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Nightswimming - Page 71

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1995)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif1995 : "Deux révélations chinoises" : en avril, Cahiers et Positif présentent de la même façon à leurs lecteurs les noms de Wong Kar-wai et Tsai Ming-liang. Et les deux revues effectuent le même choix pour la couverture : ce sera Chungking express plutôt que Vive l'amour. Comme souvent, les points communs entre les sommaires sont nombreux au fil de l'année puisque l'on s'intéresse des deux côtés à Noémie Lvovsky, Chabrol, Pialat, Kusturica, Kiarostami, Burton, Kassovitz, Carpenter (L'antre de la folie) et Robert Aldrich (en rétrospective).
    On lit par ailleurs dans les Cahiers les propos de Youssef Chahine, Pedro Almodovar, Denis Gheerbrant (La vie est immense et pleine de dangers), Godard (JLG/JLG autoportrait), Karim Dridi (Bye Bye) et Benoît Jacquot (La fille seule), ainsi que quelques autres, s'exprimant à l'occasion dans des encarts accompagnant les autres critiques, hors "films du mois". Haut Bas Fragile, La cassette de Manoel de Oliveira, Les rendez-vous de Paris d'Eric Rohmer, Waati de Souleymane Cissé, A la vie, à la mort ! de Robert Guédiguian sont également distingués. Jour de fête en couleurs, les rétrospectives Ernst Lubitsch et Chantal Akerman, les cinémas arabes et africains, Hong Kong, les frères Lumière, la Série Noire (littéraire), l'IDHEC, le "Cinéma à l'école", les hommages à Guy Debord et à Gilles Deleuze occupent les autres pages de la revue, qui propose de plus des rencontres avec Martin Landau, Antonio Tabucchi, Jacques Rancière, William Klein, Bulle Ogier et quelques uns des cinéastes responsables de la collection 100 ans de cinéma.
    Dans les colonnes de Positif, se croisent James Gray, Woody Allen, John Boorman, Bertrand Tavernier, Claude Sautet, Larry Clark mais aussi Robert Altman (Prêt-à-porter), Nicole Garcia (Le fils préféré), Roman Polanski (La jeune fille et la mort), Arturo Ripstein (Principio y fin), Ulu Grosbard (Georgia), Lodge Kerrigan (Clean, shaven), Lars Von Trier (The Kingdom), Théo Angelopoulos (Le regard d'Ulysse),  Ken Loach (Land and freedom), Alan Bennett (La folie du Roi George), Rolf de Heer (Bad Boy Bubby) et Spike Lee (Crooklyn & Clockers). Se remarquent aussi des entretiens avec André De Toth, Jeanne Moreau, Richard Widmark, Roy Ward Baker, René Laloux et Hayao Miyazaki (dossier animation), Jacques Deray et Alain Corneau (dossier film criminel français) ainsi que des ensembles sur Renoir et sa Partie de campagne, sur les documentaires de Kieslowski, sur Sacha Guitry, sur Robert Flaherty, sur Yasujiro Ozu, sur Edward Hopper et sur le Studio Aardman. Quelques mois après sa disparition, un entretien puis un numéro spécial rendent hommage à Fellini.
    Enfin, au niveau des comités de rédaction, peu chamboulés, on peut noter les arrivées de Stéphane Bouquet d'un côté et celle de Noël Herpe de l'autre.

     

    Janvier : Jour de fête (Jacques Tati, Cahiers du Cinéma n°487) /vs/ Little Odessa (James Gray, Positif n°407)

    Février : Oublie moi (Noémie Lvovsky, C488) /vs/ Coups de feu sur Broadway (Woody Allen, P408)

    Mars : L'émigré (Youssef Chahine, C489) /vs/ L'appât (Bertrand Tavernier, P409)

    Avril : Chungking express (Wong Kar-wai, C490) /vs/ Chungking express (Wong Kar-wai, P410)

    Mai : Haut Bas Fragile (Jacques Rivette, C491) /vs/ Rangoon (John Boorman, P411)

    Juin : La haine (Mathieu Kassovitz, C492) /vs/ Ed Wood (Tim Burton, P412)

    Eté : Abbas Kiarostami (C493) /vs/ Federico Fellini (P413-414)

    Septembre : La cérémonie (Claude Chabrol, C494) /vs/ Le regard d'Ulysse (Théo Angelopoulos, P415)

    Octobre : La fleur de mon secret (Pedro Almodovar, C495) /vs/ Nelly et Mr Arnaud (Claude Sautet, P416)

    Novembre : Le Garçu (Maurice Pialat, C496) /vs/ Underground (Emir Kusturica, P417)

    Décembre : Gilles Deleuze (C497) /vs/ Kids (Larry Clark, P418) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Deux consistantes séries de couvertures que, chacune, je vois à peine entâchée d'un ratage, et cela le même mois (les très faibles Rivette et Boorman). Le seul titre qui me soit inconnu est celui de Chahine mais comme je ne peux guère dire si je défendrai encore aujourd'hui L'appât de Tavernier, un score de parité semble s'imposer. Allez, pour 1995 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Pina

    wenders,allemagne,documentaire,2010s

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    Dire tout d'abord que les images de la représentation du Sacre du printemps, telle qu'elle est filmée par Wim Wenders, ont constitué la plus stimulante expérience cinématographique qu'il m'ait été donné de vivre ces derniers mois.

    C'est ainsi que débute Pina, le film hommage du cinéaste à la célèbre chorégraphe du Tanztheater Wuppertal, Pina Bausch, décédée en 2009. Et déjà, d'une part, nous sommes plongés au cœur de l'art de la danse tel que l'a conçu cette femme, d'autre part, la pertinence du choix de la 3D éclate sous nos yeux. Le travail sur la profondeur et la netteté des contours des corps, des vêtements et des objets que permettent cette technique la rende particulièrement appropriée à la mise en scène d'un ballet, l'œil passant en effet du groupe au soliste, de l'arrière plan au devant, sans heurt, en captant la même intensité, en bénéficiant de la même définition. Nous pensons alors appréhender le mieux qu'il est possible ce qui se joue sur scène, en chaque endroit et à chaque moment.

    Pina est organisé comme une succession de représentations au théâtre, de séquences dansées en extérieurs et de témoignages de danseurs (ainsi que de quelques images d'archives). A mon sens, la 3D selon Wenders n'est jamais aussi convaincante que lorsqu'elle investit un espace artificiel, celui de la scène, donc, avec son fond dépouillé, monochrome ou sans couleur. La 3D ne génère pas un surcroît de réalité, comme veut nous le faire avaler la publicité. Elle n'incite pas au toucher : s'il y avait caresse, le contact ne se ferait que sur une surface plane et lisse, une strate. Cette image est en effet constituée de couches successives, propriété qui renvoie au passé du cinéma et de la vidéo, aux superpositions diaboliques de Méliès, aux tentatives de films en relief, aux transparences hollywoodiennes classiques ou aux expériences d'un Zbigniew Rybczynzki. Wenders sait prendre en compte cette idée de trucage et s'en amuse au détour d'une séquence montrant une danseuse aux bras exagérément musclés ou d'une saynète autour d'une "maison de poupée".

    Dans son art, Pina Bausch faisait  bouger les lignes et tomber les frontières. Elle faisait, aussi, tomber les lignes : chez elle, les corps ne cessent de chuter, tout en continuant, même à terre, à danser. Wenders lui emboîte le pas. Ne se limitant pas à faire danser aux carrefours, dans le métro aérien ou près des cours d'eau, il cherche à travailler la géométrie des plans. Des cadrages se font au ras du sol, des plongées donnent le vertige, des images s'emboîtent les unes dans les autres, et toujours,  grâce à la 3D, la profondeur est sondée. Les éléments du plan sont découpés si nettement, la séparation entre les couches est si visible, qu'il semble impossible de passer de l'une à l'autre. Et pourtant, avec fluidité, les corps voyagent dans cet espace sans effort, les points de références pour l'œil ne cessent de changer, provoquant parfois une étonnante perception des proportions. Les envols eux-mêmes s'en trouvent suspendus plus longuement, plus facilement. En extérieur, ces effets se ressentent avec moins d'évidence. Toutefois, voir danser la troupe hors les murs, ce n'est pas une manière de se frotter plus vigoureusement au réel. Quoi de plus irréel, en effet, que ces séquences là ? La danse, comme tout art, n'est qu'une image, une représentation, un reflet du réel.

    Avec Pina, le cinéma s'occupe donc de la danse, avec les moyens qu'il faut mais sans se départir d'une agréable simplicité. Un écran de cinéma apparaît au fond de la scène, un projecteur, un chariot, des rails évoquent la machinerie du 7ème art. Des effets de montage, fusionnant plusieurs personnes en une seule lors de la pièce Kontakthof, permettent de visualiser ce qui ne pouvait l'être sur scène. Des lieux, des compositions, des gestes, font écho à d'anciens films de Wenders. Réjouissons-nous que tout cela soit débarrassé, miraculeusement, de la dimension moralisatrice accompagnant souvent les réflexions habituelles du cinéaste sur les images.

    La lourdeur d'une chape, il est certes possible de la ressentir à un autre niveau. Les propos tenus par les danseurs, dans des inserts brisant parfois de façon gênante l'élan des séquences de ballet, paraissent dans un premier temps trop exclusivement flatteurs envers la disparue. Ces interventions ne semblent guère permettre de mettre en valeur autre chose que le regard perçant de la chorégraphe et sa capacité à révéler ses danseurs à eux-même, deux qualités rappelées ici à l'envi. Mais on peut voir ces séquences d'un autre œil et les entendre d'une autre oreille. Tout d'abord, Wenders ne s'en sert pas dans un but didactique. Son film n'est pas une leçon d'histoire de l'art, il donne simplement à voir la singularité de l'œuvre de Pina Bausch. Les bouleversements qu'elle a provoqué sont sur l'écran et il n'est pas utile qu'un commentaire vienne nous rappeler le travail radical sur le corps, les vêtements et le décor. Les phrases que prononcent les danseurs ne sonnent donc pas comme des explications, mais comme des messages. Pina est un tombeau, au sens du poème écrit pour un défunt. Il y a un côté fiction dans ces intermèdes, ces mots étant visiblement mûrement choisis et écrits. De plus, ces femmes et ces hommes sont présentés de la même manière, en train de prendre la pose, leur parole ne venant qu'en off, comme en pensée. Filmés ainsi, ils ressemblent aux anges des Ailes du désir. Non nommés, ils forment une sorte d'armée ailée au service de la déesse Pina.

    Depuis vingt ans, Wim Wenders traversait le cinéma en fantôme. En disparaissant, Pina Bausch l'a fait renaître.

     

    pina00.jpgPINA

    de Wim Wenders

    (Allemagne - France - Grande-Bretagne / 106 mn / 2011)

  • Essential killing

    essentialkilling.jpg

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    Dans le désert, un combattant islamiste est capturé par l'armée américaine. Après interrogatoire, il est transferé vers une base militaire au nord de l'Europe. Étant parvenu à s'évader, il doit alors survivre dans une nature hostile, avec les soldats à ses trousses.

    Essential killing est un étrange film, pas facile à appréhender et produisant de drôles d'effets. Parfois impressionnant mais inégal, voire maladroit par endroits, il est aussi déroutant dans sa façon de partir d'un sujet fort pour mieux s'en éloigner ou, du moins, ne pas donner lieu à une interprétation trop évidente. A l'entame, la description de la machine de guerre anti-terroriste américaine, via les camps illégaux de type Guantanamo, peut laisser penser que la question politique innervera tout le récit. Mais on peut tout aussi bien se dire, déjà, que Skolimowski, bien qu'il renverse audacieusement le point de vue habituel en se plaçant du côté du (présumé) terroriste, ne fait justement là qu'une simple description d'un fait. De toute manière, le sous-texte politique est rapidement évacué, le cinéaste empruntant d'autres voies que celle ouverte en premier.

    L'homme que l'on va suivre dans cette épreuve est un homme sans nom, sans voix et (presque) sans passé. Même s'il est caractérisé par sa religion, son aptitude au combat et son statut de coupable aux yeux des Américains, il finit par représenter bien autre chose que le taliban poursuivi : l'Homme qui lutte pour sa survie. Dès lors, Essential killing prend une dimension mystique. En premier lieu, l'omniprésence des animaux et notamment des chiens, dans une nature à la végétation endormie, tire l'ensemble vers le surnaturel. Ensuite, notre homme, à l'allure étrangement christique, manque de mourir à plusieurs reprises, et semble à chaque fois "ressusciter", cela avant un dénouement que je ne dévoilerai pas mais qui ponctue le parcours fort logiquement. Enfin, il est intéressant d'étudier sous cet angle les multiples retournements de situations et autres faits du hasard qui permettent la poursuite du périple de l'homme traqué. Si Skolimowski nous fait épouser aussi étroitement le point de vue de ce dernier, il faut alors, sans doute, essayer de voir les choses comme lui. Et pour ce croyant, ces événements surprenants sont probablement beaucoup moins des coïncidences heureuses que le résultat d'une action divine. A l'image cela se traduit seulement par quelques regards tournés vers le ciel, par cet homme ayant placé ses espoirs et son destin dans les mains de Dieu, mais cela me semble suffisant pour emprunter ce chemin mystique. Ce faisant, il n'y a plus de raisons de trouver invraisemblables un accident de fourgon blindé, un incident technique sur un hélicoptère, le passage d'une femme à vélo etc...

    Ce mysticisme prégnant n'empêche cependant pas que le film soit éminemment concret. La mise en scène peut même se faire assez rêche. Adepte de longue date (en fait, depuis ses débuts) de la caméra subjective, Skolimowski y a recours une nouvelle fois ici encore. Le procédé est utilisé au début et ce choix peut se défendre : l'immersion, la tension, l'identification sont ainsi facilitées. Dès lors qu'il s'agit de prendre de la hauteur par rapport au sujet, Skolimowski n'y fait plus appel. Cependant, les quelques plans concernés m'ont légèrement gêné. J'ai senti là qu'un déséquilibre du rythme et de la vision était provoqué, bien plus que lorsque s'intercalaient des plans faisant basculer le point de vue, pris depuis les hélicoptères des chasseurs. Dans ce second cas, le basculement soudain renforce le propos métaphorique alors que dans le premier, l'insertion paraît plus facile et moins riche de sens. A travers la caméra, être avec le fugitif, à ses côtés, aurait, à mon sens, suffi et nous n'avions nul besoin de nous sentir de temps en temps, si artificiellement, "dans sa peau".

    Ces excès stylistiques ne sont pas les seuls. D'inutiles flashbacks sur le passé, plus ou moins fantasmé, du "héros" viennent encombrer la route. Il y a également, dans une scène citée partout, un plan insistant sur des grosses jambes féminines écartées qui rend l'instant, déjà marquant, résolument malsain. Mais plus généralement, une fois la menace militaire écartée, les rencontres avec quelques locaux laissent perplexe, les nouveaux types de relations entretenus peinant à trouver véritablement leur place dans l'architecture du récit. Les vingt dernières minutes accusent ainsi une chute évidente.

    Je n'ai pas parlé jusque là de Vincent Gallo. Il est très bien (que l'on n'entende jamais sa voix sert à rendre crédible le personnage, contrairement à ce qui se passe avec celui, secondaire, d'Emmanuelle Seigner, Skolimowski, en en faisant une muette, tirant alors trop à la ligne). Toutefois, lorsque des adorateurs le trouvent ici, et encore une fois, absolument "génial", je crains qu'ils ne s'aveuglent quelque peu en regardant leur astre et qu'ils ne pensent voir quelque chose qui ne se trouve absolument pas dans le film, la performance de l'acteur étant certes remarquable mais essentiellement, et pour ne pas écrire exclusivement, physique.

     

    essentialkilling00.jpgESSENTIAL KILLING

    de Jerzy Skolimowski

    (Pologne - Irlande - Norvège - France - Hongrie / 83 mn / 2010)

  • Le secret des poignards volants

    zhang,chine,aventures,2000s

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    Je reconnais volontiers ne pas être très compétent en wu xia pan (le film de sabre chinois) et dès que je vois des gens se battre dans les airs en voltigeant de bambous en bambous, j'ai tendance à souffler en gonflant les joues, ce qui suffira certainement à disqualifier d'entrée cette note aux yeux des connaisseurs. Parmi les quelques noms associés au genre que j'ai pu croisé jusque là, je ne vois guère que deux exceptions à la règle qui veut que je m'ennuie profondément devant ce type de spectacle : King Hu (A touch of zen, Raining in the mountain) et Tsui Hark (essentiellement les deux premiers Il était une fois en Chine, ce qui me fait croiser les doigts en attendant l'imminente sortie de son Detective Dee). Le secret des poignards volants (le titre international, plus adéquat, est House of flying daggers, ce qui me fait dire que, maison pour maison, je préfère la House of jealous lovers, même si cela n'a absolument rien à voir) est la deuxième incursion de Zhang Yimou sur ce terrain après un Hero (2002) qui partagea beaucoup plus la critique et avant une Cité interdite (2007) qui ne se rattachera au wu xia pan que par intermittences. Ce dernier film m'avait laissé plutôt... interdit et, même si Hero me reste inconnu, la découverte de ce Secret... consolide mes deux sentiments : le genre ne m'est pas très souvent agréable et le cinéma de Zhang Yimou est à circonscrire strictement aux années 90.

    Si, concernant cette période, ma préférence va à ses œuvres les plus réalistes (Qiu Ju, une femme chinoise, Vivre, Pas un de moins), je ne fus pas forcément insensibles aux charmes formalistes de certaines autres (Epouses et concubinesShanghai triad). A ce formalisme, Le secret des poignards volants est totalement assujetti. Assurément, Zhang Yimou est un décorateur hors pair et un coloriste éblouissant, mais sur cette surface brillante, tout glisse et tout paraît vain, à l'image des dernières séquences durant lesquelles se succèdent des tonalités chromatiques différentes (du vert au blanc, bientôt taché de rouge). Le film est idéal pour l'exercice de la capture d'écran (celle-ci est d'autant plus facile que les ralentis numériques abondent), mais rendu à son mouvement, il redevient cet objet lisse et sans réel intérêt.

    Les séquences agitées contiennent tout d'abord, mal contemporain, trop de plans. Pourtant, nous dirions que parfois, il en manque... lorsque le montage escamote le mouvement pour rendre possible à l'image les actions qui ne seraient guère réalisables dans la réalité. Les combats alternent de façon bien monotone avec des moments plus calmes. Le tempo est ralenti par les intermèdes romantiques, la plupart du temps organisés en simples  champs-contrechamps (et dans les séquences "érotiques", malheureusement, Zhang Ziyi ne cesse de se contorsionner pour ne rien montrer à la caméra).

    Dans l'histoire qui nous est contée, tous les personnages sont doubles. Cette duplicité est d'abord un enjeu "policier" (Le secret des poignards volants est en quelque sorte un Infernal affairs en kimono, Andy Lau faisant d'ailleurs le lien entre les deux films) avant de devenir un enjeu amoureux. La question de la sincérité de chacun est ainsi le seul moteur de l'intrigue alors que le film semble annoncer en introduction de tortueuses manigances à l'échelle d'un empire. Au sein de celui-ci, un pouvoir corrompu lutte contre un clan rebelle et insaisissable, dont on nous dit au début et sans jamais y revenir par la suite qu'il dépouille les riches pour donner aux pauvres. Sur la durée de deux heures, seuls quatre personnages seront en fait distingués, les autres étant réduits à des silhouettes virevoltantes ou expirantes sous les lames. De plus, les vraies/fausses trahisons qui se succèdent ne font jamais l'effet du coup de tonnerre : elles laissent indifférent puisque dès les premières scènes nous est laissé le temps d'imaginer à l'avance tous les revirements dont chaque personnage semble capable, les attitudes paraissant vite trop loyales pour être honnêtes et l'intrigue étant si simple. Les acteurs, débitant des dialogues conventionnels au possible et filmés avec le plus grand sérieux, ne parviennent jamais à transcender leur statut de figure désincarnée au service du genre. L'esthétisme du cinéaste, poussé à l'extrême, et l'évolution mécanique du récit achèvent de rendre l'ensemble inutile à mes yeux.

     

    Zhang,Chine,Aventures,2000sLE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS (Shi mian mai fu)

    de Zhang Yimou

    (Chine - Hong-Kong / 119 mn / 2004)

     

  • Les mille et une nuits

    pasolini,italie,erotisme,70s

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    En regardant Les mille et une nuits, j'ai eu l'impression que Pasolini cherchait à se placer dans la modernité cinématographique en repassant par le primitif. Adaptant un récit mythique, il ne l'actualise pas mais, en quelque sorte, "l'archaïse" par un traitement frontal et un appel direct à la croyance du spectateur. Peut-être même Pasolini voulait-il faire un film qui aurait pu être destiné à ceux qui écoutaient ces contes dans les temps anciens, un cinéma des siècles premiers...

    Aujourd'hui et maintenant (comme en 1974 ?), il me semble que la tentative échoue car l'organisation, si brutale, de la matière vient trop souvent jouer contre l'idée même de récit et de narration. L'absence totale de transitions entre les plans, le hiatus existant parfois entre les prises purement documentaires et les compositions soutenant la fiction, les trucages volontairement (?) basiques (et assez laids) rendent l'avancée chaotique. Ce "primitivisme" trouve bien sûr une résonance dans le style de jeu demandé par le réalisateur. Pleurer ou rire, pleurer et rire : l'acteur pasolinien en est souvent réduit à cela et, qui plus est, souvent à contretemps, et, encore une fois, sans transition d'un état à l'autre. De plus, on observe tout au long du film une disjonction entre le corps et la parole. Cela est évidemment dû à la nécessité de doubler les acteurs non-italiens mais la démarche de Pasolini va bien au-delà puisque régulièrement, des phrases entendues ne raccordent sur aucun mouvement de bouche. Il y a là, entre image et texte, un écart assumé mais qui, personnellement, me gêne. De fait, les passages les plus satisfaisants sont pour moi les moins bavards, à l'image de l'épisode népalais.

    De celui-ci, et de quelques autres, émane une certaine étrangeté, sensation qui m'a rendu ce troisième volet de la "trilogie de la vie", malgré les importantes réserves que je viens de formuler, moins pénible que le deuxième, les sinistres Contes de Canterbury. A cette qualité, il faut en ajouter d'autres. Les nombreux paysages traversés sont particulièrement beaux et l'intégration des figurants y est plus naturelle que dans le film précédent. Toujours par rapport à ce dernier, l'absence de paillardise et de vulgarité est appréciable. Il faut noter toutefois que Pasolini, avec le temps, continue d'aller plus loin encore dans la crudité des images érotiques mais, paradoxalement, celles-ci choquent moins ici. C'est que la sexualité, même si elle peut être, en certaines occasions, vecteur de cruauté (jusqu'à la mutilation), semble globalement plus apaisée, plus harmonieuse, plus lumineuse (elle peut cependant déranger encore aujourd'hui mais pour une raison liée à l'évolution de notre regard, depuis les années 70, sur la sexualité des plus jeunes : pour ces scènes, Pasolini filme souvent, dans Les mille et une nuits, des adolescents). Enfin, dernier élément atténuant ma sévérité, le récit, entre quelques passages assez ennuyeux, ménage quantité de relances inattendues puisqu’il reste fidèle au principe originel de l’emboîtement des histoires contées. Il nous est ainsi, dans la dernière partie, presque impossible de nous repérer, de savoir à quel niveau nous nous situons exactement et combien de boîtes gigognes nous avons ouvert.

    Devant ces Mille et une nuits, j’admets donc plus facilement les beautés intermittentes de ce cinéma-là et je comprends un peu mieux que pour certains, il soit d’une grande importance, mais, étant maintenu à trop grande distance pas ce style heurté, je ne parviens toujours pas à les rejoindre dans leur admiration pour le Pasolini des années 70, cinéaste qui, décidément, ne m’attire réellement que par ses œuvres de la décennie précédente.

     

    Milleetunenuits.jpgLES MILLE ET UNE NUITS (Il fiore delle mille e una notte)

    de Pier Paolo Pasolini

    (Italie - France / 130 mn / 1974)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1994)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif1994 : Aux Cahiers, deux pôles structurent les sommaires. D'un côté, le cinéma américain avec la défense de L'impasse (DePalma), d'Un monde parfait (Eastwood), de Tueurs nés (Stone), des rencontres avec Avary, Cameron et Burton, avec Kathleen Turner, avec David Lynch (à propos d'Eraserhead) et un retour sur Orson Welles. De l'autre, le cinéma français particulièrement présent au fil de l'année à travers des entretiens avec Tonie Marshall, Patrice Chéreau, Pascale Ferran, Claire Denis (J'ai pas sommeil), Robert Kramer (Point de départ), Sandrine Bonnaire, Fanny Ardant, Gérard Lanvin et Bertrand Tavernier (sur la cinéphilie), des textes sur Jeanne le Pucelle (Rivette), L'enfer (Chabrol), Du fond du cœur (Doillon), Délits flagrants (Depardon), L'ange noir (Brisseau) et Lou n'a pas dit non (Miéville), un dossier Renoir, un numéro spécial concocté par Isabelle Huppert et plusieurs papiers sur la collection de téléfilms produite par Arte, Tous les garçons et les filles de leur âge. Entre ces deux tendances se glissent Almodovar, Moretti (Journal intime), Loach (Ladybird), Fellini (un entretien inédit), Shin Sang Okk, Ozu et Tarkovski, ainsi que Kiarostami et Kurosawa dont la rencontre est relatée. Le comité de rédaction accueille officiellement, entre autres, Jacques Morice et Vincent Ostria, tandis que Luc Moullet poursuit la chronique qu'il avait entamée l'année précédente.
    Dans Positif se lit une flopée d'entretiens réalisés à l'occasion des sorties des films d'Altman, Eastwood, DePalma, Ripstein, Marshall, Coen, Moretti, Pintilie, Kieslowski, Loach, Ferran, Doillon, Tarantino, Avary, Egoyan ainsi que ceux de Peter Greenaway (The baby of Mâcon), Francesca Archibugi (La grande citrouille), Jim Sheridan (Au nom du père), Zhang Yimou (Vivre !), Jacques Audiard (Regarde les hommes tomber), Claude Miller (Le sourire), Alan Rudolph (Mrs. Parker et le cercle vicieux), Mario Martone (Mort d'un mathématicien napolitain), Robert Zemeckis (Forrest Gump), Marcel Ophuls (Veillée d'armes) et Gianni Amelio (Lamerica). Sont également rencontrés Tian Zhuangzhuang, George Lucas, Coppola, James Toback, Robin Williams et Jean-Louis Trintignant. Point de départ, L'ange noir, L'étrange Noël de Mr Jack, Ed Wood et la série Tous les garçons et les filles de leur âge, sont, comme dans les Cahiers, mis en avant. La revue publie des dossiers sur Wellman, Satyajit Ray, Lang et Germi, des papiers sur Mizoguchi, Renoir et le cinéma coréen, une étude sur Stallone et Schwarzenegger. Enfin, le 400ème numéro de Positif est l'occasion de publier 65 textes inédits signés de cinéastes, prolongement d'une rubrique, "Voix off", créée en 1993.

     

    Janvier : Kika (Pedro Almodovar, Cahiers du Cinéma n°475) /vs/ Short cuts (Robert Altman, Positif n°395)

    Février : Jeanne la Pucelle (Jacques Rivette, C476) /vs/ Au-delà du Missouri (William Wellman, P396)

    Mars : Isabelle Huppert (C477) /vs/ L'impasse (Brian DePalma, P397)

    Avril : Pas très catholique (Tonie Marshall, C478) /vs/ Ce lieu sans limites (Arturo Ripstein, P398)

    Mai : La Reine Margot (Patrice Chéreau, C479-480) /vs/ Le grand saut (Joel et Ethan Coen, P399)

    Juin : Les roseaux sauvages (André Téchiné, C481) /vs/ N°400 (Tournage de Force of arms de Michael Curtiz, P400)

    Eté : Jean Renoir (C482) /vs/ Un été inoubliable (Lucian Pintilie, P401-402)

    Septembre : Speed (Jan de Bont), True lies (James Cameron), Crooklyn (Spike Lee) & Killing Zoe (Roger Avary) (C483) /vs/ Trois couleurs : Rouge (Krzysztof Kieslowski, P403)

    Octobre : Tueurs nés (Oliver Stone, C484) /vs/ Petits arrangements avec les morts (Pascale Ferran, P404)

    Novembre : L'ange noir (Jean-Claude Brisseau, C485) /vs/ Pulp fiction (Quentin Tarantino, P405)

    Décembre : L'étrange Noël de Mr Jack (Henry Selick et Tim Burton, C486) /vs/ Exotica (Atom Egoyan, P406) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Sachant que Kika, Jeanne la Pucelle, La Reine Margot et L'ange noir sont loin d'être mes titres préférés au sein des filmographies respectives de leurs auteurs, que le Tonie Marshall ne m'a pas laissé un souvenir impérissable, que ces Altman, DePalma, Kieslowski, Tarantino et Egoyan-là me semblent peu discutables, que le Pintilie et le Ferran me furent très agréables, même sans avoir vu les autres américains cités et en jouant les excellents Roseaux sauvages et Mr Jack contre le Grand (petit) saut (ou ce Ripstein un peu raide), les Cahiers sont pour moi, cette année, mal barrés.  Allez, pour 1994 : Avantage Positif.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • 14 heures

    14h.jpg

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    Trouvant sans doute là le moyen de nous causer dans la même note de deux affaires qui lui sont chères, le cinéma et le rock, notre confrère Mariaque, taulier du blog The hell of it, s'est mis dans la tête de chroniquer mensuellement un clip vidéo sous forte influence cinématographique. A lire sa première sortie, il a bien fait. Analysant la mise en images d'un tube de Placebo, il nous renvoie au modèle avoué : le film à suspense de Henry Hathaway, 14 heures.

    Ce beau film, assez méconnu nous semble-t-il, nous l'avions vu en 2006 et nous saisissons l'occasion de vous livrer, sans aucune modification et pas plus de gêne, les quelques lignes que nous avions griffonné à l'époque, alors que l'idée saugrenue d'ouvrir un blog ne nous avait même pas encore effleuré.

     

    14 heures tient de la gageure : unité de temps (du matin au soir), de lieu (une chambre d'hôtel, la corniche de la façade, la rue en bas) et d'action (un homme veut sauter et la police new-yorkaise veut l'en empêcher). Et Hathaway réussit l'impossible, grâce à un réalisme admirable.

    Réalisme technique. Le film privilégie les extérieurs réels et limite au maximum les transparences et autres trucages avec la ville à l'arrière-plan. Les plans cadrant les acteurs sur la corniche rendent la sensation de l'air, du vent et de la lumière naturelle.

    Réalisme des gestes. On remarque la prolifération des gestes anodins et habituellement gommés : le policier Dunnigan qui frotte sa jambe ankylosée, ces mains qui agrippent constamment les personnes qui se succèdent au bord du vide pour raisonner le malheureux...

    Réalisme psychologique. Les explications de la tentative de suicide sont données une à une, de la mère castratrice au dégoût de soi. Hollywood a souvent la main lourde lorsqu'il faut exercer dans ce registre. Ici, le discours psychologisant est parfaitement justifié par la présence d'un psy obligé de simplifier ses propos à destination de ceux qui viennent aider le jeune et désespéré Robert.

    Réalisme de la narration. Les chutes de rythme sont compensées par le caractère choral que prend le récit, grâce aux mini-intrigues se nouant dans la rue et dans l'hôtel (une rencontre amoureuse, un pasteur illuminé). Des scènes sont "gratuites", parfois très brèves, semblant coupées avant leur fin (les journalistes régulièrement virés par la police, souvent en plein milieu dune discussion).

    Un réalisme réhaussé bien sûr par un montage, des variations d'angles et d'échelles remarquables.

     

    14h00.jpg14 HEURES (14 hours)

    de Henry Hathaway

    (Etats-Unis / 92 mn / 1951)

  • 300

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    Une curiosité sincère m'a poussé à regarder 300 mais j'avoue avoir aussi pensé que, ma publication pouvant être datée du 1er avril, l'occasion serait belle d'écrire une note faussement dithyrambique et entièrement ironique si le film s'avérait mauvais.

    De fait, on y trouve largement de quoi alimenter sans effort une critique assassine. L'énumération des aberrations pourrait être sans fin, citons les principales :

    - l'absence totale de mise en perspective historique (Quel est l'enjeu réel de la bataille décrite ? Que doit précisément craindre le peuple de Sparte ? Quelles sont les conséquences de l'invasion ?),

    - l'affligeante modernisation des caractères aboutissant au portrait d'un roi qui peut être en même temps un guerrier beuglant à la Schwarzenegger et un interlocuteur plein d'esprit maniant le second degré à la George Clooney,

    - la mise en valeur exclusive, chez les soldats, de corps bodybuildés qui ne déparerait pas dans un calendrier du Stade Français (les femmes, quant à elles, ont à l'occasion des postures de chanteuses R'n'B et portent la toge de manière diablement sexy, ce détail ne constituant toutefois pas, à mes yeux, le défaut le plus rédhibitoire du film),

    - l'atroce bande originale enfilant les perles new age et les riffs de hard rock FM (je vous laisse deviner quel genre accompagne les séquences d'émotion et celles de combat),

    - l'abondance de ralentis qui doit bien rallonger le métrage d'une bonne demi-heure,

    - la crétinerie des intrigues politiques à l'arrière du front,

    - la voix-off omniprésente, pompeuse et redondante,

    - l'esthétique numérique lisse et monochrome, entre jeu vidéo et publicité pour l'armée.

    A partir de ces quelques données, il est difficile de ne pas se laisser aller à la franche déconnade pour profiter pleinement de ce film de bourrin. Cependant, le rire se coince légèrement dans la gorge lorsque l'on s'enquiert du message véhiculé par Zack Snyder. L'affaire est simple : Sparte se défend contre les attaques des forces obscures (et obscurantistes) venant de l'Orient. L'ennemi est décadent, dégénéré et fourbe. Sa vie tourne autour de l'or, de l'esclavage et de petites pépées. Il massacre allègrement les innocents et use même, dans le combat, de bombes. Les guerriers spartiates, pour le contrer, obtiennent l'aide d'un peuple voisin mais cette armée supplétive est composée essentiellement de sculpteurs, de bûcherons, d'artisans, ce que le roi Léonidas ne manquera pas de leur faire remarquer. Celui-ci ne sera donc guère étonné de voir ces alliés se battre "en amateur" avant de se replier le laissant, lui et ses hommes, se sacrifier. Dans la cité, loin du champ de bataille où se joue son avenir, le pouvoir est entre des mains corrompues et l'assemblée politique ne prend aucune décision, ne sert à rien. Le véritable homme libre, nous serine-t-on dans 300 est donc le guerrier, l'homme fort et obéissant, l'homme qui sait mourir pour la patrie, pour son guide et pour la gloire, plein de ferveur. Cette société spartiate, qui figure dans l'esprit des auteurs le modèle originel des démocraties futures, il faut toutefois noter qu'elle n'est jamais décrite dans son fonctionnement et qu'il n'est ici question que de sa défense, ce qui autorise la mort violente et rassurante de tous ceux qui la menacent, de l'émissaire ennemi jusqu'au traître en passant par le violeur de la reine. 300 est un film qui repose sur une base idéologique clairement fasciste.

    Et son esthétique est à l'avenant, ce qui rend l'œuvre, en un sens, parfaitement cohérente. Cherchant à fasciner le spectateur, le cinéaste en appelle aux tripes, accumule les harangues vibrantes et les chantages émotionnels (titillant toujours la fibre familiale). Il marche à l'épate et vise à obtenir la mise en suspens de notre jugement. Et, avouerai-je, il y parvient par instants, quand les combats se succèdent indéfiniment sur le même terrain, entre falaise et mer déchaînée, et sous le même ciel menaçant, quand déboule l'heroic fantasy et ses créatures infernales, quand le gore se fait graphique et les effusions de sang rythmiques, quand les tas de cadavres se fondent dans le décor de rochers. Le film de Snyder est une force noire en marche, virtuelle toujours, épuisante souvent, ridicule régulièrement, mais aussi, pendant quelques minutes éparses, presque fascinante. 300 est finalement moins un prétexte à la rigolade qu'un objet à étudier, avec des pincettes.

     

    30000.jpg300

    de Zack Snyder

    (Etats-Unis / 117 mn / 2007)

  • Affreux, sales et méchants

    scola,italie,comédie,70s

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    Le film d'Ettore Scola est récemment ressorti en DVD chez Carlotta. Deux collègues kinokiens s'en sont fait successivement l'écho, sous la forme de la sentence définitive pour l'un et de la chronique détaillée pour l'autre, se rejoignant toutefois pour placer haut l'objet dans l'échelle des valeurs. De mon côté, je souhaitais depuis un petit moment repartir, à l'occasion, à la rencontre de ces Affreux, sales et méchants zonards romains. Les deux interventions sus-citées me décidèrent d'accélérer les retrouvailles.

    Ce jalon tardif mais fameux de la comédie italienne, je l'avais découvert il y a de cela un bon paquet d'années et... je n'avais pas aimé ça du tout. La révision étant aujourd'hui faite, je peux me lancer dans une critique en forme d'autocritique et en quatre points.

    1. J'avais dû trouver la mise en scène de Scola inégale et approximative.

    Pourtant l'utilisation du zoom ou le détail que constitue le remplacement, pour le tournage d'une séquence agitée (celle des motards), d'un nourrisson par un poupon ne sont pas les preuves d'un quelconque laisser-aller stylistique, car ce qui ressort de ces presque deux heures de film ce sont bien l'invention et la précision de la mise en scène. Celle-ci repose en grande partie sur les plans-séquences. Le premier mouvement, accompagnant une silhouette dans la pénombre, est déjà ponctué par une trouvaille bien sentie : le plan s'arrête sur le visage d'un homme ne dormant avec son fusil que d'un œil, l'autre étant seulement, pense-t-on à ce moment-là, masqué par le drap. Puis vient l'extraordinaire plan balayant la baraque de l'intérieur, au petit matin. En panoramique circulaire, la caméra ne cesse de buter sur des corps à moitié endormis ou éructant déjà. Calées sur l'image, les paroles se chevauchent, émergent puis baissent d'intensité successivement. Le tour de l'endroit est effectué trois fois, avec à chaque passage une pause un peu plus longue désignant le Roi de cette cour, le dénommé Giacinto Mazzatella. Le procédé est parfait pour atteindre le double but recherché : singulariser le personnage tout en intégrant la star qui en a la charge (Nino Manfredi) au cadre et à la troupe qui l'entoure, composée de comédiens venus du théâtre et de non professionnels. A la fin du film, ce mouvement sera bien sûr répété pour mettre en forme l'ultime gag dans une conclusion logique, aussi drôle que terrifiante.

    De la technique du plan-séquence, Scola tire parti de plusieurs façons. Si elle peut induire une répétition et une circularité, la longueur du plan peut également servir à ménager la surprise. Lorsque l'adolescente passe prendre, de baraque en baraque, les enfants de chaque famille, on pense qu'elle les amène vers quelque école mais il s'avère qu'elle va en fait les regrouper pour les parquer dans un enclos en bordure du bidonville. Les plans-séquences, par leur magistrale organisation, remplissent aussi bien sûr leur mission la plus évidente : donner à voir le chaos et l'agitation perpétuelle, en faisant vivre mille micro-récits et en faisant exister un décor incroyable. Créé pour les besoins du film, le bidonville paraît avoir été trouvé sur place (la tentation initiale du documentaire a laissé des traces, tout comme la participation de Pasolini au projet, juste avant sa mort). Forcément fait de bric et de broc, il permet à Scola de jouer des touches de couleurs, des oppositions, des contrastes. Mais c'est surtout sa situation géographique qui le singularise, sur une hauteur, au-dessus des immeubles bourgeois romains et d'une voie ferrée filant vers le centre-ville. Cet arrière-plan est régulièrement présent dans l'image mais sans insistance. La discrète composition, qui ne prend jamais la place de ce qui se joue sur le devant de la scène, suffit à dire les choses. 

    2. J'avais dû trouver le film rempli de facilités comiques.

    Or le trait est beaucoup plus vif et acéré que gras. Seule, peut-être, la séquence de voyeurisme de Giacinto surprenant l'un des ses fils, "pédé", en train de s'occuper de sa belle-fille, semble trop longue et quelque peu gâchée par des cadrages farfelus. Ailleurs, la vacherie des répliques fait très souvent rire, saisit parfois jusqu'à décontenancer, mettrait presque mal à l'aise à l'occasion. L'art de la caricature épate, comme cette idée de faire tenir le rôle de la grand-mère par un homme (et effectivement, avant d'avoir lu cette révélation, elle nous paraissait si étrange cette mamie gâteuse !). 

    3. J'avais dû trouver que les acteurs en faisaient des tonnes, Manfredi en tête.

    C'est bien pourtant, concernant ce dernier, de grande maîtrise et d'extraordinaire présence qu'il faut parler. Manfredi est indispensable au film, il est notre vecteur. Il est la porte d'accès du spectateur au monde d'Affreux, sales et méchants. La famille élargie de Giacinto jalouse celui-ci en raison de l'existence de son "magot" obtenu suite à l'accident du travail lui ayant coûté son œil gauche et qu'il ne veut partager avec personne : cette histoire veut que tous les regards convergent vers lui et le nôtre, logiquement, suit. Le personnage est odieux, autant que ceux qui l'entourent, mais dans l'œil de Manfredi se met parfois à briller une étincelle et toute notre émotion s'y engouffre. On sait combien l'alcoolisme est difficile à jouer. Or, il y a ici ces moments magnifiques dans lesquels Scola nous montre Giacinto comme absent à lui-même, affalé devant un verre ou traversant le bidonville en titubant (ces plans donnent l'impression de commencer un peu avant et de se terminer un peu après ce que la convention imposerait).

    4. J'avais dû trouver que Scola faisait son film sur le dos des pauvres.

    Je l'avais mal vu : si Affreux, sales et méchants est une comédie détonnante, c'est aussi l'un des films les plus enragés qui soient. Lorsque Giacinto met le feu à sa baraque se fait sentir toute la colère du cinéaste. Le désespoir manque ici de tout brûler. L'histoire donne à voir, au final, un "statu quo en pire" et il n'y a rien ni personne à sauver. Ou plutôt si, une seule petite parcelle, celle de l'enfance. Aux gamins élevés à coups de taloches et peut-être mis à l'écart avant tout pour être protégés des adultes, Ettore Scola réserve ses seules images empathiques, façon de faire tenir un espoir infime.

    Pour répercuter ce scandaleux état des choses, Affreux, sales et méchants n'en passe donc pas par l'apitoiement, pas plus qu'il ne nous montre des belles âmes à la recherche d'une dignité. Il fonctionne autrement, de façon bien plus audacieuse. De la même manière que la situation géographique du bidonville, au sommet d'une colline, est affirmée, le tournant dramatique s'effectue sur une terrasse surplombante. Nous assistons alors à la chute du Roi, au plus bas. Mais filmée de haut. Scola a tenté et réussi avec Affreux, sales et méchants un pari fou : faire que les extrêmes se rejoignent. La scène la plus forte du film en est la marque. Le sordide (le dégueulis) se mêle au sublime (la mer). Après un tel sommet (que dire de Manfredi dans cette séquence...), le fait que Scola, avant l'ultime plan déjà évoqué, patine quelque peu dans les dernières péripéties n'a pour ainsi dire que peu d'importance. Son film est impressionnant et j'avais tort de le mépriser la première fois.

     

    scola,italie,comédie,70sAFFREUX, SALES ET MÉCHANTS (Brutti, sporchi e cattivi)

    d'Ettore Scola

    (Italie / 115 mn / 1976)