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Nightswimming - Page 66

  • Pater

    cavalier,france,2010s

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    Dans Pater, Alain Cavalier propose à Vincent Lindon de réaliser un film dans lequel ils joueraient respectivement le Président de la République et le nouveau Premier Ministre. La fiction se met en marche, avec comme fil directeur l'établissement d'une loi imposant à toutes les entreprises françaises de ne pas dépasser un certain écart entre les plus faibles et les plus hauts salaires.

    Cette fable est racontée dans le style maintenant habituel d'Alain Cavalier qui utilise ses petites caméras, travaille sans équipe technique et tourne dans les propres maisons et appartements de ses "acteurs". Naturellement, à l'intérieur de ce récit s'insèrent des intermèdes plus purement documentaires, sans qu'aucun bouleversement esthétique ne les signalent à l'attention.

    Ce film est donc politique, mais là n'est pas, selon moi, l'essentiel. Ce n'est pas en tout cas la raison principale de mon attachement. Certes, la blague est plus fine qu'il n'y paraît car les scénarios imaginés ont leur pertinence (le refus par le peuple d'une loi objectivement "bonne") et le stratagème final, au moment de l'élection présidentielle, nourrit habilement le thème de la filiation et de la trahison possible du père, mais il manque peut-être des noms de partis et d'hommes politiques pour échapper à la théorie et produire un discours plus offensif.

    Toutefois, la question de la différence entre les revenus résonne très fortement et, ce qui rend le film plus passionnant encore, le rapport de chacun à l'argent est plus ou moins directement mais régulièrement éclairé. Ainsi, à côté de propos intéressants mais parfois vagues et généralistes, l'attention se porte sur l'économie même du film en train de se faire et sur les positions personnelles du cinéaste et de l'acteur. Il y a là la recherche d'une transparence, recherche qui s'accorde avec la simplicité du cinéma de Cavalier.

    Ce qui épate, c'est donc, notamment, l'honnêteté de Lindon, à tous points de vue (sur la morale, l'engagement, la notoriété, l'argent...). Paradoxalement, ce film qui semble constamment "tricher" s'ouvre à nous avec une franchise incomparable. On pourrait croire qu'il propose au spectateur un jeu autour du vrai et du faux. Et effectivement, on peut essayer de déterminer le niveau de réalité de chaque séquence puisque le personnage et la personne réelle sont parfois clairement distinguées, puisque tel moment est fort parce qu'il est vrai et tel autre est remarquable parce que bien réfléchi. Mais cet exercice me semble totalement vain. Qui nous dit que cette discussion sur le vif n'est pas jouée ? Que cette scène bien calée n'est pas entièrement improvisée ? En fait, réalité et fiction coexistent à chaque instant. Devant la caméra de Cavalier, cela devient une même chose et cela fait, à mon sens, le grand intérêt de Pater. D'autres lui sont attachés. Le rapport qui s'établit entre le Président et son protégé redouble clairement celui existant entre le metteur en scène et son interprète, en particulier dans les indications, la direction données, et Pater est également un beau portrait d'acteur.

    Beaucoup ont loué ce film pour sa nature "d'ovni" et je ne nierai absolument pas sa singularité. Mon tempérament étant ce qu'il est, j'ai tout de même cherché à le rapprocher de quelque chose et plutôt qu'à certains vrais-faux documentaires plus ou moins récents, j'ai étrangement pensé aux films iraniens de Kiarostami et Makhmalbaf, Close up (1990) et Salaam Cinema (1994). 

     

    cavalier,france,2010sPATER

    d'Alain Cavalier

    (France / 105 mn / 2011) 

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (2001)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif2001 : Les Cahiers du Cinéma fêtent leurs 50 ans (un numéro spécial propose notamment des témoignages de Bernardo Bertolucci, Youssef Chahine et Arnaud Desplechin) et accueillent dans leur rédaction Charlotte Garson, Jean-Philippe Tessé et Stéphane Delorme. Ils enquêtent sur la "Maison du Cinéma", sur la mondialisation (auprès de 50 cinéastes), sur la production et sur la restauration des films, ils défendent Loft Story et ils rencontrent Maggie Cheung, Charlotte Rampling, Jean-Christophe Averty, Jacques Derrida, Renato Berta, Sean Penn, René Vautier et Pierre Clément. Des hommages à Johan van der Keuken et Gérard Blain voisinent avec des textes sur Mikio Naruse, Raoul Walsh et George A. Romero, sur la restauration des Bonnes femmes de Claude Chabrol, sur Roberto Rossellini et la télévision, sur le cinéma et la guerre,  sur le cinéma indépendant new-yorkais des années 60 et sur Hitchcock et la peinture. Au fil des mois, les "événements" ne sont pas toujours liés à des films ou des cinéastes, même si l'on peut trouver dans les premières pages des entretiens avec Pascal Thomas (Mercredi, folle journée !), Philippe Faucon (Samia), Nanni Moretti (La chambre du fils), Jean-Luc Godard (Eloge de l'amour), Eric Rohmer, André Téchiné (Loin), Claude Lanzmann (Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures), Nobuhiro Suwa (H story), Philippe Garrel (Sauvage innocence), Francis Ford Coppola, Youssef Chahine (Silence... on tourne) et John Carpenter (Ghosts of Mars) ou une analyse croisée de Mulholland Drive et Millenium mambo (Hou Hsiao-hsien). Pour avoir une vision globale des goûts, il faut aller voir quels films ouvrent le "Cahier critique" de chaque numéro. Soit : Parole et utopie (Manoel de Oliveira), Après la réconciliation (Anne-Marie Miéville), Sous le sable, Seul au monde (Robert Zemeckis), Le pacte des loups (Christophe Gans), Toutes les nuits (Eugène Green), Profils paysans (Raymond Depardon), Kaïro (Kiyoshi Kurosawa), La traversée (Sébastien Lifshitz), Betelnut beauty (Lin Cheng-sheng) Liberté-Oléron (Bruno Podalydès), Trouble every day (Claire Denis), Shrek (Andrew Adamson et Vicky Jenson), Operai, contadini (Jean-Marie Straub et Danièle Huillet), La pianiste (Michael Haneke), Va savoir (Jacques Rivette), Highway (Sergueï Dvortsevoy), Ce vieux rêve qui bouge (Alain Guiraudie), Le souffle (Damien Odoul), Tosca (Benoît Jacquot), 17 rue bleue (Chad Chenouga), Time and tide (Tsui Hark), Christmas (Abel Ferrara)...
    ... ainsi que plusieurs films mis également à l'honneur par Positif, entretiens à l'appui : La ville est tranquille, Le cercle, Traffic, Les démons à ma porte (Jiang Wen), Intimité, Roberto Succo, Mundo grua (Pablo Trapero), The tailor of Panama, Je rentre à la maison (Manoel de Oliveira), Platform (Jia Zhangke), Et là-bas, quelle heure est-il ? (Tsai Ming-liang), Dans la chambre de Vanda (Pedro Costa), L'emploi du temps (Laurent Cantet), De l'eau tiède sous un pont rouge.
    Positif, qui publie de même des entretiens avec Moretti, Coppola, Hou Hsiao-hsien et Lynch et qui revient sur Walsh et Hitchcock, se distingue de sa concurrente par la place laissée à La jeune maîtresse (Chen Kaige), De l'histoire ancienne (Orso Miret), A ma sœur ! (Catherine Breillat), Nuages de mai (Nuri Bilge Ceylan), Quills (Philip Kaufman), Mes voisins les Yamada (Isao Takahata), Uttara (Buddhadeb Dasgupta), Carrément à l'ouest (Jacques Doillon), The mission (Johnnie To), La chambre des officiers (François Dupeyron), Betty Fisher et autres histoires (Claude Miller), The barber (Joel et Ethan Coen) et Le sortilège du scorpion de jade (Woody Allen). Il y est également question des inédits et des inachevés d'Orson Welles, du cinéma fantastique contemporain, de L'homme d'Aran de Robert Flaherty, de Solaris d'Andreï Tarkovski, d'Edgar G. Ulmer, de Jack Arnold, de William Wyler, de Max Ophuls américain, d'Hiroshi Teshigahara, de Louis Feuillade, de Dusan Makavejev, d'Im Kwon-taek, du cinéma soviétique (de Boris Barnet à Sergueï Paradjanov), du documentaire (entretiens avec Alain Cavalier et Denis Gheerbrant), des producteurs, du nouveau cinéma argentin et du livre de cinéma. Quant au numéro d'été, il s'agit d'un spécial Claude Sautet.

     

    Janvier : Maggie Cheung (Cahiers du Cinéma n°553) /vs/ La ville est tranquille (Robert Guédiguian, Positif n°479)

    Février : Charlotte Rampling (Sous le sable, François Ozon, C554) /vs/ Le cercle (Jafar Panahi, P480)

    Mars : Raoul Walsh (C555) /vs/ Traffic (Steven Soderbergh, P481)

    Avril : 50 ans (C556) /vs/ Intimité (Patrice Chéreau, P482)

    Mai : Jeanne Balibar (C557) /vs/ Roberto Succo (Cédric Kahn, P483)

    Juin : Apocalypse now redux (Francis Ford Coppola, C558) /vs/ The tailor of Panama (John Boorman, P484)

    Eté : L'Anglaise et le Duc (Eric Rohmer, C559) /vs/ Claude Sautet (P485-486)

    Septembre : Sean Penn (C560) /vs/ The mission (Johnnie To, P487)

    Octobre : World Trade Center, 11 septembre 2001 (C561) /vs/ La chambre des officiers (François Dupeyron, P488)

    Novembre : Mulholland Drive (David Lynch, C562) /vs/ The barber (Joel et Ethan Coen, P489)

    Décembre : Youssef Chahine (C563) /vs/ De l'eau tiède sous un pont rouge (Shohei Imamura, P490) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Cette formule des Cahiers ne facilite décidément pas les choses. Oui, j'aime bien Maggie Cheung, Charlotte Rampling, Jeanne Balibar et Sean Penn. Mais que dire de plus ? Que je n'ai pas été véritablement bouleversé par la Révolution Rohmer ? En face, ne pas consacrer de couverture à Mulholland Drive pourrait valoir une pénalité si d'une part l'erreur n'avait pas été réparée quelques mois plus tard et surtout si le reste n'avait pas été au niveau. Or je vois dans cette liste les meilleurs Panahi, Chéreau, Kahn, Johnnie To, accompagnés par d'excellents Guédiguian, Soderbergh, Boorman, Coen, Imamura (du coup, "l'estimable" Dupeyron jure quelque peu). Allez, pour 2001 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Batman begins

    nolan,etats-unis,2000s

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    Bon, évidemment, je n'en attendais pas monts et merveilles mais j'espérais au moins ne pas trouver ça plus mauvais encore que The dark knight. Et bien si, ça l'est ! Le deuxième volet Nolanien des aventures de Batman marque en fait un progrès, c'est dire à quel niveau on se place... Si les maigres qualités de l'épisode suivant sont absentes de ce Batman begins liminaire, les défauts les plus criants y sont en revanche déjà aisément repérables. Décidément, ce cinéma ne semble avoir à offrir à notre regard que ses boursouflures et son sérieux déséspérant.

    Il est fort possible de réaliser un grand film sans humour ni distance, mais cela implique que l'on ne se cantonne pas à glisser sur la surface des choses. Christopher Nolan, prenant en main le destin cinématographique de l'homme-chauve-souris, s'en tient à un premier degré désarmant. Comme si personne ne savait maintenant que notre héros est l'un des plus complexes, des plus torturés et des plus troubles qui soient, le cinéaste écrit à nouveau sa légende noire en s'appliquant à illustrer consciencieusement toute une série de thématiques "adultes" : la dualité, l'ambivalence, la différence entre justice et vengeance, les réponses à donner face à l'anarchie et la violence. Dans un style pompeux, surchargé de dialogues lourds comme le plomb, l'univers de Batman est tiré vers le nôtre, l'auteur espérant que cette approche plus réaliste passe pour un fantastique geste politique.

    La première partie s'éloigne trop du contexte de Gotham City et s'abîme trop dans les affres du film d'action standardisé (sur le terrain asiatique des ninjas) pour que la curiosité ne s'évanouisse pas aussitôt. Le parcours décrit confine à la stupidité, sous le coup des clichés sur la formation virile et des revirements du disciple face à son maître trop puissant pour être honnête. Parallèlement, la mise en scène et en récit du double traumatisme fondateur de Bruce Wayne, sa chute dans la grotte aux chauves-souris et l'assassinat de ses parents, n'est parcourue par aucune tension et ne donne accès à aucune véritable terreur enfantine.

    Nolan échoue toujours à toucher juste, à aller au-delà du cliché, à craqueler son plan, à faire naître une émotion. Le final en apporte une nouvelle preuve. L'idée d'un déchaînement auto-destructeur de la population par le biais d'une résurgence soudaine des peurs les plus intimes de chacun était prometteuse mais en lieu et place de la galerie d'horreurs et d'hallucinations souhaitée nous n'avons droit qu'à quelques visages triturés numériquement et à des yeux phosphorescents. Rien ne prend jamais forme et d'une présence aussi singulière que celle de Cillian Murphy (le Dr Crane / l'épouvantail), Christopher Nolan ne fait strictement rien. Son film se noie au son d'une musique assommante, se gonfle jusqu'à atteindre 140 minutes au chronomètre, donne la plupart du temps une impression de confusion totale et impose à intervalles réguliers des morceaux de bravoure dans lesquels un plan sur deux est illisible.

    Je suis donc quasiment certain que, malgré leur réputation peu flatteuse, il y a plus de choses à retenir des deux épisodes confiés à Joel Schumacher à la fin des années 90. Il faudrait que je vérifie un jour... De même, je vais devoir en passer par Inception avant, parti comme c'est, de tracer un trait définitif sur le nom de Christopher Nolan.

     

    nolan,etats-unis,2000sBATMAN BEGINS

    de Christopher Nolan

    (Etats-Unis - Grande-Bretagne / 140 mn / 2005)

  • L'imaginarium du Docteur Parnassus

    gilliam,grande-bretagne,fantastique,2000s

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    Bien sûr, on ne peut pas dire que L'imaginarium du Docteur Parnassus soit une éclatante réussite. C'est même, si l'on veut, un ratage. On grimace devant certains choix esthétiques, on entend plusieurs rouages couiner, on s'ennuie parfois, et surtout on observe Terry Gilliam qui bataille ferme, dans l'incapacité de se rapprocher des mémorables Brazil et Munchausen. Mais ce ratage a quelque chose de touchant. Le cinéaste, dès les années 80, n'eut de cesse d'avancer péniblement contre des vents contraires et ici, une nouvelle fois, il fut servi, avec la mort en plein tournage de son acteur principal. Sans doute Gilliam sait-il jouer, par ailleurs, de cette image d'artiste à l'imagination fabuleuse bridée par les financiers et les évènements malchanceux, mais il est intéressant de voir comment cette friction transparaît maintenant assez clairement dans son cinéma (si tant est que cet opus soit représentatif de l'œuvre récente de Gilliam, car je ne connais ni Tideland, ni Les Frères Grimm).

    Les scènes introductives montrent la mise en place laborieuse, décalée, incongrue, du petit cirque du Docteur Parnassus. Sa mini-troupe se déplace en roulotte, se pose et monte sa scène désuète et encombrée sur les parkings des night clubs londoniens, créant ainsi, par sa simple apparition dans le paysage, une trouée dans le présent, un saut en arrière dans le temps (et ce que ce spectacle propose est bien sûr plus étonnant encore : un saut dans les rêves de chacun). Cet écart donne tout son sel à la première partie.

    La construction de l'ensemble étant particulièrement chaotique, nous sommes menés par la suite vers un long tunnel central moins inspiré (la rencontre du groupe avec le personnage de Heath Ledger) puis vers un dernier segment pas beaucoup plus enthousiasmant. Pour les séquences fantastiques qu'il ne put tourner avec lui, Gilliam a eu l'excellente idée de remplacer Ledger successivement par trois acteurs différents. Il faut dire cependant que notre intérêt, au fil du récit, suit à peu près la même courbe descendante que celle dessinée par ce défilé : on tombe en effet de Johnny Depp à Jude Law puis à Colin Farrell... En revanche, pour rester du côté de l'interprétation, on apprécie sur toute la durée, dans un rôle diabolique, un Tom Waits pas forcément indigne de Walter Huston chez Dieterle, cabotinage effréné compris.

    A l'aise pour rendre l'agitation, réussissant plusieurs séquences de cohue, Gilliam fait toutefois, en quelques endroits, pencher dangereusement son véhicule à force de surcharge plastique. Il agglomère quantité d'éléments disparates : le numérique côtoie le trucage à la Méliès, l'imaginaire pur se déploie près des spectacles les plus basiques, archaïsme et modernité s'opposent constamment, le beau succède au laid. Cela ne fonctionne pas toujours, loin de là, et il ne reste parfois que l'imagerie. Ou le ressassement, comme avec ces variations autour d'anciens intermèdes monty-pythonesques à base de destructions soudaines, de policiers en bas résilles et de changements d'échelle. L'usage fréquent, au-delà du nécessaire et du raisonnable, de focales déformantes est plus intéressant. Un certain malaise naît de ces images, la surface, ailleurs un peu trop lisse, prend un étrange relief et la monstruosité n'est pas loin.

    Terry Gilliam semble à nouveau nous chanter les louanges des raconteurs d'histoires. Le Docteur Parnassus, comme lui fait remarquer sa charmante fille, ne finit jamais les siennes. Ne pas les finir (ou qu'elles n'aient ni queue ni tête) est une chose mais les commencer n'importe quand et n'importe comment en est une autre. Et Gilliam, sur ce plan-là, n'est guère regardant...

    Tout compte fait, la foi et la pugnacité du réalisateur de L'armée des douze singes me lui font pardonner bien des errements narratifs et des impasses esthétiques. Sans doute accentuée par le dédain exprimé depuis quelques années par nombre de commentateurs à son encontre, ma bienveillance, finalement, se rapproche de celle que j'ai pu assumer dans les premiers temps de ce blog à propos d'une autre gloire de la fin du siècle dernier, Emir Kusturica.

     

    imaginarium00.jpgL'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS (The imaginarium of Doctor Parnassus)

    de Terry Gilliam

    (Grande-Bretagne - Canada - France / 123 mn / 2009)

  • Une séparation

    farhadi,iran,2010s

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    Le premier plan d'Une séparation s'étire dans la longueur pour présenter un couple en plein débat, face à un juge, à propos de l'opportunité d'un divorce. Le rythme des dialogues et le cadrage choisi (fixe, réunissant l'homme et la femme et mettant le spectateur, littéralement, à la place du juge), s'ils semblent attacher d'entrée le film à une tradition cinématographique iranienne, souffrent d'une certaine rigidité. Dans ce dispositif, la véhémence des expressions et les regards adressés à la caméra paraissent un peu forcés. Or la suite va brillamment contredire cette impression d'entrave et les deux axes dévoilés dans ce plan séquence initial, la parole et le regard, vont structurer tout le récit pour donner au film sa dynamique.

    Une séparation, comme ce titre l'indique, est un film sur l'écart et la distance. L'appartement bourgeois dans lequel se noue le drame a une allure parfaitement réaliste et la mise en scène se donne l'air de n'être que fonctionnelle, sans esthétisme particulier. Pourtant, on remarque rapidement que l'endroit est une galerie de glaces et de vitres trompeuses ou opaques, un décor qui, par la présence de ses recoins, met à l'épreuve la circulation des regards. Et il en va de même pour les sons. Que voit-on et qu'entend-on d'une action et d'une discussion ? C'est à partir de cette interrogation que s'enclenche une machinerie policière. Même maintenu dans un cadre restreint, ce registre procure déjà un certain plaisir du récit, mais le film va plus loin. Il parle de l'impossible accès aux pensées profondes de l'autre, impossibilité basée notamment sur un constat tout simple : si proche que nous soyons, jamais nous ne voyons ni entendons exactement la même chose que notre voisin. Une autre donnée, également mise à jour par le cinéaste, rend la fusion impossible : l'écart sensible existant entre les différentes paroles, leur nature, leur usage. D'une part, la langue de la justice n'est pas la même que celle de l'intime, et, d'autre part, le maniement des mots reste un marqueur de classe sociale.

    L'espace qui se crée entre les mots des uns et les mots des autres, entre la pensée et sa mise en forme, la perception différente que peuvent avoir deux personnes d'un même évènement ou d'une simple phrase (ce que les mots veulent dire), voilà ce qui entraîne ici une série de réactions en chaîne. Prenant un aspect choral par sa faculté à s'intéresser de façon égale à chaque personnage, le film parvient à échapper à toute lourdeur, entre autres raisons parce qu'il reste confiné dans l'intime. Brillant par son écriture sans paraître artificiel, il se déroule sur un tempo parfaitement maîtrisé, la plupart des séquences se permettant de "retomber" en leur fin, comme dans la vie. Tendu, le film n'est pas hystérique.

    Enfin, l'un des aspects les plus frappants est l'absence de jugement porté sur les personnages. Ici, chacun a vraiment ses raisons. Pour autant, cela n'indique pas qu'il faille se contenter d'un statu quo car, jusqu'au bout, l'écart de classe est perceptible. Si l'onde de choc est comparable des deux côtés, les gens les plus aisés s'en sortiront toujours mieux que les autres. Les conséquences matérielles, par exemple, ne sont pas du tout du même ordre.

    Tout cela forme au final une trame complexe, qualité qui ne vient pas uniquement d'un scénario excellemment ficellé.

     

    farhadi,iran,2010sUNE SÉPARATION (Jodaeiye Nadre az Simin)

    d'Asghar Farhadi

    (Iran / 123 mn / 2011)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (2000)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif2000 : Sous l'impulsion de Charles Tesson, devenu seul rédacteur en chef de la revue, les Cahiers changent de formule en octobre, faisant quelque peu "reculer" les films dans le corps des numéros. On y lit au fil des mois des propos de Tim Burton, Claire Denis, Olivier Assayas, Clint Eastwood, Im Kwon-taek, Laurent Cantet (Ressources humaines), Nobuhiro Suwa (M/Other), Jonathan Nossiter (Signs and wonders), Brian De Palma (Mission to Mars), Amos Gitaï (Kippour) et Liv Ullmann (Infidèle). Des analyses portent sur A tombeau ouvert, Yi Yi, Tabou  de Nagisa Oshima, U-571 de Jonathan Mostow, La captive de Chantal Akerman, Esther Kahn d'Arnaud Desplechin ou Eureka de Shinji Aoyama, tandis qu'Eyes wide shut est revisité. Des rétrospectives permettent de revenir sur John Stahl, Francis Ford Coppola, William Castle, Tod Browning, Jack Arnold et Otto Preminger, un dictionnaire subjectif de 100 acteurs américains est établi, un dossier est consacré à Luis Buñuel et un supplément-hommage à Robert Bresson. Philippe Sollers, Maurice Pialat, Howard Shore et Jacques Dutronc sont rencontrés par les rédacteurs. La décennie 90, l'animation (Toy story 2 de John Lasseter et les mangas), le cinéma français (rencontres avec Jean-Claude Brisseau, Dominique Cabrera, Laurence Ferreira Barbosa, François Ozon, Philippe Ramos...), le comique (Edouard Baer et Jim Carrey), le procès Barbie à la télévision, les caméras DV, la distribution et le cinéma à l'école font également partie des préoccupations de la revue cette année-là.
    Dans Positif la parole est à Burton, Scorsese, Edward Yang, Im Kwon-taek, Liv Ullmann, Oshima, Desplechin, ainsi qu'à Atom Egoyan, Paul Thomas Anderson, Patricia Mazuy, Dominik Moll, Wong Kar-wai, Lynne Ramsay (Ratcatcher), Woody Allen (Accords et désaccords), Lætitia Masson (Love me), Milos Forman (Man on the moon), Oliver Stone (L'enfer du dimanche), Dominique Cabrera (Nadia et les hippopotames), Claude Miller (La chambre des magiciennes), Alison Maclean (Jesus' son), Joel et Ethan Coen (O Brother), Roy Andersson (Chansons du deuxième étage), James Gray (The yards), Alejandro Gonzalez Iñarritu (Amours chiennes), Zhang Yang (Shower), Lou Ye (Suzhou River), Jean-Pierre Denis (Les blessures assassines) et Michael Haneke (Code inconnu). Révélations de Michael Mann et La Commune de Peter Watkins sont également défendus. Des textes ou des dossiers traitent de l'animation (d'Hayao Miyazaki à Jean-François Laguionie), de l'Antiquité à Hollywood, du cinéma britannique des années 40, des chefs opérateurs, des liens entre Arte et le cinéma et des cinéastes John Stahl, Pier Paolo Pasolini, Joseph L. Mankiewicz, Alfred Hitchcock, Luis Buñuel, Alexandre Dovjenko, Tod Browning, Agnès Varda et Chris Marker. Des hommages sont rendus à Gérard Legrand et à Vittorio Gassman. Un numéro spécial est consacré aux acteurs anglo-saxons (entretiens avec Faye Dunaway, Katrin Cartlidge, Gregory Peck, Albert Finney) et Maggie Cheung est rencontrée.

     

    Janvier : Les années 90 (Eyes wide shut, Stanley Kubrick, Van Gogh, Maurice Pialat, Edward aux mains d'argent, Tim Burton, Les fleurs de Shanghai, Hou Hsiao-hsien, Le vent nous emportera, Abbas Kiarostami, Sur la route de Madison, Clint Eastwood, Cahiers du Cinéma n°542) /vs/ Le voyage de Felicia (Atom Egoyan, Positif n°467)

    Février : Sleepy Hollow (Tim Burton, C543) /vs/ Sleepy Hollow (Tim Burton, P468)

    Mars : La vie moderne (Laurence Ferreira Barbosa, C544) /vs/ Magnolia (Paul Thomas Anderson, P469)

    Avril : Beau travail (Claire Denis, C545) /vs/ A tombeau ouvert (Martin Scorsese, P470)

    Mai : Luis Buñuel (C546) /vs/ Saint-Cyr (Patricia Mazuy, P471)

    Juin : Acteurs américains (C547) /vs/ Princesse Mononoke (Hayao Miyazaki, P472)

    Eté : Les destinées sentimentales (Olivier Assayas, C548) /vs/ Acteurs anglo-saxons (Faye Dunaway, P473-474)

    Septembre : Space cowboys (Clint Eastwood, C549) /vs/ Harry, un ami qui vous veut du bien (Dominik Moll, P475)

    Octobre : Maurice Pialat (C550) /vs/ Yi Yi (Edward Yang, P476)

    Novembre : Jacques Dutronc (Merci pour le chocolat, Claude Chabrol, C551) /vs/ In the mood for love (Wong Kar-wai, P477)

    Décembre : École et cinéma (Le village des damnés, John Carpenter, C552) /vs/ Le chant de la fidèle Chunhyang (Im Kwon-taek, P478) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : La couverture des Cahiers n'étant plus, pour quelques mois, strictement réservée à un film, la comparaison n'est pas très aisée. De plus, je ne connais ni le film de Ferreira Barbosa, ni celui d'Assayas, ni celui d'Eastwood (et je ne suis pas spécialement pressé de les découvrir). Comme mon enthousiasme n'est pas débordant pour ce Chabrol-là, ni pour le Carpenter, il me reste donc le florilège 90's, Burton, Denis, Buñuel, Pialat... Trop peu pour rivaliser avec la revue d'en face, Positif réalisant, à mon sens, un sans faute, que son regard se tourne vers l'Ouest, vers l'Est ou vers chez elle. Allez, pour 2000 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Benvenuta

    delvaux,mélodrame,belgique,80s

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    logoKINOK.jpg

    (Chronique dvd parue sur Kinok)

    Dans le court document proposé en supplément sur ce DVD, on entend Françoise Fabian, sur le tournage, louer son metteur en scène en ces termes : "il fait un cinéma d'Auteur". Quelques instants plus tôt, André Delvaux soulignait la triple nationalité de son film. En effet, Benvenuta est une production européenne de prestige, confiée à un artiste alors reconnu... et elle n'en possède que les défauts (excepté, il est vrai, celui, malheureusement courant, du non-respect des langues de chacun : ici, les voix et les accents sont les bons).

    Auteur, donc, André Delvaux l'est assurément. Mais avec cette adaptation d'une nouvelle de la romancière flamande Suzanne Lilar, il est tellement sûr de son sujet, il se voit tellement près de ses préoccupations de toujours, de sa sensibilité surréaliste, de son attirance pour le rêve et la fiction, qu'il se contente de livrer une plate illustration. Il prend appui sur ses dialogues, ses décors, ses acteurs, mais il ne leur insuffle aucune vie. Ainsi, de ces derniers, nous ne voyons que le travail et jamais nous ne percevons, derrière les masques, les personnages. Des numéros se succèdent : aux plissements des yeux et aux gestes de Vittorio Gassman répondent le regard intensément noir et les jeux de bouche de Fanny Ardant.

    Surjouée à chaque instant, cette histoire est celle d'une passion. Cet amour absolu est posé sans préavis dès le début du récit et toute évolution nous est refusée. Il faut donc s'accrocher, tenter de se persuader que derrière le faux et l'artificiel, se niche l'étrangeté. Peine perdue.

    Deux niveaux de réalité se superposent pour faire naître, finalement, un effet de miroir. Se superposent mais ne se fondent pas, chaque élément apporté restant indépendant des autres. Prenons le délire mystique. Chez Buñuel, il est une source infinie d'ambiguïté et véhicule toutes sortes d'interrogations. Dans Benvenuta, il ne provoque qu'une question : le personnage de Vittorio Gassman est-il sincère ou non ? Jamais nous ne sommes vraiment mis dans les dispositions pouvant nous amener à penser qu'il puisse être à la fois le converti et le manipulateur. En élargissant au film entier, la même remarque est à faire. Malgré le glissement de la fiction à la réalité, opéré à la suite du personnage de la romancière qui passe progressivement, dans son récit, du "elle" au "je", les points de bascule entre les différents niveaux restent inopérants. De l'un à l'autre, si contamination il y a, elle ne concerne que le style apprêté, la joliesse et l'indifférence. Film musical sans musicalité, Benvenuta donne à voir un nivellement : le trivial et le poétique y sont également guindés.

    Prisonnier du littéraire, ce cinéma est parfaitement académique, aussi dépourvu de vie que le sont ces panoramiques sur le mobilier agencé soigneusement par l'ensemblier. Pour admirer l'intégration de vedettes à une trame rêvée par André Delvaux, mieux vaut revoir Un soir, un train, réalisé quinze ans plus tôt. Le rêve, alors, éveillait. Ici, il plonge dans le sommeil le plus profond.

     

    delvaux,mélodrame,belgique,80sBENVENUTA

    d'André Delvaux

    (Belgique - France -Italie / 105 mn / 1983)

  • La dernière piste

    reichardt,etats-unis,western,2010s

    ****

    Je l'avoue : j'étais bien plus impatient de découvrir La dernière piste que The tree of life. Sans doute Terrence Malick est-il un cinéaste plus important que Kelly Reichardt, ne serait-ce que pour ses trois premiers films, mais si je juge l'écart existant entre les promesses formulées auparavant et l'émotion effective ressentie au moment de la réception de la nouvelle proposition de cinéma de chacun des deux, La dernière piste m'est alors infiniment plus chère que la palme d'or cannoise de cette année.

    Le goût de l'errance, l'enregistrement des frémissements de la nature et les variations de lumière d'Old joy (2006), comme le traitement de l'espace et la justesse de l'approche des personnages dans Wendy et Lucy (2008), laissaient penser que Kelly Reichardt pouvait porter un regard singulier sur un genre comme le western. Bien sûr, il convient de préciser d'emblée que La dernière piste (Meek's cutoff en VO, soit le "raccourci de Meek", titre bien plus pertinent, moins trompeur, moins "dramatique" que celui choisi pour nous) est un western comme Macadam à deux voies (Hellman, 1971) est un road movie ou Last days (Van Sant, 2005) un biopic. S'il emprunte au genre les formes et les thèmes, il soustrait sa dramaturgie classique.

    L'un des problèmes posés aux réalisateurs s'attelant à des fictions historiquement situées est de faire entrer facilement le spectateur dans un monde recomposé, de l'acclimater. Puisque nous sommes ici dans un western, l'image, restituant un cadre familier (rochers, rivière, canyons, étendues désertiques), n'a guère besoin de précautions, surtout si un tempo particulier s'y installe tout de suite avec force et évidence, un tempo lent et naturel. Le son assure lui aussi de la présence des choses : le chariot fait réellement un bruit de chariot avançant sur un terrain accidenté ; la terre, l'eau, les cailloux ne se voient pas seulement, ils s'entendent tels qu'ils sonnent. Le décor posé, le corps doit ensuite trouver sa place. Il est présenté actif, en mouvement, à la fois occupé par des détails pratiques et tendu vers un seul but.

    Et, tardivement, vient la parole. Elle brille tout d'abord pas son absence, avant de se faufiler, lointaine et difficilement audible. Saisie, elle se révèle sans rapport avec l'action, quand elle ne passe pas à travers la prière. Elle est indirecte (le guide raconte une histoire à l'enfant, un homme explique à sa femme ce qu'un autre voyageur vient de lui dire). Il faut quelque temps avant qu'elle ne se porte au cœur des choses et du récit. Cette évolution très progressive n'a pas seulement été pensée comme doux accompagnement du spectateur. Elle vise à faire sentir à celui-ci l'importance que revêt cette activité. Meek, le guide fanfaron menant (ou plutôt errant avec) le petit groupe de migrants sur un territoire hostile de l'Oregon, domine par le verbe, tient sa légitimité de ses mots. Dans cette société du milieu du XIXe siècle, la parole vaut le plus souvent comme preuve de l'expérience, s'impose aisément comme vérité. Étant donnée la difficulté à remettre en question son porteur, on mesure d'autant mieux le courage de quelques uns qui, par intuition ou calcul (qui traduit ici l'intelligence), choisissent le temps venu de s'opposer à la violence de la vision qu'a Meek des Indiens.

    La réflexion est prolongée autrement après la rencontre avec l'Autre. Face à l'Indien, la parole, telle qu'elle est employée n'aide en rien à la communication. La langue inconnue nous reste jusqu'au bout aussi mystérieuse que les intentions de celui qui la parle. A ce niveau-là, le mur ne tombe jamais et Kelly Reichardt offre dans toute la dernière partie des séquences magnifiques de coulées de paroles strictement parallèles, ne se fondant à aucun moment.

    Si, dans La dernière piste, l'usage de la parole passionne, il en va de même de l'organisation de l'espace à l'intérieur du cadre (tendant vers le carré primitif plutôt que vers le rectangle moderne). Le monde décrit semble s'ordonner peu à peu sous le regard des femmes. Leur point de vue est adopté. D'abord maintenues en retrait, à l'écart des lieux d'action et des prises de (non-)décision, elles vont ensuite se rapprocher du centre, au point, pour l'une d'elles, de prendre en charge le récit (de prendre en main le fusil). Nous serions donc devant une histoire de l'émancipation de la femme, autant qu'une histoire d'acceptation de l'Autre. Le projet était périlleux mais la très belle mise en scène de Kelly Reichardt évite toute lourdeur et laisse réticent à employer ainsi ces grands mots. La façon dont est traité le couple principal de ce convoi le montre bien. Le trait est discret mais essentiel : d'une part, la femme n'y est pas soumise et d'autre part, au détour d'un bref mais bouleversant dialogue sur la confiance, apparaît toute la complexité du rapport de celle-ci à l'Indien, rapport nullement réductible à l'attirance-répulsion devant le sauvage mais dépendant aussi de la position du mari.

    Errance, répétition des travaux et des jours, renvois des actions vers le hors-champ, nombre réduit de personnages (un guide, trois couples, un garçon, puis un Indien et personne d'autre)... Sans aucun doute la radicalité de Kelly Reichardt ne fera pas l'unanimité. Elle est cependant, selon moi, une manière extraordinaire de faire revivre ce passé. Rarement a-t-on eu ainsi l'impression d'être véritablement plongé dans l'époque décrite, par le naturel des actes, le rendu de l'environnement ou le développement de notions qui lui sont rattachées (importance primordiale de la parole, sentiment de perte des repères dans une nature inviolée, recours expéditif à la violence...). De plus, elle ouvre des pistes plutôt qu'elle ne bloque la pensée sous une forme contraignante. Le final est donc ouvert. Et, à la suite d'une phrase retentissante et d'un sublime champ-contrechamp, dans le fondu au noir qui envahit alors l'écran s'engouffrent soudain, comme à rebours, comme inversées, toute l'histoire de l'Amérique et celle des représentations de la conquète de l'Ouest.

     

    PS : Je ne peux m'empêcher de voir dans La dernière piste le pendant minimaliste du film de Paul Thomas Anderson, There will be blood. Quelques détails incitent au rapprochement : le rapport au genre, l'apparition progressive de la parole, l'utilisation d'une musique très particulière, la présence de Paul Dano... Mais je vois surtout, dans les deux cas, le sommet provisoire d'une ascension constante.

     

     

    reichardt,etats-unis,western,2010sLA DERNIÈRE PISTE (Meek's cutoff)

    de Kelly Reichardt

    (Etats-Unis / 104 mn / 2010)

  • J'ai vu bouger deux lignes...

    (dois-je consulter un ophtalmo ?)

    cahiers du cinéma,positifLa critique "officielle" se voit assez régulièrement brocardée sur nos sites, blogs et autres forums cinéphiles (dès que l'on écrit un peu sur le cinéma, on a tôt fait de trouver plus "conformiste" et "institutionnel" que soi) pour ne pas passer sous silence ses efforts les plus méritoires. Le hasard a fait qu'en ce mois de juin deux éditoriaux à la teneur bien singulière ont été publiés respectivement dans les Cahiers du Cinéma et dans Positif.

    D'un côté, Stéphane Delorme défend The tree of life, derrière la couverture qui lui est dédiée, et tente d'expliquer pourquoi Terrence Malick a toujours été, dans le passé, négligé par les Cahiers. Quoi que l'on pense du film et sans perdre de vue le fait que ces "négligeances" ont été celles d'autres équipes (on sait que la revue a toujours évolué par soubresauts successifs), on peut apprécier la sincérité de la démarche, l'auteur précisant même que Positif fut l'une des rares publications au monde à proposer un entretien avec le cinéaste (en 1975). C'est à lire ici.

    De l'autre, Fabien Baumann a écrit pour l'ouverture du dernier Positif en date un texte à la progression diabolique, semblant sonner la traditionnelle charge contre les Cahiers pour mieux la retourner comme un gant et entamer une pertinente et nécessaire réflexion sur le rôle de la critique, réflexion qui se révèle être en tous points opposée à celle que son directeur de publication Michel Ciment s'évertue à échafauder mois après mois. L'été sera-t-il chaud aussi à la rédaction de Positif ? C'est à lire ici.