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Film - Page 76

  • L'illusionniste

    (Sylvain Chomet / France - Grande-Bretagne / 2010)

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    lillusionniste.jpgSi le film ne décante pas si mal dans mon esprit depuis quelques jours, j'avoue qu'à regret je suis resté un peu extérieur au spectacle de L'illusionniste. N'en ayant vu aucun extrait et m'étant gardé de lire la moindre critique avant d'entrer dans la salle, je fus d'abord surpris, déconcerté, de voir que Sylvain Chomet tentait de façon si littérale de faire revivre le cinéma de Jacques Tati... et l'acteur lui-même. Son Tatischeff dessiné a exactement les mêmes postures, la même raideur, le même rythme de marche saccadé, la même retenue verbale, la même politesse excessive que les personnages créés par l'auteur de Playtime. Il m'a en fait fallu un temps certain avant de faire abstraction de ce fait, comme parfois on peut se voir gêner pendant les premières minutes d'un biopic consacré à une personnalité que l'on connaît. Cette idée du mimétisme, de la performance, resurgit d'ailleurs à la fin du métrage, au moment du générique se déroulant sur fond d'une chanson dont chaque couplet est chanté "à la manière de" (tous les grands sont imités, de Brel à Brassens, en passant par Piaf, Trenet, Gainsbourg etc...). Cela peut relever de l'anecdote mais ce choix me semble assez symptomatique de la démarche de Chomet, qui n'aboutit pas selon moi à un résultat totalement convaincant.

    Je ne sais pas si le film est un succès en salles mais celle dans laquelle j'ai assisté à sa projection ne m'a pas semblé transportée outre mesure. Le cinéma de Sylvain Chomet a un tempo particulier qui peut désarçonner facilement le spectateur. Il aime prendre son temps dans la scène, l'étirer, jouer de la répétition (on se rappelle du début des Triplettes de Belleville). De ce point de vue, déjà, la rencontre avec Tati n'est pas dénuée de sens. Seulement, le scénario de L'illusionniste, avec sa trame chaplinienne, n'est pas d'une originalité folle et, une fois passé par le prisme du "style Chomet", distille parfois un ennui discret. C'est aussi que cette histoire de magicien voyant les temps changer dégage plus de tristesse que de drôlerie, la galerie de comparses artistes (clown suicidaire, acrobates réduits à travailler dans la publicité) tirant régulièrement l'ambiance vers le dépressif. Pour ne pas sombrer, il reste les plaisirs simples, suite à la rencontre du vieux magicien et de la petite bonne, d'une relation nouvelle, rafraîchissante, et qui en annonce peut-être, au final, une autre. Entre ces deux teintes, dépression et réconfort, il ne reste plus de place pour le grotesque inquiétant qui irriguait La vieille dame et les pigeons (1998), sinon dans les quelques séquences décrivant les allées et venues des pensionnaires dans le hall de cette maison d'artistes sur le retour.

    Ces réserves faites, il serait difficile de passer sous silence les qualités dont fait preuve L'illusionniste, la cohérence du projet n'étant pas la moindre. Ainsi, la brève rencontre fortuite de Tatischeff, entrant accidentellement dans une salle de cinéma, et de Monsieur Hulot (Mon Oncle sur l'écran), si elle ne produit pas un effet totalement renversant, est d'une logique imparable. Le magicien se retrouve face à son double comme Tati pouvait, dans ses derniers films, multiplier dans le plan les "faux" Hulot. Mais là où Chomet est à son meilleur, c'est dans l'animation. Par les couleurs et la lumière, il fait vivre remarquablement son cadre écossais. Surtout, il a le grand talent de savoir animer subtilement les fonds, les bords et les coins, y créant de petits mouvements qui attirent l'œil. Non pour distraire mais pour faire participer au mouvement général du plan, pour créer un cheminement du regard. Tati faisait la même chose, de manière certes plus complexe, avec ses gags visuels parfois imperceptibles. Finalement, si le pari de Chomet peut être considéré comme gagné, c'est que L'illusionniste parvient à prendre une place dans l'œuvre de Jacques Tati. Certes pas la plus essentielle, mais disons comparable à celle de ces appendices que sont Parade ou Forza Bastia.

  • Shortbus

    (John Cameron Mitchell / Etats-Unis / 2006)

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    shortbus.jpgContre toute attente, le seul intérêt véritable de Shortbus est musical, la série de pop songs que l'on y entend étant tout à fait agréable (de Yo La Tengo à Animal Collective).

    Il y en aurait bien un autre, que n'ont bien sûr pas manqué de mettre en avant la majorité des critiques au moment de sa sortie en salles en 2006 (jusqu'à en faire, tout à fait abusivement, un hymne à l'hédonisme) : voici une œuvre sexplicite, dans laquelle la chose est filmée frontalement et joyeusement. Avec humour même. Enfin, je dois avouer que voir une giclée de sperme atterrir inopinément sur un tableau abstrait ou un sex toy télécommandé rendre incontrôlable une jeune femme jusqu'à lui faire donner à chaque impulsion des coups de boule à ses interlocuteurs ne m'a pas plongé dans une hilarité délirante. D'ailleurs, si la représentation que propose John Cameron Mitchell est délestée de l'animalité morne ou de l’établissement de rapport de force, voire de la violence, accompagnant souvent ce genre d'expérience des limites, elle ne se développe pas moins sur un fond de mal-être général. Les spécimens new-yorkais qui défilent devant la caméra (blancs, noirs, asiat’, homos, héteros, jeunes, vieux, dominateurs, dominés) ont tous leur blocage, leur blessure secrète, leur névrose, et la construction du récit les pousse à les exposer un par un devant un tiers, dans une succession d'aveux ennuyeux au possible.

    Surtout, le scénario, concocté en collaboration avec chaque comédien engagé, n'a ni queue ni tête (si l’on peut dire…), Mitchell s'efforçant de raccorder chaque histoire individuelle en faisant se croiser les personnages, la plupart du temps n'importe comment, donnant ainsi l'impression de bâtir un Magnolia du pauvre. Ce lieu singulier, ce club où se retrouvent tous ces naufragés du cul pour partouzer dans une ambiance bon enfant et au son d’un orchestre pop, ce "Shortbus" donc, aurait pourtant pu suffire à tisser les liens nécessaires. La dimension utopique, quasi-fantastique, de ce refuge aurait également gagné à être poussée plus avant. Le spectacle érotique manque sans doute de rituel et la réalité du monde extérieur encombre encore trop le lieu. Les mêmes histoires s’y prolongent et la mise en scène ne change pas lors du passage des appartements au club, toujours aussi mal fichue. Changements de supports (pellicule ou vidéo), décadrages intempestifs, faux raccords volontaires, coupes dans les phrases… John Cameron Mitchell s’offre une resucée du Dogme danois, avec dix ans de retard.

    Mais le pire est pour la fin, avec ces dernières séquences de fête unanimiste, d’une niaiserie effarante. Où l’on réalise tout d’un coup qu’un film démarrant par le montage parallèle d’une auto-fellation, d’une séance SM et d’une baise acrobatique peut se terminer comme une gentille œuvrette de Christophe Barratier... Pas très excitant tout ça…

  • The Devil and Daniel Webster

    (William Dieterle / Etats-Unis / 1941)

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    devil11.jpgValse des titres au fil des présentations, des sorties et des reprises (Here is a man, A certain Mr Scratch, All that money can buy, The Devil and Daniel Webster, et, en France, Tous les biens de la terre) et distribution de plusieurs versions (dont une amputée de vingt minutes) : ces aléas en disent déjà beaucoup sur le caractère inclassable de ce film. Américain depuis 1937 mais ayant vécu en Allemagne jusqu'en 1930, William Dieterle, qui avait notamment interprété, en 1926, le rôle de Valentin dans le Faust de Murnau, propose là un déplacement géographique et temporel du mythe, une variation sur le thème de l'homme vendant son âme au diable, développée à partir d'une iconographie et d'une histoire appartenant au folklore des Etats-Unis naissants. Fort du succès de La vie de Louis Pasteur (1936), de La vie d'Emile Zola (1937), de Juarez (1939) et, surtout, de Quasimodo (1939), le cinéaste s'était fait producteur et profitait alors du savoir-faire des équipes de la RKO.

    Démarrant comme un classique morceau d'Americana, The Devil and Daniel Webster se signale vite par son empreinte expressionniste. Les rais de lumière aveuglent et strient les visages, les ombres sont démesurées. Une fois le virage vers le fantastique effectué, les personnages semblent par endroits comme absents à eux-mêmes et les apparitions diaboliques se succèdent. Se manifestent ainsi, de manière fulgurante, la féline Simone Simon en tentatrice enjôleuse et un Walter Huston moderne en diable, sarcastique, aux gestes précis, au sourire carnassier et au phrasé percutant.

    Le fantastique, si bien  exploré par Dieterle, est l'irruption dans la vie quotidienne du surnaturel et de l'irrationnel. Le pittoresque, lui, caractérise ce qui attire l'attention par son aspect original, sa fantaisie, son relief. Dans les deux cas, nous avons donc quelque chose qui se détache d'un fond (ce qui renvoie aussi à l'expressionnisme et à ses représentations picturales des tourments des personnages). Le mélange de ces registres n'est pas a priori évident mais il trouve là une cohérence. La chronique paysanne et la fable fantastique marchent donc, d'un bout à l'autre, main dans la main. Le cliché (la douce épouse mise à l'épreuve, la mère attentionnée et soucieuse, la femme tentatrice) prend dès lors une autre couleur. Le Diable mène la danse, et en maltraitant son violon (les stridences de Bernard Hermann aidant), il bouscule la musique folklorique, entraîne jusqu'au vertige la valse des paysans. Il peut aussi transformer un bal mondain en réunion de spectres.

    Mais cette hybridation n'est pas la seule à être tentée par un Dieterle qui parsème son film de réflexions politiques, par le biais de l'humour avec les discussions malicieuses entre le sénateur et les villageois ou de manière plus frontale avec le plaidoyer final de Webster en faveur de l'Union. Le message est progressiste : les usuriers qui étranglent financièrement les fermiers sont pointés du doigt, l'appât du gain est dénoncé comme responsable de tous les maux, les efforts des paysans pour mettre sur pied une coopérative sont soulignés, les pêchés originels sont évoqués (les violences faites aux Indiens et aux Noirs). Toutefois, le respect entre adversaires politiques est prôné et surtout la loyauté envers la constitution est donnée comme indispensable à la bonne marche de la nation. Nous sommes en 1940-41. L'Amérique n'est pas encore en guerre, mais l'Europe est déjà à feu et à sang.

    Cette dimension politique est rendue explicite par la longue scène de procès qui recouvre toute la dernière partie du film. Ce passage obligé pour bien des drames hollywoodiens de l'époque est ici soumis à un décalage, par son lieu (une grange), son ambiance (surnaturelle), ses enjeux (le sauvetage d'une âme), ses protagonistes (quelques fantômes) et le discours politique qui est tenu. La ferveur des personnages et la fermeté narrative suffisent à préserver l'adhésion, mais en même temps, un certain recul est perceptible. Et finalement, c'est tout le film qui aura joué de ce petit écart, en mêlant différents genres, en alternant visions idylliques et apparitions diaboliques, en osant quelques clins d'œil vers le spectateur (le villageois demandant à Belle si elle est Française, le dernier mot, ou geste, laissé au Diable...). Ainsi, nous pouvons dire, en assumant cet anachronisme total, que le plaisir distillé par cet étrange Devil and Daniel Webster est en fait le même que peut procurer un grand film post-moderne.

     

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  • Histoire d'une femme

    (Mikio Naruse / Japon / 1963)

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    histoirefemme.jpgDès les premières séquences, tout sonne juste. Mikio Naruse commence par passer d'un personnage, ou d'un groupe, à un autre, laissant assez longtemps flotter son récit avant d'en désigner plus clairement la ligne directrice (la vie d'une femme japonaise depuis son mariage dans les années 30 jusqu'au moment où elle devient grand-mère, dans les années 60). Ces premières descriptions de parcours professionnels, sentimentaux et domestiques, ce brassage choral se font sans ostentation aucune, le regard restant à hauteur d'homme et de femme sans jamais les surplomber. Peu à peu, des flash-backs brisent la linéarité temporelle. Leur articulation avec le présent de la narration est aussi fluide que le sont les transitions entre les séquences consacrées aux différents personnages et si le déroulement de l'histoire peut surprendre ou dérouter, il le fait à la façon de la vie elle-même. La subtile subjectivité qui s'affirme dans ces retours en arrière (le point de vue adopté étant d'abord celui de la grand-mère puis celui de sa belle-fille, qui finit par être placée au centre du film) est déjà un premier signe du talent de Naruse pour façonner des caractères et dégager une psychologie d'une remarquable justesse.

    L'itinéraire familial dessiné sous nos yeux, accompagné de ses petites arborescences, finit par donner vie à un tableau sociologique du Japon de l'avant à l'après-guerre et ce sont les destinées individuelles qui éclairent les moments historiques et non l'inverse. De la même manière, les flash-backs ne sont pas là pour illustrer scolairement une idée de scénario ou un thème cher au cinéaste. Ils sont déclenchés par le souvenir que provoque tel comportement ou par une association d'idée, et ils prennent le temps de détailler un contexte, de laisser se développer chaque composant du "sous-récit", avant d'exposer l'événement dramatique qui, pour le coup, devient inattendu. Cette délicatesse de construction, obtenue grâce à un enchaînement fluide plutôt qu'à un empilement répétitif et arbitraire des malheurs de l'existence, gouverne l'avancée du mélodrame. Dans ce qui est peut-être la plus belle scène du film, la lecture par l'héroïne, en pleine rue, de la lettre d'adieu laissée par l'homme qu'elle aime entraîne la perte (provisoire) de son petit garçon dans la foule (situation qui sera reprise à la fin, de manière encore une fois très délicate, lorsque l'arrière-grand-mère, dans le parc, relâchera brièvement sa surveillance du petit dernier de la lignée).

    Histoire d'une femme, Histoire de la femme voire Une histoire de femme : l'existence de ces différents titres français donnés à Onna no rekishi par les diffuseurs dit bien l'ampleur que Naruse parvient à donner à cette évocation d'un destin singulier. Il faut se garder cependant de chercher là une exaltation du sens du sacrifice qui caractériserait la femme japonaise. Pour Naruse, il s'agit plutôt de faire un constat tragique, en suivant les générations successives sur cette trentaine d'années : les femmes survivent et les hommes meurent. Et ce ne sont pas ces derniers qui sont le plus à plaindre. La mort de l'être aimé est une épreuve mais c'est une épreuve qui en annonce presque toujours une autre, plus terrible encore : la révélation tardive d'une erreur, d'un malentendu, d'une tromperie ou d'une trahison. La tristesse recouvre ce film pluvieux et nocturne. Seule la scène finale semble laisser une place au soleil. Il faut le chercher loin ce rayon annonçant un avenir moins douloureux, reposant sur... un petit garçon.

    Chez Naruse, la moindre silhouette impose sa présence en quelques secondes, les plans durent exactement le temps qu'il faut, la mise en scène a l'apparence de la simplicité (du Ozu en plus souple, en moins intimidant peut-être). Réalisé six ans avant sa mort et quatre ans avant son dernier film, Histoire d'une femme infirme le jugement qui consiste à stopper le temps des beaux mélodrames "narusiens" à la fin des années 50 (après la série comportant, entre autres, les magnifiques Frère et sœur, Le repas, L'éclair, Le grondement de la montagne et Nuages flottants).

  • Le fils du désert

    (John Ford / Etats-Unis / 1948)

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    filsdudesert.jpgTrois bandits volent l'argent de la banque d'une petite ville de l'Arizona. Avec le sheriff et ses adjoints à leurs trousses, ils se retrouvent dans le désert sans eau et sans chevaux. Ils y rencontrent une femme mourante sur le point d'accoucher dans son chariot ensablé. Après l'avoir aidé à donner vie à son bébé, ils lui promettent de sauver ce dernier et d'en devenir les parrains. Les trois hommes reprennent ensuite leur éprouvant périple, portant tour à tour le nourrisson dans ses couvertures.

    Le fils du désert (Three godfathers) est un western prenant la forme d'une parabole biblique. Respect de la parole donnée, évocation des rois mages, indication du chemin à suivre par une étoile ou du choix à faire par l'ouverture de la bible à la bonne page, actes rédempteurs, lumière divine transperçant le ciel, apparitions miraculeuses, villes bien nommées (Welcome, New Jerusalem), dénouement le jour de Noël, tout y est. A tel point que le film ne se réduit malheureusement qu'à cela, le reste, ce qui encadre le récit principal, n'étant que signe de reconnaissance n'allant pas au-delà du cliché (à l'image de la jeune femme, fille du banquier, séduite par John Wayne, qui apparaît au début puis en conclusion). Ainsi, le scénario, une fois la situation posée, offre finalement peu de surprises et une progression assez mécanique, impression accentuée par la succession des trépas (et les mourants se lançant à chaque fois dans de longues tirades, l'émotion peine à percer).

    Au moment où l'accumulation des correspondances commence à saturer le spectateur, le Kid, le personnage d'Harry Carey Jr, fait lui-même le lien entre l'aventure qu'il vit avec ses deux camarades et le texte de l'évangile. Si Ford insiste tellement, se dit-on, c'est que la surcharge de signification va peut-être finir par donner quelque chose d'intéressant, distancié, flamboyant ou monstrueux. Un film "malade". Mais il n'en est rien. Ce n'est pas nouveau, le cinéma de Ford est à prendre au pied de la lettre, et ici, cette scène n'est rien d'autre qu'un moyen de faire accepter à tous une évidence. Certes, au centre de cette œuvre d'évangélisation, le cinéaste prend soin de placer Robert Hightower (Wayne), ce mécréant (le dernier "miracle" lui fait lever les yeux au ciel, puis, tout de même, jeter un coup d'œil autour de lui, dans la continuité du mouvement et de façon plus prosaïque, comme pour "contrebalancer" son premier réflexe). Mais ce sera bien la seule trace d'ambiguïté d'un film qui semble d'ailleurs ne jouer que sur deux registres : selon les scènes, les protagonistes sont soit enjoués et blagueurs (le comique n'y est pas des plus fins), soit affectés et recueillis. Les caractères ne s'offrent à nous ni dans la demie-teinte, ni dans la profondeur (le rapport de fascination, ou du moins, l'estime qui existe entre le sheriff et Hightower est exposée d'entrée, le premier affirmant, dès le début de la chasse, qu'il aimerait jouer aux échecs avec le second).

    A cela s'ajoutent quelques soucis d'ordre narratif (à quoi sert cette ellipse lors de la découverte par Wayne du charriot dans le désert si elle ne provoque qu'un exposé bavard de la situation par ce dernier à l'attention de ses deux compagnons ?) et esthétique (ces multiples plans de coupes sur un vrai bébé emmaillotté déboulant entre ceux montrant les acteurs encombrés d'un paquet bien léger et bien rigide : le réalisme fordien en prend un coup...).

    Que reste-t-il alors ? La composition de quelques plans et surtout, essentiellement, le secret de la mise en scène des gestes et des postures, perceptible à certains endroits : Wayne tenant son chapeau à bout de bras pour faire de l'ombre à l'agonisant, Pedro Armendariz roulant sur lui-même et se cassant la jambe, Harry Carey Jr réclamant le nourrisson et se mettant à le bercer en marchant et en chantonnant...

    Tout de même, "Ford mineur" est le mieux que je puisse dire.

  • Life during wartime

    (Todd Solondz / Etats-Unis / 2009)

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    lifeduringwartime.jpgLife during wartime se présente plus (mêmes personnages) ou moins (acteurs différents) comme la suite de Happiness (1998), film le plus réputé, à juste titre, de la filmographie de Todd Solondz. Le cinéaste rejoue sa petite musique grinçante pour traduire toute l’horreur que lui inspire la middle class américaine, proprette en surface mais minée en profondeur par les névroses et les déviances. Cette guerre, il la mène depuis au moins dix ans, et entendre une mère de famille expliquer à son fiston qu’elle s’est sentie toute mouillée lorsque son prétendant l’a touché ou que les pédophiles sont des terroristes ne provoque plus vraiment d'effet de surprise. Les bousculades narratives de Storytelling (2001) et de Palindromes (2004) avaient réussi à masquer le goût de réchauffé (selon moi de manière assez impressionnante en ce qui concerne le deuxième) mais cette fois-ci, il n’y a plus rien pour accompagner cette énième reprise des thèmes obsédant le cinéaste. Que ce soit à l'image ou au montage, Solondz a décidé cette fois de tout mettre à plat.

    Le film paraît lent, notamment à cause d'une succession de scènes très similaires. Toutes sont en effet écrites pratiquement de la même façon, en prenant appui sur des dialogues ressassant l'idée du pardon, le problème étant que ces échanges renvoient la plupart du temps à un passé volontairement mal éclairé (à moins, peut-être, que l'on ait encore très clairement en tête les situations développées dans Happiness). Les confrontations organisées sont de toute façon trop longues. On y tourne en rond. Plus inquiétant encore, on en arrive à prévoir les choses à l'avance : ce panoramique partant d'un répondeur et balayant une chambre ne peut que s'arrêter sur un corps inanimé, cette phrase de Charlotte Rampling ("J'ai besoin d'autre chose qu'une simple caresse") ne peut qu'être collée à un plan sexuel, cette recommandation maternelle ("Si on te touche, tu cries !") ne peut que déboucher plus tard sur un "gag" mécanique (ayant de surcroît une conséquence scénaristique déconnectée de toute vraisemblance comportementale).

    L'échec de Life during wartime est donc aussi bien narratif (les transitions sont laborieuses et les vignettes faussement idylliques et véritablement ironiques ne parviennent pas élever le reste) qu'esthétique (la photographie, neutre, n'a pas dû demander beaucoup de travail à Ed Lachman, l'apparition de fantômes ne faisant en rien dévier la ligne morne du film). Pas de scène-choc, pas de performance d'acteur notable... Il ne reste qu'à prendre acte de la permanence du pessimisme de Solondz, à se satisfaire du fait qu'il n'en fait toujours qu'à sa tête et qu'il ne semble pas prêt à rentrer dans le rang et surtout à espérer qu'il trouve prochainement un second souffle.

  • Copie conforme

    (Abbas Kiarostami / Italie - France / 2010)

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    copieconforme.jpgComme tous les grands films de Kiarostami, Copie conforme raconte une histoire en même temps qu'il la montre en train de s'écrire. Ce double niveau n'est pas rendu sensible par un emboîtement. La caméra ne recule pas pour dévoiler un dispositif de représentation. Non, le jeu est plus subtil et plus mystérieux.

    Il est pris en charge d'abord par les personnages. Au fast-food, le fils expose clairement ce qu'il pense qu'il se passe entre sa mère et l'écrivain, puis ces deux derniers ne vont cesser de faire des propositions permettant autant de mises en scène de récit : aller se promener, entrer dans un café, observer un rituel (la première de ces propositions étant bien sûr de faire une conférence sur le thème "copie et original", sans compter celle, encore en amont et "hors du film", de lancer le "jeu"). Les dialogues concourent à cette mise à distance, s'appuyant sur des thèmes propices puisque le statut de l'oeuvre d'art est au centre des conversations. Du tableau (ou de la statue) au film, il n'y a qu'un pas et c'est donc, de manière évidente, la position du cinéaste lui-même qui est questionnée ici. Avec le travail sur le hors-champ, les cadrages et les reflets, la mise en scène n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de naviguer dans l'entre-deux. Le procédé le plus saisissant est sans doute celui qui consiste à briser le rythme des séquences entamées avec des plans assez larges et mobiles par l'intrusion de plans fixes rapprochés. Cette frontalité soudaine est très déconcertante, surtout lorsqu'elle concerne Juliette Binoche. Régulièrement, l'actrice semble regarder la caméra et la frontière avec le spectateur s'abolit. Un isolement brutal du personnage est réalisé par ce déchirement, pratiquement une extraction. Personnage ou actrice au travail ? Le film se met, sinon en danger, du moins en équilibre précaire. Parfois, dans les dialogues, des hésitations se font, on bute sur des mots. L'accident du réel est intégré avec le maîtrise habituelle du cinéaste.

    La beauté de Copie conforme tient à ce flottement (sensation amplifiée par cette césure narrative, si radicale que l'on met quelques minutes à s'y faire, à la digérer, à l'accepter) et à ce que l'indécidabilité se diffuse sur un fond de mise en scène de la "transparence". Cette simplicité apparente du geste kiarostamien laisse une nouvelle fois pantois : merveilleux choix de cadrages faisant réellement vivre le décor, admirable photographie des visages (jusque dans les jeux de pénombre), trame sonore précise dans l'emploi des différentes langues comme dans celui des éléments environnants (surtout les cloches d'église, cela bien avant le plan final).

    Que le sujet de la réflexion passe progressivement de l'art au couple et que le cinéma englobe les deux, est une autre raison d'aimer ce film qui, sous ses apparences d'oeuvre mineure, confirme encore, si besoin était, l'importance de Kiarostami. L'homme a ce don unique et précieux de transcender la mélancolie, voire le pessimisme, de ses récits par une forme qui permet d'avancer (aux personnages et aux spectateurs). Même lorsque l'on y parle de la mort ou de la fin d'une histoire, nous ne restons jamais à l'arrêt.

    Vu par un nombre manifestement inhabituel de spectateurs, pour un Kiarostami, et largement recensé ici ou là, Copie conforme a globalement déçu. Dommage.

    Un dernier mot : j'ai été assez ému de retrouver Juliette Binoche.

  • La rage du tigre

    (Chang Cheh / Hong-Kong / 1971)

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    Depuis le lancement de ce blog, de fidèles commentateurs, et non des moindres (Julien, l'ami Vincent d'Inisfree, peut-être même notre bon Dr Orlof), ont profité de diverses occasions (la recension d'un Tarantino et de deux Misumi, entre autres...) pour chanter les louanges de Chang Cheh et de sa fameuse Rage du tigre (Xin du bi dao). Mes réponses furent à chaque fois quelque peu évasives. Aussi, afin de clarifier autant que possible ma pensée, j'ai décidé de retranscrire ici les brèves notes que j'ai pu écrire à l'époque de ma découverte du film, en mai 2006. Je vous les livre sans aucune modification et en assumant parfaitement la démarche, à la limite de la mauvaise foi, qui consiste à évoquer succinctement mais avec beaucoup de réserves un film non revu depuis quatre ans et à se placer ainsi dans une position rendant pratiquement impossible tout débat...

    laragedutigre.jpg"Seules deux scènes retiennent l'attention, et encore... la première est un flash : la mort du chevalier, écartelé par quatre cordes et coupé en deux d'un coup de sabre. La deuxième est l'ultime duel sur le pont, déjà jonché de plusieurs dizaines de cadavres, combattants zigouillés par le héros manchot. Le coup final porté grâce à l'usage de trois sabres (pour un seul bras) est assez beau car il explique d'autres scènes de jonglerie avec des oeufs ou des ustensiles de cuisine qui paraissaient ridicules.

    Il faut quand même être bien indulgent pour admirer ce film de série. Notons qu'en 1971, si on ne volait pas encore vraiment pendant les combats, il y avait déjà des bonds de plusieurs mètres assez improbables. Dernier léger intérêt : le dialogue incessant entre films de sabre asiatiques et western italien (hyper-violence, musique, thème de la vengeance)."

    Voilà, c'est dit...

  • Lola

    (Brillante Mendoza / Philippines - France / 2009)

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    lola.jpgUne immersion.

    Voilà ce que propose Brillante Mendoza avec Lola. Il se cale dans les pas lents mais déterminés de "Lola" ("Grand-Mère") Sepa et "Lola" Carpin, alternativement. La première cherche à enterrer dignement son petit-fils, la seconde à libérer de prison le sien, l'un étant le meurtrier de l'autre. La caméra mobile, portée à bout de bras, suit les déplacements des deux vieilles femmes dans Manille et ses environs, dans les rues bondées, dans les gares, dans les arrière-cours, dans les bureaux de l'administration. Ces héroïnes fatiguées sont placées au premier plan mais ce qui se passe autour d'elle est au moins aussi important : la vie d'une cité est captée, les petits accidents du réel, semblant à peine provoqués, sont enregistrés. Ce n'est pas seulement la population qui affirme sa présence mais bien la ville dans toutes ses dimensions : sociale, géographique, architecturale, sonore. Dans ces conditions de tournage dans la rue, on imagine le travail compliqué et on admire une mise en scène vibrante mais toujours lisible, claire et réfléchie.

    L'immersion, c'est également, au sens premier, la plongée dans un liquide. L'eau est omniprésente dans Lola, que Mendoza a volontairement réalisé au moment de la saison des pluies. Tout le quartier de Lola Sepa se trouve inondé jusqu'aux étages des maisons et les déplacements doivent s'y faire en barque, y compris le cortège funéraire (la séquence est, pour nous, étonnante, même si on saisit bien que la situation n'a sans doute pas pour cette population un caractère si exceptionnel). La force de la pluie est décuplée par celle du vent. Leur conjonction éprouve les corps des deux femmes courbées, mal protégées par des parapluies dérisoires.

    Dans ce qui est quasiment la première séquence, se trouve réuni tout ce qui fait le prix du film. Au coin d'une rue, près d'un groupe d'enfants jouant par terre sans se soucier du reste, Lola Sepa, accompagnée de l'un de ses petits fils, lutte contre les éléments en tentant d'allumer une bougie sous les bourrasques. La finalité du geste n'est pas clarifiée tout de suite, l'effort est répété plusieurs fois et le temps s'étire : une aura mystérieuse s'installe, densifiant le réel enregistré.

    A plusieurs reprises, plus régulièrement avec l'approche de la fin du film, entre les séquences évoluant au ras du quotidien viendront s'intercaler de la même façon des moments qui, s'ils ne se détachent pas du cadre ni du récit, libèrent un lyrisme marqué et orchestrent une progression qui repousse tout sentiment de monotonie. Ils ne prennent toutefois leur valeur que par rapport aux autres, à la beauté moins évidente mais à la nécessité aussi incontestable. En effet, le réalisme absolu de la plupart des séquences permet d'éloigner le spectre du symbolisme pesant et de placer des ponctuations qui ne se transforment pas en grossier nœud dramatique (par exemple, la mise en gage du poste de télévision par la grand-mère provoque une colère mais pas un drame). Surtout, est rendu possible l'éclairage de personnages complexes et évolutifs. Pendant une bonne partie du film, les vieilles femmes semblent les seules à chercher à faire tenir cette société, faisant le lien entre les enclaves familiales et administratives, chapeautant des familles auxquelles il manque, à chaque génération, un membre. L'attachement que l'on ressent en est d'autant plus fort, malgré ce que l'on perçoit aussi chez elles : caractère buté ou manigances. Or, au bout de cette vision pessimiste, on réalise tout de même que l'apaisement recherché est aussi obtenu grâce aux générations suivantes, qui semblaient pourtant bien passives. Ce sont de telles trouvailles d'écriture ou de mise en scène (comme le détail des reporters filmant avec désinvolture le résultat  des inondations sur le quartier, reporters qui sont montrés après un travelling qui pourrait tout aussi bien avoir été réalisé avec leur caméra) qui donnent le sentiment que le film de Brillante Mendoza est au final moins simple qu'il n'y paraît.