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Film - Page 82

  • Les démons de la liberté

    (Jules Dassin / Etats-Unis / 1947)

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    bruteforce.jpgLes démons de la liberté est un film de prison. La Brute forcedu titre original, c'est celle qu'applique le surveillant en chef, le capitaine Munsey. Dans un mouvement progressiste, Jules Dassin se place résolument du côté des prisonniers, sur lesquels aucun jugement moral n'est porté. La surpopulation carcérale et le tout-répressif sont dénoncés. Richard Brooks, futur cinéaste engagé, signe le scénario.

    Ce cinéma est aussi carré que le physique de Burt Lancaster, obsédé ici par l'idée d'évasion. La mise en scène de Dassin est d'abord au service du message. Tout est donc droit et clair. Les zones d'ombres sont gommées et les dialogues ne se chevauchent jamais, au risque parfois d'aller à l'encontre du réalisme recherché par une équipe que l'on devine très documentée. Claustration, rigueur de la représentation et mise à plat de nombreux problèmes via les dialogues : difficile d'éviter la rigidité. L'émotion affleure cependant lorsqu'est réservé à chaque prisonnier de la cellule R17 le privilège d'un flash-back. Un souvenir refait surface, lié à la femme aimée, dans chaque cas sublime. Ces séquences ont la saveur douce-amère du rêve évanoui.

    La dernière demie-heure laisse sur une bonne impression par la qualité d'un scénario qui abat avec adresse de nouvelles cartes et par la succession de scènes d'une violence aussi emphatique que désespérée. Plus que celle du prisonnier Collins (Lancaster), la grande figure du film est celle de Munsey, interprété par Hume Cronyn. Fonctionnaire de police aux méthodes fascistes, ce petit homme raide dans son uniforme révèle au cours d'une séance de torture très efficace une musculature insoupçonnée, mise en valeur par un débardeur immaculé, et en même temps une perversité d'autant plus redoutable qu'elle est calme et froide.

  • Notre-Dame de Paris

    (Wallace Worsley / Etats-Unis / 1923)

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    notredame.jpgClassique du muet hollywoodien, Notre-Dame de Paris (The hunchback of Notre Dame) accuse lourdement ses 85 ans. Si l'adaptation du roman de Victor Hugo est l'occasion d'un travail technique consciencieux au niveau des décors et de la photographie, on ne peut pas dire que la mise en scène de Wallace Worsley se signale de manière particulière. La caméra reste désespéremment statique. De rares plongées vertigineuses sur le parvis de Notre-Dame rompent heureusement ce faux-rythme visuel. La plus belle montre Quasimodo se laisser glisser le long d'une corde jusqu'à Esmeralda, ligotée devant la porte de la cathédrale. De même, sur la fin, un beau plan très bref recourt enfin à la profondeur de champ quand Jehan sort de l'ombre pour se jeter sur la jeune femme.

    Assez longue, l'exposition accumule les présentations de personnages qui ensuite prendront en charge des récits secondaires vite expédiés. Le mélodrame nous touche trop peu et le cinéaste souligne lourdement chacune de ses intentions en collant après chaque intertitre son illustration par l'image. Un budget confortable a permis de nombreuses scènes de foule, très vivantes, parfois trop : le moindre figurant ne cesse d'agiter les bras. Le jeu de tous les comédiens est d'ailleurs outrancier et n'aide pas à dépasser les stéréotypes. La jeune héroïne effrayée prend la pose et met ses bras devant son visage, le fourbe Jehan ne quitte jamais son rictus et ses habits noirs (sinon pour un déguisement de prêtre destiné à tromper les geôliers d'Esmeralda)... Attrait principal du film, Lon Chaney ploie sous les prothèses, dans l'un de ses plus célèbres rôles mais certes pas le plus subtil. Mieux vaut le revoir en Fantôme de l'Opéraou, mieux encore, chez Browning ou Sjöström.

    La morale du film : les rois sont des tyrans, la populace est poussée à la révolte pour de mauvaises raisons et seuls trouvent le repos ceux qui savent se placer sous la protection de Dieu.

  • No direction home : Bob Dylan

    (Martin Scorsese / Etats-Unis / 2005)

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    dylan.jpgLe documentaire-portrait de musicien est un genre qui neuf fois sur dix ne véhicule que du commerce et de l'hagiographie. Matraqué par le marketing, le spectateur finit toujours plongé dans l'ennui si il n'aime pas l'artiste en question ou dans la déception si il en est un adepte. L'une des rares exceptions s'appelle No direction homeet cet éclairage du parcours de Bob Dylan, de sa jeunesse jusqu'en 1966, nous le devons à ce diable de Martin Scorsese.

    Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, le cinéaste ne bouscule aucune règle du genre et construit son film sur l'alternance classique images d'archives-entretiens. Il se tient même étonnamment en retrait, n'apparaissant pas à l'écran et ne faisant jamais entendre sa voix. Sa patte se sent cependant dans le merveilleux travail de montage, dans le rythme du film, très musical forcément. Le nom de Scorsese a certainement facilité les choses, en termes de production, pour assumer deux choix essentiels à la réussite du film. Le premier est la durée. On arrive à 205 minutes au compteur et on ne les voit pas passer. Prendre ainsi son temps permet de ne pas charcuter les entretiens (avec Dylan bien sûr, mais aussi quantité de témoins privilégiés de l'époque, de Joan Baez à Allen Ginsberg) et surtout de se délecter dans les grandes longueurs de la musique. Le second aspect remarquable est l'incroyable moisson d'archives à laquelle nous sommes conviés. En abordant l'enfance et l'adolescence de Dylan, passée dans une petite ville du Minnesota, Scorsese ne se limite pas à pêcher des souvenirs, il propose un voyage au coeur des musiques traditionnelles américaines. Tirées des années 50, d'étonnantes images de chanteurs et chanteuses de country, de folk ou de blues, souvent (et injustement, à voir et entendre ces extraits) oubliés parsèment cette première partie. De même, l'évocation de l'arrivée du jeune chanteur à New York en 61 nous vaut une description très précise du lieu où tout semblait alors se jouer : le Greenwich Village.

    L'approche de Scorsese est chronologique. Un seul élément vient déranger, à intervalles réguliers, cet ordonnancement : des extraits d'un concert anglais de 66, particulièrement chaotique. Tout semble tendre vers ce moment-là. Et effectivement, passés les années (disons les mois, tellement l'ascension fut rapide) de galère, puis d'intégration au monde du folk et de transformation en porte parole de la jeunesse, vient cette extraordinaire période où Dylan bouleverse tout en électrifiant sa musique. Il le fait d'abord en studio (l'album Bringing it all back home, 1965). De fascinantes archives sonores nous font revivre ces sessions ébouriffantes. Puis Dylan va au festival de Newport, temple des folkeux traditionalistes, et ose y jouer très fort, avec un groupe de rock derrière lui. Insultes et huées dans le public, panique dans les coulisses, début du tourbillon. L'ambiance des concerts qui suivent est, à tous points de vue, électrique. Cette petite révolution, nous en avons la preuve par l'image : le concert de Newport était filmé par Murray Lerner pour son film Festival, les autres sont captés pour la plupart par D.A. Pennebaker (pour son célèbre documentaire sur Dylan Don't look back, puis pour Eat the document, tourné lors de la tournée européenne de 66). Chaque soir ou presque, le chanteur tient tête à une partie du public qui le traite de tous les noms. Dans l'histoire de la musique, on ne retrouvera une telle tension que dix ans plus tard avec le punk. En 65/66, droit dans ses bottines, Dylan est un punk.

    L'homme est à son apogée, entouré de caméras, poursuivi par les fans, harcelé par les journalistes. Beaucoup, moi le premier, considèrent les disques de ces années-là comme les meilleurs qu'il ait jamais fait (Bringing it all back home, Highway 61 revisited, Blonde on blonde: il est assez vertigineux de réaliser que les trois sortent entre mars 65 et mai 66, le dernier étant, je le rappelle, un double). Pour d'autres, le sentiment de trahison a, aujourd'hui encore, du mal à s'effacer. C'est que pour eux, Dylan n'a pas seulement branché les amplis et tourné le dos au folk traditionnel. Le plus grave, à leurs yeux, est que le chanteur a refusé de garder plus longtemps le costume du poète engagé, porteur des espoirs d'une génération entière (j'ai appris que Dylan avait participé en 63 à la Marche sur Washington et chanté, avec Joan Baez, devant la foule immense avant que Martin Luther King ne se lance dans son plus célèbre discours). Scorsese ne semble bien sûr pas partager ce point de vue. Il donne à voir dans la dernière partie ces conférences de presse surréalistes, où des journalistes décervelés somment le Maître de s'expliquer sur la moindre de ses pensées, et ces scènes d'hystérie où des jeunes filles collent leur nez sur les vitres de sa voiture. Comment en vouloir à ce Dylan de plus en plus cassant, de plus en plus lointain et qui bientôt, disparaîtra de la circulation (retour à l'abri à la campagne et pas de concerts pendant huit ans) ?

    Il me reste, pour finir, à revenir brièvement sur le film que Todd Haynes a consacré, lui aussi, à Bob Dylan. A l'occasion de sa sortie l'hiver dernier, je vous avez fait part ici de mon grand scepticisme. No direction homem'en aura dégoûté encore un peu plus. L'homme aux mille facettes, les ruptures constantes, l'art du contre-pied permanent... certes, le propos avancé dans I'm not thereest pertinent, sur le papier. Mais le beau film de Scorsese, par la remise en valeur de tous ces extraordinaires documents, ne fait qu'accuser la futilité de la fiction de Todd Haynes, celui-ci ne faisant finalement que rejouer à l'identique des scènes connues. En fait, I'm not there n'est qu'une luxueuse photocopieuse.

  • Léo, en jouant "Dans la compagnie des hommes"

    (Arnaud Desplechin / France / 2004)

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    leo.jpg- Ah non ! Tu ne vas pas encore commencer ta note en parlant de ta difficulté à écrire sur le cinéma de Desplechin, trois mois à peine après Un conte de Noël. Les gens vont se lasser.

    - Et bien, si, justement. Contrairement à ce que je pensais, Léo, je ne sais pas par quel bout le prendre lui non plus...

    - Pourtant tu commences à le connaître, c'est la deuxième fois que tu le vois.

    - Oui. Arte l'avait déjà diffusé début 2004, au moment où il sortait dans une poignée de salles, uniquement parisiennes me semble-t-il. Un peu comme L'aimée, son documentaire de l'an dernier, que je ne connais toujours pas.

    - Tu pourrais commencer par résumer le film. Quelque fois, ça peut déclencher les idées derrière. Mais il est vrai que ce n'est pas très facile à expliquer cette histoire de fils adoptif qui veut prendre la place de son père au sommet d'une grosse entreprise d'armement. Les détails des complots ourdis dans ce milieu des affaires et de la haute finance nous échappent parfois.

    - Les détails nous échappent, mais la trame est limpide. C'est une des forces du film, notamment dûe à l'origine théâtrale.

    - Je ne connais pas du tout la pièce d'Edward Bond. Tu n'as pas trouvé que c'était l'oeuvre de Desplechin la plus proche de La sentinelle ?

    - Si, et c'est là où je le préfère : dans cette ambiance qui flirte avec les tensions du film de genre et surtout dans ces trouées presque fantastiques, lorsque le temps semble se suspendre, son côté Resnais quoi... D'ailleurs, bien des moments dans Léo, renvoient à d'autres cinéastes qu'il admire : la mère dans la chambre rouge, c'est Cris et chuchotements, la voix de Desplechin en off, c'est celle de Truffaut, et bien sûr, Jurrieu et sa partie de chasse, c'est La règle du jeu. Il y en a certainement d'autres. J'ai peur qu'en les énumérant, les gens pensent à un de ces films croulant sous les références.

    - Ne t'inquiètes pas, cela fait longtemps que Desplechin a prouvé qu'il savait à merveille intégrer ces renvois à son style propre. C'est pas Christophe Honoré.

     - Ah ça, non... Ce qui est difficile, c'est de rendre compte de la construction du film, qui mélange la fiction et des scènes réelles, captées lors des répétitions des comédiens sous la direction du cinéaste. Toute cette distanciation, qui risquait donner une oeuvre très théorique, elle ne pénalise jamais le récit. C'est tout à fait étonnant, comme si ces images au statut différent ne produisaient pas tant des ruptures que des passages successifs d'un palier à un autre.

    - Cette fluidité est dûe à la mise en scène. Répétitions et fiction sont toujours identifiables par le grain de la photographie, mais la même caméra ondoyante tourne autour des personnages.

    - En parlant d'eux, celui d'Ophélie a du mal à s'intégrer au récit. D'ailleurs, la majorité des séquences où elle apparaît sont des moments de répétition.

    - Desplechin en est conscient puisqu'il se permet un clin d'oeil ("ça manque de fille !") et insiste bien sur le fait que le personnage est une pièce rapportée, venue de Shakespeare.

    - Et puis il est fort agréable de voir jouer Anna Mouglalis. Tous les interprètes sont renversants. Sami Bouajila, Hyppolyte Girardot dans un surprenant registre clownesque et Jean-Paul Roussillon, qui trouve là à mon avis son meilleur rôle.

    - La musique de Paul Weller est intéressante également : il reprend ses vieux morceaux des années punk avec Jam, mais en s'accompagnant seul à la guitare...

    - Oui, c'est décharné et c'est à l'image du film entier, tourné en vitesse et avec un mini-budget : le squelette peut en fait être aussi beau et fonctionnel que le corps l'enveloppant.

    - Et bien voilà, tu n'as qu'à partir de ça...

  • La belle personne

    (Christophe Honoré / France / 2008)

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    bellepersonne.jpgSoyons honnête. Même aux yeux du moins cinéphile des spectateurs, les films ne viennent pas au monde égaux. Chacun a beau se dire le plus éclectique du monde ou invariablement bon public, le jugement porté lors de la découverte d'une oeuvre nouvelle est toujours soumis aux lois de la probabilité. Ainsi, la probabilité que ma première rencontre avec le cinéma de Christophe Honoré se passe bien était assez faible, compte tenu de mes affinités avec certains critiques (ceux de Positif) ou certains bloggeurs qui n'ont jamais été tendres avec le cinéaste.

    Donc, point de douce surprise au final, après la diffusion ce vendredi soir sur Arte de La belle personne, quelques jours avant sa sortie en salles : je suis resté de marbre. Ne croyez pas que je m'en réjouisse. Au besoin, j'aurai volontiers ferraillé avec l'un ou l'autre des virulents détracteurs d'Honoré (au hasard, celui-là). De plus, je ne suis pas critique de cinéma. J'ai bien d'autres choses à faire que de perdre mon temps à voir des films médiocres. Quand je me cale devant un écran, que ce soit pour voir Le cinquième élément ou En avant jeunesse, j'espère sincèrement me relever convaincu...

    Le bel indifférent. Voici le titre que j'aurai choisi aujourd'hui, si j'avais pris l'habitude d'en affubler mes notes. En effet, si La belle personne ne m'a pas horripilé, jamais je ne m'y suis senti happé. Ce qui frappe ici, c'est l'absence totale de vitalité et d'émotion. Il serait absurde de reprocher à Christophe Honoré de ne pas jouer sur le même terrain qu'Abdellatif Kechiche ou Laurent Cantet. On ne va pas sombrer dans le politiquement correct et ricaner devant le choix de ce milieu-là (un lycée parisien tranquille, dans lequel l'auteur a voulu transposer, en l'actualisant, La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette). Seulement, doit-on le filmer ainsi ? Aucune énergie ne soutient les scènes, même les plus potentiellement fortes (la bagarre dans la classe, totalement escamotée, ou l'étreinte volée au téléphone portable). Plus grave encore, rien n'affleure alors que l'argument devrait au contraire nous faire ressentir les fêlures sous les visages de ces beaux jeunes gens. L'événement central du récit, une méprise autour d'une lettre, et le stratagème mis en place à la suite, est resté pour moi totalement illisible (je n'ai rien compris aux inquiétudes, motivations et rôles de chacun dans l'histoire). La construction est lâche, le rythme mollasse, les personnages secondaires, sans épaisseur, apparaissent, disparaissent, sans raisons.

    En bon petit soldat sûr de ses arrières (la Nouvelle Vague), Honoré essaie de ci de là quelques trucs, comme cette séquence autour d'un jukebox, qui ne donne absolument rien, et se laisse aller à d'énormes fautes de goût. Le suicide enchanté me fit soudain penser aux fins de films de Luc Besson, là où le héros meurt-mais-bon-pas-vraiment. Tout est adouci, tout est hors d'âge. Bien évidemment, il y a quelques audaces pour faire illusion : on se caresse entre mecs ou on offre en un éclair ses seins à l'amoureux transi en pleine rue (une séquence, pour le coup, vraiment dégueulasse). Mais de passion, nulle trace.

    Le bel indifférent, oui. Le style d'Honoré est indifférent : il ne choisit pas, il n'accroche rien. L'adaptation d'un texte classique aurait dû poser la question du langage. Mais ces mots ne claquent jamais comme ils devraient dans la bouche des comédiens. La moitié des dialogues sont d'ailleurs inaudibles. Qu'on est loin de la rigueur et de la netteté d'un Rohmer, qui arrive à faire passer dans ses films les tournures les plus littéraires. Au milieu de cet engourdissement général, on trouve fort heureusement un véritable acteur. Louis Garrel est le seul à sortir la tête de l'eau par la précision de son jeu, verbal ou gestuel. Dans la première partie, signalons aussi que deux ou trois situations ou propos sont amusants.

    Un mot pour finir sur la musique et plus précisément sur le leitmotiv choisi par le cinéaste. Louis Guichard, critique de Télérama, ébloui, nous dit qu'Honoré "a exhumé un chanson sublime du suicidé Nick Drake,Way to blue, imprégnant tout le film de son romantisme aérien". A ce compte-là, je suis moi aussi un grand chercheur d'or puisque me plongeant régulièrement dans l'oeuvre du chanteur britannique. L'intégralité de sa courte production est aisément trouvable car déjà ré-éditée plusieurs fois en CD. Les amateurs de rock et de folk la connaissent parfaitement. Christophe Honoré est déjà marqué du sceau du génie et placé au coeur de la modernité cinématographique. Il n'est peut-être pas utile d'en faire de surcroît un grand archéologue.

  • Allonsanfan

    (Paolo et Vittorio Taviani / Italie / 1973)

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    allonsanfan.jpgQuel étrange film que cet Allonsanfan, qui précède dans la filmographie des Taviani leur oeuvre la plus célèbre, Padre Padrone. Comme souvent chez eux, l'histoire italienne est vue à travers le prisme du conte. Les décors sont naturels, l'argument clairement situé dans le temps et l'espace, mais ce réalisme de départ est constamment perturbé par des éléments oniriques ou surnaturels. Si les Taviani procèdent par longues séquences, le rythme à l'intérieur de chacune est très heurté. La plupart des raccords sont particulièrement brutaux, ménageant ainsi constamment des surprises. Nombre de plans fixent le regard du héros, craintif ou étonné, joué par Marcello Mastroianni, pour enchaîner sur un contrechamp auquel rien ne nous prépare (par exemple, un gros plan de visage qui nous est inconnu). La mise en scène accumule ainsi les ruptures dans ses effets, aussi bien que dans les registres émotionnels. Une séquence peut passer du drame à la farce grotesque. Dans cet univers, tout peut donc arriver. Les hallucinations ont autant de réalité que le reste, les morts reviennent à la vie, les protagonistes se séparent puis se retrouvent nez à nez, où qu'ils aillent. La logique à l'oeuvre est celle du rêve et du cauchemar (autre élément tirant vers le fantastique et constitutif des réalisations italiennes de l'époque : le recours à la post-synchronisation, qui accentue les différences de niveau d'expression). Le film avance par a-coups et des longueurs y voisinent avec de très belles idées (la scène du repas avec la famille, la présence de la mer, la mort de Charlotte traitée en une ellipse brutale, la danse dans le repère des subversifs...).

    Dans Allonsanfan, les frères Taviani traitent de la période de la restauration italienne en situant l'action en 1816. Le héros de leur film est Fulvio Imbriani, leader d'une secte "Les Frères Sublimes" qui lutte pour faire triompher dans le Sud l'idéal révolutionnaire et renverser la noblesse en place. Lorsque nous faisons sa connaissance, Fulvio sort de prison et, empli de doutes, n'aspire à présent qu'à renouer les liens avec sa riche famille et couler une vie paisible et bourgeoise. Mais au gré de multiples pérégrinations, ses camarades n'auront de cesse de le ramener dans le chemin de la lutte armée. Ce que filment les Taviani, avec un bel aplomb, c'est une faillite révolutionnaire. Les actions d'éclats de la secte finissent toutes piteusement. La faute aux trahisons et à la tentation bourgeoise qui se niche en chacun. Mastroianni, à travers le rôle de Fulvio joue une nouvelle fois un homme sans qualité, prêt à tous les mensonges et ce à l'égard de tous, ses amis, ses camarades, sa femme, sa famille. Seul son fils, qu'il retrouve après six ans, a droit à une affection sincère (mais lors de la nuit qu'ils passent ensemble avant une nouvelle séparation, son père lui raconte une terrible histoire : il affabule et hallucine encore). Il est assez difficile de s'attacher à un personnage aussi ambigu, que l'acteur incarne comme en retrait.

    Un mot pour finir, sur le titre, intrigant. Allonsanfan est en fait le prénom de l'un des subversifs. Le personnage est au second plan mais est ô combien important. Avec son regard souligné par un trait de lumière, il est celui qui portera jusqu'au bout l'espoir révolutionnaire. 

  • Be happy

    (Mike Leigh / Grande-Bretagne / 2008)

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    behappy.jpgPoppy, 30 ans, est une institutrice londonienne délurée et fêtarde. Elle partage son appartement avec sa fidèle colocataire, prend des leçons de conduite, s'essaie au flamenco et tombe amoureuse. Poppy est un moulin à paroles qui s'évertue à désamorcer toutes les crises en riant de tout et qui tente de redonner le sourire à tous ceux qu'elle croise.

    Be happy (Happy-go-lucky) est censé être le rayon de soleil de notre rentrée. Avec son affiche pétante et son titre volontariste, cette comédie doit nous redonner la pêche. La presse nous le dit aussi, même les contempteurs habituels de Mike Leigh se faisant bienveillant. Et bien, au risque de passer pour un pisse-froid, je vous avoue que devant le film, le même mot m'est revenu toutes les cinq minutes : pathétique.

    Après un générique désuet, très années 60, les trois premières séquences sont catastrophiques. On pense à un mauvais début, mais cela ne s'arrangera en fait jamais. Dans la première, Poppy entre dans une librairie et essaie de dérider l'employé de la boutique, qui ne décroche pas un mot (ni un bonjour, ni rien). Voici déjà mis en évidence l'un des gros soucis du film. Mike Leigh, pour faire des étincelles, ne confronte sa Poppy qu'à des cas spéciaux : ici le libraire qui fait la gueule, plus tard la prof de danse espagnole bien allumée, le moniteur d'auto-école raciste et violent ou le clochard qui perd la boule. Dans la deuxième séquence, on voit Poppy et ses amies s'éclater en discothèque. Seul intérêt pour le cinéaste : montrer les jeunes femmes désinhibées, assumant l'exubérance de leur tenue et de leurs gestes. L'ambiance, la musique, il s'en contrefout : une scène pour rien. Dans la troisième, le summum est atteint avec un long délire entre les cinq copines, bien bourrées et affalées dans le salon. Blagues vaseuses à gogo, rires forcés et ivresse surjouée. Il reste encore 1h45 de projection.

    Tenues voyantes de Poppy, décorations d'appartements chargées, salles de classes chaleureuses : les couleurs vives sont là, mais comme délavées. Comme un Londres sans soleil, comme une comédie sans gag. Ah si, je crois qu'une dame dans la salle a ri à un moment (loin de la banane affichée par les critiques, les spectateurs s'exprimant sur le site allociné, auxquels on ne peut en général pas reprocher de ne pas être bon public, donnent à peine la moyenne au film). Leigh ne compte que sur deux choses pour faire naître le comique : des dialogues endiablés et des caractères bien trempés. L'incessant ping-pong verbal est fatigant, souvent souligné par de très moches gros plans sur les visages. A chaque instant, on croit entendre le cinéaste diriger ses comédiens : "Dis le plus vite !", "Accentue l'intonation !". Les caractères sont eux, je l'ai déjà dit, tous poussés à la limite (sauf bien sûr, l'amoureux).

    La comédie ne marche pas, la mise en scène non plus, reste donc le message : Poppy devrait de temps à autre se calmer et faire face à la réalité du monde. En gros, et la scène finale nous l'explique au cas où : trop bonne, trop conne. Bien sûr, la prise de conscience se fait progressivement. Poppy commence à rire jaune, puis plus du tout. Un enfant de la classe frappe ses petits camarades (on comprend dès le début ce que le récit met dix minutes à traiter au travers d'un entretien avec un assistant social : l'enfant est battu à la maison), l'homme de l'auto-école est de plus en plus inquiétant et dangereux... Pour mettre en scène un vrai tournant "original", Leigh en appelle au bon vieux théâtre lors d'une séquence ahurissante entre Poppy et un brave clochard. Tout cela va donc la changer, la délester de son immaturité, la poser un peu. Elle saura contenir la fureur de son moniteur raciste et pourra l'entendre lui dire ses quatre vérités, si justes au fond (puisque tout le monde est humain, n'est-ce pas ?).

    La plupart des critiques défenseurs du film font mine de s'étonner que Mike Leigh signe une comédie, manière grossière de se mettre le lecteur dans la poche. Deux filles d'aujourd'hui, en 97, en était déjà une et ses autres films, même parmi les plus noirs, contiennent nombre de saynètes comiques ou ironiques. Non, la surprise, si il y en a une, c'est bien de voir l'auteur de fables caustiques (High hopes), de solides mélodrames (Secrets et mensonges, Vera Drake) et de grands films désespérés (Naked, All or nothing), réaliser une oeuvrette aussi laborieuse.

  • Tempête sur l'Asie

    (Vsevolod Poudovkine / URSS / 1928)

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    tempete.jpgEn plein coeur de l'Asie Centrale, Bair, un jeune Mongol, doit quitter la yourte familiale pour aller vendre ses peaux de bêtes au marché de la ville. Arnaqué par un tout puissant acheteur étranger (la région est sous domination anglaise), il provoque un esclandre et doit fuir. Dans les montagnes, il croise alors la route d'un groupe de partisans rouges, qui luttent contre l'occupant. Plus tard, il tombera aux mains des Anglais. Ces derniers, après avoir eu l'intention de l'abattre, s'aperçoivent qu'il est le descendant de Gengis-Khan. Ils décident alors de s'en servir comme homme de paille, le proclamant souverain d'un pays qu'ils veulent contrôler en sous-main.

    Tempête sur l'Asie (Potomok Chingis-Khana) commence comme un documentaire sur le mode de vie des Mongols, chose déjà rare, surtout dans ces années du muet. Mais après cette mise en place et avec l'accélération des événements, c'est comme un véritable western que se suit le film de Poudovkine. On y trouve des chevauchées fantastiques et des fusillades entre les rochers. On y trouve surtout un souffle naissant d'une grande beauté plastique, à l'occasion de magnifiques séquences de pleine nature (la course sur le lac gelé, l'immensité de la taïga...). Mais Poudovkine n'est pas qu'un grand photographe de paysages. D'une part, sa mise se fait très précise dans les intérieurs. L'opposition entre la yourte, chaleureuse et trouée de lumière et la caserne ou le palais, froids et obscurs, le montre bien. D'autre part, le réalisateur soviétique sait filmer à hauteur d'homme. Quand le héros sauve la vie du chef des partisans, l'échange des regards suffit à traduire les sentiments. Peu de temps après, accueilli au campement, il s'aperçoit, provoquant l'hilarité générale, que celui qui l'a accompagné tout le long du chemin est en réalité une jeune femme. La preuve : elle allaite son bébé. Si les officiers anglais sont traités avec férocité, tout n'est pas non plus tout blanc ou tout noir : le soldat qui est chargé d'abattre Bair est particulièrement réticent.

    L'un des traits les plus intéressants et originaux du film est son traitement des moines bouddhistes. Si le regard porté sur eux est moins acerbe que celui porté sur les Anglais, la critique de la religion est claire : endormissement du peuple et collaboration passive avec l'occupant. L'attaque est tantôt souriante, comme lors de l'entrevue du commandant avec le vénérable représentant de Bouddha (un bébé de quelques mois), tantôt cinglante, quand le montage met en parallèle les préparatifs des moines et ceux, ridicules et pompeux, des huiles anglaises, avant la cérémonie. Ce montage parallèle se fait plus ample et plus didactique encore quand il mêle aux images de cette rencontre consensuelle entre généraux et religieux celles du pillage auquel se livre au même moment les soldats à l'encontre des éleveurs mongols.

    Avançant par vastes tableaux, tous très beaux, le film n'évite pas quelques longueurs ici ou là (sur une durée de plus de 2 heures), mais après une évasion rocambolesque, on tombe sur un dénouement en forme d'apothéose. Destiné en 1928 à porter au plus haut l'étendard révolutionnaire et à galvaniser les foules, il prend aujourd'hui une dimension plus poétique. Le nouveau Gengis-Khan se lance à bride abattue vers son destin et apparaissent derrière lui des dizaines de cavaliers (en surimpression, ce qui accuse le sentiment de surnaturel). Mais c'est bien la formidable tempête qui s'est levée qui balaye les ennemis et non des coups de sabres. Sous nos yeux, militaires, casquettes, et fusils roulent sous les bourrasques, offrant un beau et étrange ballet, avant que le dernier carton, plein de verve anti-impérialiste, nous ramène aux difficiles réalités du combat révolutionnaire.

  • Tartuffe

    (Friedrich Wilhelm Murnau / Allemagne / 1926)

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    tartuffe.jpgLorsque l'on s'attend à une simple adaptation par Murnau (et Carl Mayer) de la pièce de Molière, la surprise est de taille. Avec son Tartuffe (Herr Tartüff), le cinéaste allemand offre à la fois le texte et son explication, du moins l'une des leçons que l'on peut en tirer. Un bourgeois, âgé et malade, se fait cajoler par sa gouvernante qui lorgne sur sa fortune. Au moment où le vieillard se décide enfin à écrire au notaire en faveur de celle-ci, son petit-fils, mal-aimé car vivant une vie dissolue de comédien, débarque et s'aperçoit vite du manège. Mis à la porte, il s'adresse soudain à nous (par carton interposé), face à la caméra, pour nous prévenir que les choses ne se passeront pas comme cela. Il revient le lendemain, grimé, et parvient à organiser dans le salon de son grand-père, à l'attention des deux occupants des lieux, la projection d'un film de cinéma, titré Tartuffe. C'est ainsi qu'après vingt minutes, un nouveau film, celui attendu, commence.

    Pendant cette longue introduction, Murnau use d'un certain naturalisme avec ces gros plans de visages ridés, au bord de la grimace, et ces détails triviaux dans les accessoires. La variété des cadrages et la fluidité confondante du montage, font vivre de façon unique ce décor d'appartement bourgeois et éloignent le spectre du théâtre.

    Car au travers de cette adaptation, c'est bien toute la puissance du cinéma qui est convoquée. Et d'abord sa capacité de révélation. Le grand-père finira par ouvrir les yeux (et Murnau insiste sur l'éblouissement provoqué par le retour de la lumière dans la pièce, après le noir de la projection), quand lui aura été contée l'histoire de Tartuffe, le faux dévot qui se fait l'ami du riche et brave Orgon, dans le seul but de le déposséder de sa fortune. Dès lors, nul besoin de s'appesantir. En quelques plans, la gouvernante se retrouve dans la rue et les deux hommes réconciliés. Un dernier carton nous pose la question "Est-on vraiment sûr de la personne qui se trouve à nos côtés ?"

    Mais les mérites du Tartuffede Murnau ne se limitent pas à cet encadrement original. Le récit principal recèle lui aussi mille merveilles. Il est aisé de retrouver d'oeuvre en oeuvre, au fil d'une carrière pourtant multiforme (et courte), des traces de fantastique. On n'y échappe pas ici non plus. L'art du décor y est déjà pour beaucoup. Le château d'Orgon est réduit à l'image à quatre ou cinq pièces, et pourtant, tout y est (voir l'utilisation magistrale  du hall, avec son escalier et les différents paliers). Dans les chambres ou les salons, les reflets et les ombres de l'expressionnisme se mêlent aux jeux théâtraux des rideaux. Le personnage de Tartuffe, surtout, véhicule une inquiétante étrangeté. Son apparition est retardée par Murnau. "Satan est entré dans la maison" prévient la domestique. Plus tard, quand elle lui portera un chandelier, seul un bras passera dans l'entrebâillement de la porte pour le saisir, tel un monstre. Ce Tartuffe qui lorgne vers les décolletés d'Elmire, la femme d'Orgon, serait risible avec son nez constamment collé sur son livre de prières si Emil Jannings, massif et huileux, ne le rendait si malsain.

    Pour faire tomber le masque de Tartuffe et libérer ainsi son mari de son emprise, il faut qu'Elmire tente le diable sous les yeux de son bien-aimé. Sur l'écran, Lil Dagover, comme son personnage, nous a, pendant un moment, bien caché son jeu et sa capacité à éveiller le désir. Troublants, ses abandons (mêmes feints), la révèle à tous : Tartuffe, Orgon et le spectateur. Son remerciement final à Dieu est alors de bien peu de poids après l'avoir vue capable de tant d'ensorcellements et après avoir assisté à une telle charge contre les dévots. Murnau, lui, nous aura mis en garde contre tous les hypocrites et fait comprendre qu'il faut toujours aller voir dessous les choses pour y trouver la vérité, belle (les jambes d'Elmire sous sa robe) ou moche (les semelles crottées de Tartuffe affalé sur son hamac).

  • L'insoumis

    (Alain Cavalier / France - Italie / 1964)

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    insoumis.jpgL'insoumisdémarre en Kabylie en 1959 avec une embuscade dans laquelle des soldats sont pris sous le feu de tireurs algériens. Thomas, l'un des légionnaires, tente un coup d'éclat en allant porter secours à un camarade amoché en contrebas. Arrivé difficilement à ses côtés, il s'aperçoit que l'homme est déjà mort. Le deuxième long-métrage d'Alain Cavalier, dès son introduction, annonce la couleur : noire. A ses débuts, le cinéaste, comme Claude Sautet à la même époque, oeuvrait dans le film noir (avec Le combat dans l'île en 1962, puis Mise à sac en 1967). L'insoumisest en plein dans le genre, mais son argument de départ, lié à la guerre d'Algérie, change déjà beaucoup de choses (et ce film, avec d'autres, tord encore le cou à la légende tenace selon laquelle le cinéma français aurait traîné pour traiter de la question).

    En 1961, Thomas (Alain Delon) a déserté l'armée française. Son ancien lieutenant a fait le même choix et lui propose de participer à une action sous ses ordres et, devine-t-on, ceux de l'OAS. Il s'agit de kidnapper une avocate ayant l'habitude de défendre des Algériens, de manière à faire pression sur son entourage et obtenir de nouveaux noms de "terroristes", comme les nomme le lieutenant. Le rapt se déroule comme prévu, mais Thomas, qui a la garde de Dominique, l'avocate (Lea Massari), finit par la laisser partir après avoir tué, en étât de légitime défense, l'autre gardien, non sans recevoir lui aussi une balle dans le ventre. Grièvement blessé, il parvient à quitter l'Algérie et commence à traverser la France pour rentrer chez lui. Arrivé à Lyon, il s'arrête pourtant et sonne à la porte de Dominique. Elle lui vient en aide. Une histoire d'amour naît entre eux, malgré que la femme soit mariée. Les anciens amis de Thomas, toujours menés par le lieutenant, retrouvent leurs traces et la cavale reprend. Thomas, de plus en plus faible, verra son chemin s'arrêter dans la ferme familiale.

    Le scénario d'Alain Cavalier et Jean Cau est tiré d'une histoire bien réelle. Sachant que le film date de 1964, on imagine les tracasseries qu'il a pu rencontrer. De fait, quelques semaines après la sortie, une plainte de l'avocate en question eu pour effet son retrait de l'affiche. C'est en 1967 qu'il réapparut, mais avec vingt-cinq minutes coupées. Fort heureusement, des années après, Cavalier a retrouvé une copie américaine complète du film. L'épilogue judiciaire de 1965 arrangeait beaucoup de monde. En effet, le film aborde la guerre d'Algérie d'une façon particulièrement claire. Si l'OAS n'est pas citée directement et si Thomas n'est pas Français mais Luxembourgeois, ces petites précautions n'abusent personne.

    Cette clarté et cette lucidité impressionne, tant au niveau des dialogues qu'au niveau de la mise en scène du quasi-débutant Cavalier. Les échanges sont simples, concis. Les mots pitorresques du pied noir qui accompagne Thomas se font vite haineux (c'est Robert Castel, fameux second rôle, que l'on croisera ensuite dans bien des pantalonnades). Tous les inteprètes sont remarquables : Delon (producteur courageux du film) est insaisissable et Lea Massari dégage une belle sensibilité. Avec cette oeuvre de facture plutôt classique, on est certes loin du type de cinéma que Cavalier proposera à partir du Plein de super et plus encore après Thérèse. On peut cependant apprécier déjà le soin apporté aux gestes (Delon tient toujours quelque chose dans ses mains : ventilateur, bouteille de Coca ou revolver), la présentation des hommes à l'ouvrage et un certain goût pour la fragmentation, pour les gros plans de mains ou de visages.

    De fait, Cavalier se révèle finalement un excellent metteur en scène d'action. La fulgurance des règlements de comptes laisse pantois. La façon dont Delon élimine celui qui le tient en joue dans l'appartement est digne des plus beaux gestes vus dans les grands films noirs ou westerns américains (l'ombre de Huston plane beaucoup sur le film). Autant qu'une touchante et adulte histoire d'amour, L'insoumis est un film sur un corps, celui de Thomas. Un corps d'abord bondissant, puis de plus en plus souffrant, traînant une blessure inguérissable (ou voulue par lui-même comme telle). Un corps déjà mort lorsqu'il atteint son but. Un corps qui ne peut finalement que s'écrouler.

    Ce dernier plan, admirable, on en trouve une trace, un instantané, sur la pochette de mon disque de chevet depuis vingt ans :

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