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  • Soy Cuba

    (Mikhail Kalatozov / Cuba - URSS / 1964)

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    soycuba.jpgDevant une œuvre excessive, hyper-formaliste et engagée, comme l'est Soy Cuba, il n'est pas illogique de passer par divers états successifs oscillant entre l'adhésion et le retrait. Le film de Kalatozov repose avant tout sur une série de tours de force techniques impressionnants. Les focales tordent les lignes de fuite verticales (palmiers, bâtiments...), les plans larges paraissent vouloir embrasser l'île toute entière, l'image a la même netteté qu'elle fixe la jungle, une rue ou un dancing. Surtout, la caméra bénéficie d'une liberté de mouvement stupéfiante : elle trace, en plans-séquences, des arabesques qui défient l'entendement, allant, sans jamais briser la continuité, du toit d'un immeuble à la piscine en contrebas (et sous l'eau !) ou surplombant une ruelle en la remontant dans toute sa longueur.

    Le but de Kalatozov était de retracer quelques étapes menant à l'accomplissement de la révolution castriste à travers quatre histoires distinctes : une fille des bidonvilles est obligée de se prostituer auprès des riches étrangers, un vieil homme se voit privé de son champ, de son abri et de sa récolte, un étudiant participe à des actions contre la police de Batista et un paysan s'engage dans l'armée rebelle après le bombardement de sa cabane. Force est de constater qu'aujourd'hui la virtuosité du style (jusqu'à une "gratuité" évidente) semble mieux servir la description des lieux de farniente et de débauche de la bourgeoisie cubaine que l'envolée révolutionnaire exemplaire. Ainsi, le mouvement perpétuel qui dicte l'avancée du récit dans la première partie, les travellings flottants passant d'un personnage à l'autre et l'omniprésence de la musique préfigurent les grisantes scènes de bar ou de casino du cinéma de Scorsese, voire l'esthétique de certains video-clips (la séquence de la piscine pré-citée y fait furieusement penser).

    L'excès visuel sied encore bien à l'histoire, drapée dans le mythe, du vieux paysan dépossédé de ses biens. En revanche, les boursouflures deviennent encombrantes lorsqu'il s'agit d'accompagner le parcours de l'étudiant devenant martyr révolutionnaire : un nouveau plan-séquence se charge péniblement d'expliciter le cas de conscience que pose un acte terroriste et, plus loin, un symbolisme sans retenue  nous met sérieusement à l'épreuve (pigeon abattu par les flics, chaîne humaine faisant front et lyrisme de la mort du héros - pas très intelligent sur le coup car s'avançant vers le policier avec une simple pierre à la main). La dernière partie, aussi dramatique, est un peu moins plombée mais l'édification nous empêche à nouveau de nous attacher vraiment aux personnages (et la question de la violence est encore éludée, la voix off assurant au paysan prenant les armes : "Tu ne tires pas pour tuer, tu tires contre ton passé...").

    Au bout de 2h20, Soy Cuba et son grand huit de la mise en scène laissent légèrement lessivé.

    (Présenté au Festival du Film d'Histoire de Pessac)

  • United Red Army

    (Koji Wakamatsu / Japon / 2007)

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    united3.jpgObjet filmique fascinant s'étirant sur cent quatre-vingt dix minutes, le temps d'une immersion suffocante dans l'histoire tragique d'un groupuscule révolutionnaire, United Red Army (Jitsuroku rengô sekigun) est signé par un septuagénaire en pleine possession de ses moyens et que l'envie viscérale de mener à bien ce projet déjà ancien n'a aucunement aveuglé ni entravé. Koji Wakamatsu déploie un récit en triptyque aux panneaux bien distincts, quoique parfaitement articulés, et ayant ainsi chacun leur intérêt et leurs prolongements particuliers qui effacent tout sentiment de monotonie.

    L'entrée en matière se fait par le versant documentaire : un long exposé, aussi clair qu'il soit possible de faire, sur la complexe histoire post-seconde guerre mondiale de l'extrême-gauche japonaise. Les images d'archives en constituent le matériau premier, laissant toutefois, au bout de quelques temps, s'insérer de brèves reconstitutions destinées à rendre plus fluide la transition à venir entre documentaire et fiction, personnes réelles et acteurs, noir et blanc et couleurs (aux tendances monochromes). Le flot d'informations manque d'emporter parfois le spectateur, qui peut lâcher un fil de temps à autre, sans trop de conséquences pour sa compréhension générale (les sous-titres français s'ajoutant à l'image, à la voix-off et aux inscriptions en japonais). En plein maelström, Wakamatsu fixe certaines figures en arrêt sur image et incruste leurs noms, âges et fonctions au sein du mouvement. La vitesse est trop élevée, leur nombre est trop important, l'incertitude sur leur destin est trop grande pour que l'on ne renonce pas à les retenir tous mais que l'on se rassure, l'effet donnera sa pleine mesure, poignante, par son ré-emploi plus tard dans la narration, l'inscription de la date de la mort apparaissant alors à son tour, cette fois sur les images des cadavres.

    Car la suite, qui retrace la retraite clandestine et para-militaire d'une quinzaine de membres, va nous entraîner dans une sidérante plongée vers le néant. Le geste révolutionnaire va prendre une tournure sectaire et l'engrenage de l'auto-critique, usage qui, selon le dogme maoïste, permet l'accession à une véritable conscience communiste, mènera à l'établissement d'un régime de terreur : après la négation de la singularité de chaque individu, de sa pensée, de son sexe (les femmes sont "masculinisées" dans leur apparence physique et par l'égalité des traitements) viennent la violence, les tortures, les exécutions. Les séquences de procès et d'assassinats, irrémédiablement introduites par les mêmes plans d'ensemble, se succèdent de manière exclusive : la logistique quotidienne, les détails de la vie commune et l'entraînement militaire disparaissent de la ligne narrative, comme éjectés sous l'effet du tourbillon de la terreur.

    Le motif privilégié du film est celui de l'enfermement. La partie documentaire montre la naissance du mouvement contestataire au sein de la société. Le deuxième volet, celui du retrait, ne donne à voir que ce qui se joue dans l'abri et aux proches abords. Le troisième accentue encore l'isolement en décrivant une prise d'otage dans un chalet encerclé par la police sans nous offrir une seule image de l'extérieur. Ce resserrement spatial influe logiquement sur le nombre de protagonistes : de la foule des manifestations, nous passons à une quinzaine d'activistes puis aux cinq derniers membres encore en liberté. Dans cette optique, il ne faut pas s'attendre à un dénouement flamboyant, mais à une mêlée indistincte dans un recoin.

    L'ennemi, au cours de l'assaut final, devient une force invisible, sa présence ne s'affirmant que par le sifflement des balles traçantes, les fumigènes et les gerbes d'eau propulsées par les lances à incendie (le navire Armée Rouge Unifiée sombre). A s'épuiser en guerres internes, le groupuscule en vient à ne plus pouvoir penser l'ennemi autrement que comme une vague idée à combattre ce qui rend cette dernière lutte inefficace. Plus grave encore, sans doute, est l'incapacité des extrémistes à faire comprendre leurs discours et leurs actes à leur otage. Le lien avec le peuple est rompu. Ce retour vers l'action, après les errements théoriques ayant provoqués les purges, est donc particulièrement amer. L'endurcissement a rodé une rhétorique révolutionnaire mais semble avoir effrité l'âme de ces "soldats" et en ces instants décisifs remontent à la surface le libre arbitre, l'histoire personnelle, les attaches familiales, toutes choses repoussées avec vigueur lors du périple montagnard. La cohérence de la mise en scène de Wakamatsu impose à ce retour du refoulé, même s'il est provoqué de l'extérieur (l'arrivée de certains parents des preneurs d'otages autour du chalet), qu'il suive un chemin interne (nous n'entendons que des voix off portées par les mégaphones).

    La maîtrise du fleuve narratif que constitue United Red Army force l'admiration, la réussite de la reconstitution touche jusqu'à la bande originale, confiée à Jim O'Rourke, petit génie du rock indépendant sachant réveiller les expérimentations musicales des années soixante-dix sans les singer, et la représentation de la violence estomaque en flirtant, par la répétition, avec les limites de la complaisance sans les franchir. Entrant fortement en résonance avec certains aspects de la culture japonaise (dogme de l'obéissance, respect de la hiérarchie, importance des rituels, sens de l'honneur), le trajet décrit, ahurissant au point de tendre parfois vers l'absurde et le grotesque, débouche sur une réflexion dérangeante sur l'engagement, les nécessités de la lutte collective et les impasses de l'endoctrinement. Mais si le film passionne autant, c'est par la position que tient Koji Wakamatsu (que l'on peut qualifier de "compagnon de route" de ces groupes révolutionnaires). Le cinéaste ne se place jamais du côté de l'Ordre, il suit jusqu'au bout les extrémistes et ne les livrent pas à la vindicte. Il s'agit alors de se demander où a été atteint le point de non retour. Il ne se situe pas forcément au moment du passage à la lutte armée. Il est en fait très difficile à déterminer. Et la richesse du film vient de là.

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • Contes de l'âge d'or

    (Hanno Höfer, Razvan Marculescu, Cristian Mungiu, Constantin Popescu et Ioana Uricaru / Roumanie - France / 2009)

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    contesagedor.jpgL'âge d'or de la Roumanie : ainsi était qualifiée par la propagande de Ceaucescu la traversée des années 80. Les réalisateurs de cet ouvrage collectif retournent ironiquement l'expression pour traiter une poignée d'histoires tragi-comiques inspirées des "légendes" de l'époque. Contes de l'âge d'or (Amintiri din epoca de aur) prend la forme d'un film à sketchs dont le nombre semble varier d'une copie à l'autre. Celle présentée au festival de Pessac en contenait quatre, celle du dernier festival de Cannes, cinq, et une version intégrale devrait apparemment en compter six. Aucun de ces segments n'est "signé", l'ensemble du projet étant coordonné par l'auteur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, Cristian Mungiu (crédité comme co-réalisateur, scénariste et co-producteur).

    L'ensemble est plutôt cohérent, tant sur la forme que sur le fond, ce qui tendrait à confirmer l'hypothèse d'un travail réellement "collégial". Le principe même du film à sketchs ne peut cependant que pousser à hiérarchiser les différents épisodes. Les deux segments centraux, "La légende du policier avide" et "La légende de l'activiste zélé", sont les moins percutants du lot. Ils se traînent légèrement en longueur et malgré quelques bons moments comiques donnent à voir une peinture un peu trop bon enfant, notamment à travers les regards périphériques portés respectivement sur deux gamins farceurs et sur les braves paysans d'une petite bourgade isolée. Leur relative faiblesse tient aussi au fait que ces fables distillent une certaine morale en faisant subir aux personnages principaux une petite leçon d'humanité ou simplement de bon sens.

    "La légende du photographe officiel" est l'épisode le plus concis et le plus drôle en même temps que le plus noir. Décrivant les débats entamés autour du trucage d'une photographie de Ceaucescu accueillant le Président Giscard d'Estaing et la gaffe qui en découle, les réalisateurs s'attaquent férocement à la bureaucratie et ses absurdités, à la pression de la hiérarchie et à la peur qu'elle fait naître. Contrairement aux deux segments pré-cités, celui-ci ne se termine pas de façon rassurante. Le récit est parfaitement rythmé et l'organisation de l'espace y est particulièrement claire, traduisant dans les allées et venues des personnages entre les bureaux et le laboratoire photo l'oppression du système. L'économie des moyens n'empêche pas la précision, ce qui rappelle la réussite, dans un registre très proche, du 12h08 à l'est de Bucarestde Corneliu Porumboiu.

    Pour continuer dans l'établissement de passerelles, le quatrième volet, "La légende de la visite officielle" (je n'ai plus le titre exact en tête) se rapproche plutôt du California dreamin'de Cristian Nemescu. C'est ici que se déploient le mieux les mini-intrigues adjacentes semées dans les premières minutes. On y retrouve un certain plaisir de l'écoulement du temps, une dérive inattendue vers une soirée festive, alcoolisée et libre. Une belle proximité est établie avec les personnages, y compris les plus secondaires. Le récit se termine sur un gag métaphorique et irrésistible.

    Ces Contes de l'âge d'ors'inscrivent donc dans la veine classique d'un cinéma roumain mordant, jouant sur l'humour noir pour traiter des périodes difficiles. Si l'ensemble ne se hisse pas à la même hauteur que les coups d'éclats constatés ces quatre ou cinq dernières années, il reste tout à fait recommandable.

    (Présenté en avant-première au Festival du Film d'Histoire de Pessac, sortie française le 30 décembre 2009)

  • Thirst, ceci est mon sang

    (Park Chan-wook / Corée du Sud - Etats-Unis / 2009)

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    thirst.jpgLe nouveau Park Chan-wook, Thirst, ceci est mon sang (Bakjwi), met en jeu divers composants supposés inconciliables : le fantastique et le quotidien, le prêtre et le vampire, le baiser et la morsure, le noir et le blanc, le jour et la nuit, le vivant et le mort. La grande beauté qui s'en dégage naît de la fusion, a priori inconcevable, réalisée entre chacun de ces termes opposés : le fantastique est le quotidien, le prêtre est le vampire... S'il est tentant d'utiliser l'expression de "mélange des genres", en faire usage ne me satisfait qu'à moitié. D'une part, elle ne dit rien de l'incroyable unité que Park parvient à trouver. D'autre part, elle peut faire croire que Thirst est une nouvelle consolidation du règne actuel du second degré au cinéma. Bien évidemment, le film ne manque pas, loin de là, d'humour (jusqu'au grotesque, voire au mauvais goût assumé) mais une bonne partie du public ne semble vouloir y trouver que du "fun", en riant tout autant aux éclats de violence qu'aux envolées vers le sublime.

    Sublime et triviale (encore une convergence inattendue) par exemple, la première scène d'amour entre Tae-joo et Sang-hyeon (soit la révélation Kim Ok-vin et le mieux connu Song Kang-ho, tous deux ici en état de grâce), au cours de laquelle ni les contretemps imposés, ni le rythme burlesque, ni l'abondance verbale de l'une, ni l'auto-flagellation de l'autre ne contiennent les vagues du désir (*). Après ce premier acte contrarié, une autre occasion permet aux personnages de se libérer totalement. Park filme cette deuxième étreinte très différemment : quasiment in extenso, de manière intense mais calme, sans aucune interférence extérieure, pour arriver à un même sentiment de fascination. Un plan montre la poitrine de Tae-joo en sueur, un autre la remontée du drap par Sang-Hyeon sur les épaules de sa partenaire. Deux plans conventionnels, mais deux plans qui sont prolongés par un geste simple et furtif, un détail génial : le drap sert à éponger les gouttes de sueur.

    Chaque scène de Thirst repose sur au moins une idée de mise en scène, qui prend la couleur de l'inédit. Encore faut-il s'entendre sur le sens de ces mots. Je ne parle pas de truc technique ou d'un effet quelconque visant à en mettre plein la vue mais d'expressivité, de présence physique, de dynamisme, de variations de registres et de rythme, d'échos et de rappels (des détails peuvent paraître mal assurés ou anodins avant de rebondir deux ou trois séquences plus loin : le choix d'un matelas "aquatique" dans la chambre du mari, l'appel à un médecin face au mal-être de Tae-joo, l'anecdotique discussion à propos d'une date de naissance inconnue qui annonce une nouvelle naissance...). Je ne résiste pas à l'envie de mettre en regard, à ce sujet, deux positions antinomiques retranscrites dans les deux derniers numéros de Positif. Tout d'abord celle-ci : "Il faut qu'à chaque plan, il y ait une idée de dialogue ou visuelle, qu'il se passe un truc. (...) C'est vrai que les acteurs qui intériorisent n'ont pas de place dans mes films. Il faut que ce soit ludique". Puis celle-là : "Je ne suis pas sûr de savoir quel est le secret de la mise en scène. (...) Je m'angoisse parfois, j'ai peur que la mise en scène soit trop imposante et freine le rapport émotionnel entre les spectateurs et les personnages. J'essaie que tout se mette en place par rapport aux personnages, mais sans les dominer." La première est celle de Jean-Pierre Jeunet, la seconde, celle de Park Chan-wook. Ne cherchons pas plus loin la différence de qualité entre leurs derniers films en date.

    Rarement soulignée, la qualité des dialogues de Thirst a aussi son importance. Ceux-ci sont impeccables jusque dans une drôlerie qui ne nous tire jamais la manche, qui ne les détache jamais de la réalité du film, bref, qui n'est jamais gratuite. Dans un autre registre, un mot, un consentement susurré par Tae-joo suffit à repousser l'ombre du jugement moral porté sur la femme manipulatrice. Sur le plan visuel, l'extraordinaire travail sur les décors autorise de qualifier Park Chan-wook de grand cinéaste expressionniste. L'appartement de la belle-famille de Tae-joo apparaît d'abord dans toute sa banalité kitsch avant que la mise en scène ne le charge de soutenir par la suite tout le récit, le faisant répercuter la folie des personnages.

    La trame reprise du Thérèse Raquin de Zola est pimentée du thème du vampirisme, duquel sont tirées plusieurs figures imposées mais réduites au strict minimum et astucieusement actualisées (détournement des transfusions, habit de prêtre flottant telle une cape, duel à l'aurore). Le gore pointe son nez et le sang coule à flot mais ces projections rouges écarlates bouleversent. Le spectacle des humeurs corporelles et de l'avidité est aussi troublant que chez Cronenberg.

    Pas loin d'être un chef-d'œuvre, Thirst, comme le fut Old boy, est un grand film de genre. Et depuis combien de temps n'avions nous pas vu une telle histoire d'amour fou ?

     

    (*) : Qu'une scène issue d'un film de vampires coréen particulièrement sanglant rende de manière si évidente une passion charnelle laisse songeur quant à l'incapacité chronique du cinéma français à renouveller de son côté ses représentations de l'amour physique, qui continue invariablement à être vu sous l'angle d'un naturalisme vaguement bestial, comme dans les récents Regrets.

  • Micmacs à tire-larigot

    (Jean-Pierre Jeunet / France / 2009)

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    micmacs.jpgMon espoir de trouver en Micmacs à tire-larigot une comédie française qui soit à la fois "grand public" et inventive a vécu une vingtaine de minutes. La façon dont Jeunet nous fait entrer dans son nouveau conte, se passant quasiment de dialogues et laissant son fil narratif prendre tout son temps pour se nouer, m'a plutôt séduit.

    Malheureusement, passée cette longue mise en bouche, l'argument (se venger astucieusement de deux industriels de l'armement) est fixé une fois pour toute et devient l'unique ressort du film. S'ensuit un désintérêt progressif devant les différentes phases de la sympathique machination, phases bien séparées par le récit et dont la nécessité nous échappe tant elles peinent à s'organiser en engrenage narratif imparable. De plus, alors que le premier quart d'heure est assez amusant (les deux "playbacks" de Dany Boon, par exemple), le sourire s'efface au fil du temps et de la laborieuse progression de l'histoire.

    L'esthétique de Jeunet n'est pas vraiment en cause (à moins de jeter le bébé Micmacs avec l'eau qui coule depuis Delicatessen), la présence de Dany Boon non plus, ni transcendante, ni insupportable, plutôt bien intégrée à l'univers. Non, ce qui ne va pas ce sont ces dialogues "à l'ancienne", écrits de manière mécanique (qu'un personnage, celui d'Omar Sy, s'accapare une langue construite uniquement sur des formules toutes faites, l'effet peut être plaisant, mais que tous jonglent avec les bons mots et la lassitude arrive aussitôt). Ce qui ne va pas c'est cette vision de l'amour particulièrement niaise, ne véhiculant qu'une soit-disante "poésie", sans aucun désir physique, le sexe étant réservé dans toute sa vulgarité aux employées-chaudasses-de-passage et aux professionnels de peep-show (ou comment protéger les enfants tout en mettant les rieurs dans sa poche). Ce qui ne va pas c'est la gentillesse dégoulinante de cette histoire de vengeance débouchant sur un final d'un ridicule à peine atténué par l'hommage à la machinerie du cinématographe. Ce qui ne va pas c'est le refrain publicitaire du "tous ensemble" (le repas où chacun se met à parler dans une langue étrangère n'a d'autre but que d'attendrir à peu de frais).

    Jeunet se voit en Carné mais fait penser à Dréville (certains trucs de la supercherie renvoient à Copie conforme) ou à Zidi (j'avais certains mauvais De Funès en tête), la patine esthétique en plus. Considérée depuis les toits de Delicatessen, la chute du cinéaste, d'une régularité métronomique (on descend d'une marche à chaque fois), devient rude.

  • This might just be my masterpiece !

    positif585.jpgJ'ai eu la surprise de découvrir aujourd'hui que j'étais, en compagnie d'Alain Resnais, au centre de la livraison de novembre de la revue Positif (enfin, pour ma part, "au centre" signifie "vers le milieu du numéro"). Adrien Gombeaud, en charge du "bloc-notes" du mois, informe en effet ses lecteurs de l'existence de mon blog en évoquant ma série de confrontations de couvertures des Cahiers du Cinéma et de Positif. D'autant plus que le hasard chronologique de ses brèves place Nightswimming entre Renoir et Pierrot le Fou, je l'en remercie chaleureusement.

  • Je suis heureux que ma mère soit vivante

    (Claude et Nathan Miller / France / 2009)

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    jesuisheureux.jpgMisère du cinéma français du milieu, rentrée 2009, épisode 2 (*)

    Décrire de façon troublante les retrouvailles d'un jeune homme avec sa mère, quinze ans après son abandon, comme une passion amoureuse est plutôt une bonne idée. C'est la seule à se détacher de Je suis heureux que ma mère soit vivante, film qui n'a pour lui que sa relative brièveté (90 minutes).

    Nous sommes dans un drame PSYCHOLOGIQUE, au sens Stabilo du terme. C'est à dire que dès la première séquence, celle de la baignade estivale entre père et fils (adoptif), tout concourt à nous faire sentir qu'il y a du lourd en train de se jouer là : de l'étrangeté dans le quotidien, du secret familial pesant, du traumatisme qui affleure, des regards intenses, des dialogues appuyés. Pas une scène, pas un plan dans ce film qui ne soient écrasés par du sur-signifiant. Le seul moment qui échappe à cette fatalité est celui où la violence éclate, de manière totalement inattendue. Pour un instant, l'étude psychologique se suspend enfin... avant de reprendre son cours.

    A l'inscription sociale des personnages, on ne croit pas un instant (à côté, le Rickyde François Ozon passerait pour du Ken Loach). Bien évidemment, les auteurs clament qu'il était hors de question de porter un jugement. Or, dans la façon de la regarder, de la faire bouger ou parler, il n'est laissé aucune chance à la mère "indigne", qui ne peut que provoquer l'apitoiement du spectateur (comparez avec le personnage similaire interprété par Kierston Warreing dans le récent Fish tank). De toute manière, tous les acteurs sont affreusement dirigés et la mise en scène n'a aucune grâce.

    Auteur passionnant pendant ses quinze premières années d'activité, Claude Miller ne cesse de s'enliser depuis quelques temps dans un cinéma de papa où l'âpreté des sujets est relayée par une réalisation pachydermique et déprimante. L'association avec son fils Nathan n'a rien changé à l'affaire : après La petite Lili et Un secret, il réalise une troisième horreur d'affilée.

     

    (*) : Pour l'épisode 1, voir ici.

    Un avis voisin : Rob Gordon

    Un avis opposé : Goin' to the movies

  • C'était mieux avant... (Novembre 1984)

    Ça file, ça file... le mois d'octobre est déjà passé. Reprenons donc notre voyage dans le temps afin de voir ce qui se tramait dans les salles de cinéma françaises en Novembre 1984 :

    ruesdefeu.jpgOuf, j'ai 13 ans ! La première barrière d'interdiction est enfin franchie et je peux tranquillement aller voir par exemple Bernard Giraudeau, Valérie Kaprisky et Caroline Cellier s'entre-déchirer sur les plages de Saint-Tropez pendant L'année des méduses (Christopher Frank). La fable urbaine de Walter Hill, Les rues de feu, contrairement à ce que ma mémoire (et la réputation de son auteur) me soufflait, ne fut pas soumis à la même restriction. Hill était alors considéré comme une nouvelle pointure... A la question du passage du temps, l'ami Mariaque a déjà apporté quelques éléments de réponse ici. Tout comme sur L'histoire sans fin, la superproduction ouest-allemande pour enfants signée par Wolfgang Petersen (, à compléter par cet autre avis). En ce mois de novembre 84, avec La vengeance du serpent à plumes, Gérard Oury touchait à nouveau le jackpot, sans trop se fouler. La prestation qu'y offrait Coluche est moins restée dans les mémoires que la poitrine de Maruschka Detmers. Des quatre films effectivement vus à l'époque, aucun ne me fait de l'œil au point d'avoir envie de le revisiter.

    Ceux qui me sont inconnus ne sont guère plus emballants, beaucoup ne se signalant que par rapport à un modèle populaire : L'arbalète de Sergio Gobbi (avec Daniel Auteuil, Marisa Berenson, Marcel Bozuffi) surfe ainsi sur le succès de La balance, A seize ans, dans l'enfer d'Amsterdam de Bruno Mattei (avec Anne Gisèle Glass) racole chez les amateurs de Moi Christiane F..., Blastfighter, l'exécuteur, film italien de John Old Junior (alias Lamberto Bava) décalque Rambo et Comment draguer tous les mecs de Jean-Paul Feuillebois reprend les ficelles des comédies du Splendid.

    quilombo.jpgEn ce temps-là, Jerry Lewis tentait à nouveau une expérience française mais, après Michel Gérard (Retenez-moi ou je fais un malheur), tombait sur Philippe Clair (Par où t'es rentré, on t'as pas vu sortir). Les comédies américaines du mois, Le convoi des casseurs (de Charles B. Griffith, une histoire de poursuites en voitures) et Moscou à New York (de Paul Mazursky, sur un émigrant soviétique en Amérique, interprété par Robin Williams), n'éveillent pas plus de désir. Avec Quilombo, Carlos Diegues suscitait moins d'enthousiasme qu'aux grandes heures du Cinema novo brésilien. Autres sorties du mois : Reuben, Reuben, ou la vie d'artiste (de Robert Ellis Miller avec Tom Conti), Rocking silver (d'Erik Clausen, chronique rock danoise), Archie Shepp, Je suis jazz... C'est ma vie (documentaire de Franck Cassenti), Cal (de Pat O'Connor, sur l'Irlande du Nord), Christmas story (de Bob Clark), Matagi, le vieux chasseur d'ours (de Toshio Gotoh), Un amour interdit (drame historique de Jean-Pierre Dougnac), Et la vie... et les larmes... et l'amour (Nikolai Goubenko, chronique d'une maison de retraite soviétique). Une fois n'est pas coutume, peut-être faut-il alors se tourner vers Hong Kong : Mad mission est une parodie d'espionnage concoctée par un Tsui Hark en pleine ascension et Le dernier seigneur de Shaolin, de Woo Ming Hung, est un film de kung-fu à l'honnête réputation (contrairement à La main de fer de Chao de Luk Tang, présenté au même moment).

    boymeetsgirl.JPGAprès un excellent mois d'octobre, novembre flirterait donc avec le néant si trois titres ne relevaient le niveau. La sortie tardive d'un mélodrame de 1959, Fleurs de papier, permettait la découverte de Guru Dutt, grande figure du cinéma indien. L'Anglais Michael Radford s'attaquait courageusement à Orwell en donnant sa version de 1984. De son étonnante réussite, nous vous avons déjà entretenu ici. Dernier film à évoquer et non des moindres, tant il doit être cher à nombre d'entre nous, le premier Leos Carax, Boy meets girl. Indissociable, dans mon souvenir, du Mauvais sang de 1986, puisque découvert à la suite de celui-ci (mais guère revu depuis), il m'en reste surtout quelques flashs en noir et blanc et je préfère m'abstenir d'en parler plus avant, de peur de lui rendre trop maladroitement hommage.

    starfix20.jpgL'Amadeus de Forman étant sorti le dernier jour du mois d'octobre, plusieurs revues le choisissent pour illustrer leur numéro de novembre : Positif (285), La revue du Cinéma (399) et les Cahiers du Cinéma (365). Cinéma 84 (311) fait de même mais avec L'amour par terre de Rivette. Cinématographe (104) consacre sa livraison mensuelle aux "enfants sauvages" (Le voleur de Bagdad de Berger, Powell et Whelan en couverture) et Jeune Cinéma (162) revient sur l'œuvre de Boris Barnet (La jeune fille au carton à chapeau). La "conquérante" Valérie Kaprisky est à la une de Première (92) et Sophie Marceau sur celle de Starfix (20), en prévision de la sortie de L'amour braque. Finalement, seul L'Écran Fantastique (50) met en avant l'un des films évoqués plus haut, Les rues de feu.

    Voilà pour novembre 1984. La suite le mois prochain...