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Réalisés l'un dans la foulée de l'autre et la plupart du temps distribués ensemble (en France au cinéma en 1968 comme en DVD plus tard), The shooting et L'ouragan de la vengeance sont deux films difficilement dissociables, à l'origine des premières manifestations du culte voué à leur maître d'œuvre Monte Hellman.
Un campement de mineurs, une ville réduite à trois bâtiments, des étendues rocailleuses, quatre personnages et deux ou trois silhouettes... L'économie de The shooting est celle de la série B (Roger Corman ne se tient pas loin, au sens propre, Hellman étant, au début de sa carrière, l'un de ses protégés) mais la visée est haute. L'approche privilégiée est celle du réalisme, les temps morts n'étant nullement éliminés. Il se crée un rythme étonnant à la suite de ces plans qui retardent les entrées dans le champ et les gestes déterminants ou bien, au contraire, qui démarrent directement sur un coup de feu ou un changement d'échelle brutal.
Les situations se mettent en place de manière énigmatique et les personnages le sont tout autant (un homme qui ne parle pas, un indien dont on ne comprend pas la langue...). Les motivations se devinent, elles ne sont jamais explicitées alors que des questions reviennent sans cesse : Qu'est-ce que c'est ? Qui est-ce ? Quel est son nom ? La ligne narrative suivie est celle d'une quête mais un quête devenant absurde à force de dépouillement et d'obstination. Les chevaux trépassent, les paquets sont abandonnés, les hommes aussi. L'avancée se fait vers un point fuyant mais la force du pressentiment se signale. Quelque chose d'indéfinissable mais de bien présent.
Au campement déserté, l'apparition de la femme, qui ne sera jamais nommée, entraîne déjà dans une dimension fantastique. Si l'on craint la lourdeur théorique et l'intellectualisation excessive du western, le poids du réel nous ramène toujours sur terre, grâce à l'attention portée aux corps, à la fatigue, à la sueur... L'errance existentielle tire là sa force et ce va-et-vient entre l'abstrait et le concret signe la modernité du film (qui annonce par bien des aspects le tour de force accompli récemment par Kelly Reichardt avec La dernière piste). Les interprètes intègrent remarquablement ces données à leur jeu, d'un Jack Nicholson déjà diabolique à un Warren Oates impeccablement dépassé par les événements, en passant par une Millie Perkins à la fois fragile, déterminée et inatteignable.
Oates endosse le rôle d'un ancien chasseur de primes luttant contre les armes, évitant les tueries et préférant écraser à coups de pierre la main dangereuse d'un tueur à gages plutôt que d'abattre celui-ci. Pareillement, Hellman lutte avec le western mais sait que ce combat est vain. Il sait comment ça finit et nous aussi, malgré toutes les ellipses du monde...
Passer par les acteurs et leurs personnages offrent une clé pour comparer les mérites de The shooting et ceux de L'ouragan de la vengeance. Dans le premier, Millie Perkins est une femme mystérieuse, irradiante, sans passé et peut-être sans avenir. Dans le second, elle est fille de fermier, dévouée et travailleuse, effacée et silencieuse. Dans le premier, Jack Nicholson est un manipulateur sardonique affichant ce sourire qu'il reprendra maintes et maintes fois dans la suite de sa carrière. Dans le second, c'est un cowboy honnête, pourchassé à tort, ne souriant jamais : c'est le Nicholson plus rare, ménageant ses effets, que l'on retrouvera par exemple chez Bob Rafelson (Cinq pièces faciles, 1970).
Cette fois, si le tragique est toujours est présent, la subversion du genre se fait uniquement par une accentuation du réalisme. Très prosaïque, Hellman insiste sur les détails et les accidents du réel (le chapeau qui est soufflé par le vent, le cheval que l'on a du mal à enfourcher) et limite les fulgurances dramatiques et stylistiques. Bien que l'histoire contée dans L'ouragan de la vengeance se passe sur plusieurs heures, l'impression donnée est celle du temps réel des actions.
Au moins autant que dans The shooting, nous avons là, à travers l'histoire de trois cowboys pris pour des bandits, une réflexion sur le refus de la violence et l'opposition à son emploi. Elle soutient la forme comme le fond. D'une part, Hellman ne s'appesantit jamais sur les tirs de revolvers, ne s'appuit jamais sur la jouissance de cette violence. D'autre part, il met à nu un mécanisme implacable en lançant ses protagonistes dans une course pour la survie quasiment sans espoir. L'œuvre, très pessimiste, permet de toucher du doigt comme rarement cet engrenage mortel.
Ce n'est qu'en 1971 que sort le film suivant de Monte Hellman, le Macadam à deux voies (Two-lane blacktop) qui va définitivement faire connaître le nom du cinéaste. Pour l'évoquer brièvement, rappelons que, très représentatif de ces années-là par les figures qu'il convoque (jeunesse, liberté de mœurs, groupes sociologiques bien définis, musique pop-rock, traversée des grands espaces), il n'en est pas moins radical et se révèle assez impressionnant. C'est une œuvre dénuée de tout romantisme dans sa description de l'amour porté par les deux personnages principaux aux voitures rapides. Ceux-ci, peu bavards, ne parlent que de mécanique, même en compagnie de la jeune femme qu'il récupèrent au bord de la route. Pour nous, ils en deviennent presque malades mentalement, au moins obsédés. Et cette obsession aboutit à la mort, ce que suggère une fin d'une grande beauté qui, bien évidemment, ne clôt absolument rien dramatiquement parlant. A la rigueur, on peut dire que la tension dramatique n'est apportée que par le rival (Warren Oates et sa gouaille). Et encore... Le défi qui est lancé est rapidement abandonné. Encore une fois, cette position annonce celle de bien des cinéastes d'aujourd'hui, Gus Van Sant en tête.
A ces trois tentatives singulières qui rebattaient les cartes de belle manière a succédé Cockfighter qui me semble, en revanche, assez largement dépourvu d'intérêt. Coursodon et Tavernier dans 50 ans de cinéma américain en parlaient comme d'un film semblant "être construit à partir de certaines exégèses de Two-lane blacktop". On peut le voir en effet comme cela.
Roger Corman à la production, Warren Oates à la tête de la distribution, Harry Dean Stanton à ses côtés et même Millie Perkins, dans un petit rôle : une bonne partie de la "famille" Hellman est réunie. A propos de l'actrice, on peut, à nouveau, s'intéresser au sort qui lui est réservé. Cette fois-ci, elle apparaît en ménagère mal fagotée, des bigoudis dans les cheveux, et son personnage est expédié peu de temps après, sans ménagement. Voilà le chemin parcouru.
Encore une fois, la plupart des marqueurs du cinéma des années 70 sont présents de la sous-dramatisation de l'intrigue au symbolisme désinvolte, des figures de l'errance à celles de la marginalité... Cependant, même pour qui n'est pas amateur de la chose automobile, la passion pour les bolides a quelque chose de beaucoup plus cinématographique que celle pour les combats de coqs, activité principale du héros de Cockfighter. Et comme la mise en scène de Hellman se fait plutôt terne, à quelques flashs près, l'attachement aux personnages, au récit, au film ne se fait pas. L'inévitable truculence de certains épisodes de cette aventure dans l'Amérique profonde lasse et la misogynie caractérise le regard porté sur les femmes (soit proprement ridiculisées, soit incapables de comprendre l'attitude rebelle du héros).
Surtout, le choix de faire du personnage de Warren Oates quelqu'un de muet saborde le film. Ce n'est pas qu'il ne peut pas parler, c'est qu'il ne veut pas, du moins jusqu'à ce qu'il gagne enfin un certain concours. Découle de cette donnée scénaristique un festival de mimiques par Oates qui se révèle pour nous absolument épuisant puisque les gens qui l'entourent ne cessent de communiquer avec lui. Notons que Hellman, de toute façon, ne va pas jusqu'au bout de son idée car il plaque sur beaucoup d'images la voix off de l'acteur, voix qui se fait porteuse d'un discours purement "professionnel" dans une posture créant une proximité/distance avec le spectateur déjà observée plus d'une fois dans d'autres films.
Parvenu au bout de l'impasse, je n'ai amassé que deux ou trois séquences à sauver, un monologue déshabillé au bord d'un lac, un combat de coqs dans une chambre d'hôtel filmé au ralenti... Finalement, à la même époque et dans le même registre de l'Americana déglinguée, un "classique" comme John Huston aura réalisé de bien meilleurs films (Fat City, Le Malin) que ce Cockfighter, échec d'un cinéaste culte qui, semble-t-il, ne retrouvera jamais vraiment l'inspiration qui irriguait les trois opus ayant fait sa réputation(*).
(*) : A moins que le récent Road to nowhere... (n'est-ce pas Doc ?)
THE SHOOTING (ou LA MORT TRAGIQUE DE LELAND DRUM)
L'OURAGAN DE LA VENGEANCE (Ride in the whirlwind)
COCKFIGHTER
de Monte Hellman
(Etats-Unis / 82 min, 82 min, 83 min / 1966, 1965, 1974)