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etats-unis - Page 7

  • Winter's bone

    Granik,Etats-Unis,2010s

    ****

    Nouveau mais sans doute pas aussi novateur qu'annoncé, Winter's bone, deuxième long métrage de Debra Granik (le premier à parvenir jusqu'à nos écrans), fait preuve d'une belle solidité. Les hasards de la distribution faisant parfois bien les choses, le film est sorti une semaine après True grit, avec qui il entretient bien des rapports. Dans un étrange paysage hivernal, une jeune héroïne tenace se lance dans une quête, liée à l'absence du père, qui va lui faire côtoyer les frontières de la mort : ce résumé est recevable dans les deux cas. Cependant, si tout le monde a trouvé à peu près les mêmes choses dans le dernier opus en date des frères Coen, les jugements ne se singularisant finalement que par la position donnée au film par rapport au genre, au True grit original d'Hathaway ou à la filmographie des auteurs, Winter's bone a suscité des commentaires plus divers, chacun semblant y déceler des idées et des références qui ne frappent pas particulièrement les autres (le fait que nous découvrions totalement le cinéma de Debra Granik y est probablement pour quelque chose). Ainsi, le film peut ne pas ressembler à l'idée que l'on s'en était fait avant la projection. Par exemple, pour ma part, je n'y ai guère trouvé de fantastique, et si une certaine parenté avec Délivrance peut être facilement repérée, d'une part, elle ne parcourt le film de Granik que d'une façon relativement superficielle et d'autre part, ce rapprochement avec le chef d'œuvre de Boorman ne rend pas bien compte de la réalité de Winter's bone ni ne lui rend vraiment service.

    Il n'y a pas, ici, de voyage linéaire au bout de la nuit. Certes la jeune Ree va évoluer et effectuer un passage en arpentant un territoire géographique que la mise en scène s'efforce de transformer en paysage mental (et elle y parvient). Mais ses déplacements, effectués essentiellement à pied, ne l'amènent pas bien loin, les distances étant de plus escamotées par le découpage. Les rencontres qu'elle fait n'impliquent pas des personnes totalement inconnues, et pour cause : dans cette région, tout le monde semble appartenir à la même famille. Ree en appelle d'ailleurs sans cesse aux liens du sang pour essayer d'arracher les informations qu'elle demande à ses interlocuteurs. Mais l'idée de famille est à considérer également dans un autre sens, renforçant encore la sensation d'oppression déjà distillée, celui du groupe de trafiquants, voire de criminels, cercle dont le tracé épouse assez précisément celui du premier, généalogique.

    Aux codes stricts propres à ces communautés confondues, s'ajoute le maillage mis en place par la cinéaste. Les abords des maisons sont encombrés de ferrailles et les intérieurs sont exigus. L'image est quadrillée par les bois, les arbres et leurs ramifications, les clôtures et les portails, les murs du centre social et les enclos de la foire aux bestiaux, toutes choses qui entravent. On comprend dès lors que le rite de passage nécessite l'usage d'une tronçonneuse. Violentée, Ree reprend ses esprits et s'aperçoit qu'elle est entourée de plusieurs individus menaçants, leur nombre paraissant excessif par rapport au but recherché qui est d'intimider une fille sans défense. La mise en scène, qui table sur la proximité des corps soumis au regard de la caméra, trouve sa cohérence et son efficacité.

    Le prétexte à la fiction est des plus simples : Ree doit retrouver la trace de son père disparu quelques jours auparavant, sous peine de voir la maison familiale saisie, sa mère malade, son frère, sa sœur et elle-même mis à la porte par la justice. L'univers du conte pointe son nez mais le film n'y verse pas explicitement (on retient tout de même le moment où Ree est invitée à franchir le fil de fer barbelé afin de s'enfoncer dans la forêt). Le parcours initiatique débute classiquement, en envoyant l'héroïne d'un point à l'autre, ce qui fait naître la crainte de la répétition sur la longueur mais la progression ne se fait pas comme prévu. Des pistes aboutissent sur rien, la boîte de vitesse est souvent remise au point mort, Ree revient régulièrement dans sa maison sans plus de certitudes. Le fil narratif en général prolonge ce qui fonde, au niveau inférieur, la mise en scène, soit une succession de plans-cellules, choix très contemporain d'une avancée par bribes, d'une alternance de séquences plus ou moins opérantes, plus ou moins signifiantes, plus ou moins déterminantes par rapport au drame raconté. La question de la vie ou de la mort du père est rapidement tranchée, en plein milieu du film, ce qui provoque une césure. Si l'enjeu reste le même, la problématique est déplacée. Scindée en deux, l'œuvre tient tout de même debout, comme la protagoniste principale. Elle gagne même en intensité, dévoilant une mécanique plus serrée qu'il n'y paraissait. Les rapports et les regards portés sur certains personnages évoluent et la nécessité de quelques séquences s'affirme a posteriori, qu'il s'agisse des premières rencontres ponctuées régulièrement par un regain de tension ou de celle du dépeçage de l'écureuil appelée à résonner vers la fin, lors du moment le plus marquant du film. A cet endroit, j'émettrai d'ailleurs une petite réserve, car il me semble qu'il manque un plan à cette séquence. Un plan sur une (ou deux) main(s). Debra Granik nous le refuse et je ne suis pas certain qu'elle ait eu raison de rester si prudente dans son cadrage. Donner à voir cet élément macabre aurait rendu, à mon sens, l'initiation plus "complète". Ce détail ne m'empêche toutefois pas de vous recommander le film.

     

    Granik,Etats-Unis,2010sWINTER'S BONE

    de Debra Granik

    (Etats-Unis / 100 mn / 2010)

  • L'enfer est à lui

    lenferestalui.jpg

    ****

    Échos

    Le premier ressort dramatique activé dans L'enfer est à lui est l'effroyable brûlure que provoque un jet accidentel de vapeur sur l'un des protagonistes du hold up ferroviaire auquel nous assistons. Lors du dénouement, ce seront les gaz lacrymogènes lancés par la police qui envahiront les bureaux de l'usine chimique dans lesquels s'est introduite la bande de malfrats menée par Cody Jarrett. Ces deux variations autour d'un même motif encadrent un récit qui n'est pas avare de ce type de procédé structurant. Verna, avant d'embrasser Cody, se débarrasse de son chewing gum et répète ainsi le geste effectué précédemment par Big Ed... avec elle. Cody exécute deux traitres de la même façon, en tirant à travers un obstacle : le coffre d'une voiture et la porte d'une chambre à coucher. A deux reprises, Pardo, l'infiltré, se retrouve en grand danger, en présence de ce Bo Creel qui risque de le confondre. Des séquences de filature se répondent, soumises à un montage qui resserre ses griffes. Et bien sûr, à deux reprises, Cody est victime d'une violente crise de mal de tête. Au cours de la deuxième, dans l'atelier du pénitencier, il rampe volontairement jusqu'à Pardo et par cette seule image, Walsh nous montre ce qu'annonçait plus tôt un dialogue entre le faux prisonnier et son supérieur dans la police : Cody croit trouver en l'autre une deuxième mère.

    Densité

    Autour de la figure centrale et irradiante de Cody, un réseau serré et complexe est tissé. Au sein de celui-ci, chacun peut se démarquer ou disparaître de manière imprévisible. Le rôle du chasseur principal semble d'abord dévolu à l'inspecteur de police, avant que Pardo ne monte en première ligne. De même, Ma Jarrett maintient un moment dans l'ombre Verna, la régulière de son fils Cody, avant de lui laisser toute la place. La trame est si riche et mouvante que les rebondissements de l'intrigue, nombreux, ne prennent jamais l'allure de coups de force scénaristiques, mais apparaissent simplement comme les conséquences d'une succession de conflits mettant en jeu des ambitions multiples et opposées. La narration est donc surprenante sans être arbitraire.

    Étau

    Nous qui attendons l'histoire d'une cavale, nous voilà très tôt et, pour longtemps, enfermés dans une prison. D'ailleurs, même à l'extérieur de cet établissement carcéral, l'emprise est totale. Le moindre terrain est bientôt quadrillé par les forces de police et, lors du final, les uniformes noirs semblent s'extraire sans fin de l'architecture même de l'usine. Les gangsters s'entassent à plusieurs dans des voitures qui paraissent trop étroites et se glissent dans la cuve d'un camion citerne pour leur coup le plus audacieux. Les refuges qu'ils trouvent, chalets, motels, sont exigus, au point que la caméra finit souvent par buter sur quelqu'un, comme le montre la première apparition de Ma Jarrett, active aux fourneaux dans un coin de la pièce et dont on ne soupçonnait pas la présence. Plus tard, un mouvement de caméra comparable enregistrera au contraire le vide d'un salon et n'attrapera qu'en bout de panoramique l'un des occupants. Ce plan vient après une séquence agitée (le départ de Cody et des autres évadés quittant une énième planque) et le montage crée une rupture qui dit tout de la fuite des anciens complices et de leur peur devant le retour de Cody.

    Migraine

    Le psychotique Cody souffre donc de maux de tête fulgurants. Walsh n'a aucun mal à nous convaincre de cela puisqu'il sature régulièrement sa bande son : fracas du chemin de fer, vacarme de la prison, de son atelier et de son réfectoire, sons électroniques du mouchard utilisé par les policiers, bruits de l'usine jusqu'à l'explosion finale des produits chimiques... Mais aussi, invasion musicale de moments pas forcément déterminants pour la dramaturgie.

    Incarnation

    Dans L'enfer est à lui, le moindre personnage secondaire existe avec force. Il n'y a qu'à voir la scène du parloir entre Pardo et sa fausse épouse. Cette dernière joue un rôle, le temps d'un court dialogue, et ne réapparaît plus par la suite. Or, elle est vraiment là, devant nous, grâce à l'interprète, au timing de la mise en scène, à la préparation de son intervention par quelques allusions plus avant dans le récit. James Cagney, lui, en Cody Jarrett, est tout simplement époustouflant. Il l'est d'autant plus qu'il est admirablement filmé par un Raoul Walsh qui n'insiste jamais sur une trouvaille dans l'expression gestuelle. Cody lance deux clins d'œil, l'un à sa mère et l'autre à Pardo et ils sont à chaque fois, dans le mouvement général du plan, presque imperceptibles. Son explosion nerveuse et désespérée au réfectoire de la prison a souvent été mise en avant par les critiques pour affirmer la grandeur de Cagney mais sa première crise de migraine, bien que moins spectaculaire, est tout aussi géniale. Elle trouve son efficacité dans sa brutalité et sa force dans un détail, l'accompagnement de la chute de Cody de sa chaise par un coup de feu involontaire venant du revolver qu'il tenait machinalement dans ses mains (et Walsh se garde bien d'épiloguer en nous montrant où la balle a pu finir sa course : seul compte ici le sursaut des complices).

    Modèle

    Cody est amoureux de sa maman. Cette donnée aurait pu alourdir considérablement le portrait psychologique du gangster, se transformer en explication simpliste de sa folie. Mais son moment de désespoir en prison le rend pathétique et son stratagème imaginé pour s'évader démontre qu'il peut très lucidement "jouer la folie". Ailleurs, une pause propice à la confession nous touche (cela d'autant plus facilement qu'elle retourne totalement le sens de la séquence en cours, au début de laquelle nous venions de craindre que Cody ne démasque pour de bon Pardo). Le Cody Jarrett de Cagney et Walsh est l'une des "bêtes de fiction" les plus fascinantes qui soient, attraction principale mais pas unique d'un film extraordinairement tendu, âpre, intense.

     

    lenferestalui00.jpgL'ENFER EST A LUI (White heat)

    de Raoul Walsh

    (Etats-unis / 114 mn / 1949)

  • True grit

    coen,etats-unis,western,2010s

    ****

    True grit est un bon film mais j'attendais plus de la part des Coen pour leur première incursion dans le western, genre auquel ils rendent un honnête hommage mais qu'ils ne parviennent à mon sens ni à transcender, ni à investir pleinement. L'œuvre est thématiquement conforme à ce que l'on sait pouvoir trouver dans un western moderne : la réflexion sur le mal et la violence, la peinture d'une époque charnière où ancien et nouveau mondes cohabitent avant que le premier ne disparaisse. Formellement, sagement borné par un prologue et un épilogue soutenus par la voix off de l'héroïne, le film se révèle assez révérencieux (ne serait-ce, dit-on, par rapport au True grit original d'Henry Hathaway et plus encore au roman de Charles Portis) et cette approche classique n'est peut-être pas celle qui sied le mieux aux deux frangins, au contraire d'un Kevin Costner par exemple (son fameux premier film bien sûr, mais aussi le sous-éstimé Open range).

    La première partie, confinée en ville, s'appuie essentiellement sur les dialogues. Le plus savoureux (l'habile négociation de la jeune fille chez le marchand) assure le lien avec les nombreux échanges absurdes que l'on trouve dans tous les autres films des Coen, mais, dans cette longue introduction, le rythme et l'invention visuelle sont comme freinés par le genre. L'action et l'ouverture vers les grands espaces s'en trouve retardées et le passage de la rivière, annonçant enfin le début du périple, nous soulage. Le voyage qu'effectue la jeune Mattie Ross, à la recherche de l'assassin de son père, en compagnie des marshals Cogburn et LaBœuf, est une occasion donnée aux cinéastes de filmer de belles et légèrement inquiétantes séquences, d'orchestrer une série de rencontres étranges, de nous conter l'histoire d'une petite fille parcourant le pays des morts. Les morts, la violence, les présences spectrales, Joel et Ethan Coen savent très bien les mettre en image (le paysage, hivernal et boisé, prend toute son importance). La scène de la chute de Mattie dans le trou est sans doute l'une des plus belles de leur œuvre (la découverte des serpents, l'effroi enfantin et les plans montrant l'ouverture de ce boyau, ovale blanc du ciel entouré du noir des parois, m'ont renvoyé avec plaisir à Fritz Lang). Mais la bride du récit (et de la mise en scène) n'est jamais lâchée complètement et les pauses ménagées entre les moments forts, ces discussions à trois autour de feux de camp, tendent à faire retomber quelque peu l'excitation.

    Si les acteurs convoqués sont, à l'image du film, particulièrement compétents, la manie des cinéastes qui consiste à les pousser tous, sans exception, un cran au-dessus dans leur expression, que ce soit par la diction, le port ou l'accoutrement, ne me semble pas toujours pertinente au regard de la simplicité du cadre et de la trame (ainsi des grognements d'ivrogne de Bridges, de la préciosité de Damon, du sourire édenté de Pepper, des borborygmes de Brolin et du sens de la répartie sans faille d'Hailee Steinfeld). De plus, entre la jeune fille bien élevée et le vieux marshal bougon, les rapports m'ont paru sans grande intensité et l'écriture des Coen assez appliquée sur ce point précis. Lors de la chevauchée nocturne finale (avant l'épilogue qui est, lui, raté), l'émotion affleure enfin, mais un peu maladroitement, filtrée par la réminiscence esthétique de La nuit du chasseur. Tout ce qui a précédé en a, selon moi, manqué et compte tenu du sujet et de l'idée même de retrouvailles avec un genre quasiment disparu, cette absence m'a laissé quelque peu insatisfait (et, je l'avoue, peu inspiré).

     

    coen,etats-unis,western,2010sTRUE GRIT

    de Joel et Ethan Coen

    (Etats-Unis / 110 mn / 2010)

  • Black swan

    blackswan.jpg

    **** 

    Black swan, c'est avant tout un mélange improbable entre le documentaire sur le ballet et le thriller fantastique, la rencontre, pourrait-on dire, entre Frederick Wiseman et Roman Polanski. Rarement, me semble-t-il, l'exercice de la danse aura été montré de manière aussi juste dans une fiction. Le travail, la répétition sans fin des mêmes gestes, toujours plus épurés, l'illustration de l'axiome "danser, c'est souffrir" (et craindre le vieillissement), la hiérarchie s'établissant entre les danseuses : tout cela est fidèlement représenté. La réussite du projet, vu sous cet angle-là, nécessitait une mise en scène précise et équilibrée. Elle l'est (à quelques effets superflus près, péché mignon d'Aronofsky, j'y reviendrai), le cinéaste laissant les séquences s'installer dans des durées suffisantes. Le concours d'une véritable actrice-danseuse était également indispensable, sous peine de voir l'édifice s'effondrer à force de tricheries visuelles. Natalie Portman excelle dans les deux registres.

    A ces côtés, se tient Vincent Cassel (pas mal du tout), héritant du rôle du directeur du ballet et prenant ainsi en charge l'archétype hollywoodien de l'étranger-pygmalion troublant, manipulateur et (faussement) démiurge. Ce sont souvent ses apparitions qui provoquent les soubresauts nous faisant passer du documentaire à la fiction. Cette alternance entre les deux registres se fait de manière habile, continue, et agréable, en particulier par rapport à la gestion du rythme général.

    Le film se révèle en fait assez passionnant car on sent qu'il manque à tout moment de dérailler. Mais la forme de Black swan sied très bien à son thème, à l'idée même de ballet. Les heurts, les coups au cœur, les sursauts répercutent cinématographiquement les syncopes de la musique, les explosions gestuelles de la danseuse, les excès et l'irréalité du spectacle de danse.

    Le passage par le prisme du genre, celui du thriller donc, et l'illustration d'une trajectoire somme toute prévisible (dans sa globalité, non dans ses détails) permet de faire l'économie de lourdeurs psychologisantes. Ce versant-là du film tire notamment sa force du strict respect du point de vue qu'il s'impose, celui du personnage principal, Aronofsky ayant parfaitement retenu cette leçon polanskienne. Puisque nous voyons le monde avec les yeux de Nina, il devient logique (et assez jubilatoire) que celui-ci n'existe plus au-delà la danse et, plus précisément, de ce ballet de Tchaïkovsky qui imprégnerait tout et ferait le vide autour. Ainsi, la jeune femme se retrouve-t-elle à arpenter un hôpital bien peu animé, à monter dans un taxi dont on ne voit jamais le chauffeur, à se faire applaudir lors d'une réception par une foule d'invités dont seuls deux visages se détachent réellement, à connaître un triomphe sur la scène new yorkaise devant un public dans lequel on ne distingue clairement que sa mère... Avec Nina, à qui Natalie Portman donne mille visages (elle semble en changer d'une séquence à l'autre), nous nous aperçevons rapidement que les miroirs nous trompent, qu'ils font mine d'ouvrir l'espace alors qu'ils ne font qu'oppresser, qu'ils renvoient sans cesse des images que l'on ne veut pas voir (impressionnante scène du vieux pervers dans le métro, avec ce reflet que la vitre semble imposer à Nina qui détourne son regard).

    Bien sûr, des miroirs, il y en a quelques uns en trop dans Black swan, comme par exemple celui qui, à sa jointure, scinde le portrait du directeur Thomas au moment même où celui-ci explique la dualité de la femme-cygne dans l'œuvre de Tchaïkovsky. Darren Aronofsky ne peut apparemment pas résister à ce type d'effet, presque subliminal parfois. Mais eu égard à l'énergie et à l'efficacité de son film, je lui pardonne aisément ses débordements stylistiques et si, finalement, il ne donne peut-être pas l'impression de creuser très profond, Black swan se pose en héritier parfaitement crédible des fabuleux Chaussons rouges de Powell et Pressburger.

     

    Pour un avis radicalement opposé.

     

    blackswan00.jpgBLACK SWAN

    de Darren Aronofsky

    (Etats-Unis / 108 mn / 2010)

  • Avatar

    cameron,etats-unis,science-fiction,2000s

    ****

    Quand James Cameron fait mentir l'adage : "Mieux vaut Avatar que Jeunet"...

    Comme peu d'entre vous l'ont vu, je commence par résumer l'histoire de cet obscur film de SF qu'est Avatarte. Jake Sully est un marine privé de l'usage de ses jambes et traumatisé par la disparition récente de son grand frère. Il décide de le remplacer pour une mission scientifique autour de la planète Pandora. Mais il s'aperçoit vite qu'il est du mauvais côté, celui des salauds. En effet, son employeur est un méchant qui, grâce à l'appui logistique d'une armée de mercenaires, veut exploiter un précieux minerai sur la planète en question. Les gentils indigènes font les frais de cette folie destructrice. Ceux-ci sont très proches de la nature et ressemblent tous au champion de natation Alain Bernard mais en bleu, avec des cheveux longs électriques et une queue au-dessus des fesses. Heureusement pour lui, Jake fait partie d'une équipe soudée de gentils scientifiques qui ne tarde pas à s'opposer aux méchants mercenaires. Il se fait aussi une amie parmi les pilotes d'hélicoptère, ce qui lui sera bien utile lorsqu'il devra s'évader de la base où il a été fait prisonnier. Le truc génial, c'est que pour qu'il entre en contact avec les indigènes bleus, qu'il se fasse accepter par eux et qu'il tombe amoureux de la fille du chef, on lui a créé un avatar, un deuxième corps ressemblant à celui de ses futurs nouveaux amis (c'est émouvant car lorsque son esprit investit son avatar, il se retrouve, lui, l'homme brisé sur son fauteuil roulant, en pleine possession de ses moyens physiques, ce qui lui permet par exemple de tomber d'hélicoptère sans se faire trop mal). A la fin, les méchants mercenaires attaquent avec leurs engins de mort mais les gentils indigènes et les gentils scientifiques s'en sortent grâce à leurs flèches et aux forces de la nature. Jake, qui a quand même perdu deux copines dans l'histoire (mais ses deux copains, eux, terminent en bonne santé) finit par abandonner son corps original pour habiter pour toujours celui de son avatar.

    Avatar n'est pas un film, c'est un produit. Un produit destiné au monde entier. Un produit parfaitement lissé, issu d'une brillante maîtrise de la technologie. Ce qui est pris pour un émerveillement cinématographique n'est en fait qu'une suite de petites surprises visuelles et numériques, car pour le reste, nous surfons sur la plus prévisible des vagues écologistes (ah cette relation fusionnelle avec les animaux et les plantes, ces musiques célestes qui élèvent l'âme, ces myriades de couleurs qui glorifient la nature, ces ralentis qui font vibrer le cœur...!), nous nageons dans les pires clichés narratifs (nous savons tout de suite que le personnage de Sigourney Weaver va se révéler attachant, nous savons à quel instant le héros version bleue va tomber de "cheval" lors de son apprentissage, nous savons quelle va être la réaction de sa promise lorsqu'elle réalisera sa duperie, nous savons ce que va faire la "reine mère" quand elle s'approche menacante avec son couteau vers le héros attaché... et tout, absolument tout, est comme ça) et nous nous noyons sans avoir trouvé la planche de salut, celle que l'on nomme mise en scène (la double temporalité du récit n'apporte aucun trouble, traitée qu'elle est sur un mode d'alternance si simpliste qu'il paraît défaillant ; la grande différence de taille entre les humains et les autres ne débouche sur aucune image marquante, Cameron paraissant tétanisé lorsqu'il filme les rares plans mettant les deux espèces dans le même cadre ; la partie centrale, consacrée à la rencontre et à l'acceptation, est d'un ennui total, tandis que la partie guerrière est un mauvais décalque des travaux des aînés, de Lucas à Coppola, et de ceux de Cameron lui-même). Bref, c'est nul.

     

    avatar00.jpgAVATAR

    de James Cameron

    (Etats-Unis / 162 mn / 2009)

  • Au-delà

    eastwood,etats-unis,mélodrame,2010s

    ****

    La motivation me manquait, la fraîcheur de l'accueil réservé à ce nouvel Eastwood (*), dans la presse et sur le net, m'ayant presque découragé. J'avais tort (et je vais sûrement me retrouver bien seul).

    L'introduction d'Au-delà m'a personnellement stupéfait et je suis déjà reconnaissant au cinéaste de m'avoir fait remettre des images sur cet événement inconcevable que fut le tsunami asiatique de 2004, moi qui répugne depuis toujours à regarder les douloureux documents amateurs pris sur le vif des grandes catastrophes de notre temps. Cette reconstitution très localisée (un hôtel, une rue) et pourtant très impressionnante sera en fait le seul moment  qui, par son rythme, sa tension et son ampleur, se rapprochera du genre du thriller fantastique que le titre et l'argument d'Au-delà semblent annoncer. Plusieurs spectateurs ont été déçus de voir le film démarrer si fort pour, selon eux, s'affaisser ensuite. Peut-être attendaient-ils autre chose que ce que leur donne Eastwood : un vrai mélodrame.

    Ces premières séquences, traumatisantes, sont en fait le point de départ de la partie "française" du récit, qui en compte deux autres. Or, passée la violence du choc initial, nous constatons rapidement que cette histoire est la moins sombre, la moins dramatique des trois. De l'avis général, c'est également, au-delà du prologue, la plus faible cinématographiquement parlant. Deux ou trois séquences sont effectivement, disons, "limites". Celles des réunions chez l'éditeur, en particulier, heurtent quelque peu l'oreille par le contenu, le rythme et le ton des dialogues en français (**). Mais après tout, alors que, de notre côté, nous goûtons particulièrement les séquences du cours de cuisine italienne, il est fort possible que nos voisins transalpins les perçoivent comme une série de clichés peu supportables. Par ailleurs, Cécile de France est ici plutôt meilleure que chez Miller ou Klapisch.

    Surtout, ce segment a son utilité, celle du trépied qui assure une assise plus sûre et qui évite la prévisibilité d'une structure binaire, chose qui a été, par le passé, suffisamment reprochée à Eastwood. Un contrepoint est apporté par cette peinture d'un monde plus superficiel (celui des grands médias), aux personnages ressentant et dégageant des émotions moins directes, moins intenses. C'est une autre voie, une autre façon.

    Assurément, les deux autres histoires parallèles sont supérieures. La partie anglaise est d'excellente facture, très émouvante dans sa façon de décrire le lien indémêlable mais rompu brutalement entre deux jeunes jumeaux de la banlieue londonienne. La partie américaine est meilleure encore, scrutant sans pathos la douleur d'un Matt Damon vivant son don, celui de communiquer avec les morts, comme une malédiction. Deux séquences magnifiques de séduction sont au centre de ce récit-là. La simplicité, la franchise et la délicatesse eastwoodiennes font merveille dans ces moments d'intimité (voir la façon dont la caméra se rapproche peu à peu et isole les deux personnages amoureux du reste du groupe qui les entoure).

    Si l'on s'affranchit quelque peu de cette vision segmentée d'Au-delà, on trouve plus de subtilité et d'intelligence qu'il n'y paraît lorsque l'on se contente de soupeser les mérites de tel ou tel épisode. La construction repose sur une alternance classique que d'aucuns ont jugés trop attendue. Personnellement, c'est justement l'absence d'effets de manche dans les transitions, la rareté des croisements évidents, autres que thématiques, avant la toute dernière partie, qui me plaisent ici. Le thème, si difficile à manier, de la mondialisation passe d'abord par l'usage pertinent, réaliste, justifié, d'outils comme internet ou le téléphone portable, mais il s'efface bientôt devant l'idée de connexion. Connexion virtuelle puis "spirituelle". Mais celles-ci ne doivent pas faire oublier la nécessité d'une communication plus directe, passant en particulier par le toucher (les gestes de Damon qu'il réitère discètement lorsqu'il visite, à Londres, la maison de Dickens, auteur qu'il admire). Cette conscience donne tout son sens au dénouement.

    Je l'ai dit, l'œuvre est mélodramatique. Mais elle vise à apaiser. Elle se déploie avec une tranquilité remarquable, et cela sans asséner de message, les histoires abordées et les rapports décrits étant très différents les uns des autres. Face au deuil, à la mort, à l'après, chacun pense peut-être avoir une réponse ou une explication, mais celles-ci restent personnelles et ne sont pas érigées en règle par Eastwood. Ainsi, son film nous dit l'importance de l'individu au sein du collectif mais aussi celle de la présence aux autres, du toucher, du réel, du concret. Et l'importance de faire son deuil, d'accepter enfin de lâcher ce que l'on ne peut plus tenir entre nos mains.

     

    (*) : Accueil parfois aussi mauvais que pour le Somewhere de Sofia Coppola, mais plus "compréhensible", mieux argumenté et plus cohérent par rapport aux attentes et aux positions des uns et des autres. Bref, comme disait l'autre : ça se discute.

    (**) : Ajoutons, toujours à propos de nos oreilles, que la musique, une nouvelle fois signée par le cinéaste lui-même, n'est pas forcément très inspirée ni très bien utilisée.

     

    audela00.jpgAU-DELÀ (Hereafter)

    de Clint Eastwood

    (Etats-Unis / 129 mn / 2010)

  • La charge de la huitième brigade

    Walsh,etats-unis,western,60s

    ****

    La charge de la 8ème brigade, titre français inadéquat - comme souvent pour les westerns - du beaucoup plus pertinent A distant trumpet, est le dernier film signé par Raoul Walsh. Sa découverte se révèle malheureusement particulièrement décevante. Le métier du cinéaste sauve tout juste l'œuvre du ratage total. Ici, une grande bataille est fort bien mise en espace. Là, une scène d'amour dans une grotte séduit par la franchise et la simplicité de son érotisme. On s'étonne cependant du peu de soin apporté à certains détails : un trucage mal réalisé pour la découverte des corps des fugitifs enterrés vivants, un plan d'éclair assez hideux pour signifier l'orage, le recours grossier à des cascadeurs déguisés en femmes pour jouer des prostituées se castagnant avec leurs clients...

    Mais si le film est un échec, la raison est à chercher en premier lieu du côté du scénario. Mal fichu, reposant sur des dialogues ne brillant guère par leur originalité, empruntant quantité de pistes sans en fouiller correctement aucune, il ne progresse que par une succession de rebondissements, si nombreux et systématiques qu'ils en deviennent totalement gratuits, déconcertant le spectateur au même titre  que le héros à qui l'on annonce de temps en temps qu'untel n'est pas au rendez-vous ou qu'un autre est en fait, contre toute attente, ici-même.

    A partir d'un tel matériau, la vitalité, la truculence de Walsh finissent même par se retourner contre lui. La nuit de fête que les soldats du fort passent avec les filles de joie se termine, comme je l'ai évoqué plus haut, par une bagarre générale. Alors que la danse bat son plein, on entend un "Une fille m'a piqué mon portefeuille !" et, aussitôt, dans la seconde, tout le monde se met à se taper dessus. C'est donc ainsi que le récit avance, jusqu'à une série absurde de surprises dans les dix dernières minutes.

    A côté d'une romance contrariée, constituant peut-être le meilleur aspect du film, les deux thèmes principaux sont les aléas de la vie militaire et le changement du regard porté sur les indiens. Or les ambiguïtés qui s'en dégagent ne semblent pas naître d'une réflexion approfondie mais d'une suite de maladresses dans la construction dramatique. L'armée apparaît d'abord comme un corps en déliquescence, affligé par l'ennui provoqué par la fin des guerres indiennes, puis comme un groupe d'hommes vaillants et compétents. Datant de 1964, le film, sur la question indienne, se doit au moins de ne pas être simpliste mais l'engagement dont il fait preuve n'apparaît pas très honnête. Les quelques indiens effectivement maltraités sont les éclaireurs de l'armée (celui que l'on suit particulièrement, White Cloud, était, nous dit-on, "un grand chef") et le véritable crime, forcer, en contradiction avec la parole donnée, toute une tribu à marcher sans répit jusqu'à une lointaine réserve, n'est pas montré à l'écran. Ce que l'on retient donc en priorité, ce sont ces images de soldats torturés et ces scènes de bataille dans lesquelles des dizaines d'indiens tombent de cheval comme des mouches sous les tirs de l'US Army.

    Si, à tout cela, on ajoute les trompettes envahissantes de Max Steiner ainsi qu'une distribution pour le moins inégale, on peut alors difficilement conclure à autre chose qu'à un Walsh négligeable.

     

    Walsh,etats-unis,western,60sLA CHARGE DE LA 8ème BRIGADE (A distant trumpet)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 113 mn / 1964)

  • La chevauchée des bannis

    dayoutlaw.jpg

    **** 

    C'est un western bien singulier que nous avons là, une œuvre surprenante, qui le devient de plus en plus au fil de son déroulement. Cela tient tout d'abord à son scénario, à sa construction très particulière, mais également à la vigueur et la netteté de la mise en scène d'André De Toth.

    Le début de La chevauchée des bannis pose un problème moral fort, un conflit entre fermier et cowboy, envenimé par la présence d'une femme entre les deux. A travers cet affrontement annoncé se lit le thème de la mort d'une certaine idée de l'Ouest, le passage à une autre époque, le dépassement de la loi du plus fort et du plus rapide qui provoque la mise sur le côté de bien des pionniers.

    Blaise Starrett est de ceux-là. Ayant réussi des années auparavant à maintenir l'ordre à coups de revolver, à nettoyer sa toute petite ville pour mieux assurer la tranquilité et la prospérité de celle-ci, le voici en conflit avec ceux qu'il a protégé tout ce temps, suite à son refus borné devant la pose de barbelés sur son passage. Le personnage campé par Robert Ryan est buté, explosif, peu aimable. Il annonce, tel qu'il est introduit par De Toth, la tonalité très noire qui va envelopper tout le film.

    La première partie détaille l'engrenage menant à un inéluctable (et déséquilibré) duel. On y passe vite de l'extérieur à l'intérieur pour rester enfermé dans le saloon où se joue le drame. Le temps semble s'étirer, les scènes paraissent de plus en plus lentes, presque répétitives. Mais brusquement, le récit bascule et le film avec lui. Une irruption détourne le cours de choses de manière radicale, au point que l'un des deux antagonistes va disparaître quasiment de l'écran.

    Un groupe de hors-la-loi en fuite et chargés d'or vient d'investir le village et il tiennent dès lors la vingtaine d'habitants sous leur coupe. Les figures sont aussi typées qu'inquiétantes, vraiment glaçantes pour certaines. Dorénavant, nul ne peut quitter les lieux sans risquer de se faire descendre d'une balle dans le dos et les quelques femmes résidentes sont menacées de passer de sales quarts d'heure. L'introduction n'était donc un leurre qu'en apparence : le sur-place, l'emprisonnement, la claustrophobie étaient inscrits dès le départ dans la matière du film. L'espace autour du hameau est gigantesque mais enserré par le froid et la neige, barrière naturelle s'ajoutant à celle mise en place avec les rondes des assaillants. C'est aussi un glacis esthétique qui recouvre l'ensemble.

    Cette brisure irrémédiable infligée au récit entraîne vers un tourbillon de violence, une suite de morceaux de bravoure orchestrés par De Toth. Un pugilat prend des allures de massacre, une soirée de danses celle d'une série de viols. La brutalité des gestes et la tension sous-jacente (on ne cesse de parler de "tenir ses hommes"), font que l'on "voit" des choses plus terribles que ce que l'on nous montre réellement. C'est également la conséquence des choix de mise en scène : l'alternance des plans rapprochés décuplant la violence et des plans très larges laissant entendre le silence assourdissant de la nature lors de la première séquence en question, les panoramiques circulaires très rapides suivant les danseurs insatiables et menaçants dans la seconde.

    Pour briser le cercle de la violence, il faut alors un sacrifice, et celui qui autrefois réglait tout par l'usage des armes et qui a pris conscience qu'il ne valait finalement guère mieux que ces renégats a lui-même cette idée. Une ultime bifurcation narrative s'impose donc et le dernier tiers est consacré à un périple dangereux mais libérateur. La violence reste présente mais à un autre niveau. S'exerçant maintenant loin des petites maisons où se réfugient les femmes et les enfants, elle se fait plus allégorique, presque fantastique, dans un enfer blanc qui épuise les chevaux, les pattes enfoncées dans la poudreuse, le corps fumant. Dans le groupe, les éliminations se font les unes après les autres, de plus en plus sidérantes. Ce dernier mouvement est très musical, ce qui contribue à renforcer encore son étrangeté, les instruments s'étant tenus jusque-là très en retrait sur la bande son, brillant même, le plus souvent, par leur absence.

    La chevauchée des bannis propose donc une saisissante montée en puissance et entame en quelque sorte, avec une bonne dizaine d'années d'avance, la réflexion sur la violence que conduiront ensuite des cinéastes aussi divers que Sam Peckinpah, John Boorman, Wes Craven...

     

    dayoutlaw00.jpgLA CHEVAUCHÉE DES BANNIS (Day of the outlaw)

    d'André De Toth

    (Etats-Unis / 88 mn / 1959)

  • Somewhere

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    ****

    - Tiens... on dirait que la chasse est ouverte. Chacun y va de son petit mot cassant à l'encontre de la jeune et riche héritière.

    - Oui et bien ne comptez pas sur moi pour y participer !

     

    Une défense de Somewhere, en écoutant les Strokes.

     

    Is this it

    Ce qu'il faut retenir du déjà fameux premier plan du nouveau film de Sofia Coppola, ce n'est peut-être pas tant le manège répétitif de la Ferrari noire de Johnny Marco que son arrêt soudain devant nous, sans raison particulière.

    Végétant à l'hôtel Château Marmont de Los Angeles, la star ne se lance dans des projets ou ne se soumet qu'à des activités qui, immanquablement, tournent court. Suivre une belle blonde en décapotable n'aboutit à rien, partir en balade mène à la panne de voiture, se lancer dans une partie de jambes en l'air provoque l'endormissement, accepter de se faire masser par un homme entraîne une inquiétude insurmontable. Il n'est alors pas étonnant qu'un aveu attendu, si important, soit formulé mais pas entendu, recouvert qu'il est par le bruit d'un hélicoptère. La remise d'un prix en Italie apportait pourtant la promesse d'un dépaysement libérateur mais là aussi, le discours de remerciement est court-circuité par un numéro berlusconien de danseuses sexys et, l'insatisfaction étant la même à Milan qu'à Hollywood, une nouvelle fuite s'impose.

    En s'inscrivant dans ce registre, en ponctuant la quasi-totalité de ses séquences par ces petites déconvenues, en les stoppant là où le mouvement s'arrête, contrarié, Sofia Coppola prend le risque de la déception. L'exercice est d'autant plus périlleux que, notre point de vue devant épouser celui du héros, l'image ne doit pas trop stimuler l'œil ni le son ambiant trop flatter l'oreille (ainsi, les scènes avec les stripteaseuses laissent entendre les crissements des mains sur les barres et maintiennent la musique à l'arrière-plan sonore, non mixée, sortant directement du lecteur CD posé à terre). La cinéaste doit donc faire preuve de discrétion sans trop abdiquer pour autant sur le terrain de la forme.

    Room on fire

    Sofia Coppola a toujours eu le talent de transformer une suite de saynètes en touchant récit impressionniste. Cet art de la vignette s’adapte parfaitement au sujet choisi car il concourt à relayer la perception fragmentaire du personnage principal. Celui-ci, dont les emplois du temps sont dictés par une invisible assistante, ne cesse de voir les choses lui échapper, se dérober progressivement. Et nous avec. Nous apercevons subrepticement une voiture accidentée sur le côté, nous croisons des jolies blondes interchangeables, nous imaginons des paparazzi en planque dans des 4x4, nous lisons des textos haineux et non signés… autant de flashs sans explications.

    C'est la simple présence de sa fille Cleo qui va aider Johnny. Oh, les choses changent à peine mais suffisamment, elles prennent une forme plus nette et une plus grande consistance. Sans Cleo, ce que Johnny peine à faire, c'est trouver matière à accrocher son regard. Il est important que les spectacles des deux filles dans la chambre encadrent celui que donne Cleo au skating. Devant le show érotique, Johnny s'endort, son regard ne tient pas, alors que l'exercice de sa fille le ravit, ouvrant grands les yeux et ne se laissant pas distraire par son portable.

    Tous ces plans rapprochés sur Stephen Dorff, excellent au demeurant, se justifient ainsi. Son regard, que l'on sent progressivement se renouveler, est notre relai. C'est l'un des nombreux côtés wendersiens de Somewhere, le souvenir le mieux ravivé étant celui d'Alice dans les villes, la présence de la jeune fille et la tentation du road movie aidants.

    First impressions of earth

    La dernière séquence reprend l'idée du court-circuit, sciemment provoqué cette fois-ci lorsque Johnny stoppe sa voiture sur le bas-côté. Il s'avance alors et semble enfin soutenir du regard une ligne de fuite.

     

    Quatre remarques complémentaires :

    - C'est Truffaut ou Godard qui disait que c'était aux cinéastes d'origine ouvrière de s'intéresser aux ouvriers ? Apparemment, de nos jours, il est devenu, aux yeux de beaucoup, indécent de ne filmer que ce que l'on connaît.

    - Je me demande comment peut-on, dans une critique du film, rapprocher autant de fois Somewhere de Lost in translation tout en faisant descendre la note de 4 sur 5 à 0 sur 5.

    - Je préfèrerai toujours les tics du cinéma indépendant US à ceux du cinéma d'auteur français.

    - Lorsque Sofia Coppola réalisera réellement un mauvais film, nous pourrons encore fermer les yeux et écouter la bande son.

     

    somewhere00.jpgSOMEWHERE

    de Sofia Coppola

    (Etats-Unis / 97 mn / 2010)

     

  • Du plomb pour l'inspecteur

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    ****

    Afin de mettre le grappin sur l'auteur du sanglant hold up auquel nous avons assisté quelques minutes plus tôt, la police organise la filature de la poule du malfrat. Pour expliquer la situation à ses hommes, le lieutenant étale sur son bureau un plan de l'étage de l'immeuble où crèche la fille. Le bâtiment est construit en U. Deux longues ailes s'y font face, dans lesquels se trouvent respectivement l'appartement ciblé et la planque des policiers. Un court segment relie les deux ailes principales par un côté, là où est situé l'ascenseur, point de passage obligé de tout notre petit monde. Le topo du lieutenant est clair et concis. La caméra le valide par une plongée à la verticale sur le bureau.

    La scène est des plus classiques, totalement inscrite dans le genre, mais elle en dit ici un peu plus que d'habitude. Elle dit que le film noir, c'est un traitement spécifique de l'espace et Du plomb pour l'inspecteur est de ce point de vue un modèle.

    Hormis quelques échappées dans la rue et le quartier environnants, l'action est cantonnée dans les deux appartements se faisant face dans cet immeuble, dans les passages qui y mènent (ascenseur, escalier), dans les espaces qui les relient (couloirs). Ce lien concret se double de celui, abstrait, que crée la surveillance en elle-même, à l'aide des jumelles et des outils d'écoute téléphonique, entraînant logiquement le film sur le thème du voyeurisme. Nous sommes en 1954 et la même année Alfred Hitchcock signe Fenêtre sur cour.

    Loin d'être un spécialiste du genre, Richard Quine manie pourtant avec assurance les codes et les figures imposées. Sa gestion des décors, aussi bien extérieurs (l'ambiance nocturne et humide, le rythme quasi-documentaire) qu'intérieurs, est remarquable. Organisant d'incessants déplacements qui donnent leur énergie motrice à ce récit confiné dans quelques lieux, il sait exactement prendre le temps qu'il faut pour les accompagner, les rendant ainsi réalistes.

    A cette maîtrise de l'espace s'ajoute la finesse de l'écriture. Le scénario est fort bien cisellé, détaillant l'engrenage avec précision et préparant avec intelligence les futurs arborescences du récit. Prenons pour exemple l'effet miroir que provoque la construction de cette relation entre le collègue du héros et la deuxième fille, voisine directe de la première. La trouvaille de scénariste est parfaitement relayée par la mise en scène, jusque sur le plan architectural. C'est ainsi que la densité du réseau est assurée autour du thème principal : la corruption d'un policier par une suspecte.

    La relation "secondaire" entre le jeune flic et l'infirmière est vue comme saine, par opposition à la première, entre le policier mûr (et bientôt pourri) et la protégée du truand, qui s'est construite sur un mensonge (certes dépassé par la suite). Ici encore, la tentation vient de la femme mais le soupçon de misogynie s'efface rapidement car il s'avère que l'homme ne vaut pas mieux devant l'appât du gain, bien au contraire. Surtout, la noirceur générale est atténuée par la profonde humanité des personnages et par la sensibilité de Quine (auteur de nombreuses comédies, musicales ou non, dont la délicieuse Ma sœur est du tonnerre, tournée l'année suivante). Le cinéaste tire de belles choses de Dorothy Malone (la voisine infirmière), de Fred McMurray dans le rôle principal du flic torturé (brièvement) par la morale, et surtout, il révèle à ses côtés l'inconnue Kim Novak, femme fatale de 21 ans gardant toute son innocence et ayant cette idée lumineuse de porter ses pulls moulants sans le moindre sous-vêtement.

     

    pushover00.jpgDU PLOMB POUR L'INSPECTEUR (Pushover)

    de Richard Quine

    (Etats-Unis / 88 mn / 1954)