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(Chronique dvd parue sur Kinok)
Dans le court document proposé en supplément sur ce DVD, on entend Françoise Fabian, sur le tournage, louer son metteur en scène en ces termes : "il fait un cinéma d'Auteur". Quelques instants plus tôt, André Delvaux soulignait la triple nationalité de son film. En effet, Benvenuta est une production européenne de prestige, confiée à un artiste alors reconnu... et elle n'en possède que les défauts (excepté, il est vrai, celui, malheureusement courant, du non-respect des langues de chacun : ici, les voix et les accents sont les bons).
Auteur, donc, André Delvaux l'est assurément. Mais avec cette adaptation d'une nouvelle de la romancière flamande Suzanne Lilar, il est tellement sûr de son sujet, il se voit tellement près de ses préoccupations de toujours, de sa sensibilité surréaliste, de son attirance pour le rêve et la fiction, qu'il se contente de livrer une plate illustration. Il prend appui sur ses dialogues, ses décors, ses acteurs, mais il ne leur insuffle aucune vie. Ainsi, de ces derniers, nous ne voyons que le travail et jamais nous ne percevons, derrière les masques, les personnages. Des numéros se succèdent : aux plissements des yeux et aux gestes de Vittorio Gassman répondent le regard intensément noir et les jeux de bouche de Fanny Ardant.
Surjouée à chaque instant, cette histoire est celle d'une passion. Cet amour absolu est posé sans préavis dès le début du récit et toute évolution nous est refusée. Il faut donc s'accrocher, tenter de se persuader que derrière le faux et l'artificiel, se niche l'étrangeté. Peine perdue.
Deux niveaux de réalité se superposent pour faire naître, finalement, un effet de miroir. Se superposent mais ne se fondent pas, chaque élément apporté restant indépendant des autres. Prenons le délire mystique. Chez Buñuel, il est une source infinie d'ambiguïté et véhicule toutes sortes d'interrogations. Dans Benvenuta, il ne provoque qu'une question : le personnage de Vittorio Gassman est-il sincère ou non ? Jamais nous ne sommes vraiment mis dans les dispositions pouvant nous amener à penser qu'il puisse être à la fois le converti et le manipulateur. En élargissant au film entier, la même remarque est à faire. Malgré le glissement de la fiction à la réalité, opéré à la suite du personnage de la romancière qui passe progressivement, dans son récit, du "elle" au "je", les points de bascule entre les différents niveaux restent inopérants. De l'un à l'autre, si contamination il y a, elle ne concerne que le style apprêté, la joliesse et l'indifférence. Film musical sans musicalité, Benvenuta donne à voir un nivellement : le trivial et le poétique y sont également guindés.
Prisonnier du littéraire, ce cinéma est parfaitement académique, aussi dépourvu de vie que le sont ces panoramiques sur le mobilier agencé soigneusement par l'ensemblier. Pour admirer l'intégration de vedettes à une trame rêvée par André Delvaux, mieux vaut revoir Un soir, un train, réalisé quinze ans plus tôt. Le rêve, alors, éveillait. Ici, il plonge dans le sommeil le plus profond.
BENVENUTA
d'André Delvaux
(Belgique - France -Italie / 105 mn / 1983)

LA DERNIÈRE PISTE (Meek's cutoff)
La critique "officielle" se voit assez régulièrement brocardée sur nos sites, blogs et autres forums cinéphiles (dès que l'on écrit un peu sur le cinéma, on a tôt fait de trouver plus "conformiste" et "institutionnel" que soi) pour ne pas passer sous silence ses efforts les plus méritoires. Le hasard a fait qu'en ce mois de juin deux éditoriaux à la teneur bien singulière ont été publiés respectivement dans les Cahiers du Cinéma et dans Positif.

ANIMAL KINGDOM
THE GREAT ECSTASY OF ROBERT CARMICHAEL
1999 : Derrière les couvertures des Cahiers consacrant leurs films respectifs, se lisent les propos de Jia Zhang ke, Philippe Garrel, Pedro Almodovar, Luc et Jean-Pierre Dardenne, Jim Jarmusch (Ghost dog), David Lynch et Abbas Kiarostami. L'année est d'ailleurs particulièrement riche en entretiens puisque l'on y trouve également ceux réalisés avec Paulo Rocha (Le fleuve d'or), Alexeï Guerman (Khroustaliov, ma voiture !), Thomas Vinterberg (Festen), Philippe Grandrieux (Sombre), Dario Argento (Le fantôme de l'Opéra), Vincent Gallo (Buffalo 66), Pascal Bonitzer (Rien sur Robert), Catherine Breillat (Romance), Aki Kaurismäki (Juha), David Cronenberg (eXistenZ), Raoul Ruiz (Le temps retrouvé), Noémie Lvovsky (La vie ne me fait pas peur), Hong Sang-soo (Le jour où le cochon est tombé dans le puits), Emmanuel Finkiel (Voyages), Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (Sicilia !), Harold Ramis (Mafia blues), Kiyoshi Kurosawa (Charisma et Cure), Solveig Anspach (Haut les cœurs !), Hélène Angel (Peau d'homme, cœur de bête), João César Monteiro (Les noces de Dieu) et Frederick Wiseman (Public Housing). Par ailleurs, François Cluzet, Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Terence Stamp, Paolo Branco et Agnès Godard sont de même rencontrés. Des analyses portent sur Fin août, début septembre, Psycho (Gus Van Sant), New Rose Hotel (Abel Ferrara), Buena Vista Social Club (Wim Wenders), La lettre (Manoel de Oliveira) et Le projet Blair Witch (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez), des portraits d'Anna Thomson, Jacques Gamblin ou Asia Argento sont dressés, les vingt ans du festival des Trois continents de Nantes sont fêtés, un retour sur Hitchcock est effectué et un hommage à Robert Kramer est publié. Toutefois, 1999 est bien sûr l'année Kubrick, celle de sa disparition et de la sortie d'Eyes wide shut. Les Cahiers en rendent largement compte.
Quitte à choisir : Les deux se tiennent... Débutée sur les chapeaux de roue avec deux films également renversants de jeunes cinéastes, l'année, après un étrange passage à vide en février (deux titres très moyens), déroule de part et d'autre ses belles rencontres, souvent les mêmes, sans fausse note. Enfin presque : n'y avait-il pas moyen de choisir une autre photo et un autre titre que ce Rêves un peu pâteux pour honorer Kurosawa ? Si, sûrement... Allez, pour 1999 : Avantage Cahiers.

LE GAMIN AU VÉLO
LE GOÛT DE LA CERISE (Ta'm e guilass)