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Nightswimming - Page 77

  • Somewhere

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    - Tiens... on dirait que la chasse est ouverte. Chacun y va de son petit mot cassant à l'encontre de la jeune et riche héritière.

    - Oui et bien ne comptez pas sur moi pour y participer !

     

    Une défense de Somewhere, en écoutant les Strokes.

     

    Is this it

    Ce qu'il faut retenir du déjà fameux premier plan du nouveau film de Sofia Coppola, ce n'est peut-être pas tant le manège répétitif de la Ferrari noire de Johnny Marco que son arrêt soudain devant nous, sans raison particulière.

    Végétant à l'hôtel Château Marmont de Los Angeles, la star ne se lance dans des projets ou ne se soumet qu'à des activités qui, immanquablement, tournent court. Suivre une belle blonde en décapotable n'aboutit à rien, partir en balade mène à la panne de voiture, se lancer dans une partie de jambes en l'air provoque l'endormissement, accepter de se faire masser par un homme entraîne une inquiétude insurmontable. Il n'est alors pas étonnant qu'un aveu attendu, si important, soit formulé mais pas entendu, recouvert qu'il est par le bruit d'un hélicoptère. La remise d'un prix en Italie apportait pourtant la promesse d'un dépaysement libérateur mais là aussi, le discours de remerciement est court-circuité par un numéro berlusconien de danseuses sexys et, l'insatisfaction étant la même à Milan qu'à Hollywood, une nouvelle fuite s'impose.

    En s'inscrivant dans ce registre, en ponctuant la quasi-totalité de ses séquences par ces petites déconvenues, en les stoppant là où le mouvement s'arrête, contrarié, Sofia Coppola prend le risque de la déception. L'exercice est d'autant plus périlleux que, notre point de vue devant épouser celui du héros, l'image ne doit pas trop stimuler l'œil ni le son ambiant trop flatter l'oreille (ainsi, les scènes avec les stripteaseuses laissent entendre les crissements des mains sur les barres et maintiennent la musique à l'arrière-plan sonore, non mixée, sortant directement du lecteur CD posé à terre). La cinéaste doit donc faire preuve de discrétion sans trop abdiquer pour autant sur le terrain de la forme.

    Room on fire

    Sofia Coppola a toujours eu le talent de transformer une suite de saynètes en touchant récit impressionniste. Cet art de la vignette s’adapte parfaitement au sujet choisi car il concourt à relayer la perception fragmentaire du personnage principal. Celui-ci, dont les emplois du temps sont dictés par une invisible assistante, ne cesse de voir les choses lui échapper, se dérober progressivement. Et nous avec. Nous apercevons subrepticement une voiture accidentée sur le côté, nous croisons des jolies blondes interchangeables, nous imaginons des paparazzi en planque dans des 4x4, nous lisons des textos haineux et non signés… autant de flashs sans explications.

    C'est la simple présence de sa fille Cleo qui va aider Johnny. Oh, les choses changent à peine mais suffisamment, elles prennent une forme plus nette et une plus grande consistance. Sans Cleo, ce que Johnny peine à faire, c'est trouver matière à accrocher son regard. Il est important que les spectacles des deux filles dans la chambre encadrent celui que donne Cleo au skating. Devant le show érotique, Johnny s'endort, son regard ne tient pas, alors que l'exercice de sa fille le ravit, ouvrant grands les yeux et ne se laissant pas distraire par son portable.

    Tous ces plans rapprochés sur Stephen Dorff, excellent au demeurant, se justifient ainsi. Son regard, que l'on sent progressivement se renouveler, est notre relai. C'est l'un des nombreux côtés wendersiens de Somewhere, le souvenir le mieux ravivé étant celui d'Alice dans les villes, la présence de la jeune fille et la tentation du road movie aidants.

    First impressions of earth

    La dernière séquence reprend l'idée du court-circuit, sciemment provoqué cette fois-ci lorsque Johnny stoppe sa voiture sur le bas-côté. Il s'avance alors et semble enfin soutenir du regard une ligne de fuite.

     

    Quatre remarques complémentaires :

    - C'est Truffaut ou Godard qui disait que c'était aux cinéastes d'origine ouvrière de s'intéresser aux ouvriers ? Apparemment, de nos jours, il est devenu, aux yeux de beaucoup, indécent de ne filmer que ce que l'on connaît.

    - Je me demande comment peut-on, dans une critique du film, rapprocher autant de fois Somewhere de Lost in translation tout en faisant descendre la note de 4 sur 5 à 0 sur 5.

    - Je préfèrerai toujours les tics du cinéma indépendant US à ceux du cinéma d'auteur français.

    - Lorsque Sofia Coppola réalisera réellement un mauvais film, nous pourrons encore fermer les yeux et écouter la bande son.

     

    somewhere00.jpgSOMEWHERE

    de Sofia Coppola

    (Etats-Unis / 97 mn / 2010)

     

  • Mardi, après Noël

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    C'est l'histoire banale d'un adultère, aujourd'hui, à Bucarest. Mardi, après Noël est un film douloureux car il crée une intense proximité avec le spectateur. Ce qui se passe sur l'écran, on pourrait le toucher du doigt, tant cela semble tout près. Pourtant, nous ne sommes pas sous l'emprise d'une mise en scène de l'urgence, de l'intervention, où une caméra nerveuse et accrocheuse se collerait sous le nez des acteurs, mais devant une esthétique du plan séquence transparent. Transparent dans le sens où le plan sert avant tout à enregistrer, sans chercher à contraindre ou à signifier trop lourdement. Si un personnage est isolé dans le cadre ou repoussé dans le flou de l'arrière-plan, il ne le reste pas assez longtemps pour que l'évènement prenne la valeur d'un discours esthétique, d'un marqueur de style. Nous avons simplement le sentiment fugace d'un délitement.

    A partir de là, c'est peu dire que le film ne porte pas de jugement et que Radu Muntean ne propose pas une étude psychologique. Ses personnages sont là, c'est tout. Nous ne parlerons pas de réalisme mais de présence, d'évidence et de vie. La femme, placée devant le fait accompli de l'adultère par le mari a ses mots aussi banals qu'imparables : "Cela devait arriver puisque c'est arrivé." En fait, nous ne le réalisons qu'après coup mais nous n'avons finalement vu durant tout ce film que des situations archétypales, des passages obligés pour toute histoire de tromperie conjugale : le prélassement dans les bras de l'autre, la rencontre fortuite entre les deux femmes, l'escapade sur un coup de tête, la révélation du secret, la rupture... Le petit miracle du film est que ces scènes parviennent à avoir le goût de l'inédit.

    Cette réussite tient à plusieurs facteurs, savamment dosés. L'interprétation est sans faille, l'écriture est d'une belle finesse et, surtout, le rythme qui gouverne les plans séquences est d'une extraordinaire précision. Avec simplicité, il se cale sur les dialogues, d'apparence anodine sans être ennuyeux, peut-être légèrement condensés par rapport à la vie réelle, afin de préserver l'énergie des séquences. C'est un film de conversation, un constat sur le couple qui dit tout d'une vie sans presque rien avancer, une vue en coupe éclairée d'une lumière bergmanienne. C'est aussi, encore une fois, une très bonne nouvelle cinématographique venant de Roumanie. 

     

    mardiapresnoel00.jpgMARDI, APRÈS NOËL (Marti, dupa craciun)

    de Radu Muntean

    (Roumanie / 99 mn / 2010)

  • Du plomb pour l'inspecteur

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    Afin de mettre le grappin sur l'auteur du sanglant hold up auquel nous avons assisté quelques minutes plus tôt, la police organise la filature de la poule du malfrat. Pour expliquer la situation à ses hommes, le lieutenant étale sur son bureau un plan de l'étage de l'immeuble où crèche la fille. Le bâtiment est construit en U. Deux longues ailes s'y font face, dans lesquels se trouvent respectivement l'appartement ciblé et la planque des policiers. Un court segment relie les deux ailes principales par un côté, là où est situé l'ascenseur, point de passage obligé de tout notre petit monde. Le topo du lieutenant est clair et concis. La caméra le valide par une plongée à la verticale sur le bureau.

    La scène est des plus classiques, totalement inscrite dans le genre, mais elle en dit ici un peu plus que d'habitude. Elle dit que le film noir, c'est un traitement spécifique de l'espace et Du plomb pour l'inspecteur est de ce point de vue un modèle.

    Hormis quelques échappées dans la rue et le quartier environnants, l'action est cantonnée dans les deux appartements se faisant face dans cet immeuble, dans les passages qui y mènent (ascenseur, escalier), dans les espaces qui les relient (couloirs). Ce lien concret se double de celui, abstrait, que crée la surveillance en elle-même, à l'aide des jumelles et des outils d'écoute téléphonique, entraînant logiquement le film sur le thème du voyeurisme. Nous sommes en 1954 et la même année Alfred Hitchcock signe Fenêtre sur cour.

    Loin d'être un spécialiste du genre, Richard Quine manie pourtant avec assurance les codes et les figures imposées. Sa gestion des décors, aussi bien extérieurs (l'ambiance nocturne et humide, le rythme quasi-documentaire) qu'intérieurs, est remarquable. Organisant d'incessants déplacements qui donnent leur énergie motrice à ce récit confiné dans quelques lieux, il sait exactement prendre le temps qu'il faut pour les accompagner, les rendant ainsi réalistes.

    A cette maîtrise de l'espace s'ajoute la finesse de l'écriture. Le scénario est fort bien cisellé, détaillant l'engrenage avec précision et préparant avec intelligence les futurs arborescences du récit. Prenons pour exemple l'effet miroir que provoque la construction de cette relation entre le collègue du héros et la deuxième fille, voisine directe de la première. La trouvaille de scénariste est parfaitement relayée par la mise en scène, jusque sur le plan architectural. C'est ainsi que la densité du réseau est assurée autour du thème principal : la corruption d'un policier par une suspecte.

    La relation "secondaire" entre le jeune flic et l'infirmière est vue comme saine, par opposition à la première, entre le policier mûr (et bientôt pourri) et la protégée du truand, qui s'est construite sur un mensonge (certes dépassé par la suite). Ici encore, la tentation vient de la femme mais le soupçon de misogynie s'efface rapidement car il s'avère que l'homme ne vaut pas mieux devant l'appât du gain, bien au contraire. Surtout, la noirceur générale est atténuée par la profonde humanité des personnages et par la sensibilité de Quine (auteur de nombreuses comédies, musicales ou non, dont la délicieuse Ma sœur est du tonnerre, tournée l'année suivante). Le cinéaste tire de belles choses de Dorothy Malone (la voisine infirmière), de Fred McMurray dans le rôle principal du flic torturé (brièvement) par la morale, et surtout, il révèle à ses côtés l'inconnue Kim Novak, femme fatale de 21 ans gardant toute son innocence et ayant cette idée lumineuse de porter ses pulls moulants sans le moindre sous-vêtement.

     

    pushover00.jpgDU PLOMB POUR L'INSPECTEUR (Pushover)

    de Richard Quine

    (Etats-Unis / 88 mn / 1954)

  • Signes particuliers : néant, Walkover & La barrière

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    (Chronique dvd parue sur Kinok)

    Les trois premiers longs métrages de Jerzy Skolimowski forment une série d'essais pour trouver l'expression la plus juste et la plus fidèle possible d'une subjectivité. Au début des années soixante, dans un pays, la Pologne, au passé si présent, le but du jeune cinéaste est celui-ci : proposer un regard neuf sur le contemporain. Neuf, forcément, parce que singulier, unique, ayant une orgine précise, assumée, affirmée. Cette ambitieuse volonté le mène vers des impasses mais fait aussi naître en lui de superbes intuitions. Le parcours est donc aussi personnel qu'inégal et les films prennent toute leur valeur à être regroupés. Ils paraissent plus grands collés les uns aux autres que séparés - contrairement aux suivants qui souffriront moins d'être détachés du reste de l'œuvre.

    Andrzej Leszczyc, l'étudiant de Signes particuliers : néant, n'a pu, en quatre ans, se résoudre à choisir le moindre sujet pour valider son diplôme. Rattrapé par l'armée et le service militaire qu'il avait évité jusque là, il est brutalement mis au pied du mur et doit, provisoirement, tout quitter. Mais ce tout n'est pas grand chose et sa dernière journée en civil a moins le goût amer de la perte que celui de la révélation de la futilité environnante. Amis magouilleurs et machistes, compagne indifférente, petit chien adorable auquel on s'attache un moment mais qu'on laisse sans trop de pincement au vétérinaire lorsqu'on le dit atteint par la rage. On parle de divorcer mais est-on même marié ? Dans ce vide existentiel, il n'est guère étonnant de voir Andrzej donner constamment aux gens qu'il rencontre de fausses identités, au gré de son humeur.

    Il n'est d'ailleurs guidé que par elle et comme le film épouse totalement son point de vue, elle nous guide à nous aussi, spectateurs entièrement à sa merci. De longs plans séquences en caméra subjective scandent ostensiblement la déambulation et de cette ligne directrice capricieuse surgit un film décousu, heurté, aussi stimulant qu'agaçant, tantôt charmant, tantôt fumiste. Jerzy Skolimowski réalisateur, scénariste et acteur principal se lance un défi : filmer la vie, celle qui nous glisse entre les doigts, exactement comme il la perçoit lui-même, sans médiation. Pour ce faire, il n'hésite pas à en mettre, s'il le faut, plein la vue, comme avec ce plan séquence du début, quasiment wellesien dans sa démesure. "Je voudrais être entraîné quelque part malgré moi, tout en pouvant exercer mon libre arbitre malgré tout", dit Andrzej à un reporter l'interrogeant en pleine rue. Programme difficilement réalisable mais qui, après tout, laisse entrevoir une issue. De fait, très dynamique, la fin du film propulse effectivement vers autre part et annonce un changement.

    Une fille sur un quai et Andrzej dans le train : Walkover reprend les choses là où Signes particuliers : néant les avait laissé, en ne maintenant dans l'ombre que le temps du service militaire accompli entre les deux trajets ferroviaires. Les deux films sont donc indéfectiblement liés et s'éclairent l'un l'autre d'un jour nouveau, ce qui nous fait dire que pour réussir Walkover, Skolimowski devait impérativement en passer par Signes particuliers. L'équilibre y est en effet mieux tenu entre l'objectif et le subjectif, délaissant le procédé un peu grossier de la caméra subjective pour le remplacer par des pauses bien marquées lors desquelles nous nous retrouvons les yeux dans les yeux avec Andrzej.

    Poursuivant le mouvement amorcé dans le final de Signes particuliers, Skolimowski passe de la marche à la course. Il passe au jazz, à la boxe, à la lutte. Il n'y a pas beaucoup plus d'événements dans Walkover que dans le précédent, mais le rythme est haletant. Des travellings s'emballent tout à coup, prennent soudain de la vitesse pour accompagner les déplacements syncopés du héros. Et quand ce ne sont pas ses courses, ce sont les entrées et les sorties de champ, les interventions inattendues, les apparitions incongrues (une vache, une chèvre), qui dynamisent de façon extraordinaire les plans séquences. Parmi ceux-ci, les moins mobiles sont aussi concernés. Qu'ils soient concentrés sur un coin de commissariat ou d'appartement, ils laissent régulièrement advenir le parasitage de l'action première par des éléments secondaires, comme un poste de radio qui changerait de station tout seul. De plus, le soin apporté aux transitions (par les mouvements des corps, la lumière...) permet à chaque plan d'entraîner le suivant. Ainsi, l'impression de virtuosité un peu gratuite s'efface et une incroyable énergie est maintenue d'un bout à l'autre du film, sans jamais fléchir.

    Cette plus grande maîtrise s'exprime également à travers la personnalité d'Andrzej, plus résolu que dans sa première aventure. Plus résolu mais pas moins ambigu. Son statut social paraît toujours aussi flou : vaguement étudiant, vaguement ingénieur, vaguement boxeur professionnel ? Cette indécision se propageant aux autres personnages, les relations qui s'instaurent prennent vite le goût de l'insolite. Entre homme et femme, notamment. Andrzej a avec sa collègue rencontrée à la gare des échanges qui laissent penser, dès le début, qu'ils ont une vie antérieure commune plus étoffée qu'ils ne le laissent paraître. Leurs propos dépassent alors l'énonciation de formules sur le mal être moderne et en deviennent plus profonds. Bien sûr, cela ne suffit pas encore totalement : les êtres et les choses n'offrent toujours pas de prise et des jeunes femmes continuent de se jeter sous les trains ou les voitures. Mais au moins, il y a ce désir de boxer, de lutter, de courir.

    Avec La barrière, Skolimowski opère un changement esthétique radical et convoque une autre forme de subjectivité, abandonnant, pourrait-on dire, celle du témoin pour exprimer celle de l'Artiste. Il n'est plus, ici, devant la caméra et a donc tout le loisir de soigner sa mise en scène, comme jamais auparavant. Il tente là, déjà, son 8 1/2 à lui, son sur-film dans lequel toutes ses obsessions personnelles se retrouvent (de la "trahison" de l'université aux traces de la guerre, du goût pour les divers moyens de transport à celui des décors détournés de leur usage premier), mais pour se voir intégrées à une forêt de symboles, à un réseau obscur dans lequel il est parfois difficile de se retrouver, tant de clés semblant nous manquer, notamment concernant toute une imagerie chrétienne.

    Se faisant, le cinéaste se déconnecte de la réalité. Les décors ne sont plus seulement déplacés (comme avant avec ces promenades amoureuses sur les chantiers ou dans les usines) mais stylisés à l'extrême. L'introduction du film est un leurre : ce que l'on croyait être une séance de torture en temps de guerre n'est qu'un jeu entre étudiants de l'université. Au restaurant, extraordinaire séquence, dansant avec son amie devant un poster maritime, le héros s'exclame : "Tout ceci n'est pas vrai". Le cinéaste se déconnecte de la réalité mais il la reconfigure. Il montre une réalité rêvée, par lui.

    Une fois ce fait admis, La barrière devient plus agréable, plus attachant, et ses délires visuels s'acceptent mieux. Il sort du cadre du grand film d'auteur très composé et un peu prétentieux que sa première partie laissait craindre. Mais ce changement de regard a une explication supplémentaire. En effet, la bascule se fait suite à la rencontre avec une jeune femme, une conductrice de tram (occasion de confronter encore une fois étudiants et jeunes ouvriers), qui, progressivement va même prendre en charge le récit, au détriment de l'homme. Paradoxalement, c'est donc dans le plus étudié, le plus abstrait, le plus formaliste de ces trois films que se développe la relation homme-femme la plus touchante. Et c'est dans le plus réflexif, le plus refermé sur lui-même que l'on trouve la touche finale la plus optimiste.

     

    neant00.jpgwalkover00.jpgbarriere00.jpgSIGNES PARTICULIERS : NÉANT (Rysopis)

    WALKOVER (Walkower)

    LA BARRIÈRE (Bariera)

    de Jerzy Skolimowski

    (Pologne / 76 mn, 78 mn, 83 mn / 1964, 1965, 1967)

  • Christophe Colomb, l'énigme

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    Après avoir été assidu durant toutes les années 90, je suis devenu depuis dix ans, et pour des raisons essentiellement pratiques, très infidèle au cinéma de Manoel de Oliveira (ma dernière expérience remontait au Principe de l'incertitude). Je ne sais trop si cela est dû à la longueur de cette parenthèse, mais j'ai ressenti une étrange sensation devant ce Christophe Colomb, l'énigme. La sensation que l'on me montrait non pas la découverte d'un nouveau monde, comme pourrait le faire croire le titre, mais au contraire, tout un tas de choses sur le point de disparaître. Plus encore, le film s'évertue à se construire sur une série d'absences, de refus, d'impossibilités. De l'insertion de vieilles vues documentaires en noir et blanc pour visualiser le port de Lisbonne aux cadrages des personnages déambulant dans la ville en contre-plongées accentuées (de manière à ce que nous ne voyons derrière eux que le haut des différents bâtiments), la mise en scène affirme d'emblée la vanité de toute tentative de reconstitution d'un passé de toute façon impossible à retrouver. De très belle manière, dans ce même but, Oliveira filmera l'arrivée de deux émigrés portugais à New York en 1946 dans un brouillard épais qui empêche d'embrasser du regard les éléments de reconnaissance tels que la Statue de la Liberté ou les buildings de Manhattan. Devant ces images, nous en venons à nous demander si ce n'est pas la fin de son propre cinéma qu'Oliveira est en train d'essayer de fixer sur pellicule. Mais ce n'est pas tout, le scénario lui-même redouble ce manque. L'enquête historique qui prend forme peu à peu se heurte constamment à l'absence de traces, au silence étonné des interlocuteurs. Décidément, l'appartenance de Christophe Colomb à la terre portugaise est une thèse bien difficile à soutenir. Et finalement, aucune preuve ne sera réellement avancée, nous laissant, chose rare au cinéma, aux côtés d'un chercheur qui n'aura eu que sa foi à mettre en avant.

    Bien évidemment, il y a quelque malice à entretenir ainsi ce faux mystère. Cette malice préserve ce film triste du lugubre. Elle est perceptible en plusieurs endroits : dès que l'on a connaissance de l'argument-supercherie de départ, lorsque le cinéaste laisse s'exprimer le bonheur conjugal d'un jeune couple fraîchement marié de manière un peu trop vive pour ne pas laisser poindre une touche d'ironie ou quand on voit Oliveira se mettre en scène lui-même dans la seconde partie du film.

    Je viens de parler de faux mystère. Cela ne concerne que cette idée d'un Christophe Colomb qui aurait en fait été citoyen portugais. Le film, lui, est réellement énigmatique, par sa construction d'ensemble (deux parties séparées et très différentes), ainsi que par plusieurs détails (comme la présence dans de nombreux plans d'une jeune femme muette et invisible aux autres, allégorie de l'âme et de l'histoire portugaises). Les ellipses déroutent et les transitions sont souvent étranges, se faisant par le chevauchement d'un plan sur l'autre par la musique ou le dialogue (qui se poursuivent malgré le décalage provoqué par le changement d'espace). Ailleurs, comme je l'ai évoqué plus haut, c'est le brouillard qui fait tenir les plans entre eux.

    Le récit est scindé en deux parties. En un clin d'œil, un champ-contrechamp sur deux rives de l'Atlantique enjambe l'Océan et quarante sept années d'existence. Seulement, l'écart ainsi créé est à mon sens trop grand. Trop de distance entre les âges, entre les comédiens (Oliveira et sa femme eux-mêmes succédant à Leonor Baldaque et Ricardo Trêpa), entre la sensation du passé et celle du présent (qui se distingue d'abord par l'agression sonore). Cette seconde partie est muséale, bavarde, touristique, très faible en regard de la première, souvent d'une grande beauté. Certes, Oliveira ne dévie absolument pas de sa ligne narrative, intègre en quelque sorte à son discours cette dépréciation, et ponctue son œuvre sur une jolie évocation de la saudade. Cela ne m'empêche pas de regretter ce fléchissement final très marqué.

     

    Un autre point de vue à lire chez Eeguab.

     

    colombenigme00.jpgCHRISTOPHE COLOMB, L'ÉNIGME (Cristovao Colombo, o enigma)

    de Manoel de Oliveira

    (Portugal - France / 75 mn / 2007)

  • Old joy

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    Saleté de grippe ! Essayons tout de même de reprendre une activité normale...

    La présence, en tête d'affiche, du chanteur folk Will Oldham m'avait fait retenir ce titre au moment de sa sortie en salles en 2007. Ma curiosité fut attisée encore un peu plus après la découverte du film suivant de la réalisatrice, Kelly Reichardt, le beau Wendy et Lucy.

    Old joy raconte à peine une histoire. Un homme, bientôt père de famille, retrouve un ami solitaire, perdu de vue depuis un moment. Ce dernier lui propose d'aller camper et marcher en montagne. Les deux hommes partent donc, se perdent un peu, retrouvent leur chemin, accèdent à la source qu'ils cherchaient puis rentrent chez eux le lendemain.

    Film indépendant très typé, Old Joy apparaît assez nettement sous influences. Avec son récit relâché d'une confrontation avec la nature, il n'est pas sans évoquer le Gerry de Gus Van Sant ou le Blissfully yours d'Apichatpong Weerasethakul. Et comme dans un bon vieux Jarmusch des 80's, les longs travellings automobiles latéraux balayant des paysages industriels et pavillonaires sont réhaussés par des notes de musique (ici celle du groupe Yo La Tengo), procédé aussi agréable que légèrement facile. L'épilogue, détaché du reste mais aussi peu dramatisé, a lui aussi quelque chose d'attendu dans la suspension qu'il provoque. Sans renvoyer explicitement à une œuvre particulière, il ne nous semble guère original.

    Heureusement, derrière ces apparences, parvient à percer de ci de là, entre des dialogues à l'intérêt restreint, la singularité de Kelly Reichardt. Pas de doute, la nature est là, sa présence est rendue remarquablement. La photographie capte admirablement le changement de lumière lors du passage du jour à la nuit, ce qui donne quelques très belles séquences, au centre du film : l'obscurité envahissant l'espace, les deux amis commencent à avoir l'impression de tourner en rond sur ces petites routes désertes de montagne. Ce basculement progressif d'un monde à l'autre est calme et légèrement inquiétant. La cinéaste sait d'ailleurs parfaitement faire naître la potentialité d'une menace avec rien, à peine un regard, un bruit, une phrase, une lumière. Remarquons toutefois que c'est aussi le refus farouche du moindre événement dramatique qui nous met ainsi en alerte, en attente. 

    Malgré le déplacement de point de vue s'opérant en cours de route, de l'un à l'autre des personnages, nous ne saurons jamais vraiment ce qui s'est joué entre ces deux hommes lors de ce périple. Kelly Reichardt prend le risque de frustrer et de laisser son film glisser plus rapidement que d'autres entre nos doigts et entre les mailles de notre mémoire.

     

    oldjoy00.jpgOLD JOY

    de Kelly Reichardt

    (Etats-Unis / 73 mn / 2006)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1990)

    Suite du flashback.

     

    cdc433.jpgPOS356.JPG1990 : Il revient à Jacques Doillon d'ouvrir et de fermer une année très française pour les Cahiers qui s'intéressent alors à Patrick Grandperret (Mona et moi), Jacques Davila (La campagne de Cicéron), Raymond Depardon (La captive du désert), Claude Lelouch (Il y a des jours et des lunes), Claire Denis, Marie-France Pisier et Brigitte Roüan (Chocolat, Le bal du gouverneur, Outremer), Benoît Jacquot, Nicole Garcia, ainsi qu'aux réguliers Claude Chabrol (Dr M), Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. La nouvelle formule de la revue fait la part belle aux portraits d'acteurs et aux récits de tournages. Les noms d'Andy Warhol, Jean-Baptiste Mondino et Fritz Lang se croisent dans les sommaires. Des hommage sont rendus à Sergueï Paradjanov et Jacques Demy, un entretien avec Ingmar Bergman est publié. Sont également à l'honneur Otar Iosseliani (Et la lumière fut), Youssef Chahine (Alexandrie, encore et toujours) et Joe Dante (Gremlins 2).
    Quant à Woody Allen, Krzystzof Kieslowski (Le Décalogue), Akira Kurosawa (Rêves), Federico Fellini, Vitali Kanevski (Bouge pas, meurs, ressuscite), Martin Scorsese et Hou Hsiao-hsien (ainsi que Rohmer), ils se retrouvent fêtés aussi bien dans les Cahiers que dans Positif.
    Cette dernière connait à cette époque quelques turbulences en coulisses, dues à un conflit avec son éditeur. Elle propose des ensembles sur Blake Edwards, Richard Quine, Jean Painlevé, Jean Cocteau, Preston Sturges, Alessandro Blasetti, Montgomery Clift, Ritwik Ghatak, André Antoine et, pendant l'été, un copieux dossier John Ford. On trouve au fil de cette année des entretiens avec Jane Birkin, Michel Serrault, Roger Corman, Jane Campion, Serge Gainsbourg (Stan the Flasher), Francesco Rosi, Pupi Avati, Clint Eastwood, Aki Kaurismäki, Fred Tan, John Boorman, David Lynch, Christian Vincent, Alain Mazars (Printemps perdu), Kohei Oguri (L'aiguillon de la mort), Charles Burnett (La rage au cœur) et Philip Kaufman (Henry and June).

     

    Janvier : La vengeance d'une femme (Jacques Doillon, Cahiers du Cinéma n°427) /vs/ Sweetie (Jane Campion, Positif n°347)

    Février : Né un 4 juillet (Oliver Stone, C428) /vs/ Crimes et délits (Woody Allen, P348, )

    Mars : La captive du désert (Raymond Depardon, C429) /vs/ Oublier Palerme (Francesco Rosi, P349)

    Avril : Conte de printemps (Eric Rohmer, C430) /vs/ Histoire de garçons et de filles (Pupi Avati, P350)

    Mai : La voce della luna (Federico Fellini, C431-432) /vs/ Chasseur blanc, cœur noir (Clint Eastwood, P351)

    Juin : Nouvelle vague (Jean-Luc Godard, C433) /vs/ Leningrad Cowboys go America (Aki Kaurismäki, P352)

    Eté : Un week-end sur deux (Nicole Garcia, C434) /vs/ Le massacre de Fort Apache (John Ford, P353-354)

    Septembre : Les affranchis (Martin Scorsese, C435) /vs/ Tout pour réussir (John Boorman, P355)

    Octobre : Ingmar Bergman (C436) /vs/ Sailor et Lula (David Lynch, P356)

    Novembre : La désenchantée (Benoît Jacquot, C437) /vs/ La discrète (Christian Vincent, P357)

    Décembre : Le petit criminel (Jacques Doillon, C438) /vs/ Cité des douleurs (Hou Hsiao-hsien, P358)

     

    cdc436.jpgPOS358.JPGQuitte à choisir : En précisant que je ne peux me prononcer sur trois titres (le Doillon de janvier, le Depardon et le Boorman), je trouve l'année Cahiers moins flamboyante que l'année Positif. Les films des habitués Rohmer, Fellini, Jacquot, comme ceux de Stone et de Garcia, ne sont pas inoubliables. Se dégagent alors seulement le Scorsese, le deuxième Doillon et, éventuellement, le Godard. En face, ni le Rosi ni le Eastwood ne sont exceptionnels, tandis que Kaurismäki aurait pu voir affiché sa Fille aux allumettes plutôt que sa farce rock'n'roll, mais il est agréable de voir distingués les films d'Avati et de Vincent. Surtout, les  quatre "grandes premières", pour Campion, Allen, Lynch et Hou, qu'elles soient parfaitement synchrones ou pas avec l'émergence des cinéastes, donnent une très belle couleur à la liste de Positif. Allez, pour 1990 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Le nom des gens

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    C'est un film sympathique, assez drôle, actuel mais pas sans distance, que j'ai vu dans une salle comble plus d'un mois après sa sortie. Ce qui empêche Le nom des gens d'accéder au statut d'excellente comédie est sa mise en scène, peu personnelle (alors que le sujet traité l'est absolument mais cela a été suffisamment rabaché dans la presse pour ne pas avoir à y revenir ici). Celle-ci se fonde trop exclusivement sur une série d'idées souvent séduisantes mais qui pourraient sortir tout aussi bien du cerveau d'un Jean-Pierre Jeunet. Les récits entrecroisés des origines de Bahia et Arthur, les petites fantaisies spatio-temporelles et l'attendrissement devant certains objets du quotidien ou certaines anecdotes renvoient régulièrement vers l'univers de l'auteur d'Amélie Poulain. Mais reconnaissons bien que la plupart de ces "trucs" fonctionnent ponctuellement. J'aime assez, par exemple, l'illustration de cette incapacité qu'a Arthur de visualiser son père jeune ou cette manie que l'on a chez les Martin de n'acquérir que du matériel qui finit inexorablement par être démodé quelques mois plus tard.

    D'autres réserves viennent à l'esprit mais celles-ci peuvent plus aisément se voir "retournées". La succession de saynètes, l'impression de catalogue et les invraisemblances (la dernière partie autour de l'islamiste), les auteurs les assument certainement au nom de la fable contemporaine. De même, l'aspect décousu du récit découle de l'alternance du point de vue, les bourrasques provoquées par Bahia ayant leur répercussions jusque là. Parmi les scènes d'émotion, ma préférence va aux plus simples, à la merveilleuse façon qu'a Sara Forestier de répondre à la question de Jacques Gamblin s'étonnant de son choix de coucher avec lui alors qu'il n'est pas de droite : "Toi c'est pas pareil. Toi j'taime."

    Plus que le côté "coquin" du film (pour agréable qu'il soit, il ne se transforme jamais en autre chose, à cause du maintien du déséquilibre entre la nana délurée et le mec pudique, le désir ne semble circuler que dans un sens) c'est l'approche politique qui intéresse. Elle est plus subtile que ne le laissent entendre les journalistes lorsqu'ils mettent en exergue telle phrase sur les étrangers prononcée par l'héroïne. Ces propos sont en effet soit parfaitement intégrés aux discussions, soit, justement, gentiment pointés comme purs slogans, discours construit au fil d'une éducation et d'un militantisme particuliers. A ces sorties plus ou moins pertinentes de Bahia, les auteurs, essentiellement par l'entremise du personnage masculin, ajoutent des contre-exemples ou des nuances, de façon à éviter le manichéisme et le trop politiquement correct. Faisant cela, ils ne cherchent toutefois pas à contenter tout le monde (contrairement à Ozon et sa Potiche) ni à brouiller les pistes sur la position politique qu'ils tiennent. C'est tout à leur honneur.

     

    nomdesgens00.jpgLE NOM DES GENS

    de Michel Leclerc

    (France / 100 mn / 2010)

  • Valhalla rising - Le guerrier silencieux

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    Ils ne sont tout de même pas légion les (relativement) jeunes cinéastes d'aujourd'hui à sortir des sentiers battus, à tenter l'expérience visuelle et sensorielle avant tout, à chercher à s'élever au-dessus de la mêlée dans laquelle pullulent les films de genre plus ou moins malins et les films auteuristes plus ou moins sensibles. Si Nicolas Winding Refn ne plante pas tout à fait son épée sur les sommets conquis jadis par quelques uns de ses glorieux modèles, de Kubrick à Herzog (*), nous serions bien cuistres de ne pas lui reconnaître le mérite d'avoir pris tous les risques pour réaliser cette épopée mystique puissante et singulière qu'est Valhalla rising, objet étrangement négligé par la critique depuis sa sortie en salles en mars dernier (**).

    L'histoire est celle de la déroute d'une expédition de Vikings en l'an 1100. Parti à la reconquète de Jerusalem, ce groupe de croisés, auquel s'est joint un redoutable et mystérieux combattant, va se perdre, au-delà des mers, sur une terre inconnue peuplée d'Indiens.

    Pour traiter ce sujet, plutôt que la voie du réalisme historique, celle du folklore nordique ou celle de la modernisation numérique grouillante, Winding Refn a choisi celle du trip au cours duquel s'effectue le passage du physique au métaphysique. Au début, nous dit-on, "il n'y avait que l'homme et la nature" et la relation entre les deux, le cinéaste n'a de cesse de la rendre sensible. Les rudes paysages se déploient dans la largeur de ses cadres tout en laissant les visages s'y installer en amorce. Les pierres, la brume, les herbes, l'eau et la boue imposent leur présence, de manière d'autant plus marquée que les figures humaines sont rares (les groupes sont restreints et sans femmes) ou peu visibles (les Indiens, dont les apparitions relèvent presque du magique). Souvent, ces figures s'y perdent, s'y embourbent, s'y enfoncent de gré ou de force.

    Les corps se fondant à ce point dans la nature obéissent forcément à des pulsions animales. Au début était donc, aussi, la sauvagerie et la mise en scène ne triche pas avec cet état de fait, nous jetant au visage plusieurs plans résolument gores (la première partie du film donne à voir une série de corps à corps d'une violence stupéfiante). Pour épouser le mouvement général du film, ces explosions barbares se font toutefois de plus en plus rares au fil du périple, la dernière étant d'ailleurs renvoyée hors-champ. Le monde décrit est donc le monde du chaos. Certains, devenus Hommes de Dieu, tentent, pour la première fois peut-être, de l'ordonner et de lui donner un sens. Mais leur tort est d'en passer par la Conquête et One-Eye, leur guide, ce guerrier silencieux, va leur révéler violemment qu'ils ne courent là qu'à leur perte.

    Ce personnage double, à la fois sauveur et ange de la mort, muet et borgne, garde, jusqu'au troublant retournement final, toute son ambiguïté. Harcelé de visions, il peut être perçu comme un médium reçevant d'énigmatiques images du futur - ou bien est-il tout simplement "le" futur ? Ces décrochages réguliers, Nicolas Winding Refn les met en scène par l'intermédiaire de procédés plutôt classiques, presque archaïques bien que non dénués de puissance : images submergées d'un rouge bouillonnant, renversement cauchemardesque du cadre, grondement inquiétant de la bande son. Mais l'étrangeté du film et sa force plastique ne naissent pas seulement de ces saillies. C'est le monde recréé en son entier qui paraît autre, intermédiaire. L'originalité des raccords, obéissant plus à une logique sensorielle qu'au respect de la réalité de l'espace, brouille notre perception. Accentuée par le hiératisme de certaines postures, la sensation de surplace pèse sur ce qui est pourtant un voyage, dans tous les sens du terme. Le récit est découpé en chapitres et leurs titres disent tout de ce qui s'y joue. Un thème est posé, puis à peine décliné. Ici, le temps ne semble avancer qu'entre les chapitres, comme le montre une audacieuse et (trop) longue traversée en pleine brume.

    Voyage immobile, épopée minimaliste, Christ exterminateur, Vikings chrétiens, archaïsme moderne... Valhalla rising est un film-oxymore. Il est fatal qu'il déroute et compréhensible qu'il rebute, mais il est fort regrettable de le voir passer ainsi à la trappe en cette année, peu exceptionnelle de surcroît. Personnellement, si nous ne trouvons pas là, malgré ses nombreuses fulgurances, le très grand film espéré, nous maintenons notre confiance en Winding Refn, responsable, après les deux derniers Pusher (II & III) et Bronson, d'un quatrième ouvrage de haute tenue d'affilée.

     

    (*) : Pour une liste quasi-exhaustive des influences revendiquées, je vous invite à lire cette note, un brin désapointée.

    (**) : Il est vrai que Valhalla rising ne cède jamais au second degré, ce qui, pour la critique de cinéma actuelle, est déjà un handicap de taille.

     

    Valhallarising00.jpgVALHALLA RISING - LE GUERRIER SILENCIEUX

    de Nicolas Winding Refn

    (Danemark, Grande-Bretagne / 90 mn / 2009)