(Lee Jun-ik / Corée du Sud / 2005)
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En 1504, deux artistes de rue particulièrement doués, Jang-sang et Gong-gil, décident d'aller gagner leur pain à Séoul, ville alors sous la coupe du Roi Yeonsan. En se moquant de celui-ci dans leurs spectacles, ils y font fureur mais sont arrêtés et battus. Pour avoir la vie sauve, ils proposent de faire une représentation au palais royal. Le coup de poker réussit : le Roi rit et accepte de les garder auprès de lui. La suite nous éclaire sur les motivations du souverain. Autant que l'envie d'être diverti, ce sont l'attirance pour l'androgyne Gong-gil et l'utilisation des saltimbanques dans sa lutte contre ses ministres qui provoquent sa bienveillance.
Sorti en France en début d'année, Le roi et le clown est un mélodrame historique ayant connu un succès énorme en Corée du Sud. Allergiques aux excès dramatiques et aux jeux d'acteur très expressifs s'abstenir. Les autres passeront un excellent moment. L'une des qualités du film tient à la variété des registres et des thèmes. Les caractères des trois personnages principaux s'opposent et se complètent. Jeong Jin-yeong (le Roi) cabotine avec délice pour rendre la folie contagieuse du monarque, Lee Jun-gi (Gong-gil, l'homme-femme) joue avec retenue, économe en mots et en expressions et Karm Woo-seong (Janf-sang), celui qui entraîne les autres par son énergie, allie l'intelligence, la lucidité et la fougue en tentant de masquer ses fêlures.
Le film développe trois enjeux et se nourrit de leurs interpénétrations : théâtre, pouvoir et passion. Le premier est présent sous tous ses aspects de la farce à la tragédie, en passant par le cirque. Lee Jun-ik a la bonne idée de faire durer suffisamment chaque représentation et de différencier chaque cadre et chaque public dans sa mise en scène (les bruits et les mouvements de la foule dans la rue opposés au silence et à l'immobilisme des ministres et de l'entourage du Roi). Comme dans tout bon drame d'inspiration shakespearienne, les jeux théâtraux se font le miroir des luttes intestines au sommet de la société. La volonté de pouvoir du Roi s'étend à bien des niveaux : sur son peuple (bien qu'il disparaisse quasiment du film à partir du moment où l'on entre dans le palais, puisqu'on ne ressort plus de ce piège), sur ses ministres, sur sa famille, mais également sur les artistes qu'il manipule. La passion amoureuse, quant à elle, bien que moins affirmée, prend une place aussi importante. Elle est hétéro ou homosexuelle, indifféremment ("normalisation" bienvenue mais peut-être aussi, tout simplement, vérité historique des moeurs).
Lee Jun-ik harmonise habilement tout cela par sa mise en scène, dynamique sans trop faire des pieds et des mains. Les séquences d'acrobaties sont basées sur des trucages simples à base de doublures, de cadrage et de montage. Sur ce point et sur celui plus général de la tragédie shakespearienne, ces 2 heures nous font oublier la grosse pâtisserie numérisée et assourdissante de l'an dernier qu'était La cité interdite de Zhang Yimou. Y compris grâce à ce happy end triste, déclaration mélodramatique filmée avec aplomb et désenchantement à la fois.