(Howard Hawks / Etats-Unis / 1946)
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Du fameux échange entre Lauren Bacall et Humphrey Bogart qui clôt la première partie du Grand sommeil (The big sleep), celle qui voit se résoudre l'énigme posée au départ, avant qu'une autre, sous-jacente, ne soit démêlée par la suite, de cet échange, donc, il a souvent été tiré tout le sel érotique. Il est vrai qu'il est fondé sur une métaphore transparente, celle de la course hippique. De plus, le film ne se contente pas de ce seul dialogue à double-sens, organisant une valse des désirs infinie autour du privé Marlowe. Dès la première scène, la fille de son client lui tombe littéralement dans les bras. Peu après, une belle bibliothécaire le renseigne sans se faire prier sur le voisin d'en face et veut bien l'aider à faire passer le temps en attendant le retour du suspect, enlève ses lunettes, dénoue ses cheveux, baisse le store et ferme la porte de son magasin. On ne saurait être plus clair. Qu'il soit synonyme de dépravation (la jeune Carmen Sternwood et sa vie dissolue) ou vécu de manière plus "saine" (Marlowe), le désir sexuel est partout, à l'origine de tout, de l'histoire criminelle (les ennuis de la famille) et de l'histoire d'amour (entre Marlowe et Vivian).

Mais revenons à nos chevaux. Le dialogue-pivot du film a un autre sens, plus évident encore car plusieurs fois repris par la suite : la nécessité, dans cette affaire, de prendre part à une course. Et en effet, se précise au fur et à mesure (alors que l'intrigue elle-même s'obscurcit) la règle du jeu. Tout simplement, il faut être le premier à investir un lieu. Logiquement, Marlowe commence par être convoqué (il est attendu par le patriarche Sternwood), puis son enquête le porte d'un lieu à l'autre, débarquant en cours d'une action ou s'avisant qu'il a été précédé par quelqu'un, évaporé ou caché dans le décor. Son parcours l'oblige également à repasser régulièrement par certains endroits (la maison louée par Geiger) comme l'on accumulerait les tours de terrain. Pour parvenir à ses fins, il doit combler son retard et il prend définitivement l'avantage lorsqu'il tend un piège à Eddie Mars en le devançant, l'attendant sur son terrain, dans sa propriété.
Chacun le sait, la trame du Grand sommeil est extrèmement difficile à suivre, surtout dans la deuxième moitié du film. Les personnages, eux, ne paraissent en revanche jamais perdus. Si Marlowe est parfois perplexe, il comprend tout très vite, le récit le plaçant toujours en avance par rapport à un spectateur qui prend chacune de ses explications généreusement dispensées pour une bouée de sauvetage. Ces petits récapitulatifs laissent l'illusion de saisir au moins quelques détails et les grandes lignes de l'imbroglio. C'est l'une des manières que trouve Hawks pour ne pas laisser verser son récit dans l'arbitraire mais ce n'est pas la seule.
Étrangement, l'impression de vitesse est moins donnée par les mouvements de caméra et les déplacements que par le tempo imposé aux mots (Le grand sommeil est un film d'intérieur qui va vite...). Le rythme effréné des répliques concerne aussi bien les propos visant à la séduction que ceux purement investigateurs. Cet emballement est source de plaisir lorsqu'il s'agit d'observer la guerre des sexes, pourquoi devrait-il se calmer dans les moments réservés à l'enquête ? Il faut toutefois préciser que c'est bel et bien l'enchaînement des questions et des réponses et non l'élocution de chacun qui est rapide, cela à une seule exception près, parfaitement cohérente : dans le final, Marlowe débite ses phrases à toute vitesse, pour la première fois à ce point, étant toujours dans cette logique de la course et touchant enfin au but.

La vitesse, c'est aussi la sêcheresse des coups et le magnifique réalisme gestuel. C'est le passage à tabac du détective dans une impasse, en deux ou trois mouvements fulgurants, et c'est Marlowe qui suspend son coup de fil pour faire deux pas vers la serveuse du bar afin que celle-ci lui allume sa cigarette. A l'art du geste et des postures s'ajoute enfin celui de l'organisation spatiale. Le caractère arbitraire des changements de lieux est gommé par la mise en scène : merveilleux raccords dans le mouvement pour passer d'une séquence à l'autre, illustration des relations entre les personnages par leur position (le jeu de regards et de gestes, lorsque Marlowe retrouve Vivian chez Mars, en train de chanter), musique de Steiner qui accompagne sans surligner, légères variations lors des approches successives d'un même décor. Tout cela est d'une grande simplicité et d'une fluidité admirable et prouve que, décidément, atteindre la "transparence" demande du travail.
 Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages est la première réalisation de Michel Audiard. Cela démarre sur un monologue de Marlène Jobert, préfigurant les apostrophes au spectateur qu'affectionnera un peu plus tard Bertrand Blier, en plus long et en moins saillant. En fait, pratiquement le quart du métrage est encombré par ce procédé (Jobert laissant parfois la parole à André Pousse, Mario David ou Bernard Blier) faisant ainsi patiner un récit qui n'est déjà pas particulièrement stimulant car ressassant toujours les mêmes histoires de règlements de comptes rigolards entre truands. Pour faire cinéaste, Audiard brise le rythme, façonne des gags cartoonesques (minables), insère des textes décalés en guise de débuts de chapitres. Les dialogues n'offrent aucune progression narrative, Audiard étant trop occupé à coller ses formules les unes aux autres. Même sortant de la bouche de Bernard Blier, ce déluge provoque vite la saturation. Marlène Jobert est supportable à condition de se boucher les oreilles en reluquant son joli corps régulièrement dénudé (et c'est encore la meilleure façon d'illustrer cette note). Au milieu de cette sinistre comédie, nous avons droit à une pitoyable parodie de comédie musicale à la Jacques Demy. On se moque aussi des hippies, du pop-art, de tout ce qui représente la jeunesse et on idolâtre ces vieilles flingueuses et ces vieux gangsters qui savent vivre, eux. Un film de gérontophile. Un film très con, pour parler comme son auteur.
Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages est la première réalisation de Michel Audiard. Cela démarre sur un monologue de Marlène Jobert, préfigurant les apostrophes au spectateur qu'affectionnera un peu plus tard Bertrand Blier, en plus long et en moins saillant. En fait, pratiquement le quart du métrage est encombré par ce procédé (Jobert laissant parfois la parole à André Pousse, Mario David ou Bernard Blier) faisant ainsi patiner un récit qui n'est déjà pas particulièrement stimulant car ressassant toujours les mêmes histoires de règlements de comptes rigolards entre truands. Pour faire cinéaste, Audiard brise le rythme, façonne des gags cartoonesques (minables), insère des textes décalés en guise de débuts de chapitres. Les dialogues n'offrent aucune progression narrative, Audiard étant trop occupé à coller ses formules les unes aux autres. Même sortant de la bouche de Bernard Blier, ce déluge provoque vite la saturation. Marlène Jobert est supportable à condition de se boucher les oreilles en reluquant son joli corps régulièrement dénudé (et c'est encore la meilleure façon d'illustrer cette note). Au milieu de cette sinistre comédie, nous avons droit à une pitoyable parodie de comédie musicale à la Jacques Demy. On se moque aussi des hippies, du pop-art, de tout ce qui représente la jeunesse et on idolâtre ces vieilles flingueuses et ces vieux gangsters qui savent vivre, eux. Un film de gérontophile. Un film très con, pour parler comme son auteur. Par rapport à la connerie, la crétinerie peut apparaître parfois plus sympathique. Le grand bazar est réputé pour être le "meilleur" film des Charlots. C'est peut-être vrai : c'est nul mais pas foncièrement déplaisant. Pendant une demie-heure, on relève quelques gags réussis, disons un sur quatre ou cinq, les autres étant affligeants. Le film bénéficie de l'abattage de Michel Galabru et de Michel Serrault. La sûreté de leur jeu, même dans un registre extrèmement limité comme celui qui leur est imposé, contraste avec l'amateurisme désespérant de celui des Charlots. Contrairement au titre précédemment évoqué, Le grand bazar capte (mal, mais il capte quand même) un certain air du temps avec son scénario anti-consumériste (la bataille que mène un petit commerçant contre un gérant de supermarché) et sa vision d'une banlieue peu attrayante. Comme Audiard avec Demy, Zidi fait lui aussi un renvoi cinéphilique en filmant Galabru partant à l'assaut de son concurrent au son du thème à l'harmonica créé par Morricone pour Il était une fois dans l'Ouest. L'écart, par son gigantisme, provoque un sourire bienveillant, loin du sentiment de mépris que véhicule la parodie d'Audiard. Cela dit, à la mi-parcours (à peu près à la coupure de pub !), ma relative indulgence s'est évaporée devant l'essoufflement du récit, la débilité continue des gags, l'étirement insupportable de certaines séquences comme celles du pillage du magasin et de la virée en boîte et la nullité du dénouement, totalement inoffensif, montrant les Charlots heureux de leur renoncement.
Par rapport à la connerie, la crétinerie peut apparaître parfois plus sympathique. Le grand bazar est réputé pour être le "meilleur" film des Charlots. C'est peut-être vrai : c'est nul mais pas foncièrement déplaisant. Pendant une demie-heure, on relève quelques gags réussis, disons un sur quatre ou cinq, les autres étant affligeants. Le film bénéficie de l'abattage de Michel Galabru et de Michel Serrault. La sûreté de leur jeu, même dans un registre extrèmement limité comme celui qui leur est imposé, contraste avec l'amateurisme désespérant de celui des Charlots. Contrairement au titre précédemment évoqué, Le grand bazar capte (mal, mais il capte quand même) un certain air du temps avec son scénario anti-consumériste (la bataille que mène un petit commerçant contre un gérant de supermarché) et sa vision d'une banlieue peu attrayante. Comme Audiard avec Demy, Zidi fait lui aussi un renvoi cinéphilique en filmant Galabru partant à l'assaut de son concurrent au son du thème à l'harmonica créé par Morricone pour Il était une fois dans l'Ouest. L'écart, par son gigantisme, provoque un sourire bienveillant, loin du sentiment de mépris que véhicule la parodie d'Audiard. Cela dit, à la mi-parcours (à peu près à la coupure de pub !), ma relative indulgence s'est évaporée devant l'essoufflement du récit, la débilité continue des gags, l'étirement insupportable de certaines séquences comme celles du pillage du magasin et de la virée en boîte et la nullité du dénouement, totalement inoffensif, montrant les Charlots heureux de leur renoncement.
 Malgré le fait qu'il soit loin d'être détestable, j'ai quelques problèmes avec Le grand silence (Il grande silenzio), western italien qui ne manque ni d'
Malgré le fait qu'il soit loin d'être détestable, j'ai quelques problèmes avec Le grand silence (Il grande silenzio), western italien qui ne manque ni d' Premier film de Lucrecia Martel, La Ciénaga est une chronique familiale grinçante, tendre et terrible à la fois. Dès les premiers plans sont dévoilés les corps avachis du couple formé par Mecha et Gregorio et de ceux de leurs invités, corps titubant sous les effets de l'alcool, affligés par la moiteur et comme paralysés sous le poids de leur classe. Quand Mecha tombe et se coupe avec son verre, personne ne lève le petit doigt et chacun attend que la domestique vienne faire son travail. Inertes, les propriétaires de cette maison ne savent que se traîner de la piscine à l'eau croupie jusqu'à leur lit, cela en médisant constamment sur leurs bonnes et les Indiens en général, ces "barbares".
Premier film de Lucrecia Martel, La Ciénaga est une chronique familiale grinçante, tendre et terrible à la fois. Dès les premiers plans sont dévoilés les corps avachis du couple formé par Mecha et Gregorio et de ceux de leurs invités, corps titubant sous les effets de l'alcool, affligés par la moiteur et comme paralysés sous le poids de leur classe. Quand Mecha tombe et se coupe avec son verre, personne ne lève le petit doigt et chacun attend que la domestique vienne faire son travail. Inertes, les propriétaires de cette maison ne savent que se traîner de la piscine à l'eau croupie jusqu'à leur lit, cela en médisant constamment sur leurs bonnes et les Indiens en général, ces "barbares". Un "sang mêlé" nommé Keoma revient dans sa région après avoir servi sous l'uniforme nordiste pendant la guerre de sécession. Son père, grande gâchette, est devenu simple fermier et ses trois demi-frères, qui ne l'ont jamais considéré comme l'un des leurs, sont passés sous les ordres du puissant propriétaire Caldwell. Ce dernier profite d'une épidémie de peste pour maintenir sous sa coupe la population du village.
Un "sang mêlé" nommé Keoma revient dans sa région après avoir servi sous l'uniforme nordiste pendant la guerre de sécession. Son père, grande gâchette, est devenu simple fermier et ses trois demi-frères, qui ne l'ont jamais considéré comme l'un des leurs, sont passés sous les ordres du puissant propriétaire Caldwell. Ce dernier profite d'une épidémie de peste pour maintenir sous sa coupe la population du village. Redacted se présente comme un assemblage de documents militaires, amateurs ou télévisuels, tous liés, de près ou de loin, au viol d'une Irakienne et à l'assassinat de sa famille par deux soldats américains, faits qui se seraient déroulés courant 2006.
Redacted se présente comme un assemblage de documents militaires, amateurs ou télévisuels, tous liés, de près ou de loin, au viol d'une Irakienne et à l'assassinat de sa famille par deux soldats américains, faits qui se seraient déroulés courant 2006.

 Le voyage du titre français est celui qu'entame une douzaine de membres d'une famille de Buenos Aires, sous l'impulsion de l'arrière-grand-mère Emilia, afin de rallier en camping-car Misiones, au nord-est du pays, là où doit se dérouler le mariage d'une petite nièce. Le récit n'est constitué que de ce périple de plus de mille kilomètres, au cours duquel la chaleur écrasante et les ennuis mécaniques vont vite révéler les tensions familiales.
Le voyage du titre français est celui qu'entame une douzaine de membres d'une famille de Buenos Aires, sous l'impulsion de l'arrière-grand-mère Emilia, afin de rallier en camping-car Misiones, au nord-est du pays, là où doit se dérouler le mariage d'une petite nièce. Le récit n'est constitué que de ce périple de plus de mille kilomètres, au cours duquel la chaleur écrasante et les ennuis mécaniques vont vite révéler les tensions familiales. Ismora est un escroc génial qui par son art du travestissement réalise une série de vols spectaculaires. Il se trouve qu'il a un sosie parfait, Mr Dupon, paisible représentant de commerce. Il met la main sur ce dernier et le manipule de façon à ce qu'il accepte de jouer son double dans le beau monde, ce subterfuge fournissant un alibi imparable pendant qu'il commet ses forfaits.
Ismora est un escroc génial qui par son art du travestissement réalise une série de vols spectaculaires. Il se trouve qu'il a un sosie parfait, Mr Dupon, paisible représentant de commerce. Il met la main sur ce dernier et le manipule de façon à ce qu'il accepte de jouer son double dans le beau monde, ce subterfuge fournissant un alibi imparable pendant qu'il commet ses forfaits.