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Nightswimming - Page 67

  • Animal Kingdom

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    Le prologue, montrant la mort par overdose de la mère du jeune Josh et la récupération de celui-ci par sa grand-mère carnassière, cueille brillamment à froid. Suit le générique et l'apparition du titre, Animal kingdom, qui se pose sur une reproduction kitch de la vie des lions dans la savane, le mâle dominant placé au centre de la composition. Il reste à peu près cent minutes et pourtant le film pourrait s'arrêter là puisque tout le message de David Michôd est contenu dans cette image et ce titre. Le travail du spectateur est pré-mâché : oui, il s'agira bien de la description d'une famille de gangsters qui s'entre-dévorent dans leur lutte pour la survie et le pouvoir, dans un milieu environnant tout aussi gangréné par la violence et la corruption.

    Michôd a l'ambition de devenir le James Gray australien (et la prochaine étape pour lui est, en toute logique, américaine). Il ne veut donc pas réaliser juste un petit polar de plus, si bien troussé soit-il. Il veut déjà toucher à la tragédie et, à l'instar de son personnage principal, trouver tout de suite sa place, si possible au sommet. Mais confondant main ferme et main lourde, il ne décolle pas le nez de son tableau animalier. Par conséquent, tout ce qui ne concerne pas directement la famille de truands est traité au mieux de manière désinvolte, au pire par le cliché, et la conduite du récit est assez catastrophique. Généralement, les grands polars reposent sur une mise à jour impitoyable des mécanismes criminels et sur la description précise des liens et des tensions existant entre le groupe étudié et ce qui lui est extérieur. Dans Animal kingdom, cette acuité est totalement absente, la progression dramatique est mécanique et la monotonie des coups que se rendent successivement les forces de l'ordre et la famille finit par laisser indifférent.

    Si l'on excepte le personnage de la grand-mère, la caractérisation n'a rien d'original, chaque membre du groupe étant très marqué, psychologiquement ou professionnellement. Josh est notre guide, affichant une neutralité apparente (proche de la bêtise sauf, bien sûr, au moment du dénouement puisqu'il faut bien que Michôd boucle son récit en assénant une nouvelle fois son message  : survie et pouvoir). Nous sommes supposés le suivre pour mieux pénétrer les sombres arcanes de cette fratrie. Or, la question du point de vue n'est jamais véritablement prise à bras le corps par le cinéaste, qui détaille quantité d'actions dont Josh ne peut avoir connaissance sur le moment. La présence de la voix off n'est donc qu'un signe d'appartenance au genre, rien de plus.

    Constamment sous-exposée, l'image n'est guère attrayante et la caméra ne s'éloigne pratiquement jamais des acteurs, ce qui rend la perception de l'espace problématique (il paraît que cela se passe à Melbourne). La mise en scène de Michôd tire vers l'épate naturaliste. Mais ce naturalisme est aussi, à de nombreuses occasions, mis à distance (on est moderne ou on ne l'est pas). Allons-y donc, lourdement, avec les ralentis, les contrepoints musicaux ou les envolées lyriques...

    Perdant de son intérêt au fur et à mesure de son avancée, le film devient dans la dernière ligne droite presque pathétique. Le scénario, qui brillait jusque là par son absence, fait tout à coup son coming out, ce qui nous vaut des idées déplaisantes (le suspense autour de la famille de la petite amie de Josh), grossières (le retour du flic pourri des stups, après une seule scène au tout début), débiles (le garde du corps qui pointe son flingue sur Josh) ou "rassurantes" sur le plan de la morale (la vengeance finale)...

    Dans le genre "affiche qui se la pète", le distributeur français a fait fort mais, finalement, je me demande s'il n'a pas cerné involontairement la personnalité du jeune réalisateur. Quant aux louanges de la critique, qui voit en David Michôd une éclatante révélation, elles s'expliquent avant tout, selon moi, par l'absence, ces dernières années, de néo-polars anglo-saxons marquants (si l'on ne tient pas compte de la permanence de certains "vieux maîtres" comme Polanski ou Eastwood et que l'on ne s'intéresse qu'aux jeunes cinéastes, la comparaison avec les effervescentes années 90, celles qui s'ouvrirent avec Miller's Crossing des Coen ou Les arnaqueurs de Frears et se refermèrent avec L'Anglais de Soderbergh, rend diablement nostalgique).

     

    animalkingdom00.jpgANIMAL KINGDOM

    de David Michôd

    (Australie / 113 mn / 2010)

  • The great ecstasy of Robert Carmichael

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    C'est peu dire que le premier long métrage de Thomas Clay a suscité des réactions viscérales et des jugements opposés. C'est l'apanage des films-choc ou films-scandale. Devant de telles œuvres, il arrive rarement que l'on tienne une position médiane. Je me suis trouvé dans cette situation lors de la découverte du Funny games de Michael Haneke mais pour The great ecstasy of Robert Carmichael, je me placerai plus résolument d'un côté, celui des défenseurs.

    Je viens déjà de lâcher le nom d'un austère autrichien dont le cinéma peut sembler au premier abord très proche de celui de Clay. Toutefois, le film britannique ne fonctionne pas tout à fait de la même manière que ceux de l'auteur du Ruban blanc. Ici, le spectateur n'est pas manipulé de façon perverse. Il ne se retrouve pas soumis à quelques effets de montage tendancieux, à des coups de force scénaristiques ou à des ellipses dérangeantes, moyens dont se prive rarement Haneke, pour le meilleur ou pour le pire.

    Chez Thomas Clay (et le bruit fait autour du film à l'époque de sa présentation cannoise puis au moment de sa sortie en salles y est aussi pour quelque chose), on sait exactement où l'on va : vers l'abyme. Un violoncelle jouant du Purcell strie par endroits cette chronique d'une ville côtière pas plus défavorisée qu'une autre. Ce grondement annonce déjà le pire, même si les actes décrits sont, au départ, banals. L'esthétique du film, elle, ne l'est pas. La lumière et le cadre sculptés par Yorgos Arvanitis, fameux collaborateur de Théo Angelopoulos, rendent admirables le plus morne des paysages urbains écrasé sous le ciel gris. L'usage régulier du plan séquence accentue l'impression.

    Le cinéaste construit son récit à partir d'une structure à la fois fermée et ouverte. Les passages d'un personnage à l'autre, la façon dont on quitte ou prend le pas d'untel, sont absolument remarquables car ne semblant obéir qu'au hasard alors que, peu à peu, tout s'organise. Les nombreuses bifurcations trouvent a posteriori leur validité et la trame, en apparence très libre, se révèle finalement serrée, par la reprise de cadrages, le redoublement des détails qui nourrissent les séquences.

    Le film repose sur une symétrie : deux parties successives se répondent, chacune ponctuée par une séquence de violence interminable et difficilement soutenable. Cet agencement particulier du temps du récit permet de convoquer une autre figure tutélaire, celle de Stanley Kubrick. Le traitement formaliste de la violence (elle a pour cadre des décors légèrement stylisés, en tout cas rendus très particuliers par la scénographie) et l'affirmation que l'art ne protège nullement contre la tentation de la barbarie (l'acte le plus ignoble est l'œuvre du petit prodige musical) sont deux autres pistes qui mènent de toute évidence vers l'univers du réalisateur d'Orange mécanique. Comme le ciel bas et lourd, la référence pèse mais ne va pas jusqu'à écraser.

    The great ecstasy of Robert Carmichael raconte une fin du monde qui a déjà commencé. Plus personne ne peut "tenir" ces jeunes gens, les adultes étant trop résignés et trop faibles et les activités proposées dans le cadre scolaire ou communautaire semblant dérisoires. Dans le même temps, la Nation légitime allègrement l'action violente à travers ses interventions en Irak (le nombre élevé de séquences montrant l'omniprésence d'une télévision aliénante rend le discours insistant). Le caractère symétrique de l'œuvre ne peut mener que vers l'inéluctable. Le premier "trou noir" du film tétanise, bien que l'horreur s'y déploie hors-champ : après un lent et long mouvement circulaire, la fixité de la caméra mime l'effroi du spectateur, laissé près d'une porte entrouverte sur une chambre infernale. Trois quarts d'heure plus tard, le second n'épargne même plus le regard et livre l'abjection telle quelle (ou quasiment). Robert Carmichael est maintenant de face, en gros plan, alors qu'il ne nous offrait dans la première scène violente que son dos. Il est "mûr" pour entrer dans l'action. Et nous, glaçés, de réaliser tardivement que nous avons été dans sa peau à lui, qui est passé de l'état de zombie inconscient à celui d'acteur volontaire.

    Là, les choses les plus répugnantes sont (presque) montrées, longuement. Alors, au plus loin dans l'horreur, Thomas Clay réalise un collage insensé. Une faute de goût peut-être, certainement même. Mais au point où nous en sommes... Du geste le plus violent, il ne montre en fait que l'amorce et enchaîne avec une explosion d'images venues tout droit de la seconde guerre mondiale. A mon sens, le procédé a au moins l'avantage de voiler l'immontrable sans le faire disparaître totalement. Et au moins, Thomas Clay, à la différence d'Haneke, ne nous laisse pas nous questionner sadiquement et inutilement en compagnie des victimes outragées, pas plus qu'il n'intègre à son final un douteux twist. Il filme juste les bourreaux qui s'éloignent dans la campagne anglaise et nous abandonne vacillants, le cœur soulevé.

     

    Film visible gratuitement (avec quelques autres, et jusqu'à une certaine limite de clics) jusqu'au 30 juin sur la plateforme MUBI, dans le cadre d'un partenariat avec la Semaine de la Critique du festival de Cannes.

     

    robertcarmichael00.jpgTHE GREAT ECSTASY OF ROBERT CARMICHAEL

    de Thomas Clay

    (Grande-Bretagne / 96 mn / 2005)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1999)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif1999 : Derrière les couvertures des Cahiers consacrant leurs films respectifs, se lisent les propos de Jia Zhang ke, Philippe Garrel, Pedro Almodovar, Luc et Jean-Pierre Dardenne, Jim Jarmusch (Ghost dog), David Lynch et Abbas Kiarostami. L'année est d'ailleurs particulièrement riche en entretiens puisque l'on y trouve également ceux réalisés avec Paulo Rocha (Le fleuve d'or), Alexeï Guerman (Khroustaliov, ma voiture !), Thomas Vinterberg (Festen), Philippe Grandrieux (Sombre), Dario Argento (Le fantôme de l'Opéra), Vincent Gallo (Buffalo 66), Pascal Bonitzer (Rien sur Robert), Catherine Breillat (Romance), Aki Kaurismäki (Juha), David Cronenberg (eXistenZ), Raoul Ruiz (Le temps retrouvé), Noémie Lvovsky (La vie ne me fait pas peur), Hong Sang-soo (Le jour où le cochon est tombé dans le puits), Emmanuel Finkiel (Voyages), Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (Sicilia !), Harold Ramis (Mafia blues), Kiyoshi Kurosawa (Charisma et Cure), Solveig Anspach (Haut les cœurs !), Hélène Angel (Peau d'homme, cœur de bête), João César Monteiro (Les noces de Dieu) et Frederick Wiseman (Public Housing). Par ailleurs, François Cluzet, Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Terence Stamp, Paolo Branco et Agnès Godard sont de même rencontrés. Des analyses portent sur Fin août, début septembre, Psycho (Gus Van Sant), New Rose Hotel (Abel Ferrara), Buena Vista Social Club (Wim Wenders), La lettre (Manoel de Oliveira) et Le projet Blair Witch (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez), des portraits d'Anna Thomson, Jacques Gamblin ou Asia Argento sont dressés, les vingt ans du festival des Trois continents de Nantes sont fêtés, un retour sur Hitchcock est effectué et un hommage à Robert Kramer est publié. Toutefois, 1999 est bien sûr l'année Kubrick, celle de sa disparition et de la sortie d'Eyes wide shut. Les Cahiers en rendent largement compte.
    Et Positif n'est évidemment pas en reste sur ce plan-là. Mais, pour la revue, deux autres événements marquent l'année : le premier entretien réalisé avec Jean-Luc Godard (autour d'Histoire(s) du cinéma), et la sortie de La ligne rouge. Les autres cinéastes à l'honneur se nomment Brian DePalma (Snake eyes), Woody Allen, Todd Solondz (Happiness), Gaspar Noé (Seul contre tous), Mario Martone (Teatro di guerra), Robert Altman (Cookie's fortune), Tsai Ming-liang, Goran Paskaljevic (Baril de poudre), Rolf de Heer (Dance me to my song), Larry Clark (Another day in Paradise), Arturo Ripstein (Pas de lettre pour le colonel), Steven Soderbergh (L'Anglais), Stephen Frears (The Hi-Lo Country), Samantha Lang (Le puits), Takeshi Kitano (Jugatsu et L'été de Kikujiro), Michel Deville (La maladie de Sachs), Bruno Dumont (L'humanité), Zhang Yimou (Pas un de moins), Shaji Karun (Vanaprastham), Jane Campion, Otar Iosseliani (Adieu, plancher des vaches !), Michel Blanc (Mauvaise passe), et, là aussi, Vinterberg, Grandrieux, Cronenberg, Eastwood, Almodovar, Ruiz, Oliveira, Finkiel, Lynch et Kiarostami. Lee Kang-sheng et Marisa Paredes sont également interrogés, tandis que sont abordés le cinéma de Hong Kong (de Fruit Chan à Leslie Cheung, en passant par Tsui Hark et John Woo), le péplum italien (entretien avec Vittorio Cottafavi), le cinéma muet, le cinéma australien, le remake, le film criminel, ainsi que la carrière de Clara Bow et les travaux de Stanley Cavell. En été, un numéro spécial Kurosawa est publié. On note enfin les arrivées au comité de rédaction de Yannick Dahan, Olivier De Bruyn et Franck Garbarz.

     

    Janvier : Xiao Wu, artisan pickpocket (Jia Zhang Ke, Cahiers du Cinéma n°531) /vs/ Festen (Thomas Vinterberg, Positif n°455)

    Février : Fin août, début septembre (Olivier Assayas, C532) /vs/ Celebrity (Woody Allen, P456)

    Mars : Le vent de la nuit (Philippe Garrel, C533) /vs/ La ligne rouge (Terrence Malick, P457)

    Avril : Stanley Kubrick (C534) /vs/ The hole (Tsai Ming-liang, P458)

    Mai : Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, C535) /vs/ Jugé coupable (Clint Eastwood, P459)

    Juin : Rosetta (Luc et Jean-Pierre Dardenne, C536) /vs/ Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, P460)

    Eté : Alfred Hitchcock (C537) /vs/ Rêves (Akira Kurosawa, P461-462)

    Septembre : Eyes wide shut (Stanley Kubrick, C538) /vs/ Eyes wide shut (Stanley Kubrick, P463)

    Octobre : Jim Jarmusch (C539) /vs/ Stanley Kubrick (P464)

    Novembre : Une histoire vraie (David Lynch, C540) /vs/ Une histoire vraie (David Lynch, P465)

    Décembre : Le vent nous emportera (Abbas Kiarostami, C541) /vs/ Holy smoke (Jane Campion, P466) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Les deux se tiennent... Débutée sur les chapeaux de roue avec deux films également renversants de jeunes cinéastes, l'année, après un étrange passage à vide en février (deux titres très moyens), déroule de part et d'autre ses belles rencontres, souvent les mêmes, sans fausse note. Enfin presque : n'y avait-il pas moyen de choisir une autre photo et un autre titre que ce Rêves un peu pâteux pour honorer Kurosawa ? Si, sûrement... Allez, pour 1999 : Avantage Cahiers.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Le gamin au vélo

    dardenne,belgique,mélodrame,2010s

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    J'ai aimé Le gamin au vélo mais je commence par deux bémols, qui concernent des petits défauts assez récurrents, me semble-t-il, dans le cinéma des frères Dardenne. La fin ne me plaît pas beaucoup. Sans la dévoiler, on peut dire qu'elle provoque successivement deux émotions fortes contradictoires. Je la trouve claudicante, les cinéastes prenant ici le risque de déplaire deux fois, au lieu d'asséner un seul grand coup (que ce soit dans un sens ou dans l'autre). Auparavant, à mi-parcours, il y a, comme souvent chez eux, un endroit où l'on voit le nœud du récit se serrer trop fort. Ainsi, à la remarquable première partie succède une seconde un peu trop dirigiste, faisant grincer ses rouages de film noir social.

    Cela dit, pour une large part, le petit miracle se reproduit. Devant une caméra que l'on sent de moins en moins tremblotante avec le temps mais toujours aussi engagée auprès des personnages, du récit et du réel, se raconte un bout de l'histoire de Cyril, 11 ans, abandonné au foyer par son père et récupéré les week-ends, avec son vélo, par l'aimable coiffeuse Samantha. Cyril, c'est Thomas Doret, garçon vif, pugnace et costaud, qui avance la tête en avant et les épaules rentrées. Samantha, c'est Cécile de France qui, dès sa première scène, fait tomber toutes les craintes que l'on pourrait avoir concernant sa présence dans cet univers particulier. Son personnage de coiffeuse existe.

    Lorsque le film se concentre sur la quête butée du père (toute cette première partie dont je parlais), il est stupéfiant de justesse et accumule les séquences très simples mais d'une grande force. Le montage, le cadrage, le rythme imposé aux acteurs libèrent une énergie incroyable. Cyril, par ses mouvements, ses déplacements, ne cesse de nous faire rebondir d'une séquence à l'autre (parfois, ces relances ont lieu dans le plan séquence lui-même). C'est une boule toujours en train de rouler et de changer de direction ("Pitbull", préfère le nommer, de son côté, le caïd de la cité, sous la coupe duquel il va tomber).

    Surtout, à l'intérieur des scènes, l'imprévisibilité des gestes est totale, autant que dans la vie. Les tentatives de fuite du foyer, qu'elles réussissent provisoirement ou qu'elles échouent aussitôt, donnent l'impression de n'avoir jamais été traitées comme cela au cinéma, de manière aussi réaliste, non pas dans leur teneur mais dans leur déroulement. Les échanges et les comportements sont parfois hésitants, souvent contrariés, régulièrement source de méprises (l'éducateur qui voit Cyril pédaler à toute vitesse vers la sortie et qui croit, comme nous, qu'il fait une nouvelle tentative). Être attentif à cela, c'est se rendre compte à quel point, d'ordinaire, le cinéma gomme tous ces effets de réel pour mieux atteindre à l'efficacité, au mépris de la moindre vraisemblance. Bien sûr, faire cette distinction ne doit pas revenir à établir un jugement de valeur entre les grands réalistes et les autres. Mais chez les Dardenne, et particulièrement ici, c'est bien cette précision et cette "honnêteté" que l'on admire (pour ma part, en tout cas) en premier, avec l'énergie pure qui émane de leur mise en scène, et qui permet d'accéder au fil du récit, malgré les quelques ficelles évoquées plus haut, à une grande émotion, parfois réellement bouleversante.

     

    dardenne,belgique,mélodrame,2010sLE GAMIN AU VÉLO

    de Jean-Pierre et Luc Dardenne

    (Belgique - France / 87 mn / 2011)

  • Le goût de la cerise

    kiarostami,iran,90s

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    Une idée lumineuse : en 1997, le jury du festival de Cannes, présidé par Isabelle Adjani, décida de décerner une double palme d'or, à Shohei Imamura pour L'anguille et à Abbas Kiarostami pour Le goût de la cerise. Bien sûr, le public s'en ficha comme de son premier et dernier Apichatpong Weerasethakul, ce qui fit plafonner les deux titres gagnants autour de 160 000 entrées. Peu importe. Dans le cas de Kiarostami, la récompense venait signaler le pic d'une extraordinaire période courant sur une dizaine d'années, ayant débuté avec la découverte occidentale de Où est la maison de mon ami ? (1988) et qui allait bientôt se clore avec Le vent nous emportera (1999).

    Les travaux suivants du cinéaste - comme, probablement, ses précédents - ont leur beauté, mais ceux des années 90 sont admirables pour leur capacité à nous ouvrir à un monde, à extirper de sa réalité des récits divers et à tenir des propos variables, tout en empruntant, à chaque fois, peu ou prou, les mêmes chemins. Subtilement auto-réflexifs, basés sur les figures du retour, de la spirale, de la boucle, les films de cette série dialoguent les uns avec les autres.

    Ici, le goût de la cerise, c'est le goût de la vie, que semble avoir perdu Monsieur Badii. Cet homme, nous le suivons pendant 90 minutes, presque en temps réel, alors qu'il sillonne à bord de son Range Rover les alentours de Téhéran à la recherche d'une bonne âme susceptible de l'aider à mener à bien un projet qu'il tarde à (nous) révéler. Son 4x4, nous le quittons très rarement, et lorsque cela arrive, il n'est jamais très loin. La mise en scène d'un trajet est fréquente chez Kiarostami. Il sait que le déplacement automobile est un fantastique moteur narratif. Il n'y a qu'à filmer la route qui défile et c'est tout le film qui avance et qui ne cesse de s'ouvrir aux possibilités de l'espace et du temps. Un jeu s'instaure entre l'intérieur et l'extérieur, une alternance entre les vues embarquées, au plus près du conducteur, et celles, beaucoup plus larges, qui suivent de loin le véhicule en train de se frayer son chemin ou de s'arrêter au cœur du paysage.

    Mais la voiture de Monsieur Badii, c'est un peu, déjà, son tombeau, son trou. Comme celui qu'il vient de creuser, celui dans lequel il mourra et sera enterré ou duquel il sera extirpé vivant au petit matin, cela dépendra... Dès le premier plan du film, l'homme est au volant, dans l'habitacle. Il en sortira peu. La vie, elle est au dehors et elle tente de le retenir, lui, le suicidaire. La tension qui se crée entre le dedans et le dehors structure le récit et agit sur plusieurs plans, suivant une évolution rigoureuse. Le prologue montre quelques personnes abordées à travers la fenêtre du véhicule en marche et qui refusent le dialogue ou proposent des choses qui n'intéressent pas le conducteur. Pris en stop, un jeune militaire accepte, malgré sa réserve, la balade proposée mais s'enfuit aussitôt la mission exposée au bord de la "tombe". Ensuite, un séminariste grimpe sans problème pour faire le même tour. Mais pour rendre cette rencontre possible, Monsieur Badii a déjà dû descendre de son véhicule. Essuyant à nouveau un refus, il jette son dévolu sur un vieux taxidermiste, qui se porte volontaire pour l'aider dans son funeste projet. Pourtant, ce nouvel échange, loin de l'apaiser, va le pousser un temps hors de son refuge à quatre roues, l'entraîner dans une course soudaine pour poser une dernière question à son passager. Au fur et à mesure, Monsieur Badii est donc ramené vers l'extérieur, vers la vie.

    Notons que chaque trajet, bien qu'ayant le même but, diffère. Le premier tourne court, le deuxième est bouclé normalement, le troisième se prolonge à la faveur de multiples détours. Cette progression déstabilise encore le désespéré (dont il faut préciser que nous ne savons rien de tout le film, sinon, justement, le désespoir). L'espace s'y met, la parole aussi. Le militaire est peu loquace et se contente de réponses brèves et peu assurées. Le séminariste provoque la discussion sur le thème de l'interdit religieux du suicide. Le taxidermiste se lance dans un long monologue, tentant de convaincre Monsieur Badii tout en respectant son choix.

    Celui-ci est donc en train d'effectuer un passage. Il s'efface, il s'enfonce. Une séquence de transition, aux accents antonioniens, le surprend à regarder les travaux qui s'effectuent dans une carrière. Les monceaux de terre et de gravats qui s'abattent le font par moments disparaître derrière un écran de poussière. Mais il faut bien voir que ce n'est justement que de la poussière et entendre que les bruits assourdissants envahissant la bande son sont exactement ceux des engins du chantier. En effet, la grandeur du cinéma de Kiarostami est là : jamais l'élévation du propos ne se fait à la suite d'un détachement du réel. Les deux sont présents dans le plan, en même temps, et nous sommes libres de lire celui-ci "à plat" ou "en profondeur".

    Dans Le goût de la cerise, nous sommes libres aussi de conclure. Il n'y a pas de retour bienheureux à la vie. Kiarostami ne filme pas un retournement positif mais bien le vacillement d'une conscience. L'incongruité de certains détails, l'astuce malicieuse qui consiste à différer le dévoilement du projet de Monsieur Badii (sa ronde automobile a, au début, des allures de drague homosexuelle), l'appel par le vieux taxidermiste à profiter du goût de la mure et de la cerise, ainsi que les dernières images, hors fiction, ensoleillées et légères, ne suffisent pas à masquer la noirceur du propos, l'inquiétude devant ce pays noyé dans la poussière, les interrogations naissant de ce défilé social et culturel dans la voiture (un Kurde, un Afghan, des allusions aux guerres menées par l'Iran... : tout cela ne peut être anodin).

    Cette douleur rentrée est merveilleusement rendue par l'acteur Homayoun Ershadi. Autant que son mutisme final, son énervement grandissant face aux tergiversations du jeune soldat bouleverse. A l'instar de sa voiture, ses phrases se mettent à tourner, à partir dans une spirale sans fin. Elles sont alors, aussi, à l'image du cinéma de Kiarostami, dont Ershadi devient le double comme le font sentir les plans subjectifs du début. Qui parle ? Est-ce le personnage ou le cinéaste en reportage ? Ces questions viennent avec les premières images, déjà, sans les parasiter pour autant. Et l'étonnant final voit débouler Kiarostami lui-même. Pour désamorcer peut-être, stimuler encore et toujours, certainement.

     

    (Note rédigée dans le cadre d'un concours organisé par PriceMinister. Page du DVD du Goût de la cerise sur le site.)

     

    kiarostami,iran,90sLE GOÛT DE LA CERISE (Ta'm e guilass)

    d'Abbas Kiarostami

    (Iran / 95 mn / 1997)

  • Vietnam, année du cochon

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    En choisissant comme entrée en matière quelques images de guerre sans commentaire et entrecoupées de larges passages au noir, Emile de Antonio plonge le spectateur directement dans le vif du sujet. Mais ce faisant, il entraîne sur une fausse piste, celle de l'essai documentaire et du film expérimental, car se met en place, aussitôt après cette introduction saisissante, un ouvrage très classiquement construit, et pour ainsi dire, pédagogique.

    Vietnam, année du cochon, film réalisé "à chaud" en 1968, a eu un fort retentissement, aux Etats-Unis et en Europe. Privilégiant une approche historique et factuelle, œuvrant dans un registre sobre, se gardant d'épouser les formes de la propagande, il n'en est pas moins clairement pacifiste et anti-colonialiste. C'est un film-dossier qui réunit les pièces pour tenter d'amener le spectateur à la réflexion et à l'adhésion de sa cause. Emile de Antonio assemble, le long d'un fil chronologique, des extraits d'entretiens donnés par des spécialistes et des images d'archives et d'actualités. Le rythme est relativement rapide, les différents discours très découpés et les intervenants nombreux (militaires, diplomates, journalistes, universitaires, sénateurs...). L'éloignement de l'événement et le peu d'aide apporté par les incrustations présentant les personnes font que des noms, des fonctions et quelques autres éléments avancés ne nous évoquent pas grand chose. Mais la remise en perspective est instructive, les auteurs revenant sur l'histoire récente de l'Indochine et désignant comme date-pivot celle de la chute de Dien Bien-Phu. Entre images fortes (comme celles, tristement célèbres, de l'immolation d'un moine bouddhiste lors d'une manifestation contre le régime de Ngô Dinh Diêm) et instantanés glaçants (ce gradé louant ses soldats, "a sacred bunch of killers"), Emile de Antonio déroule calmement son exposé, s'essayant à peine à quelques contrepoints musicaux pour accompagner des déroutes françaises ou américaines. En termes de cinéma, c'est donc avant tout et presque uniquement l'intelligence de la démonstration qui est remarquable. On gagne en compréhension ce que l'on perd en émotion et en puissance esthétique.

    Mais Vietnam, année du cochon est aussi de ces quelques films dont la réception diffère radicalement d'une époque à l'autre. Aujourd'hui, après avoir vu tant d'images du conflit (profusion dont la date de réalisation du film ne permettait pas encore de rendre compte), ce documentaire provoque deux effets, non prévisibles en 1968, de valeurs opposées. Le premier, "positif" (si l'on peut dire), c'est la sensation que la conduite de la guerre au Vietnam par les Américains, ainsi mise à jour, est menée sur des chemins qui seront plus tard allègrement repris, par l'Occident en général, pour diriger d'autres interventions : soutien plus ou moins affirmé à des régimes impopulaires et autoritaires (ici celui de Diêm), diabolisation de l'adversaire, occultation de vérités historiques (comme la spécificité du communisme de Hô Chi Minh, forgé dans le nationalisme et la lutte contre l'impérialisme), légitimation de l'action engagée par l'aide à l'accession du peuple à la liberté (masquant la méconnaissance, voire le mépris envers celui-ci), provocations militaires déguisées en ripostes défensives, engrenage menant des bombardements de "cibles militaires" au "search and destroy"... Le second, "négatif", c'est la frustration que provoque la brièveté de certaines interventions (pourquoi convoquer un déserteur pour si peu ?). La polyphonie, alliée au sérieux du travail, parut sans doute nouvelle, pertinente et féconde à l'époque mais elle a ouvert la voie à une esthétique du reportage télévisé dont on constate chaque jour les navrantes dérives à travers ces compilations de témoignages agrégés à toute vitesse et ne laissant place à aucun déploiement véritable de la parole. Cela dit, il est évident qu'Emile De Antonio, en instruisant en 68 son dossier-documentaire, avait d'autres considérations...

     

    Film visible gratuitement (avec quelques autres) jusqu'au 30 juin sur la plateforme MUBI, dans le cadre d'un partenariat avec la Semaine de la Critique du festival de Cannes.

     

    vietnamcochon.jpgVIETNAM, ANNÉE DU COCHON (In the year of the pig)

    d'Emile de Antonio

    (Etats-Unis / 103 mn / 1968)

  • Minuit à Paris

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    Amour(s), nostalgie, création, magie : les thèmes abordés dans Minuit à Paris ne sont pas nouveaux pour Woody Allen mais leur présence conjointe devait assurer un certain confort. Malheureusement, le charme agit peu et l'opus se révèle plus que mineur. Beaucoup de choses ne fonctionnent pas cette fois-ci, alors que le sujet était plutôt prometteur.

    Le casting est peu enthousiasmant, et pas seulement du côté français. Par contraste, Owen Wilson donne l'impression de s'en sortir assez bien dans le registre, difficile, du mimétisme allénien. Alors que se réalisent les premiers basculements de réalité, il offre de fort jolis instants de suspension et d'hébétude. Le problème est que Woody Allen lui impose de les prolonger indéfiniment, dans un film qui va ainsi rester constamment dans cet entre-deux. Ce flottement peut être, ailleurs (y compris dans d'autres œuvres du cinéaste), payant, mais ici, il dévitalise totalement l'ensemble. D'une part, le va-et-vient entre deux époques ne produit pas une grande tension en termes de récit. D'autre part, si l'on voit les aventures nocturnes du Gil Pender campé par Wilson comme le fruit de son imagination, on s'étonne qu'il soit si peu acteur de ses fantasmes (alors que le cinéma d'Allen s'était fait, ces derniers temps, assez sexy, Minuit à Paris manque cruellement de désir et de sensualité). De même, si son esprit est capable de convoquer tous les grands noms d'artistes fréquentant le Paris 1920, pourquoi ne s'emballe-t-il pas pour nous entraîner dans une spirale vertigineuse ? A un moment, la canne de Salvador Dali entre dans le champ pour tapoter son épaule, mais tout doucement. On peut voir dans ce plan le principal défaut du film : un sérieux manque d'audace et de rythme (mon camarade Timothée a sans doute trouvé le meilleur titre de note de l'année au moment d'écrire sur Minuit à Paris : La machine à remonter le temps et à ramollir le tempo).

    Allen a voulu recomposer le monde parisien à la lumière des connaissances populaires. Comme il n'est pas un imbécile, son introduction, dans laquelle il présente un à un les endroits les plus célèbres de la capitale, il l'étire à l'extrême, en allant jusqu'au bout de la chanson de Cole Porter qui la porte, et parvient ainsi à dépasser le cliché. Ensuite, il donne une vision rêvée d'une époque et de ses artistes. Le choix est pleinement assumé et justifié par la psychologie du héros mais cela ne suffit pas pour effacer l'impression du catalogue simpliste et poussiéreux (malgré deux ou trois idées un petit peu amusantes comme lorsque Pender souffle à Buñuel l'idée de L'ange exterminateur).

    Par ailleurs, comme dans les Woody Allen les moins réussis, le moraliste fait passer son message avec trop d'insistance. Ici, il s'agit de prendre garde à ne pas perdre le lien avec le présent, de profiter sans s'abîmer dans la contemplation d'un passé idéalisé. Ce danger, les dialogues ne cessent de le pointer, et ce dès les premières scènes (la fiancée qui reproche constamment à Gil de "vivre dans le passé"). Plus loin, ce sont encore les dialogues qui gâchent l'idée, séduisante bien qu'attendue, du "saut dans le temps dans le saut dans le temps", à coups d'explications bien inutiles. Enfin, j'ajouterai à mes griefs la platitude de certaines scènes. Celle de la rencontre entre Gil et Adriana (Marion Cotillard), par exemple, n'est qu'une suite de champs-contrechamps sans âme. Dès lors, j'en viendrais presque à rejoindre, provisoirement, les vieux détracteurs du cinéaste en avançant qu'ici, Woody Allen en dit trop et n'en montre pas assez.

     

    minuitaparis00.jpgMINUIT À PARIS (Midnight in Paris)

    de Woody Allen

    (Etats-Unis - Espagne / 100 mn / 2011)

  • Sound of noise

    simonsson,stjarne nilsson,suède,comédie,2010s

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    logoKINOK.jpg

    (Chronique dvd parue sur Kinok)

    A l'origine, il y a ce court métrage de 2001, devenu fameux depuis, Music for one apartment and six drummers. Six individus s'introduisaient dans l'appartement d'un vieux couple pour y jouer quatre morceaux de musique à la seule aide des objets qu'ils trouvaient dans chaque pièce. Sound of noise en est un prolongement, une extension aux dimensions d'un long métrage. Les enjeux sont donc évidents : il s'agit d'étoffer sans étouffer, de grandir sans trahir.

    L'idée de la performance décalée est conservée, mais au lieu d'être étirée, elle est démultipliée, constituant ainsi un tempo en quatre temps forts pour autant de pièces musicales. Sur un plan narratif, tout le travail a donc consisté à faire tenir celles-ci ensemble. C'est une trame à tendance policière qui a été retenue, les six percussionnistes se voyant offrir ici un adversaire en la personne d'Amadeus Warnebring, un inspecteur d'inspecteur perturbé dans sa prime jeunesse par son apprentissage de la musique au sein d'une famille de chefs d'orchestre. Ce traumatisme ayant généré chez lui une véritable phobie musicale, les variations cocasses peuvent s'enchaîner et la pâte sonore peut être travaillée au-delà des séquences de concert ou de répétition.

    Le talent de nos six activistes est de moduler le bruit des outils et matériaux usuels pour en extraire tout le potentiel musical. Entre leurs mains, l'ustensile devient instrument. Ainsi, la frontière entre bruit et musique devient flottante. Pour autant, le but n'est pas de brouiller la perception ni de créer un chaos (si destruction il y a, elle est toujours accidentelle), mais d'aiguiser l'ouïe, de séparer et de classer attentivement. Là se niche la raison d'être du gag récurrent et progressivement amplifié de la perte d'audition sélective du policier. Celui-ci n'entend plus le moindre son émanant d'un objet ou d'une personne touchés ("joués") par l'un des musiciens qu'il traque. L'idée paraît absurde mais elle ne l'est pas plus, en définitive, que l'argument initial du récit.

    On trouve matière à rire, au moins à sourire, dans ce film signé par un duo assez doué pour croquer avec vitalité des saynètes-sketchs et assez imprégné de l'univers de la musique pour se mettre dans la poche les amateurs (au prix de quelques facilités, pas forcément désagréables, comme ces petits gags sur les batteurs). Le "terrorisme" musical décrit ici permet d'opérer un déplacement humoristique de toute la machinerie narrative soutenant habituellement les récits policiers et plusieurs effets plaisants découlent de ce décalage. Préservons-en les surprises et bornons-nous à évoquer l'un des plus évidents et des plus efficaces, à un stade avancé de l'histoire : se promener en ville avec un instrument de percussion devient plus répréhensible, aux yeux des gardiens de l'ordre, que porter une arme.

    Toutefois, au cinéma, l'excellence dans la vignette s'accompagne aussi, souvent, de difficultés à assurer le maintien d'une ligne narrative ferme. Et Sound of noise peine effectivement à intéresser de manière égale sur toute sa durée, en dehors des performances musicales. Celles-ci représentent les pics du film. L'éclatement sonore produit est bien répercuté par le montage, vif et précis. Pour éviter une éventuelle lassitude, ces séquences sont par ailleurs habilement entrecoupées par des astuces illustrant la théorie du "grain de sable enrayant la machine" chère au genre policier.

    L'importance des moyens convoqués par les six musiciens lors de leurs happenings marque une progression logique, le terrain de l'action passant d'un lieu très limité dans l'espace (une chambre d'hôpital) à la ville entière. Notre inclinaison personnelle pour le rock de chambre plutôt que de stade explique-t-elle que la jubilation ressentie diminue d'une étape à l'autre ? C'est aussi que l'ampleur technique s'accompagne d'un élargissement du propos et des thématiques. Du coup, les cibles visées par le groupe rebelle, devenant nombreuses et difficiles à discerner, finissent par être perdues de vue. L'utopie devient vague (la paix de l'âme par le silence ?), son accès, conventionnel (l'amour).

    La pensée n'est donc pas si subversive que cela, pas plus que la mise en scène n'est dévastatrice. Mais Sound of noise possède cette faculté, appréciable, de nous faire dodeliner de la tête par mimétisme, à la suite de Miss Sanna Persson, joli cerveau du commando, dès que celle-ci lance son métronome dans sa première scène. Et l'envie revient à chaque fois que l'on entend quelqu'un lancer : "1, 2, 3, 4 !" (en suédois).

     

    soundofnoise00.jpgSOUND OF NOISE

    de Johannes Stjarne Nilsson et Ola Simonsson

    (Suède - Danemark - France / 98 mn / 2010)