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  • En avant jeunesse & Dans la chambre de Vanda

    (Pedro Costa / Portugal / 2006 & 2000)

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    66348b0a3331fb3fc472f442370cfbf5.jpgDepuis mercredi, ils sont venus, ils sont tous là. Bien alignés pour saluer le Grand Moderne. Ils ont vu le futur du cinéma et le font savoir. Place nette est donc faîte grâce à En avant jeunesse, "film vertical dont l'ascension vous plaque au sol", "portrait palpitant de vie" et "troublante expérience pour ceux qui croient encore au cinéma" (merci pour les autres...) (Azoury et Séguret dans Libération). Pedro Costa y "sculpte le verbe documentaire de manière littéraire" (Isabelle Régnier dans Le Monde), lui, le "peintre politique" et "seul cinéaste renaissant ayant existé" (Jean-Baptiste Morain dans feu-Les Inrockuptibles).  Voici donc enfin "l'un de ces rares films qui donnent la mesure de ce que peut le cinéma" (Cyril Neyrat dans les Cahiers). Au sein de ce concert, on se dit que Télérama aurait pu en rajouter dans l'extase car le compte rendu de cette "expérience à part" évoquée par Cécile Mury paraît presque mesuré. Peut-être vous direz-vous que cela n'a rien à voir, mais cette belle génuflexion collective me fait songer à la croisade menée ces derniers temps par le réseau Utopia contre les salles municipales, auxquelles est reproché le mélange art et essai et cinéma grand public. Et se concrétise ainsi tranquillement ce rêve sarkozyste d'une société du chacun chez soi...

    En avant jeunesse, comme les films précédents de Costa, nous donne à voir la vie misérable d'immigrés cap-verdiens installés à Lisbonne. Le cinéaste, par des plans séquences fixes et silencieux, filme le vide, dans l'attente de micro-événements, de récits personnels saillants ou d'un surgissement d'une vérité des corps. Mais rien n'arrive. Il ne reste que le dispositif et cette tentative de re-création du réel. Costa, avec ses acteurs non-professionnels, confronte fiction et documentaire pour n'aboutir qu'à du fabriqué dans un monde clos. On filme le banal et on attend... Pourquoi, dans une fiction, nous infliger ce néant ? Comment croire qu'il se suffit à lui-même et fait style ? Je regarde ces plans interminables en me disant : Je suis devant une oeuvre d'art,  Je suis devant une oeuvre d'art, Je suis devant une oeuvre d'art, Je suis devant une oeuvre d'art, Je suis devant une oeuvre d'art, Je suis devant une oeuvre d'aaaarrrrrrhhhzzzzzzzzz... Bon, j'ai arrêté au bout d'1h15 (c'est à dire à la moitié du périple). Peut-être advient-il quelque chose ensuite, un gunfight ou une poursuite en 4x4, mais j'en doute. Radicalité, d'accord. Mais cette caractéristique seule n'a jamais suffit à faire un grand film. Si Kiarostami ne sors pas de la voiture de Ten, il fait voir la vie derrière les vitres et cisèle les conversations des passagers. Si Van Sant étire à l'infini les balades des ados d'Elephant, il s'arrange pour en tirer la plus grande musicalité possible. Si Jia Zangke s'enivre de plans-séquences pour décrire le quotidien dans Unknown pleasures, il place à chaque fois un geste ou une parole inattendus qui relance l'intérêt. Si Haneke plante sa caméra immobile dans la rue de Caché, c'est pour nous forcer à déchiffrer toute la surface de l'image. Si Hou Hsiao-hsien filme si longuement les Fleurs de Shanghai, c'est pour nous envelopper par ses mouvements délicats et sa lumière. Costa, lui, avec En avant jeunesse, fait un cinéma autiste. La seule bonne nouvelle de son film est que Vanda est toujours en vie, même si elle tousse toujours autant.

    Car on connaît cette femme, figure centrale du long-métrage que Costa tourna en 2000, Dans la chambre de Vanda, sur le Barrio de Fontainhas, quartier de Lisbonne. Un long-métrage documentaire. Et ça change tout. Si stylisé soit-il, le cadre capte ici bel et bien la vie. Le choc est réel car le dispositif rigoureux met en valeur ce qui existe au lieu de faire naître de rien on ne sait quelle grâce. Se penchant lui aussi sur la transformation d'un quartier populaire, le film se révèle un double en négatif du beau documentaire de José Luis Guerin, En construction, tourné lui à Barcelone. Car chez Costa, on ne voit que la destruction par les pelleteuses de maisons insalubres, dans un labyrinthe de ruelles. La dégradation des habitats va de pair avec celle des corps. S'attachant à Vanda, sa famille et quelques autres, le cinéaste montre frontalement la misère et la drogue, ne nous épargnant ni les injections, ni les vomis. Impossible cependant de parler de complaisance. Si l'esthétisme de l'image, le rapport du filmeur aux malades et aux drogués ou la légère dramatisation de quelques plans et dialogues, questionnent logiquement, l'adhésion au projet est nette, grâce à la distance réfléchie de la caméra et la répétition butée mais justifiée des scènes de défonce. La longueur (3 h) ne gêne pas, rendant compte de la spirale destructrice à l'oeuvre. Costa nous met le nez dans la misère la plus noire, la plus inimaginable, et oui, ici, fait un acte politique clair. A l'opposé du vide d'En avant jeunesse, il y a l'absurde affreux, les récits à écouter, les corps résistant au cadre fixe, la vie de Dans la chambre de Vanda.

  • Fantôme

    (Friedrich Wilhelm Murnau / Allemagne / 1922)

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    9779bdd6014320228ed927f6bd2cd28f.jpgIl y a bien longtemps, il me semble avoir lu dans un vieux numéro de feu-Les Inrockuptibles une phrase du genre : "Murnau est le seul cinéaste à n'avoir réalisé que des chefs d'oeuvres". Si ce type de propos peut faire son petit effet auprès d'apprentis cinéphiles, il ne reflète en rien la réalité. Il existe bel et bien des "petits" Murnau. Une donnée simple invalide déjà ce jugement péremptoire : sur les 21 titres signés par Murnau, 8 sont considérés comme perdus, soit la majorité de ceux précédants Nosferatu (1921), auxquels s'ajoutent L'expulsion (1923) et Four devils (1928), l'un des 4 films américains de l'auteur (chose amusante : sur imdb, toutes ces pièces manquantes ont tout de même reçu chacune au moins une vingtaine de notes, sûrement venant de cinéphiles ayant prit leurs rêves pour des réalités). De l'aveu même d'un des responsables de la Fondation Murnau, interrogé en 2004 par Positif, il ne faut d'ailleurs pas trop espérer tomber un jour sur un trésor enfoui, le cinéaste semblant avoir réalisé à ses débuts des oeuvres tout à fait conventionnelles.

    A côté des grands classiques, parmi les films méconnus et récemment restaurés, La découverte d'un secret (1921) avait bénéficié d'une diffusion sur Arte, il y a de cela plusieurs mois. J'avoue ne pas en avoir retenu grand-chose. Fantôme (Phantom) a un peu le même statut mineur mais s'avère beaucoup plus intéressant. Sortie à la suite de La terre qui flambe et de Nosferatu, il n'a certes pas la grandeur de ses deux immédiats prédécesseurs, ayant un peu de mal à faire oublier sa longueur et son aspect "bavard". C'est peut-être le prix à payer pour un scénario complexe (adaptation de Thea von Harbou), moins pour son déroulement que pour le nombre élevé de protagonistes, soit une bonne dizaine, tous très importants. Des transitions remarquables permettent les échanges et les passages d'un groupe à l'autre, tissant ainsi un réseau serré (voir la belle séquence du dancing, où le héros tombe par hasard sur sa soeur).

    L'histoire de ce Lorenz Lubota, écrivain amateur rendu à moitié fou par un coup de foudre dont il ne pourra jamais profiter, nous est racontée par lui-même s'imposant comme thérapie d'écrire un livre sur ses malheurs. Personnage aussi énervant que fascinant, Lorenz semble vivre dans un autre monde que son entourage (on le voit plongé dans ses lectures dans le misérable appartement familial). Aveugle devant tous les pièges tendus vers lui, il n'a pas le caractère du pigeon classique, bête ou crédule. Il fantasme sa vie. Cela donne des séquences étonnantes, où l'on pressent qu'il va se ridiculiser totalement ou passer pour un fou, en ne se rendant jamais compte qu'il agit à l'encontre de toute logique. L'acteur, Alfred Abel, a la quarantaine bien tassée, ce qui produit un effet étrange lorsqu'on le voit courir après les jeunes femmes ou côtoyer un frère et une soeur bien plus jeunes que lui. De même, sa sortie de prison, suppose-t-on, des années après, le montre inchangé. Tout cela s'accepte quand on a bien à l'esprit que nous sommes face à un récit déroulé par Lorenz, comme un rêve. Il est alors logique qu'il se projette en lui-même, gardant son âge.

    Ce subtil décalage, ce sentiment de cauchemar, Murnau le fait naître avec finesse, utilisant très peu les figures habituelles de l'expressionnisme, tendant plutôt vers un grand réalisme des décors et des attitudes. Une lumière somptueuse, tant pour éclairer les intérieurs que les rues, retrouve ses éclats dans une copie restaurée parfaite. La précision technique (profondeur de champ, mouvements de caméra ou montage) du cinéaste est ici, une nouvelle fois, marquante.

    Une source d'information sur les films perdus de Murnau : Encinémathèque

  • La saveur de la pastèque

    (Tsai Ming-liang / Taiwan / 2005)

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    Diffusion sur Arte, demain soir (Mercredi) à 22h55.

    6614dad9b0283309fbe3e85810dac3d9.jpgLégèrement en retrait avec ses précédents longs-métrages (Et la-bas quelle heure est-il ?, 2001 et Goodbye Dragon Inn, 2003), Tsai Ming-liang revenait au top avec cette Saveur de la pastèque, quasiment du calibre de ses grandes réussites des années 90. Comme dans The hole (1998), le réel y est troué par des séquences de comédie musicale, dans un rapport moins évident mais avec un art des transitions intact (la plus belle voit ainsi la chanson de la femme-araignée raccorder sur Lee Kang-sheng allongé sur la "toile" du filet de protection de l'escalier). Et à nouveau, une histoire d'amour y est rendue bouleversante par son impossible épanouissement physique.

    Cette fois-ci, Tsai fait de son personnage principal un acteur porno (Lee Kang-sheng, donc, acteur de tous les films du réalisateur depuis leurs débuts communs en 92 : encore plus fort que Truffaut/Léaud). La saveur de la pastèque permet donc au cinéaste d'aborder à son tour frontalement le problème de la représentation du sexe, sujet autour duquel il tournait souvent auparavant. De ce point de vue, cela commence d'ailleurs très fort. Après le plan-séquence initial, une scène de cunnilingus par pastèque interposée provoque un trouble certain par le mélange de crudité et de distance qui se dégage des images. L'entre-jambes de l'actrice cachée et le report des gestes obscènes sur le fruit, nous donnent l'illusion de finalement ne voir que ça : le sexe féminin. Ainsi se déroulera le film jusqu'à une fameuse séquence finale, dérangeante et ouverte à bien des interprétations. Rudesse, tristesse, malaise, mais beauté aussi (voire une lueur d'espoir) accompagnent ces derniers plans sur les visages en plein orgasme ou sidérés.

    Gardant l'esthétique radicale des longs plans muets et très composés, le film s'éloigne de l'allégorisme trop rigide à l'oeuvre dans Goodbye Dragon Inn. Ici, les pistes de réflexions se font plus complexes, la trame narrative plus solide. L'incroyable ton burlesque de Tsai Ming-liang est aussi de retour, par exemple lorsque des crabes se débattent dans la cuisine. Les acteurs-têtes brûlées se jettent à corps perdus dans cette histoire (Lee Kang-sheng en tête, qui vieillit, ce qui veut dire que nous aussi...). Une scène magnifique sur un portique laisse entendre la seule phrase que l'héroïne dira à son "amoureux" : cette question ("Tu vends toujours des montres ?") qui fait alors remonter en nous tout le cinéma passé du grand Tsai.

  • Primrose Hill

    (Mikhaël Hers / France / 2007)

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    743fe8d3fd722beab77d92ed9eb85eb0.jpgPrimrose Hill est un moyen-métrage d'une petite heure. Quatre jeunes gens, dont on ne saisit pas tout de suite la nature des rapports, marchent dans les rues ou les parcs et parlent de tout et de rien mais beaucoup de musique. Parallèlement, une cinquième personne, qui aurait fait partie auparavant de cette petite bande, évoque l'un de ses rêves. Nous apprenons que nous suivons en fait un groupe de pop (que nous ne verrons jamais jouer). La caméra les précède dans leurs balades, filmées tout en longueur et en épousant avec fluidité les sinuosités des paysages traversés. A mi-chemin, on en quitte la moitié, pour retrouver plus loin les deux restants dans la chambre de la fille. S'ensuit une scène d'amour simple et belle, tournée d'un seul trait, sans coupe ni recadrage du début à la fin. Puis le garçon rentre seul chez lui.

    De l'adolescence à l'âge adulte, Mikhaël Hers observe cet entre-deux, ce passage aux limites particulièrement floues. Surtout, plus qu'un film sur la musique, Primrose Hill est un film sur le rapport intime que chacun entretient avec elle. Notons que celle-ci n'envahit pas la bande son mais s'entend en des endroits bien précis : pour la lancée de la marche des quatre (sur la version de Karen des Go-Betweens par les très regrettés Little Rabbits), plus tard lors d'une partie de foot improvisée et enfin au moment primordial du passage à l'acte, qui doit ici absolument se faire avec la musique adéquate. Un dialogue savoureux, à trois, sur la pertinence ou non de jouer à la fois de la pop ciselée avec ce groupe et de la chanson néo-réaliste avec les "Gavroches Plutonium" nous reste d'autant plus dans la tête qu'il est accompagné d'un contrechamp silencieux sur le regard, à cet instant énigmatiquement tendre de la quatrième du groupe, assise à l'écart. Finalement, au-delà des qualités de mise en scène, ce qui nous touche peut-être le plus dans ce film, c'est simplement ce bref échange autour de ces questions : Pourquoi autant parler de musique quand on se retrouve à deux ? Et est-ce que parler d'un disque ou d'un groupe cela suffit pour parler de nous ?

    Un grand merci à Joachim qui, par une très belle note plus travaillée et évocatrice que celle-ci, a informé ses lecteurs de l'existence et de la diffusion sur France 2 de ce petit bijou.

  • Thomas est amoureux

    (Pierre-Paul Renders / Belgique / 2000)

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    7bd9b321facaba134a714c63f264351a.jpgL'intérêt et l'originalité de Thomas est amoureux, premier long-métrage de son auteur (qui a apparemment signé en 2006 Comme tout le monde avec Chantal Lauby, G. Melki et Th. Lhermitte, titre qui ne m'évoque rien du tout), reposent entièrement sur un principe de départ radical : de la première à la (presque) dernière image, nous épousons exactement le regard du héros, dirigé vers son écran d'ordinateur. Tout le film n'est composé que de la succession de conversations par visiophone entre Thomas, dont la voix nous guide sans que jamais nous ne le voyons, et ses interlocuteurs. Le cadre est donc rigoureusement déterminé par les webcams de ces derniers. Le procédé est revendiqué d'emblée par une introduction animée étonnante qui nous entraîne dans une partie de cyber-sex avec un avatar numérisé. L'époque du récit n'est pas précisée mais semble être celle d'un futur assez proche. L'une des qualités du film est de rendre crédible les innovations techniques, les décorations des intérieurs et les costumes, en les montrant encore relativement proches des nôtres.

    Pierre-Paul Renders a fait de son Thomas, en quête d'une âme-soeur qui resterait derrière son écran, un agoraphobe incapable de sortir ou de laisser entrer qui que se soit chez lui. Ce choix justifie ainsi le récit d'une vie uniquement rythmée par les connexions et permet quelques scènes assez comiques lors des passages des livreurs ou réparateurs dans le sas d'entrée de l'appartement. Le handicap de Thomas, qui a bien réussi dans la vie en tant que concepteur informatique, l'a poussé à se faire prendre en charge entièrement pas une compagnie d'assurance. Celle-ci subvient à ses besoins, lui offre un psy et bien plus encore. Elle gère finalement toute sa vie et va jusqu'à intervenir dans son intimité-même. Là se pointe le défaut majeur du film : quasiment chaque scène, comique ou plus grinçante, nous martèle un message sur la déshumanisation des rapports humains ou sur la mise en place d'une société technologique et liberticide. La dernière demie-heure est de ce point de vue assez lourde malgré un joli dernier plan. L'autre faiblesse, moins gênante, de Thomas est amoureux est la conséquence directe du parti-pris de départ : l'impression d'un défilé de sketches, que l'on pourrait imaginer diffusés sur Canal+ par exemple, ne s'évanouit pas totalement avec le temps, malgré l'émergence de quelques personnages attachants.

    Cela dit, l'objet est singulier, parfois touchant, plutôt drôle et arrive par instants, entre deux messages d'alerte appuyés, à parler de cette fascination que l'on peut éprouver quand quelqu'un nous adresse paroles et regards par écran interposé.

  • Je vais bien, ne t'en fais pas

    (Philippe Lioret / France / 2006)

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    f273458b2709c6c24f95b60513f5b1ea.jpgDésolé, je vais encore faire mon rabat-joie. Et pas seulement pour le plaisir de nager à contre-courant, car j'aime bien Philippe Lioret. Il se trouve simplement que selon moi, son plus grand succès public est venu avec son film le moins réussi et le moins singulier. Tenue correcte exigée (1997) et Mademoiselle (2001) (je ne connais pas son premier long-métrage : Tombés du ciel, 1993), prouvaient qu'il était encore possible de faire en France des comédies de qualité, basées sur une écriture soignée et une direction d'acteurs solide. Lioret avait ensuite été aussi habile sur le terrain du romanesque avec L'équipier(2004). Ce cinéma est un cinéma de personnages, fouillés et attachants, au sein duquel le réalisateur filme tranquillement, préférant la fluidité et les petites touches aux grands éclats.

    Dans Je vais bien, ne t'en fais pas, avec son ton plus dramatique, distillé dans le cadre d'une chronique plus réaliste et actuelle, ces qualités se retournent contre le film. On sent tout du long les efforts de chacun, du metteur en scène aux acteurs, pour faire passer beaucoup d'émotion, tout en jouant la retenue. Certes l'interprétation est plutôt de bonne qualité, mais évitons de crier au génie dès qu'un comique se lance dans un rôle dramatique et ne nous pâmons pas à chaque fois qu'une révélation féminine s'impose à l'écran, car les performances de Kad Merad et Mélanie Laurent ne font jamais oublier les beaux personnages façonnés précédemment pour Elsa Zylberstein, Jacques Gamblin, Sandrine Bonnaire ou Grégori Derangère. Surtout, malgré son sujet, le film n'arrive pas à se débarrasser d'une certaine gentillesse. Témoins les quelques apartés pour détendre l'atmosphère comme le gag des grillades prenant feu ou les scènes trop faciles autour du patron macho et raciste du Shopi. On ne sait trop si il faut louer cette fois le scénario. Si la progression narrative paraît d'abord assez subtile, faisant bien resentir l'absence du frère disparu et déplaçant ainsi l'intérêt vers l'itinéraire de Lili, la révélation finale, déjà énorme en elle-même, est provoquée par deux ficelles bien grosses. De même, les scènes de confrontation avec les médecins et les infirmières sont d'une lourdeur rédhibitoire et l'évolution du personnage de Julien Boisselier est toute tracée. Lioret navigue ainsi entre conventions scénaristiques et touches plus discrètes. Mais la recherche de la sobriété, de ce petit décalage, de cette petite vérité qui fait sortir des rails, ne fait cette fois-ci qu'accuser l'aspect corseté de l'ensemble.

  • Êtes-vous Antonioniste ?

    a0540a2fe1945209bc19ecbdd62ee408.jpgTiens, v'la l'week-end...

    La reprise récente en salles de Zabriskie Point et une note à ce propos cette semaine chez Neil, donne envie de se pencher sur la filmographie de Michelangelo Antonioni. Même principe qu'avec celle de Tim Burton, voici mes préférences :

    **** : L'avventura (1960), L'éclipse (1962), Profession reporter (1975)

    *** : Chronique d'un amour (1950), La dame sans camélias (1953), La nuit (1961), Le désert rouge (1964), Blow up (1966), Zabriskie Point (1970)

    ** : Femmes entre elles (1955), Identification d'une femme (1982), Par delà les nuages (1995)

    * : -

    o : -

    Pas vus : Les vaincus (1952), Le cri (1957), La Chine (1972), Le mystère d'Oberwald (1980)

    Cinéma difficile d'accès que celui d'Antonioni, qui demande beaucoup de disponibilité. La récompense est toutefois presque toujours au rendez-vous : on se souvient ainsi longtemps des magnifiques fins respectives de L'avventura, de L'éclipse, de Profession reporter ou de Zabriskie Point. Je pense avoir commencé par L'éclipse, vu il y a bien longtemps à la télévision et qui est resté depuis mon préféré, pour son ambiance très étrange, pour Vitti et Delon, pour cette façon de filmer la ville et les objets, pour ces scènes incompréhensibles à la bourse, pour son noir et blanc. Autant que vers l'apothéose des années 60, il faut se tourner aussi vers les oeuvres de la décennie précédente. Chronique d'un amour et La dame sans camélias sont deux films remarquables, irradiés par la beauté de Lucia Bose.

    A vous de commenter...

  • Caché

    (Michael Haneke / France / 2004)

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    683010964243b23f8759605998dc9cd6.jpgCaché était diffusé hier soir sur Arte, occasion pour moi non de le revoir, mais de l'évoquer ici brièvement. J'ai un rapport très simple avec les films de Haneke, soit ils me fascinent assez, soit ils m'énervent profondément (seul exception : Funny games, que je placerai dans l'entre-deux). Celui-ci m'a suffisamment impressionné pour que je le considère, de loin, comme le meilleur du cinéaste.

    Tendu et fort. Ce sont les mots qui viennent à l'esprit. Dès le premier plan est introduit un principe qui sera source de tension grandissante : l'incertitude pesant sur le statut de l'image que l'on voit (vidéo enregistrée ou réalité du film), incertitude qui redouble celle de l'identité de l'auteur des enregistrements. Après un moment de mise en place où l'on doit se re-habituer au style frontal et froid de Haneke, le film décolle avec le dîner entre amis et la découverte du lien avec le passé du personnage d'Auteuil. Suivent alors les stupéfiantes rencontres avec Maurice Bénichou, les scènes de ménages du couple où Binoche nous rappelle quelle grande actrice elle est, et la disparition du fils.

    Michael Haneke n'a pas son pareil pour lier une réflexion sur les images à des problèmes moraux ou politiques. L'idée de l'événement insignifiant qui provoque tant de soubresauts induit une profondeur psychologique abyssale, en termes de responsabilité notamment. Le film se clôt avec une audace sidérante : rien n'est dénoué, les suspects ont niés, les derniers dialogues sont inaudibles, la piste de l'infidélité n'est pas refermée... En nous forçant à aller chercher nous mêmes les moindres informations à la surface de ses plans, Haneke nous fait cogiter comme personne.

  • Le bannissement

    (Andrei Zviaguintsev / Russie / 2007)

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    8d9f579dc636391188f68e12eafe2634.jpgJe tiens Le retour pour l'un des plus grands films de ces dernières années et par conséquent pour le plus impressionnant début de carrière de cinéaste depuis l'an 2000. Quatre ans après, Andrei Zviaguintsev revient avec Le bannissement (Izgnanie) mais peine à retrouver l'état de grâce initial. Si la déception est au bout de ces 2h30, précisons immédiatement qu'elle naît surtout d'une trop grande ambition, celle d'offrir un récit empruntant les bases de la tragédie antique et, partant de là, rejoindre Bergman ou Tarkovski sur les cimes. Pour tenir ce pari impossible, posséder un extraordinaire sens plastique ne suffit pas toujours. Il faut que l'incarnation soit au rendez-vous et que quelque chose vibre dans toutes les compositions. Zviaguintsev avait réussi cela dans Le retour, en développant dans le cadre d'un récit déjà quasi-mythique un drame familial intense, physique et inquiétant.

    Dans Le bannissement, le poids de la tragédie fige bien souvent les personnages et les acteurs (qui ne sont pas mauvais mais le prix d'interprétation obtenu à Cannes par Konstantin Lavronenko est un peu téléphoné et Maria Bonnevie n'est pas inoubliable). Les dialogues sont rares mais à chaque fois très lourds de sens. Cette histoire de couple en crise qui décide de se retirer à la campagne et se trouve un peu plus bouleversé par l'aveu d'une grossesse adultère, Zviaguintsev choisit de ne pas la situer précisément dans le temps ni dans l'espace. Signes passéistes et modernes se côtoient dans ce monde peut-être en guerre ou proche d'une catastrophe redoutée, un monde en suspens, où tous semblent attendre que quelque chose arrive, où une maladie peut foudroyer en quelques heures, où une tromperie débouche directement sur l'avortement et la mort.

    C'est surtout lorsque le silence règne, ou mieux encore, lorsque monte cette musique religieuse, que le cinéma de Zviaguintsev se libère vraiment de la pesanteur. Annonciateurs des retours réguliers dans le récit du frère mafieux (finalement le personnage le plus intéressant), ces chants, pourtant eux aussi si chargés de sens, enveloppent des séquences magistrales. Dans ces moments-là, disons que l'auteur quitte le théâtre pour se diriger vers ce qu'il aurait dû privilégier entièrement : une dimension proprement fantastique. Registre dans lequel il serait certainement très à l'aise, lui qui peut nous gratifier parfois de magnifiques effets de "sauts temporels" dans un unique plan. Peut-être aurait-il dû aussi pousser plus loin encore vers la spiritualité, assumer franchement son goût pour la religiosité, afin de se détacher du dilemme moral pour nous mener ailleurs. Deux plans séquences, d'une beauté sidérante, osent s'affranchir ainsi du scénario : celui qui suit la formation d'un ruisseau et celui filmé de l'intérieur de la maison dont on ferme portes et volets après le drame. A propos du scénario justement et pour ajouter du poids du bon côté de la balance, saluons l'audace du dernier segment du film, long flash-back déviant brutalement la ligne narrative suivie jusqu'alors et faisant bien plus qu'éclairer les événements d'un nouveau jour.

    Mes Frères, pardonnons donc les pêchés d'orgueil d'Andrei et prions pour un grand troisième film...

  • Gozu

    (Takashi Miike / Japon / 2003)

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    9bcfc66601a84940a85e4cfba8e94615.jpgDeuxième rencontre en quelques mois avec Takashi Miike, japonais hyper-prolifique, s'étant taillé en 10 ans une solide réputation là-bas et ici de cinéaste culte (donc : méfiance). La vision de Audition (1999) m'avait été assez pénible. Commençant de façon très calme pour se terminer dans le gore, le film s'ingéniait à tromper le spectateur. Les premiers signes de basculement dans la folie de l'héroïne étaient assez flippants (j'ai encore en mémoire cet appartement et ce gros sac au contenu remuant et indéterminé) et débouchaient sur une interminable séquence de mutilation qui personnellement me fit dire : "Ils commencent à me fatiguer ces japonais qui se complaisent à filmer un pied tranché au fil à couper le beurre mais qui ne peuvent pas montrer le moindre poil pubien". Une fin à tiroir, réalité / rêve / puis non finalement réalité, finissait de réduire à presque rien mes bonnes dispositions de départ.

    Refroidi mais pas découragé, j'ai tenté une seconde expérience avec Gozu, film assez réputé et très différent du précédent (Miike changeant régulièrement de registre pour chacun de ses 4 ou 5 longs-métrages tournés chaque année). Disons-le de suite, je ne suis plus refroidi, je suis glacé. Gozu est un film-rêve dans lequel un yakuza chargé d'éliminer son boss voit le cadavre de celui-ci disparaître sans explication pour se rematérialiser ensuite à travers le corps d'une belle femme. Au gré de séquences incongrues, si l'on peut certes penser à Lynch, à Cronenberg et pourquoi pas à Bunuel, c'est bien pour se lamenter devant la langueur du rythme, la laideur d'une photographie baignée de teintes orangées, l'impossibilité d'élever le mauvais goût vers la subversion, la mise en scène à la va-vite se contentant de quelques plans aux procédés très voyants (discussion filmées de très loin, derrière une vitre ou d'un plafond etc...), et l'emploi du grotesque virant régulièrement au ridicule. Moins sombre que Audition, Gozu n'inquiète jamais vraiment, gardant quelques traces de comique (supposé) jusque dans ses moments les plus trash, tel cet affrontement entre le héros et le chef de clan se terminant par la mort de ce dernier, celui-ci ayant bêtement oublié qu'il avait un ustensile de cuisine enfoncé dans l'anus (c'est le seul moyen qu'il a d'avoir une érection pour honorer ses partenaires féminines) et qu'il pouvait tomber en arrière dans la lutte. Voilà, voilà... que dire ? Une séquence assez intéressante, lors de la première nuit passée avec la femme Aniki, doit beaucoup à Cronenberg et le dénouement, interminable lui aussi, doit beaucoup à Lars von Trier (la femme qui accouche d'une homme dans The Kingdom). Bon, je crois que je n'aime pas tellement le cinéma de Monsieur Miike. Un petit tour rapide ce matin dans les archives de gens de bonne compagnie m'a laissé entrevoir des avis nettement plus bienveillants (Neil sur Gozu, Orlof sur Visitor Q). Je ne classerai donc pas encore le dossier sans suite.