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Nightswimming - Page 81

  • L'exorciste & L'exorciste II : L'hérétique

    (William Friedkin / Etats-Unis / 1973 & John Boorman / Etats-Unis / 1977)

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    A sa sortie, L'exorciste (The exorcist) fit un triomphe au box-office (fin 73 aux Etats-Unis et à la rentrée 74 en France). En 77/78, L'exorciste II : L'hérétique (The exorcist II : The heretic), après un bon démarrage, s'effondra rapidement. La critique française, dans son ensemble, reçu avec mépris le film de Friedkin. Celui de Boorman, bien que malmené lui aussi, trouva en revanche plusieurs défenseurs acharnés. Je n'avais encore jamais vu L'hérétique et, malgré la forte impression que m'avaient laissés, adolescent, French Connection et L'Exorciste, cette phrase lue dans 50 ans de cinéma américain (Coursodon / Tavernier) m'est toujours restée en tête : "Ces deux films ont la particularité d'avoir eu, l'un et l'autre, une suite nettement plus intéressante mais beaucoup moins lucrative". Pour Positif, le second volet de L'Exorciste, signé d'un "auteur maison", surclassait alors largement le premier (couverture et 20 pages d'entretien en février 78). Pour Télérama, assez récemment encore, Boorman évitait "le Grand-Guignol, les effets sonores et le réalisme ordurier dans lesquels Friedkin s'était vautré". Cependant, depuis quelques années, la fortune critique des deux cinéastes semble avoir évolué de manière opposée. Friedkin, après une longue période de purgatoire a été remis au premier plan suite, notamment, à la réussite de Bug et a été progressivement ré-évalué par des critiques d'une autre génération, se rappelant probablement d'un choc de jeunesse (Thoret, Vachaud, Maubreuil...). La figure de Boorman, devient quand à elle de moins en moins visible, en partie à cause de la non-distribution en salles de ses deux derniers films en date. Malgré ce récent état de fait, je m'attendais donc à revoir tout d'abord un produit efficace mais douteux, voire répugnant, puis une œuvre profonde, inspirée et éminemment poétique de l'autre. Et il y a de ça. Seulement, au final, le jugement de valeur et l'intérêt suscité n'obéissent pas forcément à la logique de la supposée supériorité de l'imaginaire visionnaire sur l'horreur bassement réaliste.

    exorcist.jpgLa première heure de L'exorciste relate très peu d'événements et place tout juste, de ci de là, quelques signes rendus volontairement énigmatiques par le défaut d'explication données, par l'éclatement spatio-temporel du récit et par la suspension de la plupart des séquences au sein desquelles ils apparaissent (nous retrouverons plus loin ce procédé). Il ne s'y passe donc pas grand chose mais ce prologue décrivant des fouilles archéologiques en Irak, ce suivi des faits et gestes d'un ecclésiastique en pleine crise de foi et ces scènes de famille à la teneur quasi-documentaire intriguent fortement par le parallélisme imposé par le montage. Friedkin joue du flottement et de l'attente du spectateur, multipliant en ces endroits les ellipses étonnantes (la mort de la mère du Père Karras, par exemple), reportant au plus tard possible le croisement des différentes trajectoires qu'il décrit. Ces trouées et ces prolongations nous laissent dans l'expectative, nous laissent aussi, parfois, dubitatifs (a-t-on là des défauts de construction ou pas ?). Mais le maillage tient pourtant, et l'étrange réalisme de Friedkin (ainsi que la qualité d'ensemble de l'interprétation) fait que l'on s'attache à ces personnages. Par conséquent - mais n'est-ce pas un mécanisme de protection de notre part, redoutant le pire, pourtant connu ? -, plus que la possession elle-même, ce sont les rapports de chacun (scientifique, prêtre, mère de famille) avec la notion d'exorcisme qui passionnent.

    La progression orchestrée par le cinéaste est infaillible, celui-ci sachant exactement comment atteindre son but : estomaquer le spectateur. Au calme plat de la première partie, succède une montée de la tension par paliers, avant les débordements de la dernière demi-heure. L'univers du film, si éclaté au départ, se compresse progressivement à l'échelle de la maison de Georgetown et de la chambre de Regan, décor qui nous est remarquablement rendu présent.

    Friedkin réaliste, mais aussi, Friedkin accrocheur (raccoleur ?). Afin de nous saisir, il n'hésite aucunement à avoir recours à une esthétique du choc. La surenchère ordurière, verbale et physique, ne l'effraie pas (de là vient le rejet des critiques de l'époque : la "vulgarité" du style), la recherche de l'effet non plus. Il n'est dès lors pas étonnant que le film marque autant l'esprit à la première vision. A la seconde, se remarque l'usage d'un procédé expliquant lui aussi l'impact : Friedkin coupe toutes ses séquences à sensation à leur acmé, refusant de les laisser retomber, ne les laissant jamais se dénouer, enchaînant brutalement sur un autre lieu. D'où l'état de sidération du spectateur.

    L'efficacité et le spectaculaire assurent le maintien du statut de classique (malgré le fait que celui-ci ne soit finalement plus vraiment terrifiant). Ils ont aussi tendance à brouiller partiellement la réflexion. Le fond idéologique de L'exorciste apparaît trouble, peu aimable, sans que, là aussi, on ne distingue très bien ce qui échappe à Friedkin et ce qui lui est propre. Ce sont les médecins qui proposent l'exorcisme à la mère de Regan et les prêtres se sacrifient pour aider les flics à faire leur boulot. Science, religion et police ne s'opposent jamais, ne s'excluent pas mais s'épaulent pour le retour à l'ordre.

    Mais les soubassements douteux n'aboutissent pas toujours à de mauvais films...

    heretic.jpg... et les bonnes intentions suffisent rarement à faire les meilleurs.

    L'hérétique semble d'abord s'engouffrer dans l'une des zones d'ombre du précédent. Un nouveau protagoniste, le Père Lamont (Richard Burton, perdu), doit enquêter sur les circonstances exactes de la mort du Père Merrin, quatre ans auparavant. Pour cela, par télépathie, il voyage dans les souvenirs de Regan et se retrouve propulsé dans plusieurs dimensions, prenant part à une lutte entre le bien et le mal, lutte aux racines ancestrales (africaines) déjà étudiées par le Père Merrin (Max Von Sydow rempile donc pour quelques flash backs).

    En 77, les admirateurs de Boorman n'ont qu'un mot à la bouche : "Visionnaire". La conscience qu'en a le cinéaste lui-même se traduit par plusieurs choix.

    Tout d'abord, l'image doit constamment se dépasser elle-même pour accéder à un état de transe cinématographique. La technique est à la pointe (steadycam utilisée pour la première fois dans des séquences aussi longues), les décors sont stylisés (nature africaine recréée en studio) et futuristes (le laboratoire et l'appartement de Regan sont si modernes qu'ils en paraissent aujourd'hui affreusement démodés), les acteurs sont poussés vers la tension immédiate, l'éclat fiévreux, l'expression sans détour. Le risque est grand car si la transe n'est pas partagée par le spectateur, le mouvement créé devient simple manège.

    Ensuite, ce cinéma hyper-visuel est supposé faire avaler toutes les aberrations du scénario. L'effacement poétique des distances par la mise en scène ne rend pas moins incohérents les rebondissements et les allers-retours des personnages entre New York et Washington, entre l'Ethiopie et les Etats-Unis. De plus, à trop travailler l'image, il arrive que l'on en oublie d'écrire des dialogues un tant soit peu corrects et crédibles.

    Enfin, Boorman, qui fait alors son film contre le premier volet (il ne l'aime pas), sait voir au-delà de l'illusion religieuse et de la raison scientifique. Ici, les deux blocs (la police est absente, l'institution, le social, n'intéressent pas le cinéaste) sont réellement renvoyés dos à dos et dépassés par une force plus haute, plus poétique, métaphysique. Cela nous vaut un salmigondis extra-sensoriel qui rend incompréhensible le déroulement du récit dans son final (faute d'attention de notre part aussi, certainement).

    Un point positif ? Boorman parvient à révéler l'érotisme d'une Linda Blair qui a bien grandi, d'abord subtilement en la filmant régulièrement en chemise de nuit valorisante avant de le faire plus franchement lors du dénouement qui la jette, provocante et possédée, dans les bras de Burton.

    Personnellement, L'hérétique m'apporte une confirmation : John Boorman est tantôt génial ou du moins excellent (Le point de non retour, Duel dans le Pacifique, Leo the last, Délivrance, Hope and glory, Le Général, Tailor of Panama), tantôt terriblement assommant (Zardoz, L'hérétique, La forêt d'émeraude, Rangoon). Il ne connaît pas l'entre-deux.

  • En famille (2)

    corniaud.jpgLe Corniaud n'est pas désagréable dans sa première heure y compris sous son aspect touristique (la séquence documentaire de la cadillac avançant au pas au milieu de la foule des ruelles napolitaines, les vues de Rome...), du moins jusqu'à ce qu'il se rapproche des personnages italiens, aussitôt traînés dans les pires clichés. Reconnaissons aussi que quelques gags portent.

    La mise en scène est purement fonctionnelle lorsqu'il s'agit de faire rire, elle est transparente, voire calamiteuse, dans les transitions. La poursuite automobile entre les deux groupes de truands est ainsi montée en dépit du bon sens et composée d'images en accéléré, d'horribles raccords et de plans tournés alternativement de jour et de nuit ! Elle débouche heureusement sur la scène de l'affrontement nocturne dans le parc, plutôt réussie, grâce à deux ou trois heureuses trouvailles comiques (De Funès se croyant tenu en joue par son adversaire alors qu'il n'a fait que reculer vers une statue pointant son doigt, meilleur gag du film, ou le chassé-croisé à la Tex Avery dans le tronc creux d'un arbre).

    Au bout d'un moment, le film devient tout de même franchement médiocre, jusqu'à la fin, le "retournement" vengeur du personnage de Bourvil à l'égard de ses poursuivants et de celui qui l'a trompé étant parfaitement nul. Tout du long, l'acteur est lui-même peu supportable (De Funès est inégal mais a ses intuitions). Ses scènes d'amourettes sont d'une grande niaiserie, parfois même d'une bêtise confondante.

    Mais le film fait rire allègrement les plus jeunes...

    stagecoach.jpgComme on me le fit remarquer à son terme, La chevauchée fantastique ne propose finalement "pas beaucoup d'aventures", seule l'anthologique attaque de la diligence par les Indiens pouvant être décrite comme telle. Le classique de Ford dispose une série de figures comme autant d'archétypes : la façon dont chaque voyageur est présenté au début de l'histoire, en le caractérisant avec beaucoup de vigueur et de netteté, est en cela très significative, sans même parler du cadre (la petite ville puis le désert), de la simplicité de l'argument, des différents évènements parsemant le périple.

    Du point de vue narratif, cela rend parfois le déroulement un peu mécanique mais au niveau des personnages, ces hommes et ces femmes si "typés" au départ se voient magistralement "humanisés" par John Ford. Il n'y a qu'à voir la scène du repas lors de la première halte. Ringo Kid installe en bout de table Dallas mais Mrs Mallory et son "protecteur", le trouble Hatfield, se lèvent aussitôt pour s'éloigner. Une dame de la bonne société ne saurait se retrouver assise à côté d'une prostituée. Nous voilà choqués par cet ostracisme (d'autant plus qu'au sein de ce couple attachant qui est en train de se former, Ringo pense, à tort, que c'est lui, le fugitif, que l'on repousse) et prêts à mépriser ces Sudistes sans cœur. Or, après les plaintes, dents serrées, de Ringo et Dallas, que nous montre Ford ? Mrs Mallory et Hatfield à l'autre bout de la table, évocant avec émotion et retenue un passé commun que l'on imagine douloureux même si leurs propos restent flous pour le spectateur. Le recours à l'archétype n'implique pas forcément le manichéisme.

    John Wayne en Ringo Kid apparaît jeune mais en quelque sorte déjà mûr. Le regard qu'il porte sur Dallas (Claire Trevor), fille de mauvaise vie, n'est pas naïf mais droit (il a décidé de l'aimer et ce n'est pas ce qu'il pourra apprendre de sa condition réelle qui le fera changer d'avis). Toutes les scènes, y compris les premières, les réunissant dégagent une incroyable émotion.

    La chevauchée fantastique est célèbre pour l'attaque déjà évoquée (qui garde, il est vrai, toute sa force aujourd'hui encore) et pour ses plans de Monument Valley. On y trouve aussi du théâtre avec une orchestration rigoureuse dans des espaces réduits et, en certains endroits, de beaux exemples plastiques de l'expressionnisme fordien. On y trouve aussi, dans le final, ce mouvement incroyable de Wayne plongeant à terre pour tirer, lors de son face à face avec les trois frères Plummer et une ellipse foudroyante différant notre connaissance du dénouement.

    toystory3.jpgToy story 3 est une source de plaisir continu. Il s'agit d'abord d'un film d'évasion mené à un rythme époustouflant (tout en gardant une lisibilité totale de l'action et l'espace nécessaire à l'approfondissement des personnages). Ensuite, il propose quelques images stupéfiantes, notamment lors de la longue séquence de la décharge avec ses sublimes visions de l'Enfer. La projection en 3D ne donne pas exactement le vertige mais la technique se révèle tout à fait appropriée pour ce film jouant sur l'animation de jouets et donc sur les changements d'échelle. Cette différence de perception autorise à trouver de la beauté et de l'étrangeté à un décor à priori banal ou criard comme le sont les salles de la garderie Sunnyside. Une machine vulgaire, telle un distributeur de friandises, peut de la même façon devenir un fantastique refuge à explorer.

    C'est également un film de groupe, le formidable travail d'écriture et l'invention dans l'animation permettant de développer les différents caractères sans qu'aucun protagoniste ne donne l'impression de faire son numéro au détriment de l'équipe, même lorsqu'il a son "temps fort" (et il y en a, parmi lesquels l'irrésistible histoire d'amour entre les fashion victims Ken et Barbie). Dans la duplicité de certains, dans la volonté de faire d'un nounours et d'un poupon les méchants de l'histoire, de filmer des bambins comme des monstres détruisant tout sur leur passage et de faire de Sunnyside une prison, se niche l'idée d'un retournement. Ces renversements sont grâcieusement réalisés et ne font pas verser le récit dans le second degré et l'ironie facile à destination unique des adultes.

    Dernier tour de force réalisé : développer un discours sensible sur l'adieu à l'enfance, sur la séparation nécessaire, sur la transmission et sur les valeurs d'une communauté sans tomber dans la mièvrerie. Message à tendance conservatrice, certes... comme chez Ford.

    PS : Je me souviens très mal du premier volet et je n'avais pas vu le deuxième. 

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    Le Corniaud (Gérard Oury / France - Italie / 1965) / ■□□□

    La chevauchée fantastique (Stagecoach) (John Ford / Etats-Unis / 1939) / ■■■□

    Toy Story 3 (Lee Unkrich / Etats-Unis / 2010) / ■■■□

  • Neil Young : Heart of gold

    (Jonathan Demme / Etats-Unis / 2006)

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    neilyoung.jpgEn août 2005, l'année de ses 60 ans, Neil Young remonte sur scène à Nashville après plusieurs mois d'absence, suite à une rupture d'anévrisme et un opération au cerveau. Il y joue les morceaux de Prairie wind, l'album qu'il vient de publier, ainsi qu'une poignée de ses classiques. Le concert est filmé par l'un des cinéastes sachant le mieux mettre en valeur la musique devant une caméra : Jonathan Demme.

    Demme a tout d'abord l'intelligence de faire simple. Le contexte est posé en cinq minutes, par le montage de bribes d'entretiens réalisés à la volée auprés des divers musiciens réunis autour de Young pour ce projet. Le concert peut ensuite débuter et rien ne viendra le perturber jusqu'au dernier morceau. Englobant le lever de rideau et le début de la première chanson, le plan introductif donne le ton, lent travelling avant et discrètement aérien. Demme refuse de hacher les séquences, d'étaler sa virtuosité et de s'enivrer de ses moyens techniques. Sur différentes échelles, cadrant toute la scène ou le chanteur de manière reserrée, les plans longs sont la norme (The needle and the damage done, chanson certes la plus courte du lot, tient d'ailleurs en un seul). La mise en scène se met entièrement au service de la musique, lui offrant un écrin sobre, fluide, calme, la faisant entendre au spectateur de la plus belle des manières. Les performances enregistrées par Jim Jarmusch pour Year of the horse (1997) souffraient d'être entrecoupées d'intermèdes sans grand intérêt, celle qui le fut  par Young lui-même pour Rust never sleeps (1979) ne bénéficiait pas d'une image particulièrement soignée. A ces deux tentatives précédentes, on préfère donc largement ce Heart of gold.

    Le show se déroule en deux parties distinctes (la reprise du même lent mouvement avant de la caméra qu'au début du concert signale l'ouverture du second temps), sans que l'une paraisse inférieure à l'autre. Neil Young, en effet, a toujours cette vigueur qui lui permet d'aligner de récents morceaux qui ne déparent nullement aux côtés de ses classiques des périodes précédentes. Difficile d'imaginer les Stones ou Dylan faire de même. Ici, The painter, This old guitar, Far from home et le formidable Prairie wind ont la même tenue que les impérissables Old man ou Comes a time. Le cadre (une salle mythique de Nashville), la moyenne d'âge des musiciens et les allusions de Young aux grands noms de la country ne doivent pas laisser penser à un spectacle confortablement passéiste (voire réactionnaire, selon l'étiquette qui colle abusivement au genre et à la ville). Le parcours du musicien depuis les années 60, navigant constamment entre tradition et modernité, des ballades folk aux défèrlements bruitistes, le met à l'abri d'une telle tentation. Sur scène, alors qu'il chante toujours avec la même ferveur, nous l'observons et le sentons entouré de ses multiples fantômes, souriant. Loin de l'entraver, ceux-ci semblent encore le pousser vers la vie et une création inépuisable.

     

    A lire aussi : cette note très informée et passionnée.

  • Bougie

    Tiens, cela fait trois ans, cette semaine, que je m'échine sur ce blog, avec un rythme de plus en plus chaotique. Même une période de vacances ne m'a pas permis d'enchaîner les publications comme je l'aurai souhaité et le temps me manque cruellement pour lire et commenter les notes de mes voisins, y compris celles de mes liens "historiques" qui se reconnaîtront. Je parlerai tout de même en de prochaines occasions, d'un concert filmé dans un temple de la country, d'un classique du western toujours vaillant, d'un classique de la comédie française toujours médiocre, de jouets animés avec éclat et des mérites comparés de deux fameuses séances d'exorcisme. Il est même fort probable que soit publié avant la rentrée quelque chose qui ressemble à une deuxième partie du chantier collectif des Cahiers Positif(s). Nous verrons alors si ce blog peut retrouver son rythme de croisière...

  • POLICIER, adjectif.

    (Corneliu Porumboiu / Roumanie / 2009)

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    policieradj.jpg- ARGUMENT, nom. Résumé, trame narrative d'une œuvre lttéraire, théâtrale, cinématographique, chorégraphique ou lyrique.

    Pendant huit jours, Cristi, un jeune policier, surveille un lycéen soupçonné de revendre du haschich. Manquant de preuves et estimant que la loi roumaine est dépassée, il s'oppose à l'idée d'une arrestation en flagrant délit qui enverrait un simple consommateur en prison. Avec l'aide d'un dictionnaire, son supérieur s'appliquera à lui forcer la main.

    - ENNUI, nom. Lassitude, abattement provoqués par l'inaction et le désintérêt.

    Les plans s'étirent et se répètent, donnant à voir la filature réalisée par Cristi. La mise en scène se cale sur son rythme. La caméra l'accompagne dans sa marche, dans ses planques, caché derrière un pan de mur, un poteau, un grillage. La journée terminée, on le voit repasser à son bureau, préparer son compte-rendu, puis rentrer tardivement chez lui où sa femme a déjà mangé depuis longtemps. Pas de musique, pas d'effet visuel, les mouvements de caméra se limitent à de sobres panoramiques suivant les déplacements des protagonistes d'un coin de rue à un autre. Dès les premières secondes, Porumboiu nous prévient de ce que sera son film et au fil du temps, il semble user de quelques provocations, tel ce long plan séquence frontal sur Cristi prenant son repas. Le cinéaste prend le risque de l'ennui, du soupir, du fauteuil qui claque. Pourtant, nous restons accrochés et très vite, on sent que du "rien" peut naître "quelque chose".

    - BORNER, verbe. Délimiter à l'aide de bornes, marquer des limites.

    Ces plans séquences donnant l'illusion d'un "temps réel" ne peuvent cependant pas être qualifiés d'interminables. Ils ont tous un terme, et souvent, un terme annoncé. L'architecture de la ville conditionne la durée des panoramiques accompagnant le suspect suivi du policier. Entre collègues ou du supérieur au subordonné, on se donne des horaires impératifs ou l'on précise le temps qu'il faut attendre : Cristi, pressé, demande, grâce à son portable, à la secrétaire qu'il attend devant la porte fermée de son bureau si elle peut arriver dans "pas plus de cinq minutes" et nous savons que nous allons devoir patienter avec lui dans le couloir ce temps-là ; le patron veut prendre le temps de lire le rapport de Cristi avant de le laisser entrer et nous savons que nous allons devoir poireauter également. Les journées elles-mêmes sont encadrées et comme remises à plat par la relecture intégrale que Cristi nous fait de chaque compte-rendu.

    - CONNIVENCE, nom. Complicité, entente secrète.

    Devant ces situations, le rire nerveux devient vite rire de connivence. La séquence, que je viens juste d'évoquer, de "l'antichambre" du chef de la police, avec sa secrétaire de mauvaise humeur tapotant sur son clavier, ce collègue demandant des journaux qu'il a en fait déjà lu, et un Cristi impassible, provoque un rire étonnant, un rire de l'attente. Plus tôt, il y a un rire de la répétition, lorsque Cristi mange seul dans sa cuisine alors que sa femme, reléguée dans le hors-champ, écoute trois fois de suite une chanson à l'eau de rose sur son ordinateur. Notons bien que la séquence va beaucoup plus loin que ce simple plaisir humoristique et qu'elle se révèle primordiale. En effet, la femme de Cristi, une fois que ce dernier l'a rejointe, se lance dans une analyse destinée à démontrer que les paroles de cette chanson ne sont pas si idiotes que cela. Non seulement le personnage est ainsi éclairé d'une façon inattendue et le dénouement du film, basé sur la sémantique, est annoncé, mais l'idée de l'anodin dégageant finalement un signification est formulée.

    - POLICIER, adjectif. Film, roman policier, dont l'intrigue repose sur une enquête menée à l'occasion d'un crime ou d'un délit.

    Certains plans nous font partager exactement le regard que porte Cristi sur le suspect et son environnement. Mais contrairement à ce qu'il se passe chez Haneke par exemple, il n'y a rien à débusquer, il n'y a que du réel, du temps. Et cela Cristi le sait, lui qui s'efforce, devant son supérieur, d'orienter l'enquête vers d'autres pistes. Pas de mystère à élucider, pas de suspense policier dans cette affaire et donc dans ce film qui se dirige plutôt vers un questionnement sur la morale, la loi et la conscience, abordé de magistrale façon dans un incroyable dénouement qui nous renverse en deux plans séquences fixes successifs cadrant trois personnes devisant dans un bureau. L'absence d'enjeux importants du point de vue narratif fait que le cheminement aboutissant à cette réflexion ne semble jamais surligné et si le récit ne s'est pas transformé en machinerie policière, Porumboiu est parvenu, à partir d'une série de séquences anodines à créer un objet cinématographique assez fascinant. On peut filmer "du vide", il suffit en fait que l'on sente une direction, un but, une idée, que l'image nous fasse une promesse...

    - CONFIRMATION, nom. Acte, fait, élément qui vient confirmer une opinion, un sentiment, une théorie, un état, etc.

    Venant après 12h08 à l'est de Bucarest, POLICIER, adjectif. (Politist, adjectiv) est le deuxième long métrage de Corneliu Porumboiu, cinéaste roumain de 34 ans.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1986)

    Suite du flashback.

     

    cdc387.jpgPOS300.JPG1986 : Année française. La production nationale s'avérant exceptionnelle, les pages principales des revues accueillent des textes et des entretiens portant d'un côté sur Inspecteur Lavardin (Chabrol), Tenue de soirée (Blier), Maine Océan (Rozier), Gardien de nuit (Limosin), Désordre (Assayas), Mauvais sang (Carax), de l'autre sur L'effrontée (Miller), L'amant magnifique (Issermann), Le Paltoquet (Deville), Autour de minuit (Tavernier), Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (Rohmer) et, conjointement, sur Thérèse (Cavalier), Mélo (Resnais), Le rayon vert (Rohmer), Double messieurs (Stévenin), La puritaine (Doillon).
    En dehors du cinéma français, d'autres points de rencontre importants sont à noter : autour de Ginger et Fred (Fellini), du Bateau-phare (Skolimowski), de La légende de la forteresse de Souram (Paradjanov) et surtout du Sacrifice de Tarkovski qui bénéficie dans les deux revues de copieux ensembles de textes.
    Les Cahiers rendent hommage à Roger Leenhardt et à Coluche, publient des entretiens avec  Manoel de Oliveira (Le soulier de satin), Jim Jarmusch (Down by law), Gilles Deleuze, Michel Piccoli et Gérard Depardieu, s'interrogent sur l'avenir du cinéma américain et sur la façon de filmer le football.
    Positif présente Mitsuo Yanagimachi (Les feux d'Himatsuri), Fredi M. Murer (L'âme sœur), Axel Corti (Welcome in Vienna) et Alexei Guerman, tout en restant fidèle à Huston (L'honneur des Prizzi), Altman (Secret honor), Reisz (Sweet dreams), Pollack (Out of Africa) et Monicelli (Pourvu que ce soit une fille). Enfin, la revue commence en ce temps-là à concocter un dossier pour quasiment chaque numéro. En cette année 86, ils portent sur les "primitifs" (de Lumière à Linder), sur les acteurs français, sur Mario Camerini, sur Peter Greenaway, sur le cinéma espagnol, sur le cinéma et la BD, sur Jean Negulesco, sur Ritwik Gathak et sur les cinémas soviétiques.

     

    Janvier : Le soulier de satin (Manoel de Oliveira, Cahiers du Cinéma n°379) /vs/ Fool for love (Robert Altman, Positif n°299)

    Février : Ginger et Fred (Federico Fellini, C380) /vs/ Mélo (Alain Resnais, P300)

    Mars : Contes cruels de la jeunesse (Nagisa Oshima, C381) /vs/ Sweet dreams (Karel Reisz, P301)

    Avril : Tenue de soirée (Bertrand Blier, C382) /vs/ Z.O.O. (Peter Greenaway, P302)

    Mai : Le lieu du crime (André Téchiné, C383-384) /vs/ After hours (Martin Scorsese, P303)

    Juin : Le sacrifice (Andreï Tarkovski, C385) /vs/ Le sacrifice (Andreï Tarkovski, P304)

    Eté : Coluche (C386) /vs/ Illusions perdues (Ernst Lubitsch, P305-306)

    Septembre : Thérèse (Alain Cavalier, C387) /vs/ Autour de minuit (Bertrand Tavernier, P307)

    Octobre : Top gun (Tony Scott, C388) /vs/ Double messieurs (Jean-François Stévenin, P308)

    Novembre : Mauvais sang (Leos Carax, C389) /vs/ Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (Eric Rohmer, P309)

    Décembre : Le sixième jour (Youssef Chahine, C390) /vs/ Brigadoon (Vincente Minnelli, P310)

     

    cdc389.jpgPOS309.JPGQuitte à choisir : Du côté des Cahiers, quelques lacunes personnelles m'empêchent de juger le Téchiné, le Oliveira et le Chahine (cependant, je ne connais pas mieux Fool for love, ni Sweet dreams) mais, sans même évoquer ma passion plutôt mesurée pour ce Fellini et cet Oshima-là, les deux couvertures accrocheuses de juillet et d'octobre (entre Thérèse et Mauvais sang !) me laissent sceptique.  En face, rien ne me semble déplacé. Allez, pour 1986 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma