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Nightswimming - Page 103

  • La guerre de sécession

    (Ken Burns / Etats-Unis / 1990)

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    civilwar.jpgLa guerre de sécession (The civil war) est le premier documentaire au long cours de Ken Burns (qui réalisera notamment par la suite : Baseball, Jazz, The war). En neuf épisodes et 680 minutes, il revient sur un événement fondamental de l'histoire des Etats-Unis, ce conflit courant de 1861 à 1865, qui n'a donc pas été filmé mais assez largement photographié (un million de clichés auraient été pris avant que le temps n'efface beaucoup de ces traces). Le pari de Ken Burns est relativement osé : intéresser le spectateur sur une très longue durée, sans disposer de sources cinématographiques et sans passer par la reconstitution (la seule concession, sur ce plan-là, étant l'illustration "sonore" des documents). Les images proviennent quasi-exclusivement de l'iconographie que produisit l'époque (photographies, tableaux et coupures de journaux), ne réservant qu'une toute petite place aux brèves interventions d'une poignée d'historiens et à quelques plans de nature. Le commentaire suit la chronologie des faits, de nombreux extraits de lettres, articles et discours s'intercalant dans la narration. Un récit polyphonique se met ainsi en place, croisant les regards des politiques, des généraux, des soldats et des civils (au risque parfois d'un certain éparpillement).

    L'extrême longueur permet de creuser le sujet, de lier le général au particulier, de tirer plusieurs fils thématiques, de partir de bien avant et de finir sur l'après (tout le dernier épisode est consacré aux conséquences de la guerre : de l'assassinat de Lincoln à la fragile liberté des Noirs).  L'utilisation des photographies se fait à bon escient, limitant les reprises et évitant globalement la lassitude stylistique. Parmi les quelques intervenants, plutôt qu'à d'autres historiens, la préférence est donnée à l'écrivain-spécialiste Shelby Foote, dont on peut trouver les propos trop tournés vers l'anecdote ou le bon mot historique. Voici d'ailleurs la seule faiblesse du commentaire de ce film : à vouloir faire "parler" tous les témoins et à rechercher les expressions les plus significatives, il arrive aux auteurs de placer quelques phrases aussi vagues qu'empesées, du type "Ils arrivaient sur nous comme des diables, se rappellera un soldat de l'Union".

    Nous découvrons ici toute l'importance du conflit dans le ciment de la nation américaine et les nombreux aspects qui peuvent pousser à le définir comme étant la première guerre moderne : industrie du pays mise entièrement au service de l'armée, guerre d'usure et de tranchées, camps de prisonniers se transformant en camps de la mort, succession d'une "vingtaine de Waterloo" aboutissant au bilan le plus élevé de l'histoire des Etats-Unis en termes de pertes humaines (620 000 morts). En 1862, après la bataille d'Antietam (où périrent plus de soldats que lors du débarquement de 1944), a lieu la première exposition de photographies de la guerre. A voir quelques uns des ces clichés de cadavres et de mutilés, il n'est guère étonnant que les télespectateurs américains aient été aussi bousculés en 1990 que leurs ancêtres les découvrant à l'époque. Ils contrastent sérieusement avec l'image lointaine d'une guerre réduite, le temps passant, à un bel idéal.

    Cet idéal, la liberté des esclaves, s'avère en fait avoir été une sorte de patate chaude. L'abolition est l'une des causes de l'éclatement du conflit mais Lincoln, très travaillé par la question, mit du temps à trancher en faveur de l'émancipation. Il ne la proclama, sous la pression continue de quelques partisans (minoritaires dans la population), qu'à l'automne 1862, désireux avant tout d'ennoblir la cause du Nord et de s'assurer la non-intervention des puissances européennes. Malgré ses réticences, son mérite fut toutefois de tenir sa parole jusqu'au bout, y compris lorsque les Démocrates le sommaient de mettre fin à la guerre qui s'enlisait et lui reprochaient d'abâtardir la nation. A l'image de celui de Lincoln, Ken Burns trace des portraits nuancés et éclairants des personnalités engagées dans le conflit. Une étonnante galerie de généraux défile (Nathan Bedford Forrest et sa cavalerie insaisissable, Joseph Johnson le fou de Dieu, George McClellan le timoré, William Sherman l'indépendant bravache...), qui nous fait sortir du simple parallèle entre les deux grandes figures parfaitement contradictoires et passionnantes par cette opposition même que sont Grant et Lee.

    Dans La guerre de sécession, par-delà quelques flottements, le style et l'éthique de Ken Burns, grand documentariste, sont déjà bien en place.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1961)

    Suite du flashback.


    cahiers119.JPGpositif40.JPG1961 : La Nouvelle Vague s'étend jusqu'à ne plus avoir de limites précises et connaît ses premiers échecs. Huit des dix films mis en couverture des Cahiers cette année-là sont français. La revue a du mal a répondre aux accusations de copinage formulées par les anti-NV et paraît timorée dans sa défense du mouvement aux yeux des pro-NV. André S. Labarthe et Jacques Siclier dirigent le numéro spécial sur la télévision et Rohmer signe l'un de ses plus fameux article, "Le goût de la beauté". On s'interroge sur la critique (jusqu'à demander leur avis à certains "Positivistes"), on s'entretient avec Mizoguchi, on bataille autour de Shadows et on disserte sur L'année dernière à Marienbad et l'art moderne.
    Du côté de Positif, les Français à l'honneur se nomment Pierre Kast, Jacques Becker (éloge du Trou) et Truffaut (pour Tirez sur le pianiste). Claude Autant-Lara également (à l'occasion du Bois des amants), qui peut être encore considéré à l'époque par la revue "d'homme de gauche". Le Nazarin de Bunuel continue à faire couler de l'encre alors que Viridiana débarque. Idem pour Antonioni : L'avventura n'a pas fini de faire parler qu'arrive déjà La nuit.


    Janvier : Un couple (Jean-Pierre Mocky, Cahiers du Cinéma n°115) /vs/ La morte saison des amours (Pierre Kast, Positif n°37)

    Février : La proie pour l'ombre (Alexandre Astruc, C116) /vs/---

    Mars : Le coeur battant (Jacques Doniol-Valcroze, C117) /vs/ Un numéro du tonnerre (Vincente Minnelli, P38)

    Avril : "La télévision" (C118) /vs/---

    Mai : Shadows (John Cassavetes, C119) /vs/ La nuit (Michelangelo Antonioni, P39)

    Juin : Exodus (Otto Preminger, C120) /vs/---

    Juillet : Jules et Jim (François Truffaut, C121) /vs/ Le masque du démon (Mario Bava, P40)

    Août : Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, C122, ) /vs/---

    Septembre : L'année dernière à Marienbad (Alain Resnais, C123) /vs/ Mère Jeanne des Anges (Jerzy Kawalerowicz, P41)

    Octobre : Léon Morin prêtre (Jean-Pierre Melville, C124) /vs/---

    Novembre : Adieu Philippine (Jacques Rozier, C125) /vs/ Viridiana (Luis Bunuel, P42)

    Décembre : "La critique" (C126) /vs/---

     

    cahiers123.JPGpositif42.JPGQuitte à choisir : Je ne saurai me prononcer sur les Mocky, Astruc, Kast et autres Doniol-Valcroze. En revanche, malgré le joli coup Shadows et les inévitables Jules et Jim (en cours de tournage) et Marienbad, les Cahiers me semblent se faire dépasser par le quatuor final proposé par Positif, d'autant plus que les Godard, Melville et Rozier mis dans la balance ne sont pas les meilleurs de leurs auteurs. Allez, pour 1961 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Etreintes brisées

    (Pedro Almodovar / Espagne / 2009)

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    etreintesbrisees.jpgEtreintes brisées (Los abrazos rotos) m'a laissé insatisfait. Je précise tout d'abord que l'une des raisons est indépendante du film lui-même : je ne l'ai pas "entendu" correctement. Problème de copie ou de salle, le son était faible et très mal équilibré. Difficile de se concentrer dans ces conditions. Malheureusement, ma déception n'est pas uniquement dûe aux mésaventures de la technique.

    Au début de la production de "Filles et valises", le film dans le film, Lena fait des essais de maquillages et de perruques devant une partie de l'équipe. Almodovar place logiquement son actrice, Penélope Cruz, devant un miroir mais il ajoute : un appareil photo autour du cou du réalisateur Mateo, un camescope tenu par Ernesto fils (qui porte des lunettes), des boucles en forme d'oeil accrochées aux oreilles de Lena et, pour faire bonne mesure, l'irruption dans la pièce de Judit, dont est souligné le regard porté sur l'homme qu'elle aime (homme qui lui-même regarde la femme qu'il... etc...). Etrangement, cette accumulation de signes ne produit ici aucun débordement, aucun effet baroque. Almodovar organise simplement et avec une grande maîtrise. Tout cela est extrèmement intelligent mais rien ne dépasse. Il manque une vibration, un ailleurs.

    Il est généralement assez touchant de voir un grand auteur rendre un hommage direct à son art. Etreintes brisées ne déroge pas à la règle : la passion du cinéma y est évidente, la sincérité dans le traitement du mélodrame et du thriller et l'admiration envers une actrice magnifique également. D'innombrables citations parsèment le film. On y trouve pêle-mêle Antonioni et DePalma, Stahl et Sirk, Bunuel et... Almodovar. Voyons toutefois comment est évoqué Michael Powell. Après de multiples plans montrant Ernesto fils l'oeil collé à son camescope, après une altercation avec Lena au cours de laquelle le trépied est clairement utilisé comme une arme, nous avons droit plus tard à une apostrophe de Mateo : "Tu me fais penser au Voyeur". Le procédé est tout de même insistant et assez scolaire. En sortant du jeu des citations, cette sensation refait surface ailleurs. Nous avons vu Ernesto fils conduire avec sa caméra sanglée sur le siège passager inoccupé. Lorsque Mateo demande à Diego "Comment pouvait-il conduire et filmer en même temps ?", pourquoi nous replacer le plan de coupe déjà vu sur Ernesto dans sa voiture ? Risquait-on l'oublier ?

    En voulant approfondir ses thèmes favoris tout en simplifiant sa mise en scène, Almodovar a pris le risque de corseter son film. L'indécision fantomatique de Volver et les rubans temporels de La mauvaise éducation nous emportaient. La construction d'Etreintes brisées n'est toujours pas linéaire, mais le récit se suit sans effort. L'armature est rigoureusement conçue mais il n'y a que la machinerie à contempler.

    Royale, Penélope Cruz a justement été louée un peu partout. Moins fêté, Lluis Homar est tout aussi remarquable en double émouvant d'Almodovar. Il compose un personnage d'aveugle parmi les plus forts (et les plus crédibles) du cinéma. Les seconds rôles sont bien moins intéressants, hormis le lynchien José Luis Gomez (Ernesto Martel).

    Lynchien car filmé comme les hommes de l'ombre hollywoodiens le sont par le collègue et ami américain d'Almodovar. Finalement, ce dernier n'a-t-il pas voulu réaliser là, en quelque sorte, son Inland Empire à lui ? Ayant offert à la même période leur chef d'oeuvre respectif (Mulholland drive et Parle avec elle, accomplissements formels et émotionnels), Lynch et Almodovar ont sans doute eu l'envie partagée d'ausculter plus avant le monde du cinéma et de creuser leur sillon dans un geste plus radical et plus personnel, une démarche qui les engagerait entièrement. D'un côté, nous avons donc un Almodovar au carré mais comme dévitalisé par trop de réflexion : quelques plans très beaux (Mateo arrivant à l'hôpital, Lena après l'amour, les deux regardant à la télévision le Voyage en Italie de Rossellini) mais pas de flux. De l'autre, nous avions eu un Lynch au carré mais fourmillant, incontrôlé, inégal, monstrueux, répétitif et traversé d'éclairs sublimes. Trop de concentration contre trop de liberté ? Peut-être, mais c'est bien chez le second que naissaient la plus grande beauté et la plus intense émotion...


    De nombreux autres points de vue : Fenêtres sur cour, Inisfree, Dasola, Dr Orlof, Rob Gordon, Une fameuse gorgée de poison.

  • C'était mieux avant... (Juin 1984)

    Mai est déjà derrière nous. Il est l'heure de se retourner sur ce que nous pouvions trouver dans les salles de cinéma françaises en Juin 1984 :

    Venant après une livraison relativement riche, celle de ce mois-ci se révèle bien fade en comparaison. Le tour d'horizon sera donc rapide.

    underfire.jpgUnder fire de Roger Spottiswoode est l'un des films de reporters les plus solides (un genre assez prisé à l'époque, de L'année de tous les dangers à Salvador), qui doit beaucoup à son scénario et ses interprètes : Nick Nolte, Gene Hackman, Joanna Cassidy et Jean-Louis Trintignant en grand manipulateur. Un léger mais bon souvenir enrobe le documentaire (découvert plus tard à la télévision) co-signé par Bertrand Tavernier et Robert Parrish, Mississippi blues, une ballade musicale dans le sud des Etats-Unis, à la rencontre de populations délaissées. Et c'est à peu près tout pour les films connus de mes services... Je pense seulement avoir vu (à la faveur d'une diffusion TV ?), sans émotion particulière, le Pinot simple flic de Jugnot (première réalisation de l'ex-Splendid, avec une Fanny Bastien qui bouleversait alors nos sens de pré-ados).

    laclef.jpgQu'ai-je raté ? A priori, pas grand chose, si ce n'est quelques propositions italiennes. Il n'était bien évidemment pas question, à l'époque, d'aller voir l'interdit aux moins de 18 ans La clé, du sulfureux Tinto Brass (avec Stefania Sandrelli) mais aujourd'hui que je suis un peu plus mûr, j'irai bien jeter un coup d'oeil à travers la serrure. Mes chers amis N°2, toujours avec Philippe Noiret et Ugo Tognazzi, se fit moins remarqué que le premier volet (sorti en 1975) mais Mario Monicelli semblait y distiller encore quelques plaisirs. Quartetto Basileus (film sur la musique de Fabio Carpi) avait plusieurs défenseurs dans la presse, Rosa (vaudeville olé-olé de Salvatore Samperi, avec Laura Antonelli et Fernando Rey) beaucoup moins. Rattachons à ce groupe Gabriela (brésilien, de Bruno Barreto, avec Marcello Mastroianni et Sonia Braga).

    Ailleurs, il y a du tri à faire parmi : Reckless (d'un James Foley qui allait bientôt avoir la cote), Liquid sky (Slava Tsukerman), Looker (SF de Michael Crichton), Le mystère Silkwood (Mike Nichols avec Meryl Streep), En plein cauchemar (film à sketchs fantastiques de Joseph Sargent), Le dernier testament (SF de Lynne Littman), Les moissons du printemps (ou la nostalgie des années 40 par Richard Benjamin, avec Sean penn et Nicholas Cage), Utu (du néo-zélandais Geoff Murphy), Le voleur de feuilles (Pierre Trabaud), Une fille pour Gregory (de Bill Forsyth, sorti après mais réalisé avant l'intéressant Local hero), Le dernier hiver (israélien, de Riki Schelach Nissimoff), Maria Chapdeleine (du prolifique couple canadien Gilles Carle et Carole Laure) et un film dont on avait oublié l'existence (malgré la participation de Garrel ou Akerman), Paris vu par... 20 ans après.

    bonjourvacances.JPGCuriosité du mois, l'affirmation d'un filon hip-hop : Beat street (Stan Lathan) et Break street 84 (Joel Silberg) tentent de rendre compte de la naissance du mouvement musical et culturel (ou de le récupérer ?). Les comédies proposées, à part peut-être Bonjour les vacances (d'Harold Ramis avec Chevy Chase, revu à la hausse par notre véhachessien voisin Mariaque), n'ont rien d'engageant, que ce soit L'été du bac (George Bowers) ou Appelez-moi Bruce ! (Elliot Hong). Il reste encore Les évadés du triangle d'or (Hall Bartlett), Le Bounty (gros machin exotique de Roger Donaldson avec  la star Mel Gibson et Anthony Hopkins), Les pirates de l'île sauvage (Ferdinand Fairfax, avec Tommy Lee Jones), Les sept téméraires de Shao Lin (Cheng Reniye), La France interdite (un doc érotique et soupçonné de bidouillages) et Lady Libertine (film de fesses soft, de Gérard Kikoïne avec Sophie Favier). Bof bof...

    premiere87.JPGEn ce mois de juin faiblard, hormis Positif (280) qui fait sa une sur Under fire, les revues prennent la tangente. Les Cahiers du Cinéma (360-361) parlent déjà de Paris, Texas et des films de Cannes, dans un numéro qui couvrira en fait tout l'été et Première (87) rencontre Miou Miou et Souchon à l'occasion d'un imminent Vol du sphinx. Les autres continuent à mettre en avant les films sortis fin mai : Notre histoire (Cinématographe, 101), La pirate (La Revue du Cinéma, 395), Il était une fois en Amérique (Starfix, 16, et Cinéma 84, 306).

    Voilà pour juin 1984. La suite le mois prochain...

  • Champions

    (Laurent Blanc / France / 2008-2009)

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    Parce qu'il n'y a pas que Gus Van Sant ou Tsaï Ming-liang dans la vie...

     

    Spéciale dédicace à jacktorrance (from Toulouse)

    Un autre avis sur ce film à lire peut-être un jour chez Joachim, mais sûrement pas chez Vincent, ni chez le Doc...

  • Looking for Eric

    (Ken Loach / Grande-Bretagne / 2009)

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    lookingforeric.jpgInitié par Cantona (*), le projet Looking for Eric a permis à Ken Loach, non pas d'alléger son cinéma, comme l'ont assuré quelques journalistes incompétents se pressant à Cannes pour rencontrer la star du foot (**), mais de proposer une variation sur le thème de la passion et sur le rapport entre l'amateur et le modèle. De ce point de vue, le film est réussi. Loach est un passionné de football, de musique : cela se sait et cela se sent sur l'écran, au fil de séquences qui coulent de source. La passion qui anime Eric Bishop (formidable Steve Evets), le héros mal en point, n'est pas présentée comme dévorante mais vivifiante et aidant à supporter bien des aléas (Loach prend d'ailleurs soin de caractériser le personnage sans aborder ce sujet tout de suite, commençant par le situer socialement).

    Inutile de dire que, dès le début, l'on ne cesse de guetter l'articulation, le moment où va débouler le King dans le triste quotidien de banlieue mancunéenne qui nous est décrit. Or, ce bouleversement qui arrive, Loach ne l'explique tout simplement pas. L'amour du ballon rond, un poster dans une chambre, un prénom commun suffisent à faire accepter l'intrusion soudaine du "bon génie". Le dialogue entamé est filmé avec le plus grand naturel, en repoussant tout effet (les plans révélant in fine l'absence de Cantona, en raison notamment de l'arrivée d'une tierce personne, sont rares). Cette frontalité nous pousse à faire nôtre l'explication la plus banale : celle du soliloque intérieur.

    Drôles et émouvants, les échanges entre les deux Eric ouvrent les vannes de la confession et de l'introspection douloureuse. Une passion (celle du foot) se met au service d'une autre, la plus importante. Parfois, le deux se mêlent : un montage alterné fait de deux discussions distinctes d'Eric, l'une avec Cantona, l'autre avec son ex-femme à reconquérir, un seul et même moment d'apesanteur, une brèche dans le réel où tout deviendrait possible. Mais l'émotion la plus intense provient peut-être de ces quelques emballements des deux Eric se remémorant les grands moments de la carrière du joueur mythique de Manchester United : une joie partagée, dans un souffle commun, transmise à merveille par le rythme de séquences calées sur la vigueur des deux comédiens et s'ouvrant sur des extraits de matchs, fort bien intégrés et magnifiés, notamment par une remarquable bande son. Looking for Eric est clairement l'un des plus beaux film sur l'amour du foot jamais réalisé.

    A travers le "personnage" de Cantona passe bien plus qu'un jeu sur l'image publique (les réparties à base de proverbes cantoniens sont très réjouissantes), car c'est surtout l'appropriation d'une personnalité par un fan qui touche, une appropriation toute amicale, une recherche de complicité. Qui n'a jamais rêvé une fois dans sa vie de se lier secrètement et simplement avec une vedette admirée ?

    Il est fort dommage que Looking for Eric ne se limite pas à ce petit programme. Si j'ai parlé de "bon génie" plus haut, il ne faudrait pas trop me pousser pour me faire écrire que Paul Laverty est, lui, le "mauvais génie" de Loach. Pourquoi doit-il ponctuer ses scénarios, à un moment ou à un autre, d'un inévitable événement dramatique sur-signifiant, supposé rendre plus intense encore le récit ? Ici, la découverte d'un revolver nous embarque, pendant toute la deuxième partie, loin de ce qui nous intéressait alors et le morceau de bravoure final, malgré son incongruité, peine par conséquent à rattraper le retard pris sur ce chemin hyper-balisé. Loach serait bien plus inspiré en se cantonnant (ah ah ah) dans ses infra-intrigues du quotidien (ces vibrations qu'il capte de manière unique lors des scènes de groupe), en tenant sa ligne jusqu'au bout, comme au temps de Kes, sans sur-dramatiser des récits suffisamment parlants. A partir des huit scénarios que Laverty lui a écrit, le cinéaste n'a offert qu'un grand film (Le vent se lève, dans lequel le contexte justifiait tous les excès dramatiques), deux à la rigueur (It's a free world, qui contenait aussi, sur sa fin, quelques grosses ficelles). Tous les autres (Bread and roses, le seul que je ne connaisse pas, semble ne pas faire exception) souffrent de scories plus ou moins rédhibitoires (Carla's song, My name is Joe, Sweet sixteen, Just a kiss).

    Si emballant pendant une heure, Looking for Eric, dernier film en date de l'un des meilleurs portraitistes en activité, laisse au final pas mal de regrets.

     

    (*) Le générique annonce un film coproduit par Canto Bros Productions, ce qui fit dire à une gourde assise devant moi : "Il est malin, il veut du pognon..."

    (**) C'est Cantona lui-même, en admirateur sincère du cinéaste, qui était obligé d'expliquer à ses incultes interviewers que Loach n'avait pas attendu son arrivée pour réserver une bonne place à l'humour à l'intérieur de l'un ses films.

     

    D'autres avis sont à lire chez Vincent, Dasola et Rob Gordon.

  • I want (you) to go home

    isabelle.jpgIsabelle, la directrice : " - Ooohhh, le joli dessin que vous nous avez fait là, Monsieur Resnais ! Cette lumière, ces couleurs, cette composition... Cela me rappelle vos anciens tableaux... Écoutez, nous n'allons pas vous laisser partir comme ça. Infirmiers !!! Infirmiers !!! Est-ce qu'il nous reste un porte-clef pour Monsieur Resnais ? Non ? Ou alors un pin's ? Ah, voilà, celui-là est très joli... Bien, bien... Il me reste à vous dire au revoir. L'infirmier va vous reconduire... Non, non... C'est que, voyez-vous, il ne faut pas rester là, Monsieur, nous avons une compétition, ici, d'accord ? J'ai rendez-vous avec le Dr Mendoza et je suis déjà affreusement en retard... Allez, portez-vous bien... Amitiés à Sabine..."

    resnais.jpg
  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1960)

    Suite du flashback.


    cahiers103.JPGpositif33.JPG1960 : C'est l'année Godard pour les Cahiers (texte de Luc Moullet sur A bout de souffle). La Nouvelle Vague est à son zénith et la revue s'en félicite, même si la défense du mouvement est finalement moins véhémente que ne le laisse croire l'abondance des couvertures, comme si cela allait de soi. Un numéro rend hommage au disparu Jacques Becker, un autre est consacré à Joseph Losey (préparé par Pierre Rissient et l'école du Mac-Mahon). Cannes 1960 est l'édition du double scandale L'avventura / La dolce vita et l'on est alors sommé de choisir : Antonioni ou Fellini. Sous l'impulsion d'André S. Labarthe, les Cahiers penchent du côté du premier.
    Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, pas de position aussi tranchée à Positif. Si L'avventura est bien le plus grand film moderne, La dolce vita n'est pas loin derrière. Autre surprise : le Nazarin de Bunuel divise la rédaction (pas moins de quatre textes tentent d'en faire le tour, et ce n'est pas fini...). Ado Kyrou parle de W.C. Fields et du burlesque américain, Roger Tailleur du western. Une jeune femme débarque, Michèle Firk, qui mèlera vigoureusement et jusqu'au bout, dans ses textes, cinéma et politique.


    Janvier : A bout de souffle (Jean-Luc Godard, Cahiers du Cinéma n°103) /vs/---

    Février : L'eau à la bouche (Jacques Doniol-Valcroze, C104) /vs/ W.C. Fields (Positif n°32)

    Mars : Le bel âge (Pierre Kast, C105) /vs/---

    Avril : Jacques Becker (C106) /vs/ Les yeux sans visage (Georges Franju, P33)

    Mai : Party girl (Nicholas Ray, C107) /vs/ Etoiles (Konrad Wolf, P34)

    Juin : L'Amérique insolite (François Reichenbach, C108) /vs/---

    Juillet : Le petit soldat (Jean-Luc Godard, C109) /vs/ L'avventura (Michelangelo Antonioni, P35)

    Août :  L'avventura (Michelangelo Antonioni, C110) /vs/---

    Septembre : Joseph Losey (C111) /vs/---

    Octobre : La pyramide humaine (Jean Rouch, C112) /vs/---

    Novembre : Psychose (Alfred Hitchcock, C113) /vs/ Les dauphins (Francesco Maselli, P36)

    Décembre : Bertholt Brecht (C114) /vs/---

     

    cahiers107.JPGpositif35.JPGQuitte à choisir : Antonioni en vedette des deux côtés, le merveilleux film de Franju également choisi à la fin de l'année précédente par les Cahiers... Il ne reste plus beaucoup de munitions pour Positif, qui peine toujours à paraître régulièrement. Becker, Godard, Losey, Ray et Hitchcock font la différence. Allez, pour 1960 : Avantage Cahiers.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Dernier maquis

    (Rabah Ameur-Zaïmeche / France / 2008)

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    Dernier maquis 07.jpgTroisième long-métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche après les remarqués Wesh wesh, qu'est-ce qui se passe ? et Bled Number One, Dernier maquis est une drôle de fable politique née d'un double désir de cinéaste : réaliser une œuvre à la fois engagée et plastiquement marquante. Abordant frontalement des problématiques religieuses et sociétales, le filme relate un conflit opposant un groupe de manœuvres musulmans à leur patron, ce dernier tentant d'acheter la paix sociale avec la mise à disposition d'un lieu de prière. L'ambition politique est explicite mais nuancée, notamment dans le portrait complexe qui est fait du patron de cette entreprise de rénovation de palettes. En cantonnant son récit dans un lieu quasi-unique, Ameur-Zaïmeche élude le rapport à la société extérieure et l'éventuelle confrontation qui pourrait en découler, posant ainsi la situation comme étant naturelle, ici et maintenant. Il est donc difficile de parler de film social, au sens où nous l'entendons habituellement, Dernier maquis ne se pliant pas aux codes du genre.

    Le réalisateur a une autre ambition, celle de proposer une œuvre à l'identitié visuelle très forte. Le parc de palettes rouges qui s'étale sous nos yeux en tous sens prend l'allure d'une scène de théâtre, à la fois unique et mouvante, le matériau travaillé et son stockage rendant possible une grande variété d'empilements et de constructions. Le discours politique se déploie sur un fond bien réel (le tournage s'est fait manifestement dans une véritable entreprise) que la mise en scène élève à un niveau autre, en exacerbant sa puissance expressive. Véhiculer une émotion esthétique pour mieux soutenir la réflexion est le but du cinéaste. Celui-ci se tient au centre du dispositif, littéralement, puisqu'il interprète le rôle de Mao, le patron de la PME. Ses déplacements, son attention et ses directives caractérisent le personnage autant qu'ils font venir à l'esprit une analogie avec le rôle du metteur en scène. Ce double jeu est ici parfaitement perceptible. Le plus souvent séduits par ces séquences, nous pouvons toutefois, par endroits, penser que le poids de fiction s'en trouve trop allégé : dans son bureau, est-ce Mao qui dialogue avec son employé ou Rabah qui écoute, regarde et dirige son acteur ?

    Cependant, cette interrogation n'entame pas l'impression de réalisme dégagée par ces échanges, dans lesquels Mao, personnage relativement opaque, laisse transparaître successivement une sincère disponibilité et une volonté de manipulation psychologique. Si les revendications émises par les ouvriers peuvent sembler énoncées de manière schématique, elles ne s'éloignent pas pour autant de la réalité. Cette réussite est due principalement à l'immersion totale du cinéaste dans son environnement et au naturel des ses acteurs, non-professionnels pour la plupart, certains jouant en quelque sorte leur propre rôle. Ameur-Zaïmeche s'appuie sur eux pour filmer le travail de manière juste, s'attachant à rendre le rythme des tâches et leur répétition sans tomber dans la dénonciation simplificatrice.

    Singulier et ambitieux, Dernier maquis ne convainc cependant pas totalement. Documentaire et allégorie s'opposent au fil de séquences trop autonomes les unes par rapport aux autres, donnant le sentiment d'une alternance plutôt que d'une interpénétration harmonieuse. Les relances de la fiction (révélation d'une intention ou changement de situation) ne se font que par les dialogues, l'assise dramatique peinant alors à s'équilibrer avec les envolées poétiques. L'utilité et la longueur de certains plans sont remises en question et l'intérêt porté à chaque séquence est par conséquent très irrégulier. La digression provoquée par un ragondin ou la description d'une prière collective finissent par lasser.

    Partant d'un questionnement sur l'utilisation qui peut être faîte de la religion, Ameur-Zaïmeche fait glisser son récit vers une prise de conscience politique culminant dans un mouvement de révolte. Le cinéaste lance ainsi de nombreuses pistes pour traîter des communautés, de la religion ou du travail, mais il semble ne pas les creuser vraiment, de peur de paraître trop didactique (l'équilibre étant, il est vrai, très difficile à trouver). En voulant à tout prix éviter d'enfoncer des portes ouvertes, le film laisse trop de choses en suspens et, marchant par à-coups, laisse sur un sentiment mitigé, coincé que l'on est entre la reconnaissance d'une recherche stimulante, dans les thèmes et la forme, et la déception devant un manque d'ampleur et de force narrative.

    (Chronique DVD pour Kinok)

  • Êtes-vous Tavernophile ?

    coupdetorchon.jpgC'est calme en ce moment, non ? Tiens, si l'on parlait de Tavernier ?

    Celui qui, depuis des années, sert d'épouvantail à certains qui se plaisent à le renvoyer régulièrement vers l'ignoble "qualité française" de la même façon que Saint François étrillait Autant-Lara ou Clouzot (Tavernier ne manquât pas, d'ailleurs, de travailler plusieurs fois avec les scénaristes honnis par la Nouvelle Vague : Aurenche et Bost). Pour ceux-là, éventuellement prêts à reconnaître l'activisme de cinéphile du bonhomme et son rôle de passeur passionné, il n'y aurait rien à sauver de sa filmographie. Sauf peut-être dans les marges. Car une certaine unanimité critique est venu avec Dans la brume électrique, soit son film "américain", après s'être cristallisée presque uniquement autour de ses documentaires (surtout La guerre sans nom et De l'autre côté du périph), documentaires dont les détracteurs du cinéaste passent régulièrement sous silence les titres lorsqu'il s'agit pour eux de s'interroger sur le manque d'intervention de nos réalisateurs nationaux face aux problèmes de leur temps.

    Loin de moi l'idée de faire de Bertrand Tavernier le meilleur cinéaste français. Je continue toutefois à le placer parmi les plus intéressants et les plus solides. Aucun véritable chef d'oeuvre à son actif mais de nombreuses réussites et des ratages rarissimes. La permanence de l'oeuvre frappe : les succès publics sont réguliers, sans rien devoir au commerce, et surtout, le plaisir de la découverte pour des générations successives de spectateurs semble le même d'une époque à l'autre (L'horloger de Saint-Paul était aimé pour les mêmes raisons que, plus tard, Autour de minuit, L'appât ou Dans la brume électrique).

    Les qualités de Tavernier ne sont pas uniquement celles du technicien. Son amour des acteurs est toujours perceptible : Noiret, Rochefort, Mitchell, Galabru, Azéma, Torreton, Gamblin, Carré lui doivent de formidables rôles. Dans ses bons jours, il reste également l'un des rares, parmi les "classiques" français, à savoir filmer l'action et la guerre. Généralement, le passé lui réussit bien : il dépoussière le film historique (Que la fête commence), filme vigoureusement les batailles de Capitaine Conan, et se sort des chausses-trappes de la reconstitution biographique (Laissez-passer).

    Son volontarisme l'entraîne parfois vers des chemins trop didactiques (notamment dans les films consacrés à l'éducation). Personnellement, je prends ces quelques lourdeurs pour des excès, non comme un défaut rédhibitoire qui pousserait à déclasser l'ensemble de l'oeuvre.

    Mes préférences, bien groupées :

    **** : -

    *** : L'Horloger de Saint-Paul (1974), Que la fête commence (1975), Le Juge et l'Assassin (1976), Coup de torchon (1981), Autour de minuit (1986), La Vie et rien d'autre (1989), La Guerre sans nom (1992), L.627 (1992), L'Appât (1995), Capitaine Conan (1996), De l'autre côté du périph (1998), Histoires de vies brisées (2001), Laissez-passer (2002), Holy Lola (2004)

    ** : Des enfants gâtés (1977), La Mort en direct (1980), Mississippi Blues (1984), Un dimanche à la campagne (1984), La Passion Béatrice (1987), Ça commence aujourd'hui (1999), Dans la brume électrique (2009)

    * : Une semaine de vacances (1980), La Fille de d'Artagnan (1994)

    o : -

    Pas vu : Daddy nostalgie (1990)

    N'hésitez-pas à faire part des vôtres en commentaires...