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Film - Page 73

  • Breathless

    (Yang Ik-june / Corée du Sud / 2009)

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    breathless03.jpgYang Ik-june, jeune réalisateur-scénariste-producteur-acteur principal, n'est pas Jean-Luc Godard. Il ne s'en réclame d'ailleurs aucunement. Mais son Breathless affiche le même air frondeur qu'A bout de souffle et les points communs entre les deux films ne sont pas rares. Ces deux premiers longs métrages réalisés comme en contrebande et lancés sans ménagement à la figure des spectateurs partagent notamment, au-delà d'une entrée en matière fracassante, une envie d'en découdre avec le monde environnant, une figure centrale de petite frappe, une rencontre décisive avec une jeune femme, une vulgarité provocatrice dans les dialogues, une prédilection pour la cigarette et une fin tragique...

    Car fin tragique il y a. Rassurez-vous, cette révélation ne tient pas vraiment du spoiler (pour parler dans la langue universelle, à l'instar des distributeurs de films asiatiques, ceux du présent ouvrage ne faisant pas exception à la règle en rebaptisant, certes de manière habile comme nous venons de le remarquer, Ddongpari, soit "Mouche à merde", en Breathless, "A bout de souffle" donc), tant le dénouement semble écrit dès l'entame du récit. Il n'y a qu'à voir la teneur de ces moments arrachés  à la violence du quotidien, ceux où Sang-hoon, la racaille toujours prête à taper sur tout ce qui bouge un peu trop, et Yeon-hee, la lycéenne forte tête, se baladent ensemble en ville, débarrassés pour un temps de la pression qui pèse sur eux. Au sein d'un film où tout ne semble être qu'agressions, affrontements, rapports de force, rituels de domination, défis lancés aux autres, qu'il s'agit de tenir en respect à coups de baffes, ces îlots génèrent leur propre nostalgie. Captés de loin, au téléobjectif, sans paroles audibles et seulement accompagnés d'une musique atmosphérique, alors que le reste est saisi dans une proximité extrême et sans la moindre note, ils décrivent un présent déjà passé.

    Il est en effet trop tard. Un final contrasté signera le refus d'installer trop confortablement les idées d'apaisement, de réparation et de solidarité par le déplacement simple mais très efficace d'une séquence qui vient en cisailler une autre, tel un morceau de gène qui s'insèrerait dans un autre pour en modifier radicalement l'expression. Selon l'humeur, on détectera, dans le glissement presque mélodramatique qu'opère le récit, une lueur d'espoir ou bien un pessimisme radical.

    Tout au long de Breathless, Yang Ik-june nous aura malmené pour mieux pointer des faillites, toutes liées les unes aux autres. Celle du système éducatif (l'école est une perte de temps et les lycéens et lycéennes sont constamment moqués par les caïds) et surtout celle des pères qui, invariablement, frappent les mères et terrorisent les enfants, leur transmettant ainsi non pas des valeurs de droiture et de respect mais bien le virus de la violence. Ces hommes en mal d'autorité se conduisent comme des dictateurs familiaux, des petits Kim Il-sung. L'insulte est proférée par Sang-hoon au cours de l'un de ses tabassages et c'est donc bien Yang Ik-june qui parle alors et qui élargit cette vision désespérante à toute la société coréenne actuelle.

    Le message ainsi adressé, accentué sur la fin par l'arrivée des larmes de mélodrame peut faire craindre la leçon de morale. Mais le cheminement du film est tortueux. La progressive ouverture au monde du petit voyou à la mandale facile ne se fait pas sans détours. Les étapes les plus marquantes de cette accession à une plus grande humanité, liens renoués avec les uns, aide apportée aux autres, sont en effet suivies soit d'un déchaînement de violence plus imprévisible encore, soit d'un affaissement passager, soit de l'expression inattendue d'une douleur. Plus généralement, c'est la construction de Breathless dans son ensemble qui est paradoxale. L'espace géographique arpenté étant relativement limité (à un quartier de Séoul), les fils du scénario semblent tissés de manière évidente. Les personnages sont posés d'une telle façon que les croisements sont assez faciles à prévoir. De même, très vite, un parallèle s'établit entre l'histoire passée et présente de Sang-hoon et celle de Yeon-hee. Or, si déterminé que paraît être le récit, surprises et ruptures, contre-pieds et contretemps abondent.

    Cela confère au film son incroyable énergie et cela caractérise aussi la vision de la violence qu'a Yang Ik-june. Nous l'avons dit, celui-ci cadre serré. A deux ou trois reprises, il se sert de cette absence de recul pour décupler l'effet d'une soudaine intrusion dans le cadre. Ailleurs, il peut faire preuve d'un certain humour à froid, désamorçant la violence par des trouvailles de montage rappelant celles dont est friand Takeshi Kitano (d'un pugilat, nous pouvons passer en une coupe à un repas apaisé avec les mêmes protagonistes). Breathless, acte rageur et malpoli de cinéma, impressionne finalement par sa maîtrise sur ce plan-là, qui l'empêche constamment de tomber dans la complaisance. Ici, la violence n'a rien de sadique, elle ne procure pas de plaisir à celui qui en use (on note par ailleurs l'absence totale d'acte ou de désir sexuel), elle n'est qu'un moyen dans un univers déréglé. En la montrant de manière cyclique et irrépressible, Yang Ik-june, que l'on sent si proche de son sujet, pose la question de l'héritage (voire de l'hérédité) de cette violence et s'inquiète de trouver en si peu d'endroits l'espoir d'en stopper la contamination. Au moins, pour lui, au-delà de la catharsis, faire un film de cela, c'est déjà faire quelque chose et s'extirper du néant.

     

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  • Biutiful

    (Alejandro Gonzalez Iñarritu / Espagne - Mexique / 2010)

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    biutiful.jpegPuissant. Sans doute trop. Et aussi trop chargé, trop long, trop large serait-on tenté d'ajouter à la suite. Je me demande toutefois s'il n'est pas un peu vain de se plaindre ainsi car cela revient en fait à regretter qu'Iñarritu n'aille pas assez contre sa nature. Or, il faut bien reconnaître que, sur bien des points, il a mis la pédale douce par rapport à son précédent film, Babel, et que sa décision de se passer dorénavant de son encombrant scénariste Guillermo Arriaga lui a été bénéfique et lui ouvre de nouveaux horizons, cette collaboration, après deux réussites spectaculaires, ayant montré crûment ses limites au troisième essai.

    Les premières minutes de Biutiful sont assez impressionnantes. L'inscription du récit dans la ville (une Barcelone, tout le monde le sait maintenant, loin de celle de Vicky Cristina Barcelona) est absolument saisissante, notamment grâce à d'incroyables plans nocturnes de Javier Bardem déambulant dans les rues. Avec ce travail sur la lumière, comme rarement, nous avons l'exacte sensation de la nuit citadine, succession désordonnée de noirs profonds et d'éclats lumineux. Ce début fait espérer un grand film qui collerait d'un bout à l'autre à son personnage et serait à l'image de son interprète : ténébreux et massif. Mais la promesse n'est pas vraiment tenue.

    Certes Bardem tient tout sur ses épaules, mais quelques scènes se passent de la présence de son Uxbal et, si liées qu'elles soient à son parcours, elles se révèlent moins intéressantes que les autres. Il en va ainsi de l'histoire parallèle des deux Chinois. Celle-ci éclaire une donnée sociale, précise la description du système d'exploitation des immigrés auquel prend part le personnage principal, mais nous détourne de la ligne de force centrale. S'en tenir beaucoup plus strictement au point de vue d'Uxbal aurait, à mon sens, été plus satisfaisant et cela n'aurait pas nécessairement nui au message concernant les exploités, qui apparaît ici, à quelques endroits, un peu trop conventionnellement asséné.

    Parmi les reproches que certains commentateurs ont pu formuler à l'encontre de Biutiful, le plus fréquent est celui de l'accumulation de malheurs. Il me semble pour ma part que le problème n'est pas quantitatif et que le parcours christique d'Uxbal en vaut bien d'autres. Si l'on peut émettre des réserves sur la manière, ce n'est pas le choix du mélo qu'il faut chercher à contester. Des réserves stylistiques, j'en ai moi-même quelques unes. Elles concernent le traitement des "moments forts" du film, en particulier l'altération ou l'amplification excessive des éléments de la bande-son. Par exemple, lorsque Uxbal fait un terrible aveu à sa fille et qu'il la serre dans ses bras, nous n'entendons que le battement de son cœur. Dans ces moments-là, Iñarritu en rajoute toujours un peu trop alors que "l'épaisseur" qu'il sait conférer à ce type de séquence se suffit à elle-même. C'est cette tendance qui gâche aussi légèrement les intrusions du fantastique dans le récit et le constat est d'autant plus regrettable que cette dimension s'avère stimulante (le rapport d'Uxbal aux morts est passionnant et mène à cette stupéfiante rencontre à la morgue, entre un fils de quarante ans et un père décédé mais ayant conservé son apparence juvénile).

    Je ne voudrais pas finir sur l'un de ces bémols mais avouer plutôt que dans la plupart des scènes, quelque chose parvient à "s'arracher", et signaler, pour terminer, l'approche assez intelligente, dès le début, qu'a Iñarritu du personnage de la femme d'Uxbal, qu'il était si facile de nous faire rejeter, ainsi que la grande force, parfois bouleversante, qui émane de tout ce qui a trait à la famille, cette famille dont les contours, au-delà d'un noyau dur constitué par le père et ses deux enfants, fluctuent sans cesse, qui se voit successivement défaite et reconstruite, qui peut être de substitution et qui peut devenir le lieu d'un retournement émouvant du rapport à l'étranger.

  • La Princesse de Montpensier

    (Bertrand Tavernier / France / 2010)

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    princessemontpensier.jpgLe dernier Tavernier m'a ennuyé d'un bout à l'autre. Quand ce manque d'intérêt vous pèse dès le début de la projection et quand vous pressentez que cela ne va guère s'arranger sur la durée, vous commencez, en laissant votre regard vagabonder sans but sur la surface de l'écran, à ne voir que des défauts. Ainsi, indifférent à ce que le cinéaste tentait de me raconter, je me suis mis à regarder ces figurants bien placés au bord du cadre et qui s'activaient très consciencieusement en mimant les gestes des hommes et des femmes du XVIe siècle dans l'espoir de donner vie au tableau ; j'ai pu comprendre pourquoi les maîtres d'armes et les cascadeurs aimaient tant travailler avec Tavernier, lui qui orchestre toujours ses batailles à l'ancienne, filmant dans la longueur des corps-à-corps qui sentent l'entraînement intensif au gymnase du coin ; j'ai eu tout le loisir de suivre ces mouvements de caméra balayant des décors si authentiques mais me paraissant, à chaque occasion, s'étirer dans le mauvais tempo, à la mauvaise vitesse, à la mauvaise distance ; j'ai pu remarquer que cette lumière naturelle éclairait très mal les visages, parfois rejetés sans raison dans l'ombre ou le contre-jour ; j'ai pu oublier, aussitôt entendus, ces dialogues ronflants, arrivant d'on ne sait où lorsqu'ils  se veulent déterminants (quand Wilson dit "Je vous aime", rien dans ce qui précède ne nous fait sentir la naissance de cet amour) et tombant à plat lorsqu'ils souhaitent faire sourire ; j'ai pu avoir la confirmation que non, décidément, je n'étais pas du tout sensible au charme de Mélanie Thierry, en charge pourtant d'un personnage désiré par tous les autres ; j'ai eu le temps de déplorer une interprétation d'ensemble particulièrement médiocre, de Wilson à Vuillermoz, de Leprince-Ringuet à Ulliel, le moins connu de tous, Raphaël Personnaz, étant le seul à s'en sortir ; j'ai pensé avec nostalgie à Breillat, à Rivette mais aussi à Rappeneau et à d'autres Tavernier ; j'ai pu réfléchir tranquillement à ce que j'allais bien pouvoir écrire sur mon blog à propos de ce ratage.

    Oui, La Princesse de Montpensier, film dépourvu de vigueur et de ligne esthétique, est très ennuyeux. C'est ennuyeux pour moi aussi, étant plutôt Tavernophile habituellement, de devoir donner raison, pour une fois, aux détracteurs acharnés du cinéaste.

  • District 9

    (Neill Blomkamp / Afrique du sud - Etats-Unis - Canada - Nouvelle-Zélande / 2009)

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    district9.jpgDistrict 9 a, depuis un an, été encensé à un tel point, par à peu près tout le monde, qu'il peut très bien supporter que l'on en dise du mal. Cette œuvrette SF faussement novatrice n'échappe selon moi à la nullité que, d'une part, par l'évidence des compétences purement techniques mises à son service (ce qui est bien le minimum que l'on puisse attendre d'une production Peter Jackson, même d'ampleur "modeste") et, d'autre part, par le développement plutôt habile de l'un des thèmes abordés, celui, kafkaïen, de la métamorphose (même si les mutations et les altérations de la chair observées ici restent très en deçà des visions d'un Cronenberg), et il me semble que, comme il arrive parfois, l'originalité de l'idée de départ (montrer le traitement "inhumain" que réservent les autorités et la population de Johannesburg à des extra-terrestres exilés de leur planète) a trop vite été prise pour l'acte de naissance d'un style, celui de Neill Blomkamp qui signe là son premier long métrage.

    Pour nous plonger dans son monde, le jeune cinéaste sud-africain n'hésite pas à nous servir cette tarte à la crème du faux reportage, du déluge d'images "objectivées", sans point de vue à force de se multiplier. Se bousculent donc, soumises à un montage tonitruant, les sources documentaires, télévisées, privées, sécuritaires... Ainsi, le spectateur est accroché à peu de frais et l'auteur peut faire l'économie des efforts nécessaires à la construction d'un récit en tant que tel. Pourquoi s'épuiser à développer une narration classique pour décrire une situation alors que les voix off des présentateurs de télé peuvent planter le décor en quinze secondes ? De plus, la démarche a un autre avantage, inestimable : elle vous fait passer pour un cinéaste moderne. Et peu importe que la plus grande confusion règne en ce qui concerne la gestion de l'espace, les positions des caméras, la crédibilité quant aux origines des regards portés... (malgré la multiplicité de ceux-ci, jamais aucun caméraman n'apparaît dans le champ !)

    Mais voilà que notre Neill Blomkamp, sans craindre d’être pris pour un réalisateur désinvolte, commence, à peu près à mi-course, à intégrer des plans non-documentaires, des séquences qui ne jouent plus le jeu proposé jusque là. Cette soudaine subjectivité, obtenue de haute lutte, est peut-être supposée nous rapprocher des victimes : les aliens opprimés et le héros pourchassé. On s’en étonne pourtant, et cela d’autant plus que le recours aux autres images, de nature si différente, n’est pas abandonné (il faut dire qu’elles sont bien utiles pour nous expliquer à nous, crétins de spectateurs que nous sommes, ce qui est en train de se passer, comme lorsque le vaisseau se remet en mouvement, par exemple). L’agacement ne s’en trouve d’ailleurs guère atténué car cette échappée subjective nous donne le droit de recenser les plans-gadgets ridicules (la caméra fixée sur le fusil d’assaut : je ne connaissais pas et je ne suis pas déçu), de ployer sous le poids de quelques ralentis et de subir un terrible accompagnement musical à base de world music fervente. On remarquera en outre que la dernière partie de District 9 reprend tous les codes du film d’action bourrin-mais-cherchant-aussi-à-émouvoir.

    Les auteurs revendiquent pourtant une position anti-hollywoodienne (ils savent parfaitement bien que pour accéder au statut d’œuvre culte leur film doit être présenté comme le plus éloigné possible des normes en vigueur). Or, l’anticonformisme, par le renversement des figures et l’ironie dont elles sont chargées, ne permet pas forcément d’échapper aux clichés. La subversion de District 9 m’a paru bien superficielle, soutenue qu’elle est par des fondations scénaristiques conventionnelles : la rencontre avec le "bon" alien, la marché passé avec lui, l’amitié qui en découle, le duel avec le méchant militaire… La vision des extra-terrestres n’apporte, elle, pas grand-chose d’autre qu’une incongruité certaine (tiens, un alien en train de pisser…) et le décalage opéré n’empêche pas le message "humaniste" d’être lourdingue. Un problème se pose également avec le choix du personnage principal, que l’on dirait, au moins dans la première partie, échappé d’un sketch des Monty Pythons (si mon imagination ne me joue pas des tours, la référence est assumée avec ces cochons servant, le temps d’un ou deux plans, de projectiles et cette apostrophe au héros, prénommé Wikus, lancée par son adversaire : "Hey, Dickus !"). Partant de là, Blomkamp nous entraîne sur la fausse piste de la comédie trash, comme il feint un moment de bâtir son film sur des sources "documentaires". Une fois venu le moment de la prise de conscience, il est par conséquent impossible de prendre le personnage au sérieux  et de s’émouvoir de son sort.

    Chantage à la modernité par le biais d’une esthétique impure et désordonnée, déplacement d’un message appuyé sur le terrain du cinéma de genre dans l’espoir de l’alléger, parfum de nouveauté fabriqué à partir de formules éculées : District 9 est en quelque sorte, pour moi, à la science-fiction ce que Redacted est au film de guerre. Si un District 10 débarque un jour sur nos écrans, je vous préviens, l’accueil se fera sans moi…

  • Vénus noire

    (Abdellatif Kechiche / France - Belgique - Italie / 2010)

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    venusnoire.jpgNé d'une grande ambition, doté d'une force indéniable et se prolongeant au-delà de son terme par de vastes questionnements dans la tête du spectateur, Vénus noire n'est pas un film franchement réussi. Tout d'abord, Kechiche a, me semble-t-il, été quelque peu piégé par la portée de son sujet, l'exploitation spectaculaire, au début du XIXe siècle, à Londres puis à Paris, d'une femme africaine non pas victime de l'esclavage mais d'une contrainte morale. Le style du cinéaste, qui vise à laisser advenir les choses dans la durée, l'ampleur du spectre social balayé et, surtout, le recul historique pris par le récit, devraient empêcher l'œuvre de passer pour le "grand film à message actuel sur le racisme" (Vénus noire peut, plutôt, à la rigueur, se targuer d'en étudier les fondements). Or, à entendre les soupirs offusqués poussés dans la salle après chaque dialogue comportant les mots "négresse" ou "sauvage" (mots qui sont pourtant, dans ce contexte historique précis, parfaitement justifiés et "compréhensibles"), on se dit que le thème est plus fort que le film, qu'il le dépasse et qu'ainsi il ne lui rend pas forcément service.

    Saartjie, est une héroïne constamment dirigée, que ce soit lors des spectacles dont elle est la vedette de moins en moins consentante, ou en dehors, chaque déplacement paraissant lui être imposé sans prendre son avis (lorsque Caezar, son patron-associé-protecteur, lui donne l'occasion de sortir en ville à sa guise, il lui colle deux serviteurs dans les jambes : entre aide et surveillance, l'ambiguïté de leur rapport se prolonge). Cette Vénus est une masse noire qui traverse le film abrutie par l'alcool et dont le caractère ne semble pas évoluer de sa présentation à sa disparition car Kechiche nous la montre sous (presque) toutes les coutures sans nous offrir pour autant de "prises" sur son personnage.

    Plus globalement, le dispositif gouvernant le récit a tendance à s'imposer au détriment de l'humain. Pendant 2h40, nous pénétrons successivement au cœur de plusieurs cercles enserrant Saartjie, cercles de natures différentes mais réalisant sur elle la même oppression humiliante. Ainsi la voici jetée en pâture dans une baraque foraine, une salle d'audience, un grand salon parisien, un institut scientifique, une soirée libertine, un bordel, et enfin dans la rue puis à la morgue. Le public et ses desseins changent mais l'avilissement est le même d'un cercle à l'autre. Fidèle à ses principes, le cinéaste avance par très larges blocs, reliés très succinctement et donnant chacun l'illusion d'une durée réelle. Chaque mise en place saisit et intrigue mais l'intérêt s'épuise souvent à force de répétitions et de littéralité dans le rendu des spectacles et le caractère systématique de la méthode entrave quelque peu l'élan. Le segment fondamental est le premier, celui qui interroge explicitement l'idée de représentation et qui, par là même, sous-tend le reste. Le regard que nous portons sur toutes les exhibitions qui suivent en est ainsi "filtré", et, de façon plus modeste et peut-être plus subtile, cette question de la représentation trouve des échos dans certains détails, de la production de dessins à celle de statuettes ou de moulages. Elle aboutit aussi à une étonnante impasse lorsqu'il s'agit de se frotter au tabou de la vision du sexe féminin. Kechiche, sur ce plan, tergiverse, et se contente finalement des images de planches anatomiques incluses dans son prologue, se retrouvant en contradiction avec son dispositif aussi bien qu'avec les enjeux portés par sa mise en scène. Cette pusillanimité particulière au sein d'un ensemble où la prise de risque est quasiment la règle explique aussi, sans doute, que la partie consacrée à la maison de passe soit la plus faible.

    Malgré ces défauts, malgré ces moments parfois confus (la tension de la mise en scène, le cadre tremblé et les coupes n'aident pas à s'y retrouver dans le réseau des regards échangés dans les séquences de taverne par exemple), malgré ces longueurs, des choses passent tout de même, dans des confrontations, dans des gestes, parfois le temps d'un plan, le temps de placer un visage face à un autre et dans un dernier quart d'heure aussi glaçant que logique. Si la déception domine, elle est atténuée par le fait de constater que Kechiche, après les succès de L'esquive et de La graine et le mulet, n'a pas choisi la facilité.

  • Morse

    (Tomas Alfredson / Suède / 2008)

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    morse.jpgLe renouvellement qu'apporte Morse (Lat den rätte komma in) à un genre déjà régénéré à de nombreuses reprises est dû, plus qu'à une esthétique ou des thématiques nouvelles, à un changement de point de vue : voici un film de vampires à hauteur d'enfants (mais pas un film de vampires "pour" enfants).

    Ce n'est pas évident tout de suite. Le cadre, celui d'une banlieue du Nord de l'Europe, est réaliste bien que tirant parfois vers l'abstraction (une mise en scène "ligne claire" ou "ligne froide"), ou du moins laissant percevoir un décalage qui, s'il s'amplifiait, pourrait nous mener jusque chez Roy Andersson. Nous déroute le fait qu'une saignée supposée se faire à l'abri des regards soit réalisée en forêt et de nuit, mais dans une trouée immaculée de blanc et de lumière. La justification, purement plastique, n'apparaît que progressivement, au fur et à mesure que l'on découvre quel regard épouse celui du cinéaste. Dans une utilisation judicieuse du format Scope, Alfredson enneige ses paysages, dépeuple ses décors urbains et vide l'espace autour de ses personnages. Il se rapproche d'eux aussi, souvent, jusqu'aux gros plans qui laissent les contours et l'arrière-plan flous. Comme il évide l'espace, il morcelle les corps par le cadrage et bien évidemment, ces choix de mise en scène nous préparent aux images sanglantes et tranchantes qui vont parsemer ce récit. Ainsi, c'est un univers singulier que nous pénétrons (le léger recul temporel qui situe l'histoire au début des années 80 contribue également à cette singularité), l'univers de Oskar et Eli, 12 ans tous les deux.

    Dans Morse, nous voyons les adultes comme eux peuvent les voir : larves portées sur la bouteille, policiers se croyant plus malins que des élèves de collège, mère maniérée et colérique... Seul le père apporte un peu de réconfort, mais il vit loin, à l'écart de cette société, et des zones d'ombre ont tôt fait de recouvrir sa saine existence. Sous la surface du conte, la vision politique est acerbe. Si un adulte se trouve contaminé, il se ridiculise (la femme agressée par les chats de son voisin) et se révèle incapable de supporter sa nouvelle condition. Seuls les enfants sont sérieux et lucides. On ne s'émeut pas de la mort de ces adultes médiocres mais on craint la violence des règlements de compte entre les plus jeunes et les séquences où Oskar joue avec son couteau sont autrement plus troublantes que les attaques du vampire.

    L'une des qualités du film d'Alfredson est, partant de son point vue, de ne pas tricher en édulcorant son propos ou ses images. Des tabous entravant habituellement la représentation de l'enfance prête à basculer dans l'adolescence, il ne se détourne pas, abordant sans complaisance mais sans fausse pudeur la violence, elliptique mais réelle, et les troubles de l'identité sexuelle (le plan très bref sur le sexe de "la" vampire). Autre décision, dont nous sommes reconnaissant au cinéaste : celle de ne pas se laisser aller à balancer un twist final qu'il aurait été relativement aisé de placer tant le point de vue de Oskar est fidèlement épousé. Il est plus agréable d'être mis en face d'une telle indécision que de voir avancer la preuve que le metteur en scène est un petit malin capable de mener en bateau son public.

    Si tout n'est pas parfait ni stupéfiant dans Morse (quelques défaillances d'acteurs, deux ou trois dialogues poétiques maladroits, des notes de musiques superflues), il est difficile de ne pas admirer la cohérence de l'objet. N'hésitez pas à plonger dans ce conte horrifique (*) s'ouvrant et se refermant sur quelques flocons de neige tombant d'un ciel noir.

     

    (*) : plutôt que dans son remake américain, Laisse-moi entrer, actuellement au cinéma, que l'on me dit (inévitablement ?) très inférieur.

  • Zodiac & The social network

    (David Fincher / Etats-Unis / 2007 & 2010)

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    Tout à ma joie d'avoir pu récemment vérifier, par une deuxième vision, que Zodiac était bel et bien l'un des films américains les plus passionnants de ces dernières années, et malgré le contretemps provoqué par l'impossibilité momentanée d'emprunter à ma plus proche médiathèque le dvd de L'étrange histoire de Benjamin Button, je me dirigeais vers la salle projetant The social network rempli d'une confiance consolidée par l'excellente réception critique du film. Je me voyais déjà titrer ma note, immanquablement élogieuse, tel un véritable pro : "Situation de Fincher" ou "Fincher aujourd'hui". J'avais simplement omis de me poser la question : "Et si le film n'était pas bon ?".

    zodiac.jpgMais commençons par l'agréable. A qui découvre Zodiac sans connaître David Fincher, il ne viendrait pas à l'esprit de qualifier ce cinéma-là de tape-à-l'œil. En effet, pour une fois, la mise en scène du réalisateur de Fight Club n'excède jamais son sujet. Elle se déploie majestueusement dans la durée, afin d'embrasser les nombreuses années que recouvrent le récit mais également afin de plonger le spectateur dans un temps et un espace de plus en plus flottant, cela malgré la précision, jamais prise en défaut, de la datation et de la géographie. Zodiac a bien un personnage principal, le dessinateur Robert Graysmith, mais celui-ci peut être congédié temporairement de l'écran (comme il lui est demandé plusieurs fois par ses supérieurs hiérarchiques de quitter la salle de rédaction dans laquelle ils doivent avoir une discussion importante), l'assemblage des différents blocs structurant le récit en devenant totalement imprévisible.

    Si la virtuosité de Fincher est à saluer ici, au-delà d'une absence judicieuse de second degré plombant dans la reconstitution ou dans les références, c'est notamment parce qu'elle libère une sorte de frénésie ralentie des informations et des rebondissements, rendant ainsi parfaitement le sentiment d'une quête située dans une époque à la fois proche (une trentaine d'années avant la nôtre) et lointaine (le défaut technologique). Ni trop rapide, ni trop lent, le rythme est idéal.

    Cette histoire d'une obsession partagée plus ou moins longuement par les divers enquêteurs, officiels ou pas, celle de mettre un nom sur un être insaisissable, méne en toute logique aux confins de la folie (plus subtilement cependant que mon souvenir ne me le laissait penser : Paul Avery, par exemple, ne devient pas tout à fait une loque et reste parfaitement capable au cours d'une conversation de renvoyer Graysmith dans les cordes). Rares sont les films, dans ce genre cinématographique, qui affirment avec un telle conviction qu'une présomption n'est pas une preuve, qui laissent tant de place au doute, qui éclairent aussi intensément ces replis nichés dans des consciences ne sachant plus à quoi s'accrocher et d'où sont extirpés ces aveux d'impuissance : "Le coupable, je voulais tellement que ce soit lui." Zodiac nous soumet à une force contraire à celle gouvernant habituellement le déroulement de l'enquête policière à l'écran. Alors que tout devrait converger au fur et à mesure, les pistes ouvertes ne semblent déboucher que sur de nouveaux abîmes et nous voilà pris dans une spirale centrifuge qui n'est pas faite pour nous rassurer. Cette histoire d'un échec impressionne par son refus obstiné et si peu fréquent de personnifier le Mal.

    socialnetwork.jpgDes abîmes, The social network, film lisse et impénétrable, ne s'en approche pas. Contrairement à ce que semble penser l'écrasante majorité des spectateurs, je trouve personnellement que David Fincher ne parvient pas à dépasser la banalité et l'absence de cinégénie de son sujet, pas plus qu'il ne réussit à racheter la médiocrité morale de ses personnages. Le monde décrit ici (le monde réel et non virtuel) m'apparaît détestable en tous points. Mark Zuckerberg et ses congénères de Harvard s'ébattent dans un univers régi par les lois de l'argent, de la compétition, de la sélection. Même la démarche rebelle s'y dissout, le créateur de Facebook, présenté comme un caractère si atypique, en acceptant secrètement toutes les règles, poursuivant le long d'un chemin à peine détourné les mêmes rêves que les autres : intégrer un Club privé et devenir milliardaire grâce à une simple idée. Jamais Fincher ne critique cette idéologie de l'ascension sociale jalonnée de petits bizutages et de grandes trahisons, le regard moqueur qu'il lance sur les jumeaux Winklevoss n'existant que pour faire oublier la complaisance de celui portant sur les véritables héros de l'histoire, Zuckerberg et ses partenaires Saverin et Parker.

    Personnages antipathiques ou anodins, sujet à l'intérêt très relatif... Il fallait une mise en scène sacrément inspirée pour arracher l'œuvre à l'insignifiance. Et si le travail du cinéaste n'est pas indigne, il se révèle très insuffisant. Ainsi, le choix effectué dans le but de dynamiser le récit est particulièrement conventionnel : tout ce qui nous est raconté de cette histoire l'est dans le cadre d'un procès (ou de sa préparation). Cela nous vaut l'habituel enchevêtrement des temporalités et l'évolution dramatique attendue aboutissant dans le dernier quart d'heure à la révélation de la trahison et dans la dernière séquence au sauvetage moral in extremis de Zuckerberg (à l'aide du cliché grossier de l'adjointe de l'avocat qui perçoit forcément la véritable personnalité de l'accusé).

    A l'image de ces chiffres qui, sortant de la bouche de ces gens, semblent perdre toute signification, The social network a glissé sur moi sans jamais m'accrocher. Parmi ses laudateurs (*), on en trouve beaucoup qui cherchent à le vendre comme un grand film "générationnel" enregistrant une véritable révolution sociologique. C'est oublier un peu vite que Fincher étudie un cas, Mark Zuckerberg, et non l'invention dont celui-ci est à l'origine (contestée), la plate-forme Facebook. Mais après tout, ce n'est pas totalement faux, si l'on s'en tient à ses termes : cette révolution, il l'enregistre, il l'accompagne, il en prend acte, mais en aucun cas il n'y prend part activement, il ne l'interroge, il ne la creuse, il ne la met en perspective, il ne la met en scène.

     

    (*) : Le débat autour de The social network entendu au dernier Masque et la Plume fut d'un niveau remarquablement bas, avec notamment le comique troupier Eric Neuhoff ne trouvant là que des "scènes géniales" comme celle où Parker propose à Zuckerberg de changer le nom de The Facebook en Facebook tout court, et un Michel Ciment s'enthousiasmant devant un grand film de "science-fiction" (sic) - Ciment, qui va ainsi encore donner du grain à moudre à ses détracteurs, étant, il est vrai, un grand connaisseur et un grand amateur des nouveaux vecteurs de cinéphilie comme internet...

  • Les amours imaginaires

    (Xavier Dolan / Canada / 2010)

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    lesamoursimaginaires.jpgLa caméra gigote ou se colle, les intermèdes ont l'allure de la confession télévisée mal assurée, les scènes de lit sont maniéristes et monochromes, rouges, puis vertes, puis bleues. Les réminiscences cinématographiques se succédent toutes les cinq minutes et chacun peut en faire une moisson, suivant ses goûts et ses connaissances : Godard, Wong Kar-wai, Eustache, Arcand, Edwards, Demy, Truffaut... Les musiques sont mises bout à bout : sur une corde à linge sont accrochés Bach et Dalida, Indochine et House of Pain, Police et France Gall. Et Xavier Dolan veut tout faire : metteur en scène, acteur, dialoguiste, scénariste, monteur, costumier, décorateur...

    On en vient à se demander s'il ne devrait pas se tenir à un seul poste, utiliser une seule ambiance sonore, poursuivre un seul modèle et travailler une seule esthétique. Car de l'accumulation ayant cours dans ces Amours imaginaires ne naît ni vertige, ni débordement, mais plutôt un sur-place désespérant. Les trucs de mise en scène s'annulent lorsque les interminables ralentis et les tranchantes ellipses finissent par procurer la même apathie. Les références sont lassantes, cela d'autant plus que certaines affleuraient déjà dans le film précédent. La diversité musicale peut véhiculer l'idée sympathique d'une émotion réelle qui n'a que faire de la "noblesse" des sources entendues mais ces morceaux sont tous utilisés de la même façon et tendent étrangement vers le même but, niant ainsi leurs qualités propres.

    Par rapport à son rafraîchissant premier effort, J'ai tué ma mère, Dolan a commis, à nos yeux, au moins deux erreurs. Le jeune cinéaste n'a pas inventé le narcissisme cinématographique. Se regarder tourner, se regarder en train d'être filmé, d'autres l'ont fait avant lui, et parfois avec bonheur, cette posture pouvant être aussi agaçante que fascinante. La prétention mal placée n'est pas nichée ici mais dans la volonté de tirer d'un sujet rabattu quelque chose de neuf (on pourrait dire : de l'habiller à la mode). Les amours imaginaires reposent sur trois fois rien. Il est assez stupéfiant de voir à quel point le triangle amoureux dessiné dès les premières minutes reste figé. Si le propos émis par Dolan agace, c'est qu'il ne subit aucune évolution. Son film paraît tourner en rond, prisonnier des limites posées par les personnages : Nicolas reste opaque, Francis et Marie font la gueule et minaudent à longueur de journée. Personne n'agit, rien ne bouge. L'immobilisme contraint dans J'ai tué ma mère se trouvait justifié par son sujet : l'oppression exercée par le foyer maternel sur un jeune homme en mal d'indépendance. De plus, s'en dégageaient une vitalité, un sentiment d'urgence, une envie d'en découdre (avec son âge, avec son image, avec le monde, avec le sujet) qui ont déserté la chronique suivante.

    Le ton a également changé et nous abordons là le deuxième écueil. Sous le fétichisme des atours colorés, nous sommes supposés trouver gravité et profondeur mais la démarche est trop évidente et univoque pour nous toucher. Une fois encore, J'ai tué ma mère proposait un cheminement bien plus intéressant, avec son mal-être moins poseur et son rire plus franc et plus cassant. C'est d'ailleurs bien là que Xavier Dolan est le meilleur, les quelques scènes réussies des Amours imaginaires nous le confirment, celles dans lesquelles éclatent rage, méchanceté et vacheries. De rares aspérités dans un film trop étroit, trop refermé et trop lisse.

  • Le soleil dans le filet

    (Stefan Uher / Tchécoslovaquie / 1962)

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    soleil02.jpgComme la plupart des titres composant le catalogue de Malavida, éditeur s'étant donné pour noble tâche de sortir les films des nouveaux cinémas nord et est-européens des années 60 de l'ombre dans laquelle ils se sont progressivement vus rejetés, Le soleil dans le filet (Slnko v sieti) est alléchant. A l'origine de la seconde naissance d'un cinéma slovaque quasi-inexistant jusque-là, le film de Stefan Uher est également auréolé d'une réputation de précurseur de la nouvelle vague ayant porté ses voisins de la région tchèque, Milos Forman en tête.

    Aujourd'hui, la découverte laisse pourtant perplexe et il nous semble, comme il arrive parfois, que le film se retrouve à marcher à rebours du mouvement dans lequel il est supposé s'inscrire. Ce hiatus ne tient pas à la forme mais au fond. Le soleil dans le filet organise un conflit de générations qui tourne à l'avantage des anciennes, fortes de la sagesse que confère un âge avancé, et crée une opposition entre la campagne et la ville qui laisse peu de doute sur le jugement que l'on doit porter sur chacune, à voir la façon dont est filmée la dernière. Que les câbles électriques et les antennes de télévision soient entassés dans le cadre et que les transistors et les hauts-parleurs crachent agressivement et de manière continue des tubes rock'n'roll peut passer pour une inquiétude compréhensible face au présent. La diffusion de plus en plus évidente d'effluves nostalgiques et l'inclination pour la ressoudure des liens familiaux sont plus gênants pour une œuvre se voulant libre et "nouvelle". L'histoire qui nous est contée est celle de deux jeunes gens ayant un mal fou à s'aimer correctement, se séparant le temps d'un été et fricotant chacun de leur côté. Or, il est assez édifiant d'observer que seule la fille verra sa petite trahison mise à jour, la désignant finalement seule fautive. Contrairement aux meilleurs films contemporains de celui-ci, le charme de la jeunesse n'agit pas.

    La modernité de la forme, elle, n'est pas contestable. Lumière et cadrages sont soignés (la belle copie proposée permet de profiter du très beau noir et blanc), souvent inventifs. Le montage détache les plans les uns des autres plutôt qu'il ne les lie (surlignant alors les sentences cyniques du héros désenchanté). La progression se fait autant plastique que narrative. Fort moderne également est la présence accentuée des objets, certains détournés, d'autres à l'omniprésence forcée. Ces efforts formels pourraient porter leurs fruits si la teneur du propos ne les contredisait pas autant. En l'état, ils n'ont que la valeur d'un exercice de style, exercice certainement profitable pour d'autres qui viendront plus tard.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg