors à survoler, à s'élancer vers son dénouement dramatique.
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    Au milieu du final, l'insertion d'un très beau flash-back sans paroles audibles ne sert pas seulement à faire ressentir la déchirure que provoque la rupture du lien entre le père et le fils, bien plus douloureuse que le premier ne vient de l'affirmer violemment. Ce décrochage, par la façon dont il est raccordé en sa sortie, en opposant deux mouvements inverses, permet également de saisir une chose : l'ascension de Plainview n'aura été possible qu'en la présence de H.W. La répudiation du fils entraîne la descente, sans remontée possible, du père dans son sous-sol.
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    Doit-on blâmer la bouffonnerie du dernier acte ? Non si l'on veut bien admettre qu'elle s'inscrit de façon logique dans le prolongement des séquences consacrées à l'affrontement entre Daniel Plainview et Eli Sunday. Cet antagonisme a progressivement pris la forme d'une mascarade, de façon plus marquée à chaque étape : le camouflet de la bénédiction du premier forage, la raclée administrée sur fond de musique allègre puis le baptême vociférant et ironique. En cela, le dénouement est cohérent. Il met un point final à cette relation entre Daniel et Eli qui doit aussi se lire par rapport à celle entre Daniel et Henry. Toutes deux sont imprégnées de violence mais s'opposent sur tous les autres points. D'un côté, la violence est explosive, instinctive, exhubérante, presque ludique. De l'autre, elle est sèche, froide, réfléchie, préméditée, peut-être plus terrible encore. Daniel et Eli s'affrontent toujours en plein air ou sous de fortes lumières. Les plans larges laissent admirer les gestuelles. En revanche, les séquences centrées sur Daniel et Henry sont majoritairement nocturnes et cadrées de manière serrée. Sur la plage, une ombre vient se porter sur Henry. Il ne verra pas le jour.
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    Photos : captures DVD Miramax
  • C'était mieux avant... (Mars 1985)

    Février est déjà loin et il est l'heure de reprendre le cours de notre voyage dans le temps. Mais que diable nous réservaient les salles de cinéma françaises en Mars 1985 ?

    voyage.jpgComme il y eut, ce mois-là, peu d'occasions de s'enthousiasmer, évoquons tout de suite les deux propositions en apparence les plus stimulantes, toutes deux au rayon "Auteur". Quelques mois après la sortie de Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman s'offrait un nouvel adieu au cinéma avec Après la répétition, dans lequel Erland Josephson et Lena Olin dialoguaient au milieu d'un théâtre désert. Théo Angelopoulos proposait, lui, son Voyage à Cythère, exploration d'un espace mental et réflexion historique sous forme de mise en abîme. Le film appartient à ce qui semble être la meilleure période du cinéaste mais encore faudrait-il pouvoir le vérifier. Compte tenu des défaillances de la distribution, y compris sous la forme du DVD, il est en effet bien difficile d'accéder aux œuvres précédant L'apiculteur (1987).

    Dans ce même rayon, d'autres titres peuvent attiser la curiosité : Le baiser de Tosca, documentaire suisse de Daniel Schmid sur les pensionnaires d'une maison de retraite pour artistes d'opéra, Jusqu'à un certain point, dénonciation du machisme par le plus célèbre cinéaste cubain, Tomas Gutierrez Alea, et Le témoin, comédie noire hongroise signée par Peter Bacso et bloquée depuis 1969. Mentionnons encore Pianoforte de Francesca Comencini (sur les ravages de la drogue exercés sur un jeune couple romain), Louise l'insoumise de Charlotte Silvera ou Romance du front de Piotr Todorovski.

    lesspecialistes.jpgAvec Partir revenir, Claude Lelouch ne changeait pas sa formule : les hasards de la vie, les allers-retours temporels, la réincarnation, l'histoire, la demie-douzaine de stars à l'affiche... Patrice Leconte s'essayait au film d'action avec Les spécialistes Lanvin et Giraudeau. Résultat : succès public, indulgence critique et, personnellement, aucun souvenir du film, l'un des rares que j'ai pu voir à l'époque, dans cette liste mensuelle. Pour Les rois du gag, Claude Zidi réunissait Serrault, Jugnot et Lhermitte et parvenait à affliger à peu près tout le monde. Autre navet proposé : Le "Cow-boy" de Georges Lautner, avec Aldo Maccione, sur un scénario de Wolinski. De son côté, Josianne Balasko se lançait dans la réalisation avec un Sac de nœuds qui ne semble pas avoir marqué les esprits (bien moins, en tout cas, que les premiers essais de ses anciens collègues, Gérard Jugnot et Michel Blanc). Dernière sortie française à noter, celle de Staline, un documentaire de Jean Aurel.

    En regardant vers l'Orient, on tombait sur une histoire de chiens de traîneaux et d'explorateurs dans les années 50 (le japonais Antarctica de Koreyoshi Kurahara) et sur une pelletée de produits made in HK (Les anges exterminateurs de Cheung Chi Chiu, Le Tigre contre Ninja de Godfrey Ho, Les trois samourais de Shaolin de Chen Chun Liang, Phénix, fleur magique de Shaolin de Lee Chia Tse).

    lesgriffesdelanuit.jpgLa marchandise américaine relevait un peu le niveau. Le flic de Beverly Hills, alias Eddie Murphy, cassa brillamment la baraque. A l'époque, du haut de mes treize ans, j'en fus plutôt heureux mais je crois bien ne pas l'avoir véritablement revu depuis. Le temps de deux films, celui-ci puis Midnight run trois ans plus tard, certains ont pensé tenir en Martin Brest un prometteur artisan du film d'action (et puis finalement non : Le temps d'un weekend, Rencontre avec Joe Black, Amours troubles...). Alors peu courageux, je ne m'étais pas déplacé pour affronter Les griffes de la nuit de Wes Craven. Ayant quelque peu mûri, je plongerai bien, aujourd'hui, dans ce récit cauchemardesque devenu culte, acte de naissance d'un mythe fantastique (Freddy Krueger) et premier volet d'une longue série.

    Hormis le divertissement médiéval Ladyhawke, la femme de la nuit de Richard Donner (avec Matthew Broderick, Rutger Hauer et Michelle Pfeiffer), le reste de la production US nous faisait naviguer apparemment sans surprise notable entre le film romantique (Falling in love d'Ulu Grosbard avec Robert De Niro et Meryl Streep), l'espionnage (La petite fille au tambour, d'après John Le Carré, par George Roy Hill, Mission Ninja de Mats Helge), le film de campus (Ras les profs d'Arthur Hiller, avec Nick Nolte), le drame paysan (La rivière de Mark Rydell, avec Mel Gibson et Sissy Spacek), le polar en temps de guerre (Soldier's story de Norman Jewison) et le sous-Délivrance (Le village de la mort de William Fruet).

    Il y eut décidément peu de choses à se mettre sous la dent en ce mois de Mars 1985 et ceux qui ont préféré aller voir, dans le petit cinéma d'à côté, L'esclave du désir, innocente et pervertie de Jean-Luc Brunet, Gilda la ravageuse de José Bénazéraf, Jeunes filles en chaleur de Michel Baudricourt, Partouzes aphrodisiaques pour couples spéciaux de Johanna Morgan, Secrétaires et BCBG le jour mais salopes et perverses la nuit de John Love ou Tu me fais mal mais j'aime ça de William Russell, n'ont peut-être pas eu tort.

    cahiers369.jpgDans les kiosques, en ce mois faiblard, mis à part les Cahiers du Cinéma (369) qui faisaient leur une sur Bergman, les revues continuaient plutôt à étudier les films sortis précédemment. Le génial Brazil de Terry Gilliam se retrouvait en couverture de Positif (289), de Cinéma 85 (315) et de La Revue du Cinéma (403), L'amour braque de Zulawski sur celle de Starfix (24) et Love streams de John Cassavetes sur celle de Jeune Cinéma (165). Premiere (96) choisissait de mettre en vedette conjointement Mel Gibson (pour le futur Mad Max 3) et Robert De Niro, L'Ecran Fantastique (54) anticipait sur Terminator et enfin Cinématographe (108) proposait un dossier sur les monteurs.

    Voilà pour mars 1985. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : Les griffes de la nuit, Le flic de Beverly Hills & Les spécialistes vus par Mariaque, Ladyhawke,la femme de la nuit par Christophe.

  • Cours après moi que je t'attrape

    J'ai pris connaissance avec retard de ce petit article paru en février dans Les Inrocks. L'auteur, Serge Kaganski, évoque les listes des meilleurs films des années 2000 récemment publiées par les deux revues "historiques" que sont les Cahiers du Cinéma et Positif, cela pour aboutir à une nouvelle génuflexion devant la première et une poussée de la deuxième vers les affres du conservatisme critique. Notons déjà que Kaganski ne se donne pas la peine de reproduire ces listes, ni même, sur la page web correspondante, de proposer de lien, ce qui lui permet d'en tirer uniquement les éléments servant sa thèse et de passer les autres sous silence. Dès la quatrième phrase de l'article, le ton est donné : les Cahiers ont choisi des "objets" et non de simples "films", comme l'a fait sa rivale (les "objets" donnés en exemple sont Tropical malady, A l'Ouest des rails et l'un des plus gros succès commerciaux de l'histoire du cinéma coréen, The Host, les deux derniers titres cités ayant été par ailleurs défendus par Positif au moment de leurs sorties respectives, critique et entretien à l'appui, ce que Kaganski se garde bien de préciser). Le reste est à l'avenant, succession de termes opposés sur le mode moderne/classique. Dans le dernier édito de Positif, Franck Kausch a parfaitement éclairé les faiblesses et les petits arrangements du texte de Kaganski.

    Bien évidemment, le problème n'est pas de commenter ni de critiquer ces listes (mon camarade Vincent, sur Inisfree, ne s'en est d'ailleurs pas privé, très récemment, ici et ). Il n'est pas, non plus, d'avancer une préférence entre les deux revues en question, ni de porter un jugement négatif sur l'une ou l'autre. Non, ce qui me gêne énormément dans ce texte c'est de savoir d'où il est écrit et d'y déceler une intention peu glorieuse.

    Kaganski, chantre d'un cinéma aventureux, écrit dans Les Inrocks, hebdomadaire (et site internet) à la maquette asphyxiante, bouffé par les news et la pub, ne mettant en valeur sur ses unes que de l'événementiel culturel, ayant progressivement renié tous les principes qui faisaient sa valeur quinze ans auparavant, ne sachant plus quel est exactement son lectorat (sinon qu'il est jeune et pressé). Connaissez-vous, dans votre entourage, quelqu'un qui lise vraiment Les Inrocks ? Cette publication a-t-elle poussé un seul de ses lecteurs à aller voir cette année Le roi de l'évasion ou Singularités d'une jeune fille blonde, films conseillés par la rédaction mais compressés entre les éloges de Twilight et d'Olivia Ruiz ?

    Le fait est que la voix de Kaganski et celle des Inrocks en général n'est, sur ce plan-là, plus audible depuis longtemps. Alors notre Serge tente de raviver la petite guéguerre autour du "Triangle des Bermudes" qui l'opposa jadis à Michel Ciment qui, lui-même, n'en parle plus depuis belle lurette. Et surtout, il ne veut pas que le train de la "modernité" file sans lui. Il veut être du côté des Cahiers. Il veut crier "Eh c'est les Inrocks, on est là, on est avec vous !" Il veut profiter du renouveau actuel de la revue, salué par tous, jusque dans les colonnes de Positif. Non seulement l'appel du pied est fait n'importe comment mais il est en plus terriblement grossier.

     

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    Les Inrocks : Un goût aventureux...

  • Moïse et Aaron

    (Danièle Huillet et Jean-Marie Straub / Allemagne - Autriche - France - Italie  / 1975)

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    moiseetaaron.jpgMoïse et Aaron (Moses und Aron) est l'adaptation d'un opéra inachevé d'Arnold Schönberg. La première réflexion que l'on se fait devant ce film, c'est que les Straub n'ont pas cherché à tirer l'opéra vers le spectacle cinématographique, contrairement aux autres cinéastes ayant tenté ce genre d'expérience comme Losey ou Rosi (le premier y parvenant, dans mon souvenir, mieux avec Don Giovanni que le second avec Carmen). Le plan long, la caméra fixe et les acteurs immobiles sont la règle, souffrant de peu d'exceptions. Les cinéastes inventent le cadrage de "trois-quart dos". L'écran peut rester noir deux ou trois minutes.

    En somme, nous voilà forcés de prêter toute notre attention à la musique. Celle-ci est si complexe, si difficile parfois, aux oreilles du novice, que cette obligation trouve sa justification. Rarement, donc, aura-t-on mieux entendu un opéra (à défaut, sans doute, de le comprendre entièrement).

    Toutefois, la radicalité des parti-pris de mise en scène nous met sérieusement à l'épreuve. Elle signale avant tout une série de refus tout près de provoquer l'exclusion du spectateur : refus du contre-champ (les chœurs répondant au soliste sont très rarement montrés et jamais de façon frontale, classique), refus de la représentation des actes, refus de l'ellipse musicale (d'où un sentiment de longueur et de répétition), refus du décor (nous sommes dans l'épure des ruines antiques), refus de l'identification (à l'exception de Moïse et Aaron, gratifiés de quelques plans rapprochés, tous les autres protagonistes sont laissés à distance). Dans ce contexte, le mouvement d'un acteur, un panoramique, l'insertion d'un gros plan résonnent comme un coup de tonnerre. La rareté de ces événèments font qu'ils se chargent immédiatement de sens, le souci étant que celui-ci nous échappe régulièrement. Lorsque la caméra se rapproche tout à coup d'Aaron, nous sentons bien que ses propos sont d'importance mais lorsqu'elle recadre longuement, en bout de plan, les marches d'un monument, nous nous trouvons quelque peu coincés entre incompréhension et vanité.

    Or, à mi-chemin, un léger changement intervient. Revenons au livret de Schönberg. Moïse reçoit la parole divine et se trouve chargé de la transmettre au peuple d'Israël (vivant en Egypte sous le joug du Pharaon), par l'intermédiaire d'Aaron. Lorsque Moïse passe plusieurs jours dans la montagne afin de recueillir les lois et le droit, les nouveaux croyants se sentent abandonnés. Aaron détourne alors la parole de Moïse pour restaurer la confiance. Il propose au peuple une représentation de Dieu, plus facile à identifier et à idolâtrer que l'entité invisible et éternelle. Il laisse hommes et femmes déposer leurs richesses au pied de l'idôle et s'adonner aux plaisirs. A partir de ce moment-là, les cinéastes commencent à donner à voir des actions, certes distanciées mais clairement identifiables : meurtre, procession, sacrifice, offrande, danses. Le style reste solennel mais le sens des images perce mieux.

    Le retour de Moïse et sa confrontation avec Aaron va finir de l'éclaircir. Il s'agit en fait d'une lutte entre l'idée et l'image. Moïse s'évertue à faire accepter l'idée de Dieu directement alors qu'Aaron estime que le peuple ne peut la recevoir telle quelle et doit être mis face à une représentation concrète du divin. Déjà intéressante en soi, cette opposition illumine d'un coup le film puisqu'elle redouble de manière évidente l'interrogation de Straub et Huillet : le spectateur est-il capable de saisir l'idée ou doit on lui présenter à travers une médiateur, c'est-à-dire un récit, une esthétique, un effet de mise en scène, autant d'éléments qui définissent le cinéma "traditionnel".

    L'ultime séquence du film, très belle et dépourvue de musique, voit en quelque sorte la victoire de Moïse sur Aaron et donc... celle des Straub qui semblent partager les visées du premier. Pour ma part, esthétiquement, j'adhérerai plutôt à la version "aaronienne" des choses. Le film a le mérite de présenter dialectiquement les deux propositions et stimule ainsi la réflexion. Le chemin est long et difficile mais il ne faut surtout pas s'arrêter en route, pour ne pas rester sur une impression de pénibilité.

  • Le refuge

    (François Ozon / France / 2010)

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    refuge.jpgA un moment, pour bien nous faire comprendre l'émoi érotique de son héroïne, François Ozon la jette dans les bras d'un séducteur. Pas n'importe lequel : un mec spécialement attiré par les femmes enceintes. Plus tard, il la confronte à une dame étrange, sur la plage. Que celle-ci commence à la questionner avec insistance et indiscrétion  puis demande la permission de caresser son ventre rond ne suffit pas, il faut absolument qu'elle s'avère être, au bout de cinq phrases prononcées, totalement tarée. Comment faire passer un peu de trouble avec de tels raccourcis supposés "osés" ?  Est-ce la peine de contourner les clichés liés à la maternité pour se plonger dans d'autres ? De toute manière, dans Le refuge, les dialogues sont d'une banalité terrifiante, l'image est constamment moche (pas un seul plan qui n'accroche l'œil et lors de la séquence où l'on voit Mousse danser en boîte de nuit, l'envie de crier : "Tu peux pas reculer ta caméra un peu !"), la bande-son propose une chanson française plan-plan, le récit se vautre dans toutes les conventions de notre réalisme cinématographique national (mon dieu !, cette famille bourgeoise... et ces lunettes de soleil dans la maison... et ce plan sur la comédienne principale en pleurs...). Isabelle Carré, par ailleurs merveilleuse actrice, ici réellement enceinte, est constamment sur ses gardes, tentant de se donner à la caméra tout en se préservant. Tout du long, il m'a semblé la voir réfléchir à son rôle, à ses limites, à ses répercutions. Cela est gênant mais compréhensible. Plus grave est le fait qu'elle soit entourée d'acteurs au jeu médiocre (Melvil Poupaud, lui, disparaît, comme tout le monde le sait maintenant, au bout de dix minutes, les seules du film à être un tant soit peu intéressantes). La fin, forcément audacieuse, est atterrante (pourquoi ne pas terminer le film avec un débat sur l'homoparentalité tant qu'on y est...). Bref, le dernier film de François Ozon est nul.

    A cette séance, le public était féminin à 90%. D'ailleurs, j'aurai bien aimé avoir l'avis de ma femme, qui est enceinte de 8 mois.

  • Charade

    (Stanley Donen / Etats-Unis / 1963)

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    charade.jpgRapidité et élégance sont les mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier l'œuvre de Donen en général et Charade en particulier. Le lieu commun a forcément son fond de vérité. Il demande toutefois à être nuancé.

    Certes le montage de Charade est assez vif. Il n'en demeure pas moins que les séquences les plus marquantes sont les plus longues (la bagarre sur le toit, la poursuite dans le métro) ou les plus calmes (le dîner sur le bateau-mouche). Le film frise quand même les deux heures et le temps m'a paru bien long, la faute à un scénario sans grand intérêt plutôt qu'à la mise en scène. L'élégance, quant à elle, n'est pas non plus toujours au rendez-vous. Dans Charade, on rote et on éternue bruyamment et si la caméra propose de beaux travellings le long des colonnes de l'Opéra, elle peut aussi s'attarder sur les carcasses de viande des entrepôts des Halles, "à vous faire devenir végétarien". Le couple de star, si glamour, Audrey Hepburn et Cary Grant, pour esquisser un premier baiser doit se plier, dans un cabaret, à un jeu stupide et grotesque consistant à faire passer une orange à son voisin sans y mettre les mains. Notons encore que tous les assassinats sont perpétrés sur des victimes en pyjama, incongruité qui frappe jusqu'à l'inspecteur de police Grandpierre (joué par le moustachu Jacques Marin, inspiration possible de Peter Sellers et Blake Edwards pour le Clouzeau de La Panthère Rose).

    L'action se déroule donc à Paris. Sur ce plan-là, Donen réussit son film, dont de nombreuses séquences sont tournées sur place. Cela provoque à la fois ce sentiment de visite touristique lié à bien des productions hollywoodiennes de l'époque et un certain ancrage des personnages dans le réel. Le problème vient de ce que ces derniers y font et de ce qu'ils racontent. L'histoire est celle de la naissance d'un couple sur fond de ballet d'espions courant après 250 000 dollars. Le ton est celui de la comédie romantico-policière et les clins d'œil à Hitchcock sont légion.

    Cary Grant ne cesse de mentir à Audrey Hepburn sur sa véritable identité mais l'évolution de leur relation ne laisse guère de place au doute. L'acteur, vieillissant, n'arrive pas à rattraper la jeune femme s'enfuyant. Son auto-ironie lui fait porter à l'occasion des lunettes. Il est fort dommage qu'elle le pousse jusqu'à des pitreries assez pénibles (grimaces, douche en smoking). Audrey Hepburn, elle, dit avoir peur. Il est difficile de la croire, hormis lors de l'excellente séquence où James Coburn lui jette une à une des allumettes enflammées. On ne voit pas bien ce qui pourrait lui arriver de mal tant les menaces réitérées d'attenter à sa vie ne portent pas à conséquence. Les espions sont d'opérette.

    Après une intrigante mise en bouche, rebondissements et changements d'identité ne suffisent pas à masquer le vide sidéral de l'argument. Que l'on se fiche des dollars, le Mc Guffin du récit, est tout à fait normal. Que l'on se fiche des personnages, voilà qui l'est beaucoup moins. Si Donen filme avec élégance et rapidité, il filme du vent. Une œuvre-jumelle suivra, trois ans plus tard, sous le titre Arabesque. Il y a fort longtemps, je ne l'avais guère apprécié. Cela me conforte dans mon jugement sur Charade.

  • Shutter Island

    (Martin Scorsese / Etats-Unis / 2010)

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    shutterisland.jpgLe demi-échec de Gangs of New York semble avoir décidément contraint Scorsese à ronger son frein pour un bon bout de temps en travaillant dans un cadre plus conventionnel que celui dans lequel il navigua pendant ses vingt-cinq premières années d'activité. Du beau boulot, il en fit pendant la décennie 2000, mais s'extasier devant les solides Aviator et autres Infiltrés fut tout de même moins aisé que devant Casino et A tombeau ouvert, pour se limiter à la période précédente. Le mieux est donc encore de se contenter de ses brillantes variations actuelles sur des genres bien définis. Avec Shutter Island, voici venu le temps du thriller paranoïaque et angoissant.

    Clairement, le film délimite un espace mental et l'introduction est à cet égard magistrale. Une brume épaisse, un imposant ferry qui s'en extrait, un marshal fédéral et son partenaire qui semblent seuls sur le pont de ce vaisseau-fantôme, une île qui apparaît au milieu de nulle part. Pour une fois, les touches de numériques apportées pour représenter la mer et le ciel plombant sont pleinement justifiées, accentuant l'étrangeté du cadre de cette discussion entre les deux policiers. Jusqu'à ce que ceux-ci soient accueillis au sein de l'hôpital psychiatrique d'où s'est évadée une patiente, la musique ne cesse de monter, de gronder, semblant naître de quelques cornes de brume, avant d'éclater, déjà, et de nous saisir.

    Teddy Daniels, que l'on a rencontré pour la première fois alors qu'il avait, sur le bateau, la tête dans le lavabo, est un enquêteur au bord du gouffre, les nerfs à vifs. Au jeu fiévreux de Leonardo DiCaprio, au travail sur la texture oppressante des images, s'ajoute l'art du montage de Scorsese (et de Thelma Schoonmaker), une nouvelle fois en évidence, une nouvelle fois fascinant. Le cinéaste a le don de lacérer la surface de son récit par des coups de cutter totalement imprévisibles, que ceux-ci prennent la forme de remontées de traumatismes ou de soudains décentrages de la perception du réel.

    L'écheveau se fait de plus en plus complexe au fil du récit, par la conjonction des drames du passé, des soupçons de complots au présent et des horreurs redoutées pour l'avenir. L'accumulation des visions et des hallucinations font glisser vers le fantastique. Elles provoquent aussi plusieurs longueurs (certaines séquences sont très étirées menant le film jusqu'à ses 2h17). Le chemin de croix de Teddy Daniels est balisé par toute une série de confrontations, la plupart du temps sans témoins. Ces rencontres-clefs acquièrent une force réelle par la sensation d'isolement matériel et mental qu'elles génèrent : sous le ciel bas et lourd menaçant le ferry, dans le noir des cachots, devant le paysage défilant lors du trajet en jeep. De plus, les champs-contrechamps séparent Daniels de ses interlocuteurs et Scorsese ajoute encore entre eux la grille d'une cellule ou les flammes dans une grotte. Les effets sont appuyés mais ne manquent pas d'efficacité. Le train-fantôme reste, malgré bien des secousses, sur ses rails.

    Garder ainsi en état d'alerte constante le spectateur, tisser sous ses yeux un réseau si dense de potentialités narratives, l'entraîner dans une montée en puissance qui lui fait accepter bien des choses ahurissantes, tout cela implique de négocier le final avec une incroyable aisance, sans quoi la chute risque d'être brutale. Elle l'est. La dernière demie-heure ne tient plus. Elle aligne trois séquences interminables : une explication, une illustration, une coda ambiguë. Défaire une si belle construction en dévoilant un jeu trop riche pour être crédible... Signe de l'échec partiel du film : le twist final ne donne pas envie de le "relire" sous ce nouvel éclairage.

  • L'enfer d'Henri-Georges Clouzot

    (Serge Bromberg et Ruxandra Medrea / France / 2009)

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    enfer19.jpgSerge Bromberg et Ruxandra Medrea ont réalisé ensemble un documentaire des plus classiques sur une œuvre qui ne l'est absolument pas. Ou plutôt, qui ne devait pas l'être. Son tournage ayant été interrompu, en 1964, au bout de trois mois, L'enfer n'a en effet jamais été mené à terme par Henri-Georges Clouzot. Le matériel filmé fut mis au placard et bloqué à la suite d'un litige juridique. Seules quelques secondes des essais réalisés avec Romy Schneider ont été montrées à la télévision dans les années 90, images absolument inoubliables et proprement sidérantes, venant encore renforcer le mythe. A partir de 2005, Serge Bromberg a enfin pu travailler sur la quinzaine d'heures de rushes exhumées des archives. Se retrouvent là, d'une part le résultat des expérimentations préparatoires, réalisées en studio par Clouzot et divers techniciens, artistes ou plasticiens, autour de l'art cinétique, et d'autre part les prises de vues effectuées lors du tournage proprement dit, entamé dans une localité du Massif Central. A ces bobines retrouvées ne vient s'ajouter aucune source sonore, à l'exception d'une courte bande sur laquelle on entend la voix de Serge Reggiani, l'interprète du rôle principal, retravaillée par un audacieux mixage destiné à traduire la folie du personnage.

    Partant de là, en redonnant vie à ce trésor, Bromberg est resté fidèle à son habituelle démarche pédagogique. Prenant en charge le commentaire, il reconstruit le puzzle de L'enfer le plus clairement possible pour les spectateurs. Dans une progression chronologique sans grande surprise, pour retracer l'aventure du tournage et faire comprendre à quoi aurait pu ressembler le film s'il avait été terminé, les co-réalisateurs ajoutent aux plans réalisés par Clouzot d'autres images, de deux types. Tout d'abord, ils intègrent les entretiens qu'ils ont menés avec des témoins de l'époque, de Costa-Gavras au décorateur Jacques Douy. Les souvenirs, les accidents, les contrariétés, les anecdotes et les réflexions générales se succèdent. A ce jeu-là, Bernard Stora se révèle être l'intervenant le plus perspicace, ne s'arrêtant pas aux clichés et au mythe Clouzot. L'autre source consiste en une lecture filmée de certaines pages du scénario, pour lesquelles ne correspondent aucune image. Ce choix a sa logique dans l'optique pédagogique des auteurs mais son utilité est bien contestable si l'on en juge par le manque d'éléments déterminants mis à jour et surtout par le déséquilibre que cela induit dans le récit. Clouzot souhaitait décrire un état pathologique, celui d'un homme rongé par la jalousie, et les détails du scénario ne semblaient pas constituer sa préoccupation première. De plus, ces scènes naviguent entre deux eaux. Elles ne consistent ni en une simple lecture, malgré la nudité du décor et les polycopiés à la main, ni une re-création, malgré le découpage et le ton des comédiens (Bérénice Bejo et Jacques Gamblin). Quitte à garder ces liaisons, n'aurait-il pas fallu proposer une mise en scène plus proche du style du film de Clouzot ? Construit ainsi, en entremêlant trois régimes d'images différents, le documentaire peine à passionner sur la durée de manière égale.

    L'évidence s'impose rapidement : les images des essais et du film de 1964 emportent tout sur leur passage. Un contraste terrible naît du rapprochement entre les interprétations de Gamblin et Bejo et les plans muets de Reggiani et Schneider. Incandescence, irisation, magnétisme... Dire que la beauté de l'actrice, âgée alors de 26 ans, est sublimée par la caméra de Clouzot est encore trop faible. Comme le feu, ce corps provoque l'éblouissement, la chaleur et l'attirance. La main s'avance bien que l'on sache que la brûlure est inévitable. Le cinéaste du Corbeau a tourné pour L'enfer des plans scandaleusement érotiques, des séquences outrageusement sexuelles. Ses expérimentations, telle cette idée du "rouge-à-lèvres" bleu, nimbe les femmes qu'il filme d'une sensualité agressive (Romy Schneider donc, mais aussi Dany Carrel). Il n'est pas jusqu'aux corps de Mario David et Jean-Claude Bercq qui ne soient érotisés à l'extrême.

    Qu'aurait donné le résultat final, si Clouzot avait mené à bien son projet ? Question vertigineuse car à jamais sans réponse. Comme il est impossible d'avancer une quelconque hypothèse, de savoir si tel plan aurait été gardé au montage et si tel essai aurait trouvé sa concrétisation, nous ne pouvons que fantasmer et rêver à un film idéal. Un film mental, physique, scandaleux, révolutionnaire, pourquoi pas ? Mais rien ne dit non plus que Clouzot ne serait pas rentrer dans le rang en gommant toutes les aspérités qui apparaissent ici.

    Bromberg et Medrea ont proposé une certaine mise en forme à partir du scénario original, tout en tentant d'établir un parallèle entre la folie de Marcel et celle de Clouzot. Il me semble que leurs choix de montage n'ont guère été questionnés au moment de la sortie en salles, alors que s'agitent d'habitude critiques et historiens du cinéma dès qu'un film inachevé est exhumé. Sans doute la prudence des auteurs n'incite pas à lancer de vastes débats (le fait de réduire certaines images du film de 1964 à une simple illustration du propos, comme lorsque l'on nous raconte le départ de Reggiani en plein tournage sur les images de l'arrivée de son personnage en voiture, apparaît comme une petite facilité sans grande conséquence). On se dit tout de même au final qu'ils auraient peut-être dû aller au bout de leur désir en donnant à voir leur propre vision de L'enfer, en se débarrassant du documentaire, en ajoutant aux besoin des séquences, et assumer ainsi pleinement le risque de l'incompréhension passagère, voire celui de la trahison. Tel quel, leur ouvrage reste au niveau, certes non négligeable, du beau geste.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • Nanni Moretti (coffret dvd : les premiers films)

    Je suis un autarcique (Io sono un autarchico) (Nanni Moretti / Italie /1976) ■□□□

    Ecce Bombo (Nanni Moretti / Italie /1978) □□

    Sogni d'oro (Nanni Moretti / Italie /1981)

    La Cosa (Nanni Moretti / Italie /1990) □□

    Le jour de la première de Close-up (Il giorno della prima di Close up) (Nanni Moretti / Italie /1995) □□

    Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur (Il grido d'angoscia dell'uccello predatore (20 tagli d'Aprile)) (Nanni Moretti / Italie /2002) □□

    Le journal d'un spectateur (Diaro di uno spettatore) (Nanni Moretti / Italie /2007) □□

    moretti00.jpgConnaissez-vous Michele Apicella ? Vous devez au moins le revoir en jeune député adepte du water-polo (Palombella rossa, 1989)... Avec ce coffret, les Editions Montparnasse ont eu la bonne idée de nous permettre de remonter la piste jusqu'aux premières "vies" de notre homme, qui en connut beaucoup. On le découvre donc ici en comédien de théâtre d'avant-garde, en acteur de cinéma underground puis en cinéaste à la mode. Oui, celui-là même qui sera plus tard professeur de mathématiques (Bianca, 1984) et curé, sous le nom de Don Giulio (La messe est finie, 1985).

    Au cours d'une émission de télévision, qui constitue le morceau de bravoure de Sogni d'oro, Michele s'exclame "Je suis le cinéma, je suis le plus grand !". Ils furent nombreux, dès ses premiers essais et surtout dans les années 80 et 90, ceux qui prirent ces propos pour argent comptant, jusqu'à faire de son créateur-interprète-réalisateur, Nanni Moretti, le génial et unique représentant du cinéma italien. Il est vrai que les coups de pied donnés dans la fourmilière transalpine par le jeune cinéaste (23 ans à l'époque du premier long métrage) furent dès le départ très vigoureux et particulièrement surprenants.

    Ce qui frappe en effet, de Je suis un autarcique à Sogni d'oro, c'est d'une part la méchanceté dont peut faire preuve à l'occasion Michele-Nanni et d'autre part la nature de ses cibles, peu habituées à recevoir de telles critiques dans un cadre cinématographique. Le héros morettien, qui n'est "jamais doux", comme le lui fait remarquer sa femme, est un être souvent au bord de la dépression, cassant, donneur de leçons, tyrannique avec son entourage. La famille est en première ligne. D'un film à l'autre, on entend son envie d'étrangler son petit garçon, on le voit gifler son père ou violenter sa mère. Dans Sogni d'oro, sur son plateau de cinéma, il frappe continuellement son assistant. A cette violence détonante envers les proches s'ajoute des piques féroces, lancées au détour d'une conversation, à l'encontre d'icônes nationales (Nino Manfredi, Alberto Sordi) ou de collègues (Lina Wertmüller). Si le cinéma de Moretti a tant marqué les esprits en Italie, dès ses débuts, c'est en grande partie parce qu'il se permettait d'aller, sur bien des points, contre les convenances. En un sens, pour ce qui est du regard porté sur le monde culturel, Nanni Moretti a filmé ce qu'il aurait pu écrire ailleurs, déplaçant une démarche critique du papier à la pellicule.

    La faible distance qu'a gardé le cinéaste entre lui-même et son double de fiction explique également la répercussion qu'ont eu ses travaux. Sans réaliser encore, à cette époque, de véritable film "à la première personne", il adopte déjà le ton du journal intime ou du moins, fait ressentir fortement l'impression de vécu. En effet, Moretti ne parle que de ce qu'il connaît parfaitement et ses critiques sont formulées de l'intérieur : il est dans la petite bourgeoisie romaine, dans la gauche italienne, dans le monde du cinéma. Ce choix implique que l'auteur lui-même reçoive sa part de reproches et, effectivement, l'auto-ironie de Nanni Moretti est constante, repoussant ainsi le spectre du ressentiment fielleux.

    Aussi passionnante soit-elle, la découverte groupée de ses trois premiers films laisse tout de même penser que, vu séparément et de manière totalement détachée des autres, chaque titre ne doit pas avoir la même prestance. En tout cas, une progression qualitative se dessine de façon évidente et le résultat donne raison à Moretti qui aimait à dire, dans les années 80 : "J'espère faire toujours le même film, si possible toujours plus beau".

    autarcique5.jpgJe suis un autarcique laisse ainsi mitigé. Soumis aux contraintes du super-8 (brièveté des plans, fixité du cadre et absence de son direct), il prouve qu'avec peu, on peut arriver à faire sinon beaucoup, du moins quelque chose. Il est certain qu'entre deux blagues de potaches (très cultivés), Moretti parvient à capter un air du temps et, par moments, un mouvement réellement cinématographique mais son film est avant tout une succession de sketchs donnant une (fausse) impression d'improvisation entre amis. Peu séduisante esthétiquement, l'œuvre donne à voir plusieurs tentatives burlesques peu vigoureuses et mal assurées. Si l'on sourit assez souvent devant cette satire du théâtre d'avant-garde, on s'ennuie aussi parfois, comme lors d'un interminable stage en plein air. De plus, Je suis un autarcique est un film qui s'auto-analyse constamment, via l'aventure théâtrale qu'il raconte, qui s'auto-critique et qui finit par épuiser en quelque sorte la capacité personnelle du spectateur à juger par lui-même.

    ecce5.jpgEcce Bombo, qui pourrait être la suite du précédent, permet de retrouver les mêmes acteurs, regroupés ici en un club d'auto-conscience. L'observation d'un milieu est toujours la principale qualité du film mais la vision s'élargit, se faisant plus générationnelle, moins chargée de références et donc moins soumise à l'incompréhension due à l'éloignement dans le temps. La construction se fait à nouveau par saynètes mais celles-ci sont plus harmonieusement liées et plus fermement mises en scène. La distanciation de certaines est appréciable, Moretti entamant presque un dialogue direct avec le spectateur et utilisant la musique, la télévision et le cinéma comme autant d'éléments médiateurs de sa réflexion. Le désœuvrement et l'apathie de la jeunesse qu'il dépeint sont savoureusement moqués sans toutefois parvenir à éviter totalement un certain affaissement du récit. Le glissement vers la gravité qui s'opère alors donne au film de l'ampleur mais en diminue la vigueur. Le meilleur d'Ecce Bombo est à chercher en fait là où Nanni-Michele est le plus insupportable : en famille, entre les cris et les giffles.

    sogni5.jpgMoretti a réalisé avec beaucoup plus de moyens Sogni d'oro. A lui Cinecitta, la Dolly et les mouvements d'appareils complexes... Le ton et les thèmes restent pourtant globalement les mêmes : difficultés à communiquer avec les autres autrement que par la violence des mots et des gestes, douleur de filmer, douleur de vivre. Entre les rires diffuse une tristesse certaine qui, alliée à une critique dévastatrice de la télévision, libère un parfum fellinien, le cinéaste des Vitelloni et de Ginger et Fred étant d'ailleurs le seul grand nom cité, explicitement ou pas, dans ces trois films de Moretti, sans aucune méchanceté. Avantageusement, le jeu avec les codes du cinéma remplace souvent, dans Sogni d'oro, les allusions à telle ou telle personnalité culturelle de l'époque. Le propos s'approfondit et la narration se complexifie. Des chutes de tension persistent mais se font moins brutales que par le passé et, gagnant en fluidité, le récit se fait enfin totalement cinématographique. Il reste à Moretti encore un peu de chemin à faire, à éviter notamment que certains gags ne tombent à plat. Avec Sogni d'oro, son cinéma est tout de même, cette fois, bien en place.

    La jaquette du présent coffret, qui annonce les "premiers films de Nanni Moretti", est pour un quart trompeuse. En effet, les courts métrages compilés ne sont pas, comme l'on pouvait s'y attendre, les premières tentatives du cinéaste (La sconfitta, 1973, Pâté de bourgeois, 1973, Comi parli frate ?, 1974) mais un groupe de films réalisés entre 1989 et 2007, soit bien après les "débuts". Si chacun présente un intérêt, cette rupture temporelle met à mal la cohérence éditoriale et il aurait été plus appréciable de disposer sur la quatrième galette de Bianca, dernier long métrage méconnu, avant la reconnaissance internationale apportée par La messe est finie (mais il est vrai que le film est édité par ailleurs).

    oiseau1.jpgLe jour de la première de Close-up est une amusante pastille (déjà présente dans l'édition dvd du film d'Abbas Kiarostami), une poignée de scènes comiques, basées sur le perfectionnisme de Nanni Moretti directeur de salle de cinéma. Ce court souffre tout de même quelque peu d'un tournage en vidéo plutôt "relâché". Les trois minutes du Journal d'un spectateur (l'un des segments du programme collectif Chacun son cinéma) sont plus rigoureuses. Assis au milieu de salles vides, Moretti se rappelle de quelques projections mémorables, de celle du Ciel peut attendre à celle de Rocky Balboa. S'affirment là son sens du cadrage et son don pour la chute. Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur est lui un montage de 25 minutes réalisé à partir de séquences non retenues pour Aprile (1998). Malgré la recherche d'une chronologie, ce bout à bout peine à se muer en récit véritable. Le long métrage était lui-même construit de manière assez libre et son appendice propose une série de scènes et d'allusions pas toujours faciles à saisir. Il faut donc y picorer, souvent avec bonheur, comme lorsque l'on retrouve cette image restée dans les mémoires de Moretti tenant son bébé endormi sur son épaule et qui discoure cette fois sur le nouveau gouvernement de centre-gauche fraîchement installé au pouvoir.

    cosa2.jpgDans le corpus mis en avant ici, La Cosa est un morceau de choix, par sa longueur et sa singularité. Il s'agit d'un "pur" documentaire, sans intervention du cinéaste à l'image ou sur la bande son, qui s'attache à enregistrer la parole des militants du Parti Communiste Italien pendant l'hiver 1989, au moment où ont lieu les secousses que l'on sait du côté de l'Europe de l'Est et où la question se pose d'un changement de nom et d'un glissement vers la sociale-démocratie. Le film, commençant de manière plutôt frustrante (les interventions sont coupées très courtes, au risque du catalogue), trouve peu à peu son rythme, s'appuyant sur les différences d'élocution, de parcours et de ressentis, éclairant le poids du passé et les craintes de l'avenir. Il faut accepter une certaine répétition et un dispositif rudimentaire et attendre les quelques secondes finales pour que Moretti laisse enfin sa patte sur le travail. Ce n'est pas grand chose : un brouhaha soudain après tant de discours posés, des bribes de conversation véhémentes, inaudibles. Cela suffit pour brouiller les pistes, pour glisser du scepticisme, pour garder cette position du poil à gratter de la gauche. Cela suffit aussi, dans notre optique, pour faire le lien avec les débuts du cinéaste, pour boucler la boucle de ce voyage chez Nanni Moretti.

     

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