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Film - Page 54

  • La charge de la huitième brigade

    Walsh,etats-unis,western,60s

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    La charge de la 8ème brigade, titre français inadéquat - comme souvent pour les westerns - du beaucoup plus pertinent A distant trumpet, est le dernier film signé par Raoul Walsh. Sa découverte se révèle malheureusement particulièrement décevante. Le métier du cinéaste sauve tout juste l'œuvre du ratage total. Ici, une grande bataille est fort bien mise en espace. Là, une scène d'amour dans une grotte séduit par la franchise et la simplicité de son érotisme. On s'étonne cependant du peu de soin apporté à certains détails : un trucage mal réalisé pour la découverte des corps des fugitifs enterrés vivants, un plan d'éclair assez hideux pour signifier l'orage, le recours grossier à des cascadeurs déguisés en femmes pour jouer des prostituées se castagnant avec leurs clients...

    Mais si le film est un échec, la raison est à chercher en premier lieu du côté du scénario. Mal fichu, reposant sur des dialogues ne brillant guère par leur originalité, empruntant quantité de pistes sans en fouiller correctement aucune, il ne progresse que par une succession de rebondissements, si nombreux et systématiques qu'ils en deviennent totalement gratuits, déconcertant le spectateur au même titre  que le héros à qui l'on annonce de temps en temps qu'untel n'est pas au rendez-vous ou qu'un autre est en fait, contre toute attente, ici-même.

    A partir d'un tel matériau, la vitalité, la truculence de Walsh finissent même par se retourner contre lui. La nuit de fête que les soldats du fort passent avec les filles de joie se termine, comme je l'ai évoqué plus haut, par une bagarre générale. Alors que la danse bat son plein, on entend un "Une fille m'a piqué mon portefeuille !" et, aussitôt, dans la seconde, tout le monde se met à se taper dessus. C'est donc ainsi que le récit avance, jusqu'à une série absurde de surprises dans les dix dernières minutes.

    A côté d'une romance contrariée, constituant peut-être le meilleur aspect du film, les deux thèmes principaux sont les aléas de la vie militaire et le changement du regard porté sur les indiens. Or les ambiguïtés qui s'en dégagent ne semblent pas naître d'une réflexion approfondie mais d'une suite de maladresses dans la construction dramatique. L'armée apparaît d'abord comme un corps en déliquescence, affligé par l'ennui provoqué par la fin des guerres indiennes, puis comme un groupe d'hommes vaillants et compétents. Datant de 1964, le film, sur la question indienne, se doit au moins de ne pas être simpliste mais l'engagement dont il fait preuve n'apparaît pas très honnête. Les quelques indiens effectivement maltraités sont les éclaireurs de l'armée (celui que l'on suit particulièrement, White Cloud, était, nous dit-on, "un grand chef") et le véritable crime, forcer, en contradiction avec la parole donnée, toute une tribu à marcher sans répit jusqu'à une lointaine réserve, n'est pas montré à l'écran. Ce que l'on retient donc en priorité, ce sont ces images de soldats torturés et ces scènes de bataille dans lesquelles des dizaines d'indiens tombent de cheval comme des mouches sous les tirs de l'US Army.

    Si, à tout cela, on ajoute les trompettes envahissantes de Max Steiner ainsi qu'une distribution pour le moins inégale, on peut alors difficilement conclure à autre chose qu'à un Walsh négligeable.

     

    Walsh,etats-unis,western,60sLA CHARGE DE LA 8ème BRIGADE (A distant trumpet)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 113 mn / 1964)

  • Serbis

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    On ne peut pas dire que Serbis manque de vie. Au contraire, Brillante Mendoza la répercute à l'excès, et la laisse envahir chaque plan jusqu'à déborder. Ce qui frappe tout de suite, c'est l'incroyable porosité existant entre l'intérieur et l'extérieur. Dans ce vaste cinéma porno vit une famille assez nombreuse, aux limites aussi floues que celle du lieu qu'elle a investi. Les murs du bâtiment laissent passer tous les bruits de la ville qui l'entoure, donnant au film un texture sonore inédite, mais aussi, en bien des endroits, ils laissent entrer la lumière du dehors. Des brèches signalent la décrépitude et provoquent des intrusions  (un voleur puis une chèvre), des portes entrouvertes permettent de s'adonner au voyeurisme (les déshabillages et les étreintes sexuelles sont filmés comme à la volée, à la fois frontalement et subrepticement), un hall d'entrée très aéré donne l'occasion à toute une population plus ou moins interlope de pavaner, de traîner et de reluquer.

    Malgré la modestie de ses moyens, Serbis ne manque pas non plus d'ambition. Brillante Mendoza effectue la radiographie d'une société. S'il semble se focaliser, en plus de cette famille, sur des groupes marginaux, l'évantail est plus large qu'il n'y paraît (cette ouverture est sensible notamment dans tout ce que met en jeu l'histoire de la grand-mère propriétaire des murs en instance de divorce) : Serbis est un vrai film choral. L'un des soucis est cependant que l'attachement aux personnages se fait très difficilement. De plus, Mendoza, tout indépendant qu'il soit, donne à voir des enchaînements entre les divers micro-récits qui ne paraissent pas moins appliqués, mécaniques et répétitifs, que ceux que l'on peut subir dans de plus confortables et académiques productions.

    Plus généralement, les provocations du cinéaste (pipes dans les recoins, services rendus entre homos, furoncle sur la fesse, chiottes à déboucher), le recours à différents registres (de l'hyper-réalisme au burlesque) et le petit effet final (la pellicule qui se consume) fatiguent plus qu'autre chose. Si le suivi des déambulations permet de saisir la complexité du lieu, de se repérer à peu près dans ce labyrinthe, le film relève tout de même du grand foutoir. La mise en scène, basée sur l'usage d'une caméra portée fouineuse, est énergique mais particulièrement confuse, enregistrant le cabotinage parfois pénible d'acteurs non-professionnels et peinant à tisser un fil narratif suffisamment solide. Serbis donne l'impression qu'il pourrait ne jamais s'arrêter...

    Certes, tout cela est vivant, insolite, à l'image du lieu choisi pour situer l'action, mais l'intérêt s'effiloche rapidement. Brillante Mendoza a fait mieux ailleurs, probablement (John John, Tirador, Kinatay... ?), assurément (Lola)...

     

    serbis00.jpgSERBIS

    de Brillante Mendoza

    (Philippines - France / 90 mn / 2008)

  • La chevauchée des bannis

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    C'est un western bien singulier que nous avons là, une œuvre surprenante, qui le devient de plus en plus au fil de son déroulement. Cela tient tout d'abord à son scénario, à sa construction très particulière, mais également à la vigueur et la netteté de la mise en scène d'André De Toth.

    Le début de La chevauchée des bannis pose un problème moral fort, un conflit entre fermier et cowboy, envenimé par la présence d'une femme entre les deux. A travers cet affrontement annoncé se lit le thème de la mort d'une certaine idée de l'Ouest, le passage à une autre époque, le dépassement de la loi du plus fort et du plus rapide qui provoque la mise sur le côté de bien des pionniers.

    Blaise Starrett est de ceux-là. Ayant réussi des années auparavant à maintenir l'ordre à coups de revolver, à nettoyer sa toute petite ville pour mieux assurer la tranquilité et la prospérité de celle-ci, le voici en conflit avec ceux qu'il a protégé tout ce temps, suite à son refus borné devant la pose de barbelés sur son passage. Le personnage campé par Robert Ryan est buté, explosif, peu aimable. Il annonce, tel qu'il est introduit par De Toth, la tonalité très noire qui va envelopper tout le film.

    La première partie détaille l'engrenage menant à un inéluctable (et déséquilibré) duel. On y passe vite de l'extérieur à l'intérieur pour rester enfermé dans le saloon où se joue le drame. Le temps semble s'étirer, les scènes paraissent de plus en plus lentes, presque répétitives. Mais brusquement, le récit bascule et le film avec lui. Une irruption détourne le cours de choses de manière radicale, au point que l'un des deux antagonistes va disparaître quasiment de l'écran.

    Un groupe de hors-la-loi en fuite et chargés d'or vient d'investir le village et il tiennent dès lors la vingtaine d'habitants sous leur coupe. Les figures sont aussi typées qu'inquiétantes, vraiment glaçantes pour certaines. Dorénavant, nul ne peut quitter les lieux sans risquer de se faire descendre d'une balle dans le dos et les quelques femmes résidentes sont menacées de passer de sales quarts d'heure. L'introduction n'était donc un leurre qu'en apparence : le sur-place, l'emprisonnement, la claustrophobie étaient inscrits dès le départ dans la matière du film. L'espace autour du hameau est gigantesque mais enserré par le froid et la neige, barrière naturelle s'ajoutant à celle mise en place avec les rondes des assaillants. C'est aussi un glacis esthétique qui recouvre l'ensemble.

    Cette brisure irrémédiable infligée au récit entraîne vers un tourbillon de violence, une suite de morceaux de bravoure orchestrés par De Toth. Un pugilat prend des allures de massacre, une soirée de danses celle d'une série de viols. La brutalité des gestes et la tension sous-jacente (on ne cesse de parler de "tenir ses hommes"), font que l'on "voit" des choses plus terribles que ce que l'on nous montre réellement. C'est également la conséquence des choix de mise en scène : l'alternance des plans rapprochés décuplant la violence et des plans très larges laissant entendre le silence assourdissant de la nature lors de la première séquence en question, les panoramiques circulaires très rapides suivant les danseurs insatiables et menaçants dans la seconde.

    Pour briser le cercle de la violence, il faut alors un sacrifice, et celui qui autrefois réglait tout par l'usage des armes et qui a pris conscience qu'il ne valait finalement guère mieux que ces renégats a lui-même cette idée. Une ultime bifurcation narrative s'impose donc et le dernier tiers est consacré à un périple dangereux mais libérateur. La violence reste présente mais à un autre niveau. S'exerçant maintenant loin des petites maisons où se réfugient les femmes et les enfants, elle se fait plus allégorique, presque fantastique, dans un enfer blanc qui épuise les chevaux, les pattes enfoncées dans la poudreuse, le corps fumant. Dans le groupe, les éliminations se font les unes après les autres, de plus en plus sidérantes. Ce dernier mouvement est très musical, ce qui contribue à renforcer encore son étrangeté, les instruments s'étant tenus jusque-là très en retrait sur la bande son, brillant même, le plus souvent, par leur absence.

    La chevauchée des bannis propose donc une saisissante montée en puissance et entame en quelque sorte, avec une bonne dizaine d'années d'avance, la réflexion sur la violence que conduiront ensuite des cinéastes aussi divers que Sam Peckinpah, John Boorman, Wes Craven...

     

    dayoutlaw00.jpgLA CHEVAUCHÉE DES BANNIS (Day of the outlaw)

    d'André De Toth

    (Etats-Unis / 88 mn / 1959)

  • Somewhere

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    - Tiens... on dirait que la chasse est ouverte. Chacun y va de son petit mot cassant à l'encontre de la jeune et riche héritière.

    - Oui et bien ne comptez pas sur moi pour y participer !

     

    Une défense de Somewhere, en écoutant les Strokes.

     

    Is this it

    Ce qu'il faut retenir du déjà fameux premier plan du nouveau film de Sofia Coppola, ce n'est peut-être pas tant le manège répétitif de la Ferrari noire de Johnny Marco que son arrêt soudain devant nous, sans raison particulière.

    Végétant à l'hôtel Château Marmont de Los Angeles, la star ne se lance dans des projets ou ne se soumet qu'à des activités qui, immanquablement, tournent court. Suivre une belle blonde en décapotable n'aboutit à rien, partir en balade mène à la panne de voiture, se lancer dans une partie de jambes en l'air provoque l'endormissement, accepter de se faire masser par un homme entraîne une inquiétude insurmontable. Il n'est alors pas étonnant qu'un aveu attendu, si important, soit formulé mais pas entendu, recouvert qu'il est par le bruit d'un hélicoptère. La remise d'un prix en Italie apportait pourtant la promesse d'un dépaysement libérateur mais là aussi, le discours de remerciement est court-circuité par un numéro berlusconien de danseuses sexys et, l'insatisfaction étant la même à Milan qu'à Hollywood, une nouvelle fuite s'impose.

    En s'inscrivant dans ce registre, en ponctuant la quasi-totalité de ses séquences par ces petites déconvenues, en les stoppant là où le mouvement s'arrête, contrarié, Sofia Coppola prend le risque de la déception. L'exercice est d'autant plus périlleux que, notre point de vue devant épouser celui du héros, l'image ne doit pas trop stimuler l'œil ni le son ambiant trop flatter l'oreille (ainsi, les scènes avec les stripteaseuses laissent entendre les crissements des mains sur les barres et maintiennent la musique à l'arrière-plan sonore, non mixée, sortant directement du lecteur CD posé à terre). La cinéaste doit donc faire preuve de discrétion sans trop abdiquer pour autant sur le terrain de la forme.

    Room on fire

    Sofia Coppola a toujours eu le talent de transformer une suite de saynètes en touchant récit impressionniste. Cet art de la vignette s’adapte parfaitement au sujet choisi car il concourt à relayer la perception fragmentaire du personnage principal. Celui-ci, dont les emplois du temps sont dictés par une invisible assistante, ne cesse de voir les choses lui échapper, se dérober progressivement. Et nous avec. Nous apercevons subrepticement une voiture accidentée sur le côté, nous croisons des jolies blondes interchangeables, nous imaginons des paparazzi en planque dans des 4x4, nous lisons des textos haineux et non signés… autant de flashs sans explications.

    C'est la simple présence de sa fille Cleo qui va aider Johnny. Oh, les choses changent à peine mais suffisamment, elles prennent une forme plus nette et une plus grande consistance. Sans Cleo, ce que Johnny peine à faire, c'est trouver matière à accrocher son regard. Il est important que les spectacles des deux filles dans la chambre encadrent celui que donne Cleo au skating. Devant le show érotique, Johnny s'endort, son regard ne tient pas, alors que l'exercice de sa fille le ravit, ouvrant grands les yeux et ne se laissant pas distraire par son portable.

    Tous ces plans rapprochés sur Stephen Dorff, excellent au demeurant, se justifient ainsi. Son regard, que l'on sent progressivement se renouveler, est notre relai. C'est l'un des nombreux côtés wendersiens de Somewhere, le souvenir le mieux ravivé étant celui d'Alice dans les villes, la présence de la jeune fille et la tentation du road movie aidants.

    First impressions of earth

    La dernière séquence reprend l'idée du court-circuit, sciemment provoqué cette fois-ci lorsque Johnny stoppe sa voiture sur le bas-côté. Il s'avance alors et semble enfin soutenir du regard une ligne de fuite.

     

    Quatre remarques complémentaires :

    - C'est Truffaut ou Godard qui disait que c'était aux cinéastes d'origine ouvrière de s'intéresser aux ouvriers ? Apparemment, de nos jours, il est devenu, aux yeux de beaucoup, indécent de ne filmer que ce que l'on connaît.

    - Je me demande comment peut-on, dans une critique du film, rapprocher autant de fois Somewhere de Lost in translation tout en faisant descendre la note de 4 sur 5 à 0 sur 5.

    - Je préfèrerai toujours les tics du cinéma indépendant US à ceux du cinéma d'auteur français.

    - Lorsque Sofia Coppola réalisera réellement un mauvais film, nous pourrons encore fermer les yeux et écouter la bande son.

     

    somewhere00.jpgSOMEWHERE

    de Sofia Coppola

    (Etats-Unis / 97 mn / 2010)

     

  • Mardi, après Noël

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    C'est l'histoire banale d'un adultère, aujourd'hui, à Bucarest. Mardi, après Noël est un film douloureux car il crée une intense proximité avec le spectateur. Ce qui se passe sur l'écran, on pourrait le toucher du doigt, tant cela semble tout près. Pourtant, nous ne sommes pas sous l'emprise d'une mise en scène de l'urgence, de l'intervention, où une caméra nerveuse et accrocheuse se collerait sous le nez des acteurs, mais devant une esthétique du plan séquence transparent. Transparent dans le sens où le plan sert avant tout à enregistrer, sans chercher à contraindre ou à signifier trop lourdement. Si un personnage est isolé dans le cadre ou repoussé dans le flou de l'arrière-plan, il ne le reste pas assez longtemps pour que l'évènement prenne la valeur d'un discours esthétique, d'un marqueur de style. Nous avons simplement le sentiment fugace d'un délitement.

    A partir de là, c'est peu dire que le film ne porte pas de jugement et que Radu Muntean ne propose pas une étude psychologique. Ses personnages sont là, c'est tout. Nous ne parlerons pas de réalisme mais de présence, d'évidence et de vie. La femme, placée devant le fait accompli de l'adultère par le mari a ses mots aussi banals qu'imparables : "Cela devait arriver puisque c'est arrivé." En fait, nous ne le réalisons qu'après coup mais nous n'avons finalement vu durant tout ce film que des situations archétypales, des passages obligés pour toute histoire de tromperie conjugale : le prélassement dans les bras de l'autre, la rencontre fortuite entre les deux femmes, l'escapade sur un coup de tête, la révélation du secret, la rupture... Le petit miracle du film est que ces scènes parviennent à avoir le goût de l'inédit.

    Cette réussite tient à plusieurs facteurs, savamment dosés. L'interprétation est sans faille, l'écriture est d'une belle finesse et, surtout, le rythme qui gouverne les plans séquences est d'une extraordinaire précision. Avec simplicité, il se cale sur les dialogues, d'apparence anodine sans être ennuyeux, peut-être légèrement condensés par rapport à la vie réelle, afin de préserver l'énergie des séquences. C'est un film de conversation, un constat sur le couple qui dit tout d'une vie sans presque rien avancer, une vue en coupe éclairée d'une lumière bergmanienne. C'est aussi, encore une fois, une très bonne nouvelle cinématographique venant de Roumanie. 

     

    mardiapresnoel00.jpgMARDI, APRÈS NOËL (Marti, dupa craciun)

    de Radu Muntean

    (Roumanie / 99 mn / 2010)

  • Du plomb pour l'inspecteur

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    Afin de mettre le grappin sur l'auteur du sanglant hold up auquel nous avons assisté quelques minutes plus tôt, la police organise la filature de la poule du malfrat. Pour expliquer la situation à ses hommes, le lieutenant étale sur son bureau un plan de l'étage de l'immeuble où crèche la fille. Le bâtiment est construit en U. Deux longues ailes s'y font face, dans lesquels se trouvent respectivement l'appartement ciblé et la planque des policiers. Un court segment relie les deux ailes principales par un côté, là où est situé l'ascenseur, point de passage obligé de tout notre petit monde. Le topo du lieutenant est clair et concis. La caméra le valide par une plongée à la verticale sur le bureau.

    La scène est des plus classiques, totalement inscrite dans le genre, mais elle en dit ici un peu plus que d'habitude. Elle dit que le film noir, c'est un traitement spécifique de l'espace et Du plomb pour l'inspecteur est de ce point de vue un modèle.

    Hormis quelques échappées dans la rue et le quartier environnants, l'action est cantonnée dans les deux appartements se faisant face dans cet immeuble, dans les passages qui y mènent (ascenseur, escalier), dans les espaces qui les relient (couloirs). Ce lien concret se double de celui, abstrait, que crée la surveillance en elle-même, à l'aide des jumelles et des outils d'écoute téléphonique, entraînant logiquement le film sur le thème du voyeurisme. Nous sommes en 1954 et la même année Alfred Hitchcock signe Fenêtre sur cour.

    Loin d'être un spécialiste du genre, Richard Quine manie pourtant avec assurance les codes et les figures imposées. Sa gestion des décors, aussi bien extérieurs (l'ambiance nocturne et humide, le rythme quasi-documentaire) qu'intérieurs, est remarquable. Organisant d'incessants déplacements qui donnent leur énergie motrice à ce récit confiné dans quelques lieux, il sait exactement prendre le temps qu'il faut pour les accompagner, les rendant ainsi réalistes.

    A cette maîtrise de l'espace s'ajoute la finesse de l'écriture. Le scénario est fort bien cisellé, détaillant l'engrenage avec précision et préparant avec intelligence les futurs arborescences du récit. Prenons pour exemple l'effet miroir que provoque la construction de cette relation entre le collègue du héros et la deuxième fille, voisine directe de la première. La trouvaille de scénariste est parfaitement relayée par la mise en scène, jusque sur le plan architectural. C'est ainsi que la densité du réseau est assurée autour du thème principal : la corruption d'un policier par une suspecte.

    La relation "secondaire" entre le jeune flic et l'infirmière est vue comme saine, par opposition à la première, entre le policier mûr (et bientôt pourri) et la protégée du truand, qui s'est construite sur un mensonge (certes dépassé par la suite). Ici encore, la tentation vient de la femme mais le soupçon de misogynie s'efface rapidement car il s'avère que l'homme ne vaut pas mieux devant l'appât du gain, bien au contraire. Surtout, la noirceur générale est atténuée par la profonde humanité des personnages et par la sensibilité de Quine (auteur de nombreuses comédies, musicales ou non, dont la délicieuse Ma sœur est du tonnerre, tournée l'année suivante). Le cinéaste tire de belles choses de Dorothy Malone (la voisine infirmière), de Fred McMurray dans le rôle principal du flic torturé (brièvement) par la morale, et surtout, il révèle à ses côtés l'inconnue Kim Novak, femme fatale de 21 ans gardant toute son innocence et ayant cette idée lumineuse de porter ses pulls moulants sans le moindre sous-vêtement.

     

    pushover00.jpgDU PLOMB POUR L'INSPECTEUR (Pushover)

    de Richard Quine

    (Etats-Unis / 88 mn / 1954)

  • Signes particuliers : néant, Walkover & La barrière

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    (Chronique dvd parue sur Kinok)

    Les trois premiers longs métrages de Jerzy Skolimowski forment une série d'essais pour trouver l'expression la plus juste et la plus fidèle possible d'une subjectivité. Au début des années soixante, dans un pays, la Pologne, au passé si présent, le but du jeune cinéaste est celui-ci : proposer un regard neuf sur le contemporain. Neuf, forcément, parce que singulier, unique, ayant une orgine précise, assumée, affirmée. Cette ambitieuse volonté le mène vers des impasses mais fait aussi naître en lui de superbes intuitions. Le parcours est donc aussi personnel qu'inégal et les films prennent toute leur valeur à être regroupés. Ils paraissent plus grands collés les uns aux autres que séparés - contrairement aux suivants qui souffriront moins d'être détachés du reste de l'œuvre.

    Andrzej Leszczyc, l'étudiant de Signes particuliers : néant, n'a pu, en quatre ans, se résoudre à choisir le moindre sujet pour valider son diplôme. Rattrapé par l'armée et le service militaire qu'il avait évité jusque là, il est brutalement mis au pied du mur et doit, provisoirement, tout quitter. Mais ce tout n'est pas grand chose et sa dernière journée en civil a moins le goût amer de la perte que celui de la révélation de la futilité environnante. Amis magouilleurs et machistes, compagne indifférente, petit chien adorable auquel on s'attache un moment mais qu'on laisse sans trop de pincement au vétérinaire lorsqu'on le dit atteint par la rage. On parle de divorcer mais est-on même marié ? Dans ce vide existentiel, il n'est guère étonnant de voir Andrzej donner constamment aux gens qu'il rencontre de fausses identités, au gré de son humeur.

    Il n'est d'ailleurs guidé que par elle et comme le film épouse totalement son point de vue, elle nous guide à nous aussi, spectateurs entièrement à sa merci. De longs plans séquences en caméra subjective scandent ostensiblement la déambulation et de cette ligne directrice capricieuse surgit un film décousu, heurté, aussi stimulant qu'agaçant, tantôt charmant, tantôt fumiste. Jerzy Skolimowski réalisateur, scénariste et acteur principal se lance un défi : filmer la vie, celle qui nous glisse entre les doigts, exactement comme il la perçoit lui-même, sans médiation. Pour ce faire, il n'hésite pas à en mettre, s'il le faut, plein la vue, comme avec ce plan séquence du début, quasiment wellesien dans sa démesure. "Je voudrais être entraîné quelque part malgré moi, tout en pouvant exercer mon libre arbitre malgré tout", dit Andrzej à un reporter l'interrogeant en pleine rue. Programme difficilement réalisable mais qui, après tout, laisse entrevoir une issue. De fait, très dynamique, la fin du film propulse effectivement vers autre part et annonce un changement.

    Une fille sur un quai et Andrzej dans le train : Walkover reprend les choses là où Signes particuliers : néant les avait laissé, en ne maintenant dans l'ombre que le temps du service militaire accompli entre les deux trajets ferroviaires. Les deux films sont donc indéfectiblement liés et s'éclairent l'un l'autre d'un jour nouveau, ce qui nous fait dire que pour réussir Walkover, Skolimowski devait impérativement en passer par Signes particuliers. L'équilibre y est en effet mieux tenu entre l'objectif et le subjectif, délaissant le procédé un peu grossier de la caméra subjective pour le remplacer par des pauses bien marquées lors desquelles nous nous retrouvons les yeux dans les yeux avec Andrzej.

    Poursuivant le mouvement amorcé dans le final de Signes particuliers, Skolimowski passe de la marche à la course. Il passe au jazz, à la boxe, à la lutte. Il n'y a pas beaucoup plus d'événements dans Walkover que dans le précédent, mais le rythme est haletant. Des travellings s'emballent tout à coup, prennent soudain de la vitesse pour accompagner les déplacements syncopés du héros. Et quand ce ne sont pas ses courses, ce sont les entrées et les sorties de champ, les interventions inattendues, les apparitions incongrues (une vache, une chèvre), qui dynamisent de façon extraordinaire les plans séquences. Parmi ceux-ci, les moins mobiles sont aussi concernés. Qu'ils soient concentrés sur un coin de commissariat ou d'appartement, ils laissent régulièrement advenir le parasitage de l'action première par des éléments secondaires, comme un poste de radio qui changerait de station tout seul. De plus, le soin apporté aux transitions (par les mouvements des corps, la lumière...) permet à chaque plan d'entraîner le suivant. Ainsi, l'impression de virtuosité un peu gratuite s'efface et une incroyable énergie est maintenue d'un bout à l'autre du film, sans jamais fléchir.

    Cette plus grande maîtrise s'exprime également à travers la personnalité d'Andrzej, plus résolu que dans sa première aventure. Plus résolu mais pas moins ambigu. Son statut social paraît toujours aussi flou : vaguement étudiant, vaguement ingénieur, vaguement boxeur professionnel ? Cette indécision se propageant aux autres personnages, les relations qui s'instaurent prennent vite le goût de l'insolite. Entre homme et femme, notamment. Andrzej a avec sa collègue rencontrée à la gare des échanges qui laissent penser, dès le début, qu'ils ont une vie antérieure commune plus étoffée qu'ils ne le laissent paraître. Leurs propos dépassent alors l'énonciation de formules sur le mal être moderne et en deviennent plus profonds. Bien sûr, cela ne suffit pas encore totalement : les êtres et les choses n'offrent toujours pas de prise et des jeunes femmes continuent de se jeter sous les trains ou les voitures. Mais au moins, il y a ce désir de boxer, de lutter, de courir.

    Avec La barrière, Skolimowski opère un changement esthétique radical et convoque une autre forme de subjectivité, abandonnant, pourrait-on dire, celle du témoin pour exprimer celle de l'Artiste. Il n'est plus, ici, devant la caméra et a donc tout le loisir de soigner sa mise en scène, comme jamais auparavant. Il tente là, déjà, son 8 1/2 à lui, son sur-film dans lequel toutes ses obsessions personnelles se retrouvent (de la "trahison" de l'université aux traces de la guerre, du goût pour les divers moyens de transport à celui des décors détournés de leur usage premier), mais pour se voir intégrées à une forêt de symboles, à un réseau obscur dans lequel il est parfois difficile de se retrouver, tant de clés semblant nous manquer, notamment concernant toute une imagerie chrétienne.

    Se faisant, le cinéaste se déconnecte de la réalité. Les décors ne sont plus seulement déplacés (comme avant avec ces promenades amoureuses sur les chantiers ou dans les usines) mais stylisés à l'extrême. L'introduction du film est un leurre : ce que l'on croyait être une séance de torture en temps de guerre n'est qu'un jeu entre étudiants de l'université. Au restaurant, extraordinaire séquence, dansant avec son amie devant un poster maritime, le héros s'exclame : "Tout ceci n'est pas vrai". Le cinéaste se déconnecte de la réalité mais il la reconfigure. Il montre une réalité rêvée, par lui.

    Une fois ce fait admis, La barrière devient plus agréable, plus attachant, et ses délires visuels s'acceptent mieux. Il sort du cadre du grand film d'auteur très composé et un peu prétentieux que sa première partie laissait craindre. Mais ce changement de regard a une explication supplémentaire. En effet, la bascule se fait suite à la rencontre avec une jeune femme, une conductrice de tram (occasion de confronter encore une fois étudiants et jeunes ouvriers), qui, progressivement va même prendre en charge le récit, au détriment de l'homme. Paradoxalement, c'est donc dans le plus étudié, le plus abstrait, le plus formaliste de ces trois films que se développe la relation homme-femme la plus touchante. Et c'est dans le plus réflexif, le plus refermé sur lui-même que l'on trouve la touche finale la plus optimiste.

     

    neant00.jpgwalkover00.jpgbarriere00.jpgSIGNES PARTICULIERS : NÉANT (Rysopis)

    WALKOVER (Walkower)

    LA BARRIÈRE (Bariera)

    de Jerzy Skolimowski

    (Pologne / 76 mn, 78 mn, 83 mn / 1964, 1965, 1967)

  • Christophe Colomb, l'énigme

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    Après avoir été assidu durant toutes les années 90, je suis devenu depuis dix ans, et pour des raisons essentiellement pratiques, très infidèle au cinéma de Manoel de Oliveira (ma dernière expérience remontait au Principe de l'incertitude). Je ne sais trop si cela est dû à la longueur de cette parenthèse, mais j'ai ressenti une étrange sensation devant ce Christophe Colomb, l'énigme. La sensation que l'on me montrait non pas la découverte d'un nouveau monde, comme pourrait le faire croire le titre, mais au contraire, tout un tas de choses sur le point de disparaître. Plus encore, le film s'évertue à se construire sur une série d'absences, de refus, d'impossibilités. De l'insertion de vieilles vues documentaires en noir et blanc pour visualiser le port de Lisbonne aux cadrages des personnages déambulant dans la ville en contre-plongées accentuées (de manière à ce que nous ne voyons derrière eux que le haut des différents bâtiments), la mise en scène affirme d'emblée la vanité de toute tentative de reconstitution d'un passé de toute façon impossible à retrouver. De très belle manière, dans ce même but, Oliveira filmera l'arrivée de deux émigrés portugais à New York en 1946 dans un brouillard épais qui empêche d'embrasser du regard les éléments de reconnaissance tels que la Statue de la Liberté ou les buildings de Manhattan. Devant ces images, nous en venons à nous demander si ce n'est pas la fin de son propre cinéma qu'Oliveira est en train d'essayer de fixer sur pellicule. Mais ce n'est pas tout, le scénario lui-même redouble ce manque. L'enquête historique qui prend forme peu à peu se heurte constamment à l'absence de traces, au silence étonné des interlocuteurs. Décidément, l'appartenance de Christophe Colomb à la terre portugaise est une thèse bien difficile à soutenir. Et finalement, aucune preuve ne sera réellement avancée, nous laissant, chose rare au cinéma, aux côtés d'un chercheur qui n'aura eu que sa foi à mettre en avant.

    Bien évidemment, il y a quelque malice à entretenir ainsi ce faux mystère. Cette malice préserve ce film triste du lugubre. Elle est perceptible en plusieurs endroits : dès que l'on a connaissance de l'argument-supercherie de départ, lorsque le cinéaste laisse s'exprimer le bonheur conjugal d'un jeune couple fraîchement marié de manière un peu trop vive pour ne pas laisser poindre une touche d'ironie ou quand on voit Oliveira se mettre en scène lui-même dans la seconde partie du film.

    Je viens de parler de faux mystère. Cela ne concerne que cette idée d'un Christophe Colomb qui aurait en fait été citoyen portugais. Le film, lui, est réellement énigmatique, par sa construction d'ensemble (deux parties séparées et très différentes), ainsi que par plusieurs détails (comme la présence dans de nombreux plans d'une jeune femme muette et invisible aux autres, allégorie de l'âme et de l'histoire portugaises). Les ellipses déroutent et les transitions sont souvent étranges, se faisant par le chevauchement d'un plan sur l'autre par la musique ou le dialogue (qui se poursuivent malgré le décalage provoqué par le changement d'espace). Ailleurs, comme je l'ai évoqué plus haut, c'est le brouillard qui fait tenir les plans entre eux.

    Le récit est scindé en deux parties. En un clin d'œil, un champ-contrechamp sur deux rives de l'Atlantique enjambe l'Océan et quarante sept années d'existence. Seulement, l'écart ainsi créé est à mon sens trop grand. Trop de distance entre les âges, entre les comédiens (Oliveira et sa femme eux-mêmes succédant à Leonor Baldaque et Ricardo Trêpa), entre la sensation du passé et celle du présent (qui se distingue d'abord par l'agression sonore). Cette seconde partie est muséale, bavarde, touristique, très faible en regard de la première, souvent d'une grande beauté. Certes, Oliveira ne dévie absolument pas de sa ligne narrative, intègre en quelque sorte à son discours cette dépréciation, et ponctue son œuvre sur une jolie évocation de la saudade. Cela ne m'empêche pas de regretter ce fléchissement final très marqué.

     

    Un autre point de vue à lire chez Eeguab.

     

    colombenigme00.jpgCHRISTOPHE COLOMB, L'ÉNIGME (Cristovao Colombo, o enigma)

    de Manoel de Oliveira

    (Portugal - France / 75 mn / 2007)

  • Old joy

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    Saleté de grippe ! Essayons tout de même de reprendre une activité normale...

    La présence, en tête d'affiche, du chanteur folk Will Oldham m'avait fait retenir ce titre au moment de sa sortie en salles en 2007. Ma curiosité fut attisée encore un peu plus après la découverte du film suivant de la réalisatrice, Kelly Reichardt, le beau Wendy et Lucy.

    Old joy raconte à peine une histoire. Un homme, bientôt père de famille, retrouve un ami solitaire, perdu de vue depuis un moment. Ce dernier lui propose d'aller camper et marcher en montagne. Les deux hommes partent donc, se perdent un peu, retrouvent leur chemin, accèdent à la source qu'ils cherchaient puis rentrent chez eux le lendemain.

    Film indépendant très typé, Old Joy apparaît assez nettement sous influences. Avec son récit relâché d'une confrontation avec la nature, il n'est pas sans évoquer le Gerry de Gus Van Sant ou le Blissfully yours d'Apichatpong Weerasethakul. Et comme dans un bon vieux Jarmusch des 80's, les longs travellings automobiles latéraux balayant des paysages industriels et pavillonaires sont réhaussés par des notes de musique (ici celle du groupe Yo La Tengo), procédé aussi agréable que légèrement facile. L'épilogue, détaché du reste mais aussi peu dramatisé, a lui aussi quelque chose d'attendu dans la suspension qu'il provoque. Sans renvoyer explicitement à une œuvre particulière, il ne nous semble guère original.

    Heureusement, derrière ces apparences, parvient à percer de ci de là, entre des dialogues à l'intérêt restreint, la singularité de Kelly Reichardt. Pas de doute, la nature est là, sa présence est rendue remarquablement. La photographie capte admirablement le changement de lumière lors du passage du jour à la nuit, ce qui donne quelques très belles séquences, au centre du film : l'obscurité envahissant l'espace, les deux amis commencent à avoir l'impression de tourner en rond sur ces petites routes désertes de montagne. Ce basculement progressif d'un monde à l'autre est calme et légèrement inquiétant. La cinéaste sait d'ailleurs parfaitement faire naître la potentialité d'une menace avec rien, à peine un regard, un bruit, une phrase, une lumière. Remarquons toutefois que c'est aussi le refus farouche du moindre événement dramatique qui nous met ainsi en alerte, en attente. 

    Malgré le déplacement de point de vue s'opérant en cours de route, de l'un à l'autre des personnages, nous ne saurons jamais vraiment ce qui s'est joué entre ces deux hommes lors de ce périple. Kelly Reichardt prend le risque de frustrer et de laisser son film glisser plus rapidement que d'autres entre nos doigts et entre les mailles de notre mémoire.

     

    oldjoy00.jpgOLD JOY

    de Kelly Reichardt

    (Etats-Unis / 73 mn / 2006)

  • Le nom des gens

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    C'est un film sympathique, assez drôle, actuel mais pas sans distance, que j'ai vu dans une salle comble plus d'un mois après sa sortie. Ce qui empêche Le nom des gens d'accéder au statut d'excellente comédie est sa mise en scène, peu personnelle (alors que le sujet traité l'est absolument mais cela a été suffisamment rabaché dans la presse pour ne pas avoir à y revenir ici). Celle-ci se fonde trop exclusivement sur une série d'idées souvent séduisantes mais qui pourraient sortir tout aussi bien du cerveau d'un Jean-Pierre Jeunet. Les récits entrecroisés des origines de Bahia et Arthur, les petites fantaisies spatio-temporelles et l'attendrissement devant certains objets du quotidien ou certaines anecdotes renvoient régulièrement vers l'univers de l'auteur d'Amélie Poulain. Mais reconnaissons bien que la plupart de ces "trucs" fonctionnent ponctuellement. J'aime assez, par exemple, l'illustration de cette incapacité qu'a Arthur de visualiser son père jeune ou cette manie que l'on a chez les Martin de n'acquérir que du matériel qui finit inexorablement par être démodé quelques mois plus tard.

    D'autres réserves viennent à l'esprit mais celles-ci peuvent plus aisément se voir "retournées". La succession de saynètes, l'impression de catalogue et les invraisemblances (la dernière partie autour de l'islamiste), les auteurs les assument certainement au nom de la fable contemporaine. De même, l'aspect décousu du récit découle de l'alternance du point de vue, les bourrasques provoquées par Bahia ayant leur répercussions jusque là. Parmi les scènes d'émotion, ma préférence va aux plus simples, à la merveilleuse façon qu'a Sara Forestier de répondre à la question de Jacques Gamblin s'étonnant de son choix de coucher avec lui alors qu'il n'est pas de droite : "Toi c'est pas pareil. Toi j'taime."

    Plus que le côté "coquin" du film (pour agréable qu'il soit, il ne se transforme jamais en autre chose, à cause du maintien du déséquilibre entre la nana délurée et le mec pudique, le désir ne semble circuler que dans un sens) c'est l'approche politique qui intéresse. Elle est plus subtile que ne le laissent entendre les journalistes lorsqu'ils mettent en exergue telle phrase sur les étrangers prononcée par l'héroïne. Ces propos sont en effet soit parfaitement intégrés aux discussions, soit, justement, gentiment pointés comme purs slogans, discours construit au fil d'une éducation et d'un militantisme particuliers. A ces sorties plus ou moins pertinentes de Bahia, les auteurs, essentiellement par l'entremise du personnage masculin, ajoutent des contre-exemples ou des nuances, de façon à éviter le manichéisme et le trop politiquement correct. Faisant cela, ils ne cherchent toutefois pas à contenter tout le monde (contrairement à Ozon et sa Potiche) ni à brouiller les pistes sur la position politique qu'ils tiennent. C'est tout à leur honneur.

     

    nomdesgens00.jpgLE NOM DES GENS

    de Michel Leclerc

    (France / 100 mn / 2010)