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Nightswimming - Page 101

  • Le boucher

    (Claude Chabrol / France / 1970)

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    Présenter de manière publicitaire Le boucher comme étant un "film criminel campagnard" pourrait faire sourire si Claude Chabrol lui-même ne prenait un malin plaisir à y glisser quelques séquences jouant sur cette apparente incongruité. Il en va ainsi des plans décrivant l'arrivée des gendarmes dans le village : la camionnette des fonctionnaires se glisse dans le décor, entre les poules du premier plan et le bâtiment municipal du fond, puis les képis traversent le champ dans le dos des enfants occupés à jouer dans la cour de l'école. Plus tard, de façon moins appuyée, le va-et-vient des véhicules à gyrophares dans la rue donnera son rythme à la scène se déroulant à l'intérieur de la boucherie de Popaul : au premier plan, la comédie villageoise, à l'arrière-plan, le drame criminel.

    Cette légère ironie ne retombe pas cependant sur les personnages, quelque soit leur importance. Au cours du bal de mariage, on remarque cet homme dansant si bizarrement, celui que l'on pourrait décrire comme "le simplet du village". Or, sa silhouette reviendra plus tard, lors de l'enterrement de la mariée, pour porter la croix du début de cortège. Chabrol le filme en plan large, ne le désigne pas. C'est assez long pour permettre la reconnaissance mais trop court pour faire afficher un sourire en coin. Nul pittoresque donc, dans ce tableau de la "France profonde" (c'est plutôt l'officier de police dépêché par Bordeaux qui affiche les signes les plus risibles : blouson et chapeau de flic), mais bien le maintien d'une attention réaliste, se déployant à l'intérieur de l'une des plus belles et des plus limpides mises en scène de Claude Chabrol.

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    A la sortie du bal, un plan-séquence en traveling arrière accompagne Melle Hélène et Popaul de la salle des fêtes jusqu'à la place de l'école (la musique de la fête se laisse entendre tout du long, jusqu'à l'arrivée près de l'église, où les cloches prennent le relais). Ensuite, nous parcourons l'appartement d'Hélène en la suivant dans ses occupations. La séquence, non dramatique, prolonge rythmiquement celle de la promenade et prépare la scénographie des futures visites de Popaul. Chabrol trouve dans Le boucher un équilibre parfait dans ses effets de mise en scène, jamais ostentatoires ni répétés. De très beaux zooms parsèment la séquence du bal, une légère plongée coince un instant Hélène dans son appartement, un écran noir suspend le temps lors de l'ultime visite, une série de magnifiques plans fixes du visage de Stéphane Audran intriguent fortement sur la fin... La fluidité de l'ensemble empêche de ne voir là que des trucs de technicien. Chabrol prend soin de varier les ambiances, dénouant le drame dans la nuit alors que son film était jusque là très solaire. Il boucle également son récit, en écho à la promenade du début, par une course en voiture vers l'hôpital le plus proche. Au pas de deux tranquille dans la rue du village, rendu en plan-séquence, répond cette précipitation, ciselée par un découpage vif et des gros plans déformant le visage de Popaul.

    Le temps du film, notre regard évolue : il se fait d'abord surplombant, lointain (les premiers plans balayant la vallée de la Dordogne puis ceux embrassant toute la salle des fêtes...) avant d'épouser progressivement celui d'Hélène. Cette proximité qui nous est accordée nous fait accepter, autant qu'elle, le baiser final. Hélène est un ange (ou tout comme : une institutrice). Gentillesse, blondeur, chasteté... Quoique, ce maquillage, cette cigarette... Ramasser en une fraction de seconde un briquet oublié, l'allumer comme on signe un pacte, s'affoler de son propre comportement, se sentir soulager. La femme est changeante. L'homme aussi : Popaul est délicat et horrible. La folie du Boucher n'est pas brouillage mais coexistence. L'astuce du briquet n'engage pas sur la voie de la dissimulation mais sur celle de la prise de conscience de deux états successifs, dont l'un découle de la permanence du mal dans la nature humaine (depuis la nuit des temps bien sûr).

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    Ceci étant, il serait vain de tenter de comprendre les raisons profondes des atrocités perpétrées. L'extraordinaire travail d'écriture de Chabrol permet, dans le naturel du dialogue, d'avancer quelques données (la haine du père, la violence militaire) qui ne se transforment jamais en explications suffisantes. Hélène se penche au bord du gouffre et observe. Comme nous, elle ne peut s'empêcher d'éprouver au moins de la sympathie pour Popaul (que l'on ne voit jamais sous un mauvais jour) puis de l'apaiser.

    Au final, la voiture d'Hélène éclaire par ses phares les arbres penchés vers la route comme le faisait celle du Dr Mabuse, mais c'est plutôt son M le Maudit que Chabrol a réalisé là.

     

    Ma nouvelle visite au Boucher s'est faite à l'occasion du "Claude Chabrol Blogathon" lancé par le cinéphile américain Flickhead et relayé chez nous par Vincent.

    Photos : capture dvd Artedis

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1964)

    Suite du flashback.

     

    cahiers154.JPGpositif60.JPG1964 : Comme l'année précédente, les livraisons de Positif se font plutôt thématiques : comédie à l'italienne, cinéma américain (classique ou indépendant) et bien sûr l'irrésistible numéro spécial consacré à l'érotisme. Robert Benayoun parle avec Roger Corman et Buñuel est une nouvelle fois à la fête.
    Par ailleurs, ce dernier redevient en odeur de sainteté aux Cahiers, après une éclipse de quelques années (une table ronde est organisée à son sujet dans le numéro d'avril). Godard a droit à sa couverture annuelle et Les parapluies de Cherbourg sont défendus sur plusieurs numéros. Les nouvelles signatures affluent entre 63 et 64 : Narboni, Vecchiali, Skorecki, Daney, Biette, Téchiné... Surtout, voici arrivée la fin des "Cahiers jaunes". Avec le rachat par le groupe Filipacchi, la revue change de forme sinon de fond. Une double couverture sur Le désert rouge marque la transition.


    Janvier : ---/vs/---

    Février : David et Lisa (Frank Perry, Cahiers du Cinéma n°152) /vs/ Le journal d'une femme de chambre (Luis Buñuel, Positif n°58)

    Mars : Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, C153) /vs/ Le masque de la mort rouge (Roger Corman, P59)

    Avril : Le silence (Ingmar Bergman, C154) /vs/---

    Mai : Bande à part (Jean-Luc Godard, C155) /vs/ Le fanfaron (Dino Risi, P60)

    Juin : La bataille de France (Jean Aurel, C156) /vs/ "L'érotisme" (Caroll Baker, P61-62-63)

    Juillet : La chevauchée de la vengeance (Budd Boetticher, C157) /vs/---

    Août : Les contes de la lune vague après la pluie (Kenji Mizoguchi, C158) /vs/---

    Septembre : ---/vs/---

    Octobre : Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, C159) /vs/ Les Cheyennes (John Ford, P64-65)

    Novembre : Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, C160) /vs/---

    Décembre : ---/vs/---

     

    cahiers160.jpgpositif61.JPGQuitte à choisir : Joker pour le Roger Corman, mais l'année de Positif ressemble à un sans-faute. Cependant, la faiblesse quantitative biaise une nouvelle fois la confrontation. Demy, Bergman, (Godard ?), Mizoguchi, Antonioni (partagé avec la concurrence qui l'affichera en janvier 65) : à part les interrogations sur David et Lisa et La bataille de France, en face, c'est aussi du solide. Allez, pour 1964 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Et demain ?

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1934)

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    etdemain.jpgLe parcours du jeune couple Hans-Lammchen dans l'Allemagne en crise du début des années 30, leurs difficultés financières, leurs rencontres, le frottement de leur idéalisme au contact d'une société en quête de repères, la fortification de leur amour et le maintien de leur volonté combative...

    Comme l'a établi la majorité des études sur le cinéaste et comme me le laissaient penser quelques souvenirs lointains (liés aux admirables Lucky star, Liliom ou L'adieu aux armes), Et demain ? (Little man, what now ?) confirme que Frank Borzage est essentiellement un grand artiste des années 20 et 30. Nous sommes en effet ici loin du factice I've always loved you. L'histoire est racontée simplement et les effets s'y trouvent ménagés et d'autant plus émouvants. Le tournoiement du manège sur lequel s'est réfugié Lammchen, pleine de remords, ou l'accession à une mansarde sous les étoiles renvoient aux meilleurs moments de l'oeuvre muette. Borzage offre à ses deux amoureux une évolution ascendante, les poussant du rez-de-chaussée d'une officine au dernier étage d'un immeuble bourgeois et jusqu'à un grenier aménagé "près du ciel". Notons bien que cette élévation ne traduit pas une réussite sociale mais plutôt un délestage, une prise de conscience libératrice et, pour le spectateur, une montée émotionnelle.

    Ce beau scénario, qui tire vers la chronique sensible plutôt que le mélodrame larmoyant, séduit par sa capacité à enchaîner les épisodes révélateurs de l'évolution des rapports à l'intérieur du couple. La pesanteur du contexte se fait sentir par des allusions du dialogue (très bien écrit) et par l'apparition de silhouettes secondaires (petits chefs de magasins, chômeurs errants), mais aussi et surtout par une suite de confrontations entre le couple et des figures supérieures sur le plan social, abusant le plus souvent de leur position. Ce sont les réactions de Hans et de Lammchen qui éclairent sur la position morale de Borzage (qui met moins en garde contre le péril nazi, jamais nommé, qu'il ne professe une même méfiance envers toutes les idéologies). Les caractères sont révélés par les différentes situations et anecdotes, ils ne sont pas pré-programmés. L'épisode du début du film, celui de l'employeur désireux de marier sa fille à Hans (qui cache l'existence de son épouse pour conserver sa place), est à ce titre exemplaire. Il ne semble d'abord tenir que sur le jeu théâtral et quasiment vaudevillesque de la dissimulation des intentions avant de dévoiler sa profonde nécessité dans l'affirmation de la sincérité et de l'inaltérabilité de l'amour partagé par Hans et Lammchen.

    De la chronique sociale, le récit adopte le rythme en ruptures de tons, s'appuyant sur l'évantail des registres apportés par les différents protagonistes, sur lesquels notre regard peut évoluer au cours de l'histoire : le vieil escroc libidineux devient, sans changer ses habitudes, un attachant protecteur ; Hans, écorché vif, pétri de certitudes difficiles à mettre en pratique, finit par être très attachant par son volontarisme (c'est sur son visage et non sur celui de sa femme que coulent le plus souvent les larmes) ; Lammchen, enceinte, à la maison, s'efface parfois pour mieux affirmer au final sa présence indispensable.

    Borzage nous touche avec ce portrait d'un couple lié par un amour fou d'autant plus fort qu'il n'est pas donné comme tel mais construit sur la durée. Le jeu de Douglass Montgomery est singulier, à la fois affecté et vif. Margaret Sullavan quant à elle, tournait là son deuxième film, à 25 ans. Elle dégage un charme extraordinaire. L'érotisme discret qui affleure lors de son escapade champêtre avec Hans, la simplicité de sa présence et l'émotion vibrante qui en émane sont à l'image du film.

  • Inoxydable

    Pour ou contre la loi Hadopi ? Pour ou contre Home ? Pour ou contre Charlie Winston ? Pour ou contre Johnny H. chez Johnnie T. ? Pour ou contre Lars Von Trier ?...

    On peut toujours brasser de l'air, on peut toujours causer...

    The Eternal, nouvel album disponible.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1963)

    Suite du flashback.

     

    cahiers143.JPGpositif50.JPG1963 : Howard Hawks a enfin son dossier et sa couverture des Cahiers. Mais pour la revue, le bouleversement se réalise en interne : Rohmer est poussé vers la sortie et un comité de rédaction  (officieusement dirigé par Jacques Rivette) prend les commandes. Un éditorial présente la chose en juillet. La ligne tendra désormais vers le cinéma moderne (principalement européen) plutôt que vers les grands classiques (essentiellement hollywoodiens). Les pages des Cahiers s'ouvriront aussi à d'autres disciplines : ainsi, un entretien avec Roland Barthes parait dans le n°147.
    Documentaires d'un côté, films d'animation de l'autre : les deux revues ne se reposent pas seulement sur leurs auteurs maisons. L'année se termine avec un face-à-face (se limitant aux couvertures, pour une fois) sur le terrain américain.
    Le numéro spécial Hollywood que propose Positif consiste en fait en plusieurs écrits/reportages de Robert Benayoun. Plus tôt, la publication avait fêté son cinquantième numéro (soit 90 de retard sur les "adversaires" !) et profité de l'occasion pour dresser un premier bilan après 10 (+1) ans d'existence. Le renouvellement des plumes s'y fait plus souplement qu'aux Cahiers et en 1963, commencent à écrire Gérard Legrand et Michel Ciment.


    Janvier : Hatari ! (Howard Hawks, Cahiers du Cinéma n°139) /vs/---

    Février : 14-18 (Jean Aurel, C140) /vs/---

    Mars : Jean-Pierre Melville (C141) /vs/ Docteur Jerry et Mister Love (Jerry Lewis, Positif n°50-51-52)

    Avril : Les carabiniers (Jean-Luc Godard, C142) /vs/---

    Mai : Les oiseaux (Alfred Hitchcock, C143) /vs/---

    Juin : Pour la suite du monde (Pierre Perrault et Michel Brault, C144) /vs/ La solitude du coureur de fond (Tony Richardson, P53)

    Juillet : Le cardinal (Otto Preminger, C145) /vs/ The do-it-yourself cartoon kit (Robert Godfrey, P54-55)

    Août : Le feu follet (Louis Malle, C146) /vs/---

    Septembre : Muriel ou le temps d'un retour (Alain Resnais, C147) /vs/---

    Octobre : La taverne de l'Irlandais (John Ford, C148) /vs/---

    Novembre : Main basse sur la ville (Francesco Rosi, C149) /vs/ Judex (Georges Franju, P56)

    Décembre : "Cinéma américain" (Jane Fona, C150-151) /vs/ "Hollywood" (Caroll Baker, P57)

     

    cahiers150.JPGpositif57.JPGQuitte à choisir : Le déséquilibre toujours flagrant dans le nombre de numéros parus profite encore une fois aux Cahiers (en premier lieu : Les oiseaux, Le feu follet, Muriel, Main basse sur la ville), même si Positif ne démérite pas (Jerry Lewis et Tony Richardson). Allez, pour 1963 : Avantage Cahiers.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • I've always loved you

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1946)

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    ivealwayslovedyou.jpgUn mélodrame de Borzage assez mauvais, qui fait illusion pendant une quarantaine de minutes avant de sombrer vers les limites du supportable. Bien sûr, nous ne croyons pas une seule seconde à cette histoire, celle de Myra, jeune femme élevée à la campagne par son père, autrefois pianiste célèbre en Europe, et qui devient la protégée du Maestro Goronof avant de lui faire de l'ombre sur la prestigieuse scène du Carnegie Hall. Toutefois, les péripéties du début s'enchaînent avec suffisamment d'assurance et la caractérisation des personnages oscille assez plaisamment entre stéréotypes et touches plus originales. Surtout, Borzage laisse toute sa place à la musique : le chemin balisé qui nous mène de l'audition au premier concert, en passant par les nombreuses répétitions, grâce sans doute à la sensibilité du cinéaste, évite les raccourcis et les escamotages habituels.

    Puis arrive le grand soir : Goronof dirige son élève sur scène pour la première fois et devant le tout New York. La séquence marque le point de bascule du récit et, malheureusement, celui du film qui, à partir de là se désagrège totalement. La bienveillance que l'on pouvait avoir pendant la première partie est mise à trop rude épreuve. La longueur de cette séquence au Carnegie Hall commence par nous intriguer mais nous nous rendons vite compte que le changement de statut des personnages qu'elle est chargée d'illustrer passe sans originalité aucune par la lourde mise en scène d'un combat, au cours duquel s'oppose de façon bien improbable la pianiste virtuose et son maître à l'oeil tout à coup noir.

    Ici, comme en bien d'autres occasions, Borzage surligne par les dialogues l'importance du moment, qui ne devrait être exprimée que par l'image. Par exemple, la communication extra-sensorielle qui s'établit entre Goronof et Myra, au piano tous les deux, à une centaine de kilomètres l'un de l'autre, est explicitée par la mère du premier, dont l'irruption ne semble justifiée que par cette fonction didactique : "Écoutez, elle lui parle... il lui répond...". Dans les deux séquences de concert, le public se charge de nous dire ce que l'on doit ressentir. Les personnages, de leur côté, ne parviennent plus à nous intéresser. L'inconséquence parfois vacharde du fils et de la mère Goronof se transforme en prise de conscience douloureuse pour l'un et en clairvoyance pleine de sagesse pour l'autre. Du point de vue de la construction dramatique, les ellipses couvrant plusieurs années sont sans effet, ne relevant que de la plus plate facilité : pendant six ans, Myra n'a pas touché à son piano de salon et c'est une simple demande de sa petite fille qui la pousse à rejouer ; après un saut de vingt ans, les enjeux et les caractères ne varient pas d'un pouce, les conversations semblent immédiatement reprendre le même cours.

    Au final, I've always loved you s'abîme dans les pires conventions du mélodrame et fait sienne la moins aimable des idéologies du genre, celle qui rend possible le triomphe des personnages les plus forts par le renoncement et l'effacement des plus faibles. Du désastre de cette dernière heure, sauvons éventuellement l'interprète de Myra, Catherine McLeod.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1962)

    Suite du flashback.


    cahiers130.jpgpositif44.JPG

    1962 : Cléo de 5 à 7 fait l'unanimité mais Varda est bien la seule. Les deux revues font chacune le point sur le nouveau cinéma français : Positif en juin (numéro sous titré "Feux sur le cinéma français") et les Cahiers en décembre. Ces derniers proposent des entretiens avec Godard, Truffaut et Chabrol, tandis que les premiers tirent sur à peu près tout ce qui bouge. Définitivement rejetée par Positif, la Nouvelle Vague est, sous la pression des anciens rédacteurs, plus vigoureusement défendue par les Cahiers de Rohmer (où débutent cette année-là Jean-André Fieschi et Jean-Louis Comolli). Un numéro spécial consacré au cinéma italien sort en mai (centré sur Rossellini, mais éclairant aussi sur les travaux de Pasolini, Cottafavi ou Rosi). A Positif, on loue plutôt le free cinema anglais et surtout, on rend, après sa mort au mois d'août, un juste hommage à Marilyn, dans un dossier digne des plus grands auteurs.


    Janvier : Le roi des rois (Nicholas Ray, Cahiers du Cinéma n°127) /vs/ Piel de verano (Leopoldo Torre Nilson, Positif n°43)

    Février : Les quatre cavaliers de l'Apocalypse (Vincente Minnelli, C128) /vs/---

    Mars : Léviathan (Léonard Keigel, C129) /vs/ Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, P44)

    Avril : Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, C130) /vs/---

    Mai : "Situation du cinéma italien" (Viva l'Italia !, Roberto Rossellini, C131) /vs/ Brigitte Bardot (P45)

    Juin : Le tombeur de ces dames (Jerry Lewis, C132) /vs/ "Cinéma français" (Le combat dans l'île, Alain Cavalier, P46)

    Juillet : Vivre sa vie (Jean-Luc Godard, C133) /vs/ L'ange exterminateur (Luis Bunuel, P47, )

    Août : La dénonciation (Jacques Doniol-Valcroze, C134) /vs/---

    Septembre : Thérèse Desqueyroux (Georges Franju, C135) /vs/ Marylin Monroe (P48)

    Octobre : L'homme qui tua Liberty Valance (John Ford, C136) /vs/---

    Novembre : Procès de Jeanne d'Arc (Robert Bresson, C137) /vs/ Un vent froid en été (Alexander Singer, P49)

    Décembre : "Nouvelle vague" (Adieu Philippine, Jacques Rozier, C138) /vs/---

     

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    Quitte à choisir : Les couvertures sur Cléo s'annulent. Idem pour le plus grand Bunuel qui se retrouve face à l'un des meilleurs Godard. La décision se fait donc grâce à BB et MM, car en face, seul le Ford me semble intouchable (désolé pour Messieurs Minnelli, Bresson et Rozier qui me touchent avec d'autres titres que ceux-là). Allez, pour 1962 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Les visiteurs

    (Elia Kazan / Etats-Unis / 1972)

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    Visiteurs 07.jpgL'histoire de la production des Visiteurs (The visitors) est relativement connue. En ce début de décennie 70, Elia Kazan se remet difficilement des échecs publics successifs d'America America (1963) et de L'arrangement (1969), deux de ses films les plus personnels et les plus ambitieux. Il décide alors de se lancer dans une aventure plus modeste, s'appuyant sur un scénario de son fils Chris, tournant en 16 mm avec une équipe réduite dans sa propriété du Connecticut et engageant des interprètes peu expérimentés, dont le jeune James Woods. A cette nouvelle approche, il est d'autant mieux préparé qu'il est marié à l'époque à Barbara Loden, actrice et réalisatrice d'un unique long-métrage, Wanda (1970), titre mythique du cinéma indépendant américain.

    De fait, pour Les visiteurs, Kazan l'expressionniste renouvelle radicalement son style. Frappent en effet la mobilité d'une caméra portée, le naturel de la photographie et la parcimonie des éclairages intérieurs. Dans ce cadre ne dépassant pas les limites de la propriété du vieux Harry Wayne, le regard se focalise essentiellement sur des gestes sans importance et, à rebours des règles de l'efficacité hollywoodienne, le récit épouse la trivialité et l'arythmie du quotidien y compris lorsqu'une intrusion potentiellement menaçante se manifeste. La tension narrative n'est pas pour autant absente. La science du découpage, l'usage d'ellipses déstabilisantes et la maîtrise du temps jusque dans sa suspension maintiennent l'intérêt.

    La tranquilité du couple formé par Bill et Martha, hébergé par Harry, le père de cette dernière, est donc troublée par l'arrivée inattendue de deux anciens soldats revenus du Vietnam. Ils ont été traduits en justice, devant une cour martiale, pour le viol et le meurtre d'une vietnamienne, suite à une dénonciation de Bill. La force du film est d'être bâti non sur l'incertitude de l'identité ou du statut des deux intrus mais sur leur propre indécision quant au but de leur visite. Simple provocation, désir d'humiliation ou froide vengeance, le hasard seul semble devoir décider du cours des événements. Les présentations sont rapidement faîtes, le problème moral est posé et tout le monde attend l'étincelle qui dénouera la situation d'une façon ou d'une autre. Dans la maison, une ronde pleine de tension est orchestrée magistralement par Kazan à travers les déplacements des personnages, leurs frôlements et leurs regards.

    Le déclenchement de la violence se fera par une agression des sens, soulignée par une bande son soudain envahie par des pleurs de bébé et surtout par trois longues plages musicales, alors que cette absence de musique se remarquait dès le générique de début. L'inéluctable se produit alors et les personnages se révèlent incapables de s'affranchir de leur déterminisme. Comme l'affirme Tony, les règles ne peuvent pas être changées. L'incertitude débouche sur le redouté.

    Compte tenu de leurs thématiques, les films de Kazan peuvent régulièrement être vu à travers le prisme du choix que le cinéaste fit dans les années 50 devant la commission des activités anti-américaines, celui de citer les noms de ses anciens camarades communistes. Les visiteurs, plus que tout autre, invite à ce type de mise en perspective. On y trouvera cependant ni justification ni remords. Les raisons des deux camps sont exposées équitablement mais alors que l'on s'attend à ce que les lignes bougent, les arguments contradictoires s'épuisent mutuellement. Pessimiste, la réflexion paraît sans issue. La seule leçon semble être que la dénonciation ne sert pas à grand chose car elle arrive toujours trop tard. Si action il doit y avoir, elle doit se faire en amont.

    Annonciateur d'un nouveau départ pour Elia Kazan, le geste artistique audacieux des Visiteurs s'avèrera sans lendemain, le cinéaste ne revenant par la suite qu'en 1976 pour tourner l'ultime Dernier nabab. Reste donc un film unique dans sa filmographie mais aussi un film qui s'intègre à un groupe d'oeuvres contemporaines très violentes auscultant la chute abyssale des sociétés occidentales du début des années 70 comme Délivrance, Les chiens de paille ou Orange mécanique. Enfin, de manière plus surprenante, il peut se voir comme un cousin des films de genre horrifiques extrêmes apparus à la suite de La dernière maison sur la gauche de Wes Craven (sorti la même année). Il va sans dire, toutefois, que ces Visiteurs font preuve d'une tenue et d'une profondeur qui leur est incomparable.

    (Chronique DVD pour Kinok)

  • La guerre de sécession

    (Ken Burns / Etats-Unis / 1990)

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    civilwar.jpgLa guerre de sécession (The civil war) est le premier documentaire au long cours de Ken Burns (qui réalisera notamment par la suite : Baseball, Jazz, The war). En neuf épisodes et 680 minutes, il revient sur un événement fondamental de l'histoire des Etats-Unis, ce conflit courant de 1861 à 1865, qui n'a donc pas été filmé mais assez largement photographié (un million de clichés auraient été pris avant que le temps n'efface beaucoup de ces traces). Le pari de Ken Burns est relativement osé : intéresser le spectateur sur une très longue durée, sans disposer de sources cinématographiques et sans passer par la reconstitution (la seule concession, sur ce plan-là, étant l'illustration "sonore" des documents). Les images proviennent quasi-exclusivement de l'iconographie que produisit l'époque (photographies, tableaux et coupures de journaux), ne réservant qu'une toute petite place aux brèves interventions d'une poignée d'historiens et à quelques plans de nature. Le commentaire suit la chronologie des faits, de nombreux extraits de lettres, articles et discours s'intercalant dans la narration. Un récit polyphonique se met ainsi en place, croisant les regards des politiques, des généraux, des soldats et des civils (au risque parfois d'un certain éparpillement).

    L'extrême longueur permet de creuser le sujet, de lier le général au particulier, de tirer plusieurs fils thématiques, de partir de bien avant et de finir sur l'après (tout le dernier épisode est consacré aux conséquences de la guerre : de l'assassinat de Lincoln à la fragile liberté des Noirs).  L'utilisation des photographies se fait à bon escient, limitant les reprises et évitant globalement la lassitude stylistique. Parmi les quelques intervenants, plutôt qu'à d'autres historiens, la préférence est donnée à l'écrivain-spécialiste Shelby Foote, dont on peut trouver les propos trop tournés vers l'anecdote ou le bon mot historique. Voici d'ailleurs la seule faiblesse du commentaire de ce film : à vouloir faire "parler" tous les témoins et à rechercher les expressions les plus significatives, il arrive aux auteurs de placer quelques phrases aussi vagues qu'empesées, du type "Ils arrivaient sur nous comme des diables, se rappellera un soldat de l'Union".

    Nous découvrons ici toute l'importance du conflit dans le ciment de la nation américaine et les nombreux aspects qui peuvent pousser à le définir comme étant la première guerre moderne : industrie du pays mise entièrement au service de l'armée, guerre d'usure et de tranchées, camps de prisonniers se transformant en camps de la mort, succession d'une "vingtaine de Waterloo" aboutissant au bilan le plus élevé de l'histoire des Etats-Unis en termes de pertes humaines (620 000 morts). En 1862, après la bataille d'Antietam (où périrent plus de soldats que lors du débarquement de 1944), a lieu la première exposition de photographies de la guerre. A voir quelques uns des ces clichés de cadavres et de mutilés, il n'est guère étonnant que les télespectateurs américains aient été aussi bousculés en 1990 que leurs ancêtres les découvrant à l'époque. Ils contrastent sérieusement avec l'image lointaine d'une guerre réduite, le temps passant, à un bel idéal.

    Cet idéal, la liberté des esclaves, s'avère en fait avoir été une sorte de patate chaude. L'abolition est l'une des causes de l'éclatement du conflit mais Lincoln, très travaillé par la question, mit du temps à trancher en faveur de l'émancipation. Il ne la proclama, sous la pression continue de quelques partisans (minoritaires dans la population), qu'à l'automne 1862, désireux avant tout d'ennoblir la cause du Nord et de s'assurer la non-intervention des puissances européennes. Malgré ses réticences, son mérite fut toutefois de tenir sa parole jusqu'au bout, y compris lorsque les Démocrates le sommaient de mettre fin à la guerre qui s'enlisait et lui reprochaient d'abâtardir la nation. A l'image de celui de Lincoln, Ken Burns trace des portraits nuancés et éclairants des personnalités engagées dans le conflit. Une étonnante galerie de généraux défile (Nathan Bedford Forrest et sa cavalerie insaisissable, Joseph Johnson le fou de Dieu, George McClellan le timoré, William Sherman l'indépendant bravache...), qui nous fait sortir du simple parallèle entre les deux grandes figures parfaitement contradictoires et passionnantes par cette opposition même que sont Grant et Lee.

    Dans La guerre de sécession, par-delà quelques flottements, le style et l'éthique de Ken Burns, grand documentariste, sont déjà bien en place.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1961)

    Suite du flashback.


    cahiers119.JPGpositif40.JPG1961 : La Nouvelle Vague s'étend jusqu'à ne plus avoir de limites précises et connaît ses premiers échecs. Huit des dix films mis en couverture des Cahiers cette année-là sont français. La revue a du mal a répondre aux accusations de copinage formulées par les anti-NV et paraît timorée dans sa défense du mouvement aux yeux des pro-NV. André S. Labarthe et Jacques Siclier dirigent le numéro spécial sur la télévision et Rohmer signe l'un de ses plus fameux article, "Le goût de la beauté". On s'interroge sur la critique (jusqu'à demander leur avis à certains "Positivistes"), on s'entretient avec Mizoguchi, on bataille autour de Shadows et on disserte sur L'année dernière à Marienbad et l'art moderne.
    Du côté de Positif, les Français à l'honneur se nomment Pierre Kast, Jacques Becker (éloge du Trou) et Truffaut (pour Tirez sur le pianiste). Claude Autant-Lara également (à l'occasion du Bois des amants), qui peut être encore considéré à l'époque par la revue "d'homme de gauche". Le Nazarin de Bunuel continue à faire couler de l'encre alors que Viridiana débarque. Idem pour Antonioni : L'avventura n'a pas fini de faire parler qu'arrive déjà La nuit.


    Janvier : Un couple (Jean-Pierre Mocky, Cahiers du Cinéma n°115) /vs/ La morte saison des amours (Pierre Kast, Positif n°37)

    Février : La proie pour l'ombre (Alexandre Astruc, C116) /vs/---

    Mars : Le coeur battant (Jacques Doniol-Valcroze, C117) /vs/ Un numéro du tonnerre (Vincente Minnelli, P38)

    Avril : "La télévision" (C118) /vs/---

    Mai : Shadows (John Cassavetes, C119) /vs/ La nuit (Michelangelo Antonioni, P39)

    Juin : Exodus (Otto Preminger, C120) /vs/---

    Juillet : Jules et Jim (François Truffaut, C121) /vs/ Le masque du démon (Mario Bava, P40)

    Août : Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, C122, ) /vs/---

    Septembre : L'année dernière à Marienbad (Alain Resnais, C123) /vs/ Mère Jeanne des Anges (Jerzy Kawalerowicz, P41)

    Octobre : Léon Morin prêtre (Jean-Pierre Melville, C124) /vs/---

    Novembre : Adieu Philippine (Jacques Rozier, C125) /vs/ Viridiana (Luis Bunuel, P42)

    Décembre : "La critique" (C126) /vs/---

     

    cahiers123.JPGpositif42.JPGQuitte à choisir : Je ne saurai me prononcer sur les Mocky, Astruc, Kast et autres Doniol-Valcroze. En revanche, malgré le joli coup Shadows et les inévitables Jules et Jim (en cours de tournage) et Marienbad, les Cahiers me semblent se faire dépasser par le quatuor final proposé par Positif, d'autant plus que les Godard, Melville et Rozier mis dans la balance ne sont pas les meilleurs de leurs auteurs. Allez, pour 1961 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma