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Film - Page 78

  • Baby Cart 1 & 2

    Baby Cart : Le sabre de la vengeance (Kozure Okami : Ko wo kashi ude kashi tsukamatsuru) (Kenji Misumi / Japon / 1972) ■□□□

    Baby Cart : L'enfant massacre (Kozure Okami : Sanzu no kawa no ubaguruma) (Kenji Misumi / Japon / 1972) ■□□□

    babycart.jpgBon, je n'aime pas beaucoup ça...

    Le premier volet de la série, afin de poser les bases, est laborieusement charcuté pour intégrer le long flash-back nous éclairant sur ce qui a poussé le grand samouraï Ogami Itto à devenir un mercenaire errant avec son enfant en landau. Ainsi, le récit principal, réduit à la portion congrue, n'avance jamais et le mot "fin" arrive en laissant un goût d'inachevé. Est-ce pour mieux façonner les caractères et déployer une narration plus ample par la suite ? Absolument pas. Le deuxième film reprend le schéma qui sera, semble-t-il, reproduit dans toute la série : le héros monnaye ses talents de bretteur à travers le pays pour quelque mission dangereuse alors que, dans le même temps, des hommes de main au service du clan qui veut sa mort s'acharnent sur lui.

    Ici, tout est au-delà de la caricature, jusqu'au ridicule pour ce qui est des personnages. Comment deviner l'issue d'un affrontement ? Celui qui grimace sans cesse est le méchant, il finira coupé en deux. Celui qui reste impassible est le bon, il s'en sortira en un éclair. Trouvant leur origine dans un célèbre manga, les films illustrent des cases sans aucun souci de progression dramatique. L'effet le plus désagréable est ressenti lors de la séquence interminable et effectivement cartoonesque des traquenards successifs tendus au samouraï, le long d'un seul chemin, par un groupe de ninjas féminins.

    Misumi pousse ainsi le film de sabre vers la parodie, tout en se prenant très au sérieux et c'est, je pense, cette position intenable qui me dérange. Rions avec les connaisseurs qui se repaissent du second degré et laissons les spectateurs basiques se satisfaire du premier... Le recours au gore se fait dans le même état d'esprit : en fonction du public, l'hyper-violence peut rebuter ou faire rire. Il est toujours possible de laisser flotter cette incertitude, mais au moins, celle-ci doit déboucher sur une réflexion, être intégrée au discours produit par le film, ce qui n'est pas le cas ici. De la même façon, Misumi expérimente constamment dans les cadrages, le rythme, la lumière et la bande-son mais se moque-t-il du cinéma moderne ou veut-il en faire partie ?

    Forcément, au milieu de ce feu d'artifice aussi vain que désordonné, il est arrivé qu'une idée, une composition, plus rarement une scène entière (celle du combat autour du puits dans le deuxième épisode, par exemple), me plaisent. Mais je ne peux guère m'intéresser à ce type d'ouvrage exclusivement pensé en termes de "trucs" de mise en scène ou de scénario.

    Arte a diffusé ces jours-ci les six épisodes de la série. Epuisé au bout du deuxième, j'ai déclaré forfait pour le reste...

  • Lazybones

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1925)

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    lazybones.jpgLazybones, "le paresseux", est un jeune homme vivant avec sa mère dans une petite bourgade des Etats-Unis. Il est surnommé ainsi notamment par les voisins plus aisés, qui ne voient en lui qu'un bon à rien. Suite à un concours de circonstances, notre homme vient à adopter un bébé, celui que lui a confié, déséspérée, Ruth, la sœur de sa propre petite amie, Agnes. Il élève donc Kit, cette petite fille, tout en gardant le secret de ses origines et acceptant par conséquent de voir Agnes s'éloigner de lui. Les années passent, jusqu'à ce qu'il parte à la guerre en 1917 et en revienne pour se retrouver face à Kit, devenue une belle jeune femme.

    L'introduction du récit et quelques gags récurrents entraînent vers la comédie, le scénario tient plutôt du mélodrame, la géographie et l'humeur sont celles de la chronique rurale, l'ensemble est une petite merveille d'équilibre, tantôt souriante, tantôt bouleversante.

    L'art de Borzage peut déjà s'apprécier à travers le traitement du personnage de Lazybones. Puisque tous, à l'exception de sa mère, le prennent pour un fainéant, nous nous attendons, selon la convention, à ce qu'un coup d'éclat démontre le contraire à l'ensemble de la population. Or, au lieu d'opérer un retournement mécanique du point de vue, Borzage reste dans la continuité, laissant Lazybones garder son attitude de retrait tout en faisant sentir que celle-ci n'a rien de contradictoire avec le maintien d'une droiture et d'une détermination morales. Ainsi, le sauvetage de Ruth emportée par les eaux se fait sans témoins et l'acte héroïque effectué sur le front résulte d'un petit accident. Si l'homme est jugé avec condescendance par ses concitoyens, le spectateur, lui, accepte entièrement sa manière d'être.

    Ce film solaire (seules la scène de guerre et celle du bal, lors de laquelle se brise le dernier espoir de Lazybones, se déroulent de nuit) est d'une simplicité d'exécution confondante. Le jeu des comédiens est d'une justesse constante (une habitude chez Borzage), prolongé qu'il est par de multiples détails. A son retour, non annoncé, du front, Lazybones prend tout son temps pour traverser son petit jardin et franchir le seuil de sa maison afin de retrouver sa mère et sa fille adoptive. Cette suspension permet de laisser passer une vibration, une émotion qui se mêle à un effet de vérité, et dans le même temps, elle consolide encore le récit en jouant sur la "lenteur" reprochée au héros et en apportant une nouvelle variation au gag du portail, ici enfin réparé.

    Il y a ainsi derrière l'apparente simplicité de la mise en scène de Borzage, tant de choses qui résonnent... On peut citer encore, à ce titre, la dernière séquence du film qui nous montre un Lazybones vieillissant s'adonner une nouvelle fois à son loisir préféré, la pêche. Un clin d'œil est adressé au spectateur puisque le héros finit par tomber comiquement à l'eau mais la scène provoque également une émotion délicate par le retour à l'exact endroit (cadré de manière identique) où l'événement déclencheur du drame s'était réalisé, des années plus tôt. Là où l'on pouvait s'attendre à un certain dénouement, les retrouvailles tardives de Lazybones et d'Agnes, cette fin reste ouverte.

    Entre-temps, se seront écoulés plus de vingt ans. Si les transitions entre les différentes phases du récit sont remarquables, le passage du temps sur les personnages ne se fait pas de façon totalement homogène, certains paraissant parfois trop vieux ou trop jeunes. Autre petite faiblesse, la dernière partie du film prend un étrange tour incestueux, avec des réactions plus prévisibles. Ces menues réserves sont cependant loin de porter ombrage au reste, à l'interprétation magnifique de Buck Jones ou de Zasu Pitts (quelle expressivité chez cette dernière !), au dosage parfait élaboré par le cinéaste entre l'humour et le sublime (de nombreuses séquences sont réellement déchirantes, sans jamais en rajouter dans le pathos et Lazybones, en consolant sa fille adoptive trouve les mots qui résument tout : "La mort, c'est simple... les gens sont fatigués... ils sont juste rappelés").

    Lazybones est un très beau Borzage (ce qui a tout l'air d'être un pléonasme, que l'on se place n'importe où dans la période 1925-1940 du cinéaste).

  • Country teacher

    (Bohdan Slama / République Tchèque - France - Allemagne / 2008)

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    country1.jpgBohdan Slama semble avoir retrouvé, en partie, le secret du cinéma tchèque (ou tchécoslovaque) des années soixante (à moins que celui-ci n'ait jamais été perdu, mais de cela il est bien difficile de juger, compte tenu de la distribution en France pour le moins limitée des œuvres de cette contrée). Country teacher (Venkovsky ucitel), troisième long-métrage du cinéaste, possède ainsi un charme qui renvoie aux sensations éprouvées devant les films de Forman, Passer, Menzel ou Jires. Ce charme provient de la douceur de la lumière naturelle, de l'approche sensible des êtres humains, de l'étude souriante des qualités et des défauts des diverses populations, du goût pour la musique, l'alcool et les fêtes improvisées jusqu'au petit matin. En faisant de son héros un professeur d'école ayant quitté Prague pour s'installer à la campagne, Bohdan Slama semble tout d'abord nous proposer une chronique de village, l'observation d'un milieu particulier à travers les yeux d'un personnage déplacé, en retrait, entre bienveillance et tristesse.

    Slama opère discrètement, tournant autour des comédiens lors de plans-séquences enveloppants. Sans ostentation, la caméra glisse, parfaitement calée sur le rythme des dialogues et des gestes et c'est comme par hasard si le cadre dévoile à certains moments des perspectives inattendues. Ces ouvertures sur le paysage arrivent sans effort visible, dans la continuité de ce qui est donné à voir au premier plan. La rareté de la musique, laissant la place aux bruits de la campagne, accentue l'impression de calme. Progressivement, cependant, l'accompagnement musical va se faire plus important, entraînant dans son sillage une gravité certaine.

    Une conversation entre le directeur de l'établissement et le professeur laissait sous-entendre que le choix de mutation de ce dernier pouvait être dû à une raison peu avouable. Mais de secret, il n'y en a plus  au bout d'une demie-heure. Bohdan Slama place en effet, en cet endroit assez étrange du point de vue narratif, une séquence familiale explicative. La légèreté de ton employé jusque là se trouve alors quelque peu encombrée par plusieurs dialogues appuyés. Le film en son entier se voit soudain lesté de psychologie et va dès lors constamment flirter avec le danger d'être aspiré par son sujet puisque tout s'articule, à partir de là, autour du problème de mœurs qui nous a été dévoilé.

    A la liberté narrative que l'on nous a fait miroiter, à une certaine suspension de la marche du temps et des événements, se substitue donc une trame déroulée de manière un peu trop volontariste. Certes, nous restons le plus souvent dans l'énonciation à demi-mots mais le "vouloir dire" du cinéaste transparaît trop aisément. Son sujet a tendance à faire écran et le symbolisme des derniers plans, bien que véhiculé avec une retenue stylistique appréciable, lasse au lieu de transporter. Trop évident apparaît ainsi l'écho formulé en reprenant à la fin l'une des séquences introductives. Le professeur avait, devant ses élèves, élaboré une réflexion à partir d'une coquille d'escargot, une coquille vide, à l'image de sa vie sociale et affective. Passées bien des épreuves, il leur présentera plus tard la même chose mais en insistant cette fois-ci sur la merveilleuse capacité qu'à la nature à créer des êtres toujours absolument différents les uns des autres.

    Cet acceptation de soi et des autres passe par un enchaînement bien connu : faute, culpabilité, expiation, pardon. Le lourd débat de société n'est pas très loin, qui pourrait s'appuyer sur cette description d'une conduite particulière débouchant sur un dilemme moral. Finalement, c'est surtout cela qui fait de cet estimable Country teacher un film d'aujourd'hui et non de 1965.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • Les contes de Canterbury

    (Pier Paolo Pasolini / Italie - Grande-Bretagne - France / 1972)

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    contescanterbury.jpgTout est disjoint, rien ne raccorde. Cinéma de poésie m'objectera-t-on. Mais encore faudrait-il parvenir à créer un choc ou un flux. Or il ne subsiste ici qu'un déséquilibre entre chaque chose et finalement, une faille, un vide, un ennui. En premier lieu, le montage ne fait qu'heurter les plans les uns aux autres dans le sens où, même lorsqu'est posé un simple champ-contrechamp, même lorsqu'est organisé un échange de regards, jamais les personnages ne semblent se situer dans le même espace, dans le même temps. Le film débute dans une cour, au milieu du peuple, et dès la première séquence, le découpage échoue à établir une continuité spatiale et à décrire visuellement les liens qui unissent les personnages.

    Tout le long, le style sera approximatif. Ici un panoramique sur une foule semble hésitant et sans objet. Là un insert en plan rapproché plein écran casse brusquement le principe d'une scène de voyeurisme selon lequel nous avons les bords de l'image obstrués et délimitant ainsi une fente. Alternativement, le cadre est fixe ou tremblé en caméra portée, d'un plan à un autre, sans raison puisqu'ils sont de même nature. Plus largement, les transitions entre chaque conte (écrits au XIVe siècle par Geoffrey Chaucer) se font de manière aléatoire, l'un pouvant être accoler au précédent sans crier gare tandis qu'un troisième sera introduit par l'écrivain, interprété par Pasolini lui-même, affichant continuellement un sourire satisfait.

    Seul signe de richesse visible, avec le nombre de figurants, de cette production Alberto Grimaldi, les éclatants et extravagants costumes jurent devant les décors réels et sombres datant du moyen-âge. Premier plan et arrière plan ne raccordent donc pas non plus. Tourné en Angleterre, le film mélange acteurs italiens et britanniques, tous poussées vers le grotesque et doublés grossièrement (comme toutes les co-productions de ce type, peut-on parler d'une version originale ?). Malgré la présence de Laura Betti ou de Franco Citti, on ne peut d'ailleurs guère parler d'interprétation. Les actrices ont été choisies pour leur plastique et leur promptitude à se dénuder. Du côté des hommes, le monde se sépare en deux catégories : d'une part, les vieillards à trogne et, d'autre part, les éphèbes aux tendances homosexuelles dont Pasolini ne se lasse pas de filmer les sexes. Tous parlent et rient très fort, entre deux airs populaires fatigants.

    Comme nous sommes dans le deuxième volet de la "trilogie de la vie" imaginée par le cinéaste (après Le Décaméron, moins pénible mais pas beaucoup plus enthousiasmant dans mon souvenir, et avant Les mille et une nuits, que je ne connais pas), on baise, on pète, on pisse, on chie, on dégueule, toujours avec entrain. Geste radical, osé, bravache, que celui de Pasolini, certes. Malheureusement, même dans le décorum et sous les mots du XIVe, la vulgarité reste sans nom et l'humour graveleux désole autant que celui d'un film de bidasses. Et si un épisode cherche à s'élever au niveau du burlesque, c'est en infligeant un hommage débile et interminable à Chaplin (Ninetto Davoli, portant chapeau melon et canne, sème la pagaille, cours en accéléré et balance une tarte à la crème, tout cela, bien sûr, toujours au moyen-âge).

    L'effet de signature n'est pas un piège propre à notre époque : pour ces Contes de Canterbury informes et sinistres, Pasolini obtint l'Ours d'or de la mise en scène à Berlin en 1972. La même année, sortait Fellini-Roma. Une toute autre chose...

  • Le samouraï du crépuscule

    (Yoji Yamada / Japon / 2002)

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    samouraiducrepuscule.jpgAvec Le samouraï du crépuscule (Tasogare Seibei), il ne faut pas s'attendre à un film de genre plein de bruits de lames qui s'entrechoquent, de giclées de sang ou de sauts périlleux arrière. Yoji Yamada, vénérable artisan du cinéma japonais qui s'est lancé dans une trilogie historique consacrée aux samouraïs après avoir œuvré essentiellement dans la comédie sociale, tourne ostensiblement le dos à toute notion d'épopée et à tout effet spectaculaire. Situé dans la deuxième moitié du XIXe, au moment où cette caste particulière se voit sur le déclin, le récit s'attache à décrire un épisode de la vie de l'un de ses membres, l'atypique Seibei Iguchi, homme simple et pauvre, s'occupant seul de ses deux petites filles et sentant son âme devenir plus paysanne que guerrière. C'est donc avant tout à l'étude minutieuse d'un quotidien peu éclairé d'ordinaire que nous convie Yamada.

    Sa mise en scène est très classique, très sage. Entre les panneaux coulissants des intérieurs et les murets des extérieurs, le film peut paraître un brin étriqué même s'il colle mieux ainsi à son projet initial : démythifier la figure du samouraï. Très estimables sont les efforts réalisés en vue d'une caractérisation sociale et morale précise. Moins bien géré est l'appel à l'émotion, les dialogues, relativement abondants, n'étant pas d'une originalité folle. De plus, le choix de laisser une voix off redondante, celle de l'une des fillettes devenue une vieille femme, prendre en charge la narration fait tendre quelques séquences vers une certaine sensiblerie.

    Fort heureusement, Yamada parvient à nous attacher à son personnage principal, ce samouraï que ses collègues fêtards surnomment "Crépuscule" car il rentre invariablement chez lui tous les soirs, une fois son travail de paperasse effectué, avant la tombée de la nuit. Cet être qui apparaît médiocre aux yeux de beaucoup est en fait un sabreur redoutable : un duel auquel il ne peut échapper nous le prouve, à nous et à toute la communauté ébahie. Endossant une nouvelle réputation à contre-cœur, minimisant l'ampleur de ses talents, refusant d'évoquer le moindre fait d'arme d'un passé que l'on peut imaginer glorieux, Seibei se trouvera malgré lui entraîné à nouveau dans la violence, soumis à la règle d'obéissance du samouraï et aux calculs politiques et guerriers de ses chefs. Les deux seuls combats que donne à voir Yoji Yamada, filmés en plans très longs et sans musique, laissent passer finalement plus d'émotion, par la mise à jour du tiraillement qu'ils provoquent chez Seibei, que les pauses amoureuses entre ce dernier et la sœur de son ami ou que l'égrenage des souvenirs attendris par sa fille.

  • Panique au village

    (Stéphane Aubier et Vincent Patar / Belgique / 2009)

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    panique13.jpgAutant que le Week end de Godard, Panique au village est un film "égaré dans le cosmos" et, s'il n'a pas été trouvé "dans la ferraille" comme celui du cinéaste français, il a dû l'être dans le coffre à jouets d'un petit belge. Film-monde qui n'obéit qu'à ses propres règles esthétiques et narratives, l'œuvre d'Aubier et Patar est le 2001 de l'animation déconnante, le Jour de fête de la figurine en plastique, le Nouveau monde du nonsense aventureux, le Twin Peaks du plat pays.

    Ces scènes de chasse en Basse-Wallonie ont comme premier mérite, avant de laisser le récit larguer les amarres, de s'ancrer fermement dans la réalité du monde rural et d'énoncer quelques vérités trop oubliées : les paysans sont bougons mais serviables, les fermières ne lâchent jamais leur seau, les chevaux dorment debout, les facteurs ressemblent tous à Jacques Tati, les cowboys sont un peu bêtes, les gendarmes sont tatillons mais vite dépassés, les tracteurs doivent être souvent réparés... Dans Panique au village, ce sont trois personnages principaux qui mènent la danse. Avant qu'il ne s'effondre, ils vivent sous le même toit. Ils se nomment Cheval, Cow-boy (ou Coboy) et Indien, et les liens de parenté qui les unissent ne sont pas très clairs. Le premier a une certaine aura paternelle quand les deux autres accumulent les bévues, mais rien n'indique que ces derniers soient ses rejetons. Dans ce monde de dingues, l'amour entre espèces différentes ne semble tout de même pas possible. La preuve : Cheval est amoureux de la prof de piano du conservatoire, Mme Longrée, qui s'avère être une jument portant le sac à main autour d'une somptueuse crinière rousse et ayant la chance de parler avec la voix de Jeanne Balibar.

    Ici, nous ne sommes pas dans Toy story et les personnages n'ont aucune conscience d'être de simples jouets d'enfants animés. Ainsi, il est parfaitement logique que Cheval rêvasse de la même façon que nous, en se croyant propulsé avec sa favorite dans un musical à la Vincente Minnelli. De pause, il en a d'ailleurs bien besoin tant l'absurde course du monde est accélérée par la bêtise de ses deux acolytes.

    Les metteurs en scène organisent impeccablement ce crescendo destructeur et absurde. Ils jouent des différences de vitesse et de volumes (motif présent dès le point de départ du récit avec le maladresse entraînant la livraison de millions de briques dans le jardin de Cheval). Ils orchestrent un détonant concert de voix (celle de Steven, le fermier qui gueule littéralement chaque phrase, prise en charge par Benoît Poelvoorde, semble imposer son rythme furibard à tout le film). Ils travaillent toute la pâte sonore, laissant leurs figurines entravées par leurs socles se déplacer au son d'un métronomique et endiablé tac-tac-tac-tac. Enfin, ils convoquent pour la bande originale des musiciens en parfait accord avec leurs thématiques. Au centre du film, se déroule une longue séquence de soirée d'anniversaire bruyante et alcoolisée. La participation du groupe Dionysos n'étonne donc pas. Mais il est un autre contributeur qui renforce encore la cohérence du projet : le bien nommé French Cowboy. Il suffit de se rappeler que derrière ce patronyme se cache depuis quelques années le leader des regrettés Little Rabbits pour que l'admirable évidence saute aux yeux. En effet, si la basse-cour de Panique au village regorge de vaches, de poules et de cochons, l'absence totale de lapins crée une béance, un non-dit douloureux.

    Sachez toutefois que le bestiaire ne se limite pas ici aux animaux de la ferme, pas plus que l'histoire n'est circonscrite au périmètre du hameau. C'est d'ailleurs sur ce plan-là qu'Aubier et Patar font très fort, en imaginant qu'un point de passage entre deux mondes s'est créé au niveau de la petite mare dans la cour de Steven et Janine. Arrivés à ce point, nous ne nous en étonnons pas plus que cela puisque nous bouclons alors un périple géographiquement ahurissant qui, partant et finissant à la ferme, nous aura successivement entraîné au centre de la terre, au Pôle Nord, au milieu de l'océan, puis dans les grands fonds marins. Pour ce qui est de l'éclatement des repères, de la porosité affolante entre des mondes insensés et de l'apparition de créatures grotesques ou inquiétantes, Lynch, Burton et Miyazaki peuvent aller se rhabiller ensemble. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que les bovidés peuvent ici, dans un geste plus proche des Monty Pythons que de Buñuel, servir de projectiles lorsqu'il faut défendre son territoire.

    Oui, Panique au village est assurément une folie vivifiante, une œuvre dont se dégage une poésie qui ne tient pas seulement à une nostalgie de l'enfance, une tarte à la crème qui, chose rare, peut être réellement savourée par tous, de sept à septante-sept ans, sans qu'y apparaisse le moindre compromis. Mais il vous vient certainement à l'esprit cette question : qu'apporte ce passage au long-métrage d'une hilarante série de courts (naguère diffusés sur Canal+) ? Je pourrai répondre en assurant qu'un OVNI de la sorte, n'avançant que selon sa logique interne, peut aussi bien durer cinq minutes que trois heures. Et si vous n'êtes pas convaincu, je répondrai alors à la manière de Steven : "BON ÇA VA BIEN MAINTENANT ! ÇA CHANGE RIEN, ET ALORS ??"

     

    logokinok.jpgChronique dvd pour

  • The ghost writer

    (Roman Polanski / Grande-Bretagne - France - Allemagne / 2010)

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    ghostwriter.jpgQuels que soient leur sujet et leur degré de réussite, les films de Roman Polanski, du Couteau dans l'eau au Ghost writer ressemblent tous énormément à leur époque - précisons aussitôt qu'ils ne courent pas pour autant après la mode. Par conséquent, autant que la mise en avant (plutôt que le "retour") des thèmes favoris du cinéaste, il convient de saluer ses capacités de renouvellement formel, dans un cadre à la fois classique et très actuel.

    Notre guide dans cette sombre histoire, le nouveau nègre littéraire de l'ex-premier ministre britannique Adam Lang, est sans cesse pressé par le temps (le délai qui lui est imparti pour peaufiner les mémoires de son client est raccourci) et compressé par l'espace : envoyé sur une île au large des Etats-Unis, cloîtré dans une villa-bunker, constamment sommé de monter dans des véhicules aux vitres teintées. En ces lieux, les ouvertures qui s'offrent à lui sont illusoires, qu'il s'agisse de l'horizon d'une mer démontée, des larges baies vitrées de la maison ne renvoyant qu'un écho assourdi du monde extérieur ou des paysages défilant en voiture. Parfois, la caméra semble se coller à lui (et aux autres personnages), le plan se bouchant alors sous nos yeux. Mais ce sont surtout les matières, les meubles, les pièces, qui disent la claustration (The ghost writer est l'un des rares films contemporains s'appuyant sur un décor travaillé, sur une architecture pensée et sur une topographie précise, bien que "ré-inventée"). A ces éléments s'ajoute bien sûr, la technologie, l'excellent gag de l'exercice de sécurité figurant le point d'orgue ludique de cette réflexion. Les causes de la paranoïa semblent d'ailleurs, elles aussi, cheminer à travers elle (la scène du GPS, autre belle trouvaille).

    Le classicisme du film est celui du thriller de haute-volée ayant retenu toutes les leçons données par Lang et Hitchcock sur le rythme et les relations avec l'espace. Il vient aussi de la manière dont sont appréhendés les différents éléments constitutifs de l'ouvrage, du scénario à la photographie, du décor à la musique, du jeu d'acteurs au montage, tous jugés d'égale importance. Surtout, ce classicisme se ressent dans la position qui est assignée au spectateur. Polanski oriente notre regard de façon à ce qu'il ne puisse qu'épouser celui du personnage d'Ewan McGregor, ce ghost writer se faisant le réceptacle parfait de nos projections fictionnelles. Pas de femme, pas de famille, pas de passé, pas de nom : voilà l'homme de la situation pour le politique en mauvaise posture qu'est Adam Lang. Et voilà pour le spectateur, le témoin-relais idéal. La légitimité professionnelle du personnage est posée sans difficultés et l'acteur a suffisamment de charisme pour que Polanski se permette de jouer sur une note basse, sans volontarisme ni héroïsation (sur cette "transparence du nègre", je vous invite à lire l'excellent texte de mon collègue T.G.). Son aventure n'est pas flamboyante et cet écrivain semble entraîné par le courant au moins autant qu'il provoque de vagues. Entièrement dévoué à sa tâche puis au dévoilement d'un mystère (dévoilement qui, après tout, s'inscrit dans le prolongement du contrat initial qui est de mettre en forme une biographie), celui-ci se voit interdire par le récit tout écart. Même la relation sexuelle inattendue à laquelle il s'adonne ne provoque pas de bifurcation. Polanski tient son sujet jusqu'au bout.

    A travers ce récit saturé de faux-semblants, de mystères et de mensonges, se distingue une belle estime du spectateur. Le film peut, en son centre, souffrir de chutes de tension mais elles sont d'abord dues à ce matériau, difficile à manier esthétiquement, qu'est le flux d'images télévisuelles d'information, et ensuite à la nécessité d'exposer clairement l'enjeu politique et judiciaire de l'histoire. Si la bascule sans retour du côté du pur thriller intervient donc à point nommé pour savourer la maîtrise de la mise en scène du cinéaste, c'est bien le scénario qui va in fine "rattraper" les séquences centrales, apparues plus faibles au premier abord. Il faut en effet louer sans retenue le travail d'adaptation de Robert Harris à partir de son propre roman car non seulement son récit a la diabolique efficacité requise par le genre mais il dispense encore de nombreuses subtilités de construction, tels cet étrange écho se créant autour d'une mort ayant suivie une fâcherie, ou cette évolution du regard porté sur Adam Lang (Pierce Brosnan fait passer ce retournement au cours de la fantastique séquence de l'entretien en avion, Lang devenant en quelque sorte véritablement la bête politique qu'il est sensé être au moment, tardif, où il a le discours le plus sincère).

    Si The ghost writer se termine sur une victoire dérisoire, le spectateur, invité à refaire le film une seconde fois, a, lui, tout gagné.

  • Le veuf

    (Dino Risi / Italie / 1959)

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    leveuf.jpgAlberto Nardi est un industriel milanais poursuivi par ses créanciers et méprisé par sa femme qui l'appelle Cretinetti et qui refuse de lui donner le moindre sou, bien qu'elle possède une gigantesque fortune. En tant que bénéficiaire testamentaire, ses affaires semblent s'arranger le jour où cette dernière est portée disparue, suite à une catastrophe ferroviaire.

    Le veuf (Il vedovo) est un opus inégal au sein d'une filmographie qui l'est tout autant, celle de Dino Risi. Son intérêt premier vient de l'excellence de l'interprétation d'Alberto Sordi, dont l'inventivité dans le phrasé, les postures et les expressions semble infinie. Ce Nardi est un être bien peu aimable, menteur, lâche, xénophobe, macho. Il est pourtant difficile de le détester réellement. Sans doute est-ce, d'une part, parce que les gens de son entourage, même s'ils réussissent, ne valent pas mieux. D'autre part, malgré ses innombrables défauts, ce qui nous empêche de nous détacher d'Alberto, c'est cette impression très forte que le personnage représente pour Dino Risi l'Italie elle-même. Cet entrepreneur qui se prend pour un génie et accumule les faillites semble cristalliser la haine et l'attachement mêlés qu'éprouve le cinéaste devant la société contemporaine.

    Cet aspect de l'œuvre est très sensible dans la première partie, la plus drôle et la plus réussie. En revanche, par la suite, le film patine un peu sous le poids d'un scénario assez laborieux, bien plus remarquable dans le détail des scènes qui le compose que dans sa construction d'ensemble. Étrangement, c'est en effet lorsque la mécanique de la dramaturgie devrait tourner à plein régime que l'intérêt se fait moindre. La dernière partie vire à la comédie noire et policière mais le rythme est trop lent, les plans trop longs et les rebondissements trop prévisibles. Sur la durée, la mise en scène de Risi est tantôt banale (les effets de théâtre, la musique appuyée), tantôt inspirée (les dialogues percutants des premières scènes de bureaux, les nombreuses séquences orchestrant l'agitation d'un grand nombre de personnages autour d'Alberto Sordi).

  • Pour aller au ciel, il faut mourir

    (Djamshed Usmonov / Tadjikistan - France - Russie - Allemagne - Suisse / 2006)

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    pourallerauciel.jpgJusqu'à un certain point, c'est très simple...

    Pour commencer, il suffit de chercher à expliquer ce qui fait le charme commun de ce film-là, du précédent Usmonov (L'ange de l'épaule droite, 2002, après le brouillon du Vol de l'abeille, 1998) et des deux premiers Darejan Omirbaev, le collègue kazakh (Kairat, 1992, Kardiogramma, 1995). S'en dégage comme un parfum de Nouvelle(s) Vague(s) : sensation de liberté, jeunesse des protagonistes, déplacements constants par divers moyens de transports donnant à voir la réalité d'un paysage...

    Si Djamshed Usmonov propose une mise en scène épurée, la rigueur dont il fait preuve n'entraîne pas l'étouffement, ni l'incompréhension, ni la fatigue. Si les personnages restent parfois immobiles, ils ne prennent jamais la pose, leur attitude traduisant plutôt une ouverture au monde et à ses potentialités. Le déroulement des séquences est tel qu'il diffère régulièrement, de quelques secondes, l'explication de leurs raisons d'être, stimulant ainsi le regard du spectateur. De plus, cette rigueur esthétique permet, souvent, de glisser un humour discret et d'attiser le désir, comme peut le faire par exemple un simple plan sur une nuque, celle d'une jeune femme dans un bus, inconnue qui le restera.

    Car comme les films pré-cités, Pour aller au ciel, il faut mourir (Bihisht faqat baroi murdagon) est surtout un récit d'apprentissage. Kamal est un jeune homme qui suit toutes les filles qu'il croise dans la rue. Son obsession de la rencontre amoureuse l'amène à connaître quelques savoureuses déconvenues. Une scène saisissante semble visualiser le fantasme de Kamal : cherchant à la sortie de l'usine la jolie fille rencontrée le matin, il se trouve pris dans un flot interminable d'ouvrières. Comme si toutes les femmes après qui il courait déferlaient sur lui. L'insistance de ce plan étonne, tout comme sa conclusion heureuse. L'enchaînement érotique qui tire Kamal jusque dans le lit de Véra a quelque chose de magique (nous retrouvons une nouvelle fois, avec émotion, la merveilleuse Dinara Drukarova, révélée en 1989 par le Bouge pas, meurs, ressuscitede Vitali Kanevski). Le réveil n'en sera que plus déstabilisant. Cadré frontalement, calme et inquiétant, apparaît le mari.

    Là où les choses se compliquent...

    Dès lors, Kamal va continuer à vivre sa vie comme un fantasme, mais sur un autre versant, beaucoup moins lumineux. Kamal passe au film noir. Mais mieux vaut revenir en arrière. Lors de la première scène du film, Kamal, explique à son médecin qu'il s'est marié très jeune, presque par défaut, et qu'il n'arrive pas à faire l'amour à sa femme. Fin du premier plan, qui dure le temps de toute la séquence, et inscription sur l'écran du titre du film. Nous retrouvons alors Kamal dans le train, en direction de la ville. Au dernier plan du film, il sera à nouveau dans un compartiment, filant dans l'autre sens. Le train étant sans doute le moyen de transport le plus propice à la rêverie (celui que prend Kamal s'avérant, de surcroît, un train de nuit), nous frôle cette interrogation : le jeune homme a-t-il réellement vécu tout ce qui nous a été conté entre ces deux trajets ?

    Kamal vient de vivre en quelques heures (mais les repères temporels sont volontairement très flous) l'aventure amoureuse puis criminelle qu'il aurait pu vivre avant de se marier, avant de s'installer. Cette initiation, qui vient ainsi en léger décalage dans la construction de cet individu, se trouve du coup compressée dans le temps et elle se finit d'autant plus violemment, dans un engrenage implacable. Kamal devient un homme et le passage se fait par plusieurs points : par l'action qui implique le corps et l'âme, par la prise de décision (magnifiquement symbolisée par un demi-tour en barque, encore un moyen de transport...) et enfin par la sexualité accomplie. Djamshed Usmonov ose laisser penser que Kamal peut aimer parce qu'il a tué.

    C'est donc compliqué... mais c'est aussi assez impressionnant.

  • La tisseuse

    (Wang Quan'an / Chine / 2009)

    ■■□□

    latisseuse.jpgWang Quan'an raconte l'histoire de Lili, une jeune mère de famille apprenant brusquement qu'elle est atteinte d'une leucémie et qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre. La tisseuse (Fang zhi gu niang) est un mélo en mode mineur, le registre étant celui du réalisme chinois contemporain. Venant après bien des films de ce genre, de L'orphelin d'Anyangde Wang Chao à Still lifede Jia Zhangke, il n'offre, dans sa mise en scène, rien de novateur. La caméra alterne entre mobilité et fixité selon les déplacements ou l'apathie des personnages, celui de Lili avant tout autre, accompagné jusqu'au bout, interprété par la charmante et tenace Yu Nan, qui avait déjà porté sur ses épaules le précédent film de Wang Quan'an, Le mariage de Tuya.

    La Chine apparaît à nouveau à l'écran prise dans un double mouvement, celui qui voit s'élever les buildings modernes dans le ciel de Pékin et celui qui entraîne la fermeture des usines et la destruction de quartiers entiers. Les séquences ouvrières sont, comme souvent dans ce cinéma-là, saisissantes et oppressantes. Elles seraient désespérantes si ne s'y faisait pas jour une certaine solidarité.

    Wang Quan'an use de plans parfois très longs pour filmer de manière prosaïque les activités de ses personnages. On trouve au milieu de son film un ventre mou : une fois la fatale révélation faite, le récit étant assujetti aux choix d'une Lili désemparée, il peine à trouver l'énergie qui le propulserait. Il faut alors attendre l'appel d'air provoqué par la décision de l'héroïne de partir à la recherche de son ancien amour. Sans se délester de son immense tristesse, le film décolle vraiment et devient précieux. Les retrouvailles amorcent une série de très belles scènes, secrètement douloureuses, serties dans une esthétique très discrétement réhaussée.

    Ce dernier tiers tourne ce qui serait ailleurs un défaut en qualité. Il propose en effet une suite de fins possibles avec plusieurs séquences très détachées les unes des autres, soumises à de larges ellipses et prenant un tour quasi-onirique. Ainsi, Lili n'en finit pas de nous laisser une dernière image, n'en finit pas de mourir, mais cette répétition semble tendre un fil, certes de plus en plus fin, mais bien là. Un mince espoir dans la grisaille.