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Film - Page 56

  • Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch

    linsel,hoffmann,allemagne,documentaire,2010s

    Le sujet est intéressant : en 2008, Pina Bausch a souhaité reprendre son spectacle Kontakthof, créé en 1978, non pas avec sa troupe, ni avec des personnes agées (comme elle avait pu le faire en 2000), mais avec des adolescents. Anne Linsel, accompagnée du chef opérateur Rainer Hoffmann a filmé le chemin suivi par ces jeunes gens (qui, pour la plupart, ne connaissaient rien au monde de la danse) des répétitions jusqu'à la grande première, évidemment triomphale. Dans le déroulé chronologique de l'aventure s'intègrent des bribes d'entretiens avec eux.

    Comme le fait finalement Pina Bausch et ses deux principales collaboratrices pour le spectacle, les cinéastes élisent quelques personnalités parmi ces jeunes, les suivent et les font parler plus que d'autres. On remarque que leurs histoires familiales sont relativement "chargées", ce qui rend plus évidents encore, d'une part l'émergence, grâce au projet auquel ils participent, d'une certaine force de caractère, et d'autre part l'attachement du spectateur.

    Certains propos, très personnels, sont forts et émouvants, bien d'autres sont plus banals (et parfois rendus légèrement agaçants par le montage qui peut ne retenir d'une intervention qu'une ou deux phrases). C'est que l'intérêt artistique est tout entier dans la pièce et la démarche de Pina Bausch mais pas vraiment dans le film qui en rend compte. Linsel et Hoffmann ne font que relayer les thématiques du rapport au corps, du passage d'un âge à l'autre, d'une ouverture à un nouveau monde. De plus, ils ne le font pas toujours de manière très fine. Les articulations se font très didactiques : une scène imposant des caresses entraîne des échanges sur la difficile acceptation de son corps et du corps de l'autre ; une scène de larmes annonce l'évocation d'une douleur familiale.

    Sans nier l'apport émotionnel, on peut donc mégoter sur la mise en scène. L'angle choisi est assez original, la focalisation sur les jeunes retardant par exemple l'apparition de Pina Bausch jusqu'à la deuxième moitié du documentaire. En revanche, la forme l'est beaucoup moins. La progression se fait sans heurt, vers un succès programmé comme dans un feel good movie. Les portraits d'adolescents sont bien dessinés mais le travail de la danse a été bien mieux rendu ailleurs. Appréhender ce travail ne semble ici possible qu'en faisant confiance à ce système de champs-contrechamps basé sur les regards attendris que s'échangent danseurs et chorégraphes. Se multiplient ainsi les plans de coupe de connivence, au détriment de la durée nécessaire au partage d'une sensation d'effort et de progrès.

    Une forme conventionnelle s'attache donc à un projet (à une artiste) qui ne l'est pas. Partant de là, je ne comprends pas bien comment on a pu tant vanter la simplicité de ce film estimable pour l'opposer au Pina de Wim Wenders dans le but de rabaisser ce dernier. Au moins, le cinéaste des Ailes du désir a-t-il pris des risques, opéré des choix radicaux de mise en scène, engagé une véritable réflexion sur la façon dont on peut filmer les corps dansants et, ainsi, rendu le meilleur hommage qui soit à Pina Bausch. Ses partis-pris peuvent être discutés mais ils sont assumés. On a par exemple raillé le caractère univoque des témoignages mais au moins étaient-ils mis en forme de manière cohérente, celle de l'hommage à une femme disparue. Chez Linsel aussi, les propos tenus par les danseurs et les collaboratrices de Bausch sont tous révérencieux, mais peu de gens l'ont souligné.

    Pina est un film de Wim Wenders, comme La danse est un film de Frederick Wiseman. Qui peut dire que Les rêves dansants est un film d'Anne Linsel ? C'est un film sur un projet de Pina Bausch. C'est déjà pas mal mais ça ne suffit pas à en faire un grand documentaire.

     

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    linsel,hoffmann,allemagne,documentaire,2010sLES RÊVES DANSANTS, SUR LES PAS DE PINA BAUSCH (Tanzträume)

    d'Anne Linsel et Rainer Hoffmann

    (Allemagne / 90 min / 2010)

  • Moonrise Kingdom

    anderson,comédie,etats-unis,2010s

    Wes Anderson n'est pas un cinéaste, c'est un maquettiste. Et Moonrise Kingdom n'est pas un film, c'est une maison de poupée. Il n'est pas rare, le long de ses quatre-vingt-quinze minutes, de tomber sur un plan donnant l'impression d'un modèle réduit, alors que le décor est manifestement à taille réelle, que des acteurs s'y déplacent. Cela vaut même pour certains extérieurs, les contours y étant si bien taillés que la vie paraît avoir déserté. Belle cohérence cinématographique me dira-t-on, en avançant les notions d'univers personnel, de bande dessiné et d'animation. Personnellement, je vois surtout à ce fait esthétique deux conséquences : un rapetissement et une mécanisation.

    Tout ce que touche Wes Anderson, il le miniaturise. Il raconte des petites histoires, ne filme que des petits riens, s'émeut de petits malheurs, procure de petites émotions. Réduits eux aussi, les objets peuvent s'accumuler dans le cadre tout en étant parfaitement disposés. Ce sont, la plupart du temps, des emblèmes renvoyant à une époque passée et rêvée. Un objet pourrait symboliser ce cinéma-là : le fanion, ce petit drapeau que l'on s'échange lors des rencontres sportives, bout de tissu daté du jour et pourtant totalement désuet.

    Tout ce que filme Wes Anderson, il le mécanise. Une poignée de minutes seulement, le récit devient un petit peu prenant. Lors de l'arrivée dans le camp du cousin Ben, l'agitation donne d'abord de la vigueur, puis un beau et long ralenti produit une rupture rythmique libérant enfin une pointe d'émotion. L'élan du cœur est accompagné dans sa durée et non, comme ailleurs, mis à distance, décalé ou aussitôt effacé par le découpage. Mais plus encore que le récit, faussement alerte, ce sont les personnages qui souffrent de cette mécanisation. Comme d'habitude chez notre cinéaste-chineur, ils sont caractérisés par un habit qu'ils ne quittent pas ou bien par un objet dont ils ne se séparent jamais. On insiste donc cette fois-ci sur des lunettes, des jumelles, un mégaphone... Le but est de provoquer le rire et la poésie, en même temps ou alternativement. Devant ce "comique" de répétition, j'ai surtout bâillé.

    A propos de personnages, je remarque autre chose. Celui interprété par Tilda Swinton se présente lui-même de la façon suivante : "I'm Social Services". Cette femme ne porte pas de nom. Et les autres pourraient tout aussi bien être désignés comme "le sheriff", "le garçon", "la fille"... Comment s'attacher à ce groupe de marionnettes ? Comment s'émouvoir d'une décision pleine de bienveillance comme celle que prend finalement le sheriff alors que celui-ci n'est qu'un (in)signe inamovible ?

    Ces figurines peuplent un monde étroit et fermé sur lui-même. En dehors du cadre de la caméra de Wes Anderson, rien n'existe. Pas étonnant qu'il ne filme que des maisons, des camps, des criques et des îles. Quant au maniement de l'ellipse, il n'intervient que comme clin d'œil. Tel est le cas dans la séquence de confrontation en sous-bois, pastiche du cinéma de Tarantino. Voilà une référence étonnante puisque déboulant dans un film supposé célébrer les retrouvailles avec l'innocence enfantine. Peu importe, l'enfance n'est ici qu'apparence. Les petits héros de Moonrise Kingdom sont trop bousculés par le découpage "humoristique" du cinéaste pour que leurs attitudes, leurs répliques, leurs sentiments soient réellement ceux de leur âge. Ils ne s'appartiennent pas et c'est bel et bien le marionnettiste qui parle à travers eux.

    Enfin, comme il fallait s'y attendre avec cet Auteur, l'escapade se termine sur un happy end et une nouvelle ode à la famille. Les choses rentrent dans l'ordre après la tempête purificatrice et tout est bien bouclé. La maison de poupée se referme. Nous avons profité d'une jolie chanson pop et de couleurs chatoyantes. Nous avons traversé le musée de la miniature, pas dérangé mais l'esprit ailleurs.

     

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    anderson,comédie,etats-unis,2010sMOONRISE KINGDOM

    de Wes Anderson

    (Etats-Unis / 95 min / 2012)

  • L'enfant d'en haut

    meier,france,suisse,2010s

    Le film commence dans une agitation toute dardennienne, captée par une caméra collée à un gamin fouillant dans des sacs et des vêtements de touristes skieurs, mais son intérêt ne se limite pas à sa portée réaliste, loin de là. L'enfant d'en haut, son titre le dit assez, repose sur la notion d'espace. Un espace qui est clairement délimité : en bas la vallée, en haut les pistes de ski, et entre les deux ce qui permet le passage. Bien sûr, cette façon de décrire ces lieux séparés s'accompagne d'une vision sociale : en haut les riches vacanciers de différentes nationalités glissent et bronzent en se foutant bien que quelqu'un leur vole leurs affaires puisqu'ils peuvent en acheter d'autres aussitôt (c'est le petit voleur qui le dit) tandis qu'en bas les pauvres vivotent dans des tours, illusions d'une élévation.

    La réussite de L'enfant d'en haut tient à son équilibre tenu entre ce symbolisme et ce réalisme. Ursula Meier soumet ainsi le quotidien, peu enviable, à de légères dérives menant quelques fois aux abords du conte, ce qui assure aux séquences un déroulement inattendu. Du côté social donc, nous notons la circulation incessante de l'argent et la reconduction de rapports de dépendance entre les personnes, très bien rendues. De l'autre, nous remarquons une mise en scène très centrée, au point d'être exclusive, à la limite de la vraisemblance. L'enfant, dont le regard guide le nôtre, est toujours seul lorsqu'il effectue ses passages d'un endroit à l'autre (il déroge une seule fois à cette règle et, bien sûr, des ennuis en découlent, qui lui font sentir à quel point il représente un déchet pour cette société voulant garder sa poudreuse immaculée). Sa sœur, par exemple, ne monte pas là haut (pas de nom de lieu ici, on dit habiter "en bas"), préférant voyager "à l'horizontale". On est surpris également de ne croiser aucune figure d'autorité parentale ni même institutionnelle. A nouveau, cette absence a moins une valeur de constat, représente moins une volonté de pointer une carence, qu'elle n'instaure une certaine étrangeté. Si l'inquiétude de la chute du couperet au-dessus du petit voleur est toujours présente lors de ses larcins, il y a aussi l'intuition que quelque chose de plus existe, qu'une dimension autre élève au dessus du réalisme noir et de son fatalisme.

    Tout ceci est rendu possible par la capacité qu'a la cinéaste d'établir un cadre et de le rendre expressif sans vouloir à tout prix imposer la belle image. Mais je retiens surtout son travail sur le son, dans tous les sens du terme. C'est le bruit des télécabines qui impressionne par l'alternance entre le silence (suspension temporelle et spatiale) et le vacarme des câbles et poulies au passage de chaque pylône. C'est aussi le mélange des langues dans ce lieu touristique. Ce respect d'une donnée sociologique a l'avantage ici d'alléger les dialogues, la barrière linguistique imposant la simplicité des phrases et permettant d'aller à l'essentiel sans paraître pompeux ou conventionnel. C'est enfin la musique, qui nous fait dire qu'une personne faisant appel à John Parish pour confectionner sa bande originale ne peut que nous être sympathique.

     

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    meier,france,suisse,2010sL'ENFANT D'EN HAUT

    de Ursula Meier

    (France - Suisse / 100 min / 2012)

  • Ceci n'est pas un film

    panahi,iran,documentaire,2010s

    Sous le coup d'une double interdiction prononcée par le régime qui l'empêche de tourner et de quitter le territoire, Jafar Panahi fait les cent pas dans son appartement et demande à Mojtaba Mirtahmasb, ami documentariste, de lui rendre visite afin que celui-ci le filme en train de lire et mimer le scénario d'un projet non réalisé.

    Ceci n'est pas un film : on ne pourrait trouver titre plus riche de sens par son antinomie. D'une part, montrer quelqu'un qui tourne en rond, désœuvré, chez lui, cela ne fait pas un "film". D'autre part, ce qui est montré est la réalité de la situation vécue par le cinéaste et non une fiction, un "film". Mais ces deux affirmations peuvent être également renversées. En effet, c'est un film puisque l'on y trouve un regard, un point de vue et un récit. Et c'est un film car s'immisce une interrogation sur la mise en scène du réel. Amenée par la parole de Panahi lui-même, qui évoque ses œuvres précédentes, cette interrogation contamine aussi ce projet original.

    Au départ, il y a donc cette envie de jouer devant une caméra le scénario d'un film non réalisé pour cause de censure. Un scénario qui, en toute logique, raconte l'histoire d'une claustration. Ceci n'est pas un film est donc basé sur un dispositif, comme tout bon film iranien qui se respecte. Mais il arrive un moment où ce dispositif est démasqué, repoussé, contredit, dépassé, comme dans tout grand film iranien qui se respecte. Dans l'appartement, la représentation tourne court, Jafar Panahi cédant au découragement. De manière paradoxale, à nouveau, il pensait que le spectateur pouvait imaginer ce que lui ne faisait que décrire succinctement, puis finit par se demander quel peut être l'intérêt de réaliser un film pouvant être ainsi raconté.

    Ce sont ces brusques arrêts et les nouveaux élans qui les suivent qui rendent ce film, a priori "petit", passionnant et lui évitent d'être ennuyeux (le cinéma de Panahi ne l'est jamais, d'ailleurs). Ici, pris dans le flot de sa conversation avec son ami, il a recours au DVD pour illustrer certaines des idées qu'il avance. A travers la représentation et l'explication de son scénario et ces interventions télécommande à la main et revenant sur quelques uns de ses précédents films, c'est le travail du cinéaste qui s'éclaire. Et comme souvent lorsqu'un artiste se retourne ainsi sur son œuvre, preuves à l'appui, la chose est d'un grand intérêt, cela d'autant plus que l'énergie dont fait preuve le cinéaste iranien, ajoutée à cette impression d'urgence et d'empêchement générée par ces conditions si particulières, éloigne le spectre du narcissisme.

    Dans le film, revient la question de la justesse ou de la fausseté d'un geste, d'une interprétation, et par extension de l'ambiguïté que véhicule toute image. Et même au niveau où l'on se trouve là, au "ras du quotidien", des micro-événements se "fictionnalisent" devant la caméra portée, comme lors de l'intervention d'une voisine cherchant absolument à faire garder son chien, ou bien quand un suspense né d'une déscente en ascenseur et de l'approche d'une grille séparant la résidence de la rue agitée par la Fête du Feu. Ceci n'est pas un film se termine avec ce plan, ponctuant une œuvre qui aura, mine de rien, pourrait-on dire, constamment tournée autour problème du hors-champ et de la limite. Voilà une cohérence qui provoque une sensation assez vertigineuse : cet empêchement absurde, c'est celui que subit Jafar Panahi chaque jour, c'est aussi celui qu'il a décrit maintes fois dans ses films "d'avant" et c'est enfin celui que l'on ressent si fort dans la forme même de celui-ci.

     

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    panahi,iran,documentaire,2010sCECI N'EST PAS UN FILM (In film nist)

    de Mojtaba Mirtahmasb et Jafar Panahi

    (Iran / 75 min / 2011)

  • 2 days in New York

    Delpy,Comédie,France,2010s

    Minuscule comédie linguistique et comportementale tirant plusieurs ficelles woody-alleniennes (débit mitraillette, humour de la gêne, ancrage culturel, vrai-faux narcissisme, obsessions sexuelles, blagues ethniques, décrochages onirico-comiques) sans atteindre aucune pelote, confondant vitesse et précipitation, énergie et gesticulation, prenant l'allure d'un simple enregistrement guidé par les reparties de personnages aussi malpolis que mal joués, expliquant plutôt deux fois qu'une les situations ("J'ai dû inventer une histoire", "Vous êtes l'acteur Vincent Gallo, non ?"), alignant les clichés sans les mettre en forme et décrochant le mois dernier la une de Positif (*).

     

    (*) : Michel Ciment La revue ouvrant sa présentation de la comédienne Delpy en citant Tavernier, Schlöndorff et Kieslowski, et oubliant bizarrement (ou pas) les noms des deux premiers "découvreurs", Godard et Carax.

     

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    Delpy,Comédie,France,2010s2 DAYS IN NEW YORK

    de Julie Delpy

    (France - Allemagne - Belgique / 96 min / 2012)

  • Dark shadows

    Burton,fantastique,Comédie,Etats-Unis,2010s

    Un vampire est libéré de son cercueil, deux cents ans après y avoir été enfermé et déboule au début des années 70 chez ses descendants, retrouvant à cette occasion la sorcière qui l'avait à l'époque condamné à disparaître.

    Si Dark shadows avance claudiquant, la cause n'est pas à chercher dans le décalage temporel sur lequel repose cette histoire (nous avons là plutôt l'un des points forts du film) mais plus certainement, d'une part dans le déroulement d'un scénario un poil faiblard, et d'autre part dans les quelques rechutes minant ça et là la mise en scène de Tim Burton, cinéaste-fantôme des années 2000. L'œuvre glisse sur de nombreux thèmes chers au créateur d'Edward aux mains d'argent (opposition entre deux mondes, immortalité, cupidité, part animale, enfance délaissée...) et brasse un nombre de personnages assez nombreux se plaçant successivement à côté du principal pour guider la narration. Découlent de cela des abandons de pistes et d'étranges absences prolongées (celles de Vicky dans la partie centrale empêche le spectateur d'être véritablement pris par l'amour qu'elle vit avec Barnabas). Voilà qui est regrettable car tous les personnages sont bien campés.

    Burton, lui, est toujours dans sa mauvaise passe quand il s'agit d'œuvrer dans le spectaculaire. La débauche d'énergie et les rebondissements du dénouement provoquent la fatigue plus qu'autre chose alors qu'une scène d'amour dévastatrice agace à force de mêler le grotesque et la pudibonderie. Mais force est de constater que, globalement, le cinéaste a mis la pédale douce et qu'il a été bien inspiré de s'accrocher un peu plus fermement au réel que dernièrement. On balance ainsi entre des effets grandiloquents et des touches plus discrètes, on se réjouit de la permanence d'une certaine méchanceté (étonnante ponctuation de la scène avec les hippies), on apprécie la beauté d'une ultime morsure au cou, on profite d'une nouvelle variation autour du monstre passant du statut d'objet de curiosité à celui de bouc émissaire, on s'amuse d'entendre résonner dans les enceintes le Superfly de Curtis Mayfield et le Season of the witch de Donovan, on relève une idée carrément géniale lorsque Barnabas-Depp se lamente en s'appuyant involontairement sur un synthétiseur, créant ainsi une irrésistible plainte gothique.

    L'histoire se déroule précisément en 1972, moment de l'explosion du glam rock, mouvement baignant allègrement dans la décadence, la provocation, le travestissement, l'excentricité, le macabre et la folie. Dès lors, la convocation d'Alice Cooper pour une longue séquence va au-delà du clin d'œil et n'est pas dénuée de sens. S'orchestre là une sorte de croisement idéal entre l'imaginaire gothique hammerien et les diableries pop rock, Tim Burton ayant de surcroît trouvé une bonne dynamique musicale, ses plans semblant parfois tenir entre eux par la bande son qui les recouvre.

    Je serai donc tenté de prendre Dark shadows comme un retour aux fondamentaux burtoniens plutôt bénéfique, la balance penchant cette fois-ci, comme jamais en dix ans, du bon côté.

     

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    Burton,fantastique,Comédie,Etats-Unis,2010sDARK SHADOWS

    de Tim Burton

    (Etats-Unis / 110 min / 2012)

  • I wish, nos vœux secrets

    iwish.jpg

    I wish, réalisé par un cinéaste attachant, est un film charmant et il vaut donc mieux que j'avance tout d'abord les réserves qu'il m'a inspiré afin de terminer mon texte sur une meilleure note.

    C'est une chronique de l'enfance contée à hauteur de gamin de 9/10 ans. Le fil directeur est celui qui reste tissé entre deux frères séparés, l'un vivant avec sa mère, l'autre avec son père. Leur attente est celle d'un miracle : il adviendra selon eux au point exact où les deux nouveaux trains reliant leur ville respective vont se croiser pour la première fois. Partant de là, le récit se fait impressionniste, légèrement éparpillé et s'étirant le long du quotidien. Plus qu'un dialogue à distance entre les deux frères, c'est finalement la photographie d'une petite bande qui est prise, bande à laquelle il faut aussi ajouter les parents et grands-parents.

    Reléguer les figures parentales totalement hors-champ aurait pu paraître arbitraire mais tout ce qui les concerne dans le film m'a semblé représenter la part la moins intéressante. Si l'aîné des garçons répète à plusieurs reprises "je n'y comprends rien", disons que, en regardant les adultes, nous comprenons quant à nous un peu trop facilement, les caractères étant marqués. Pour faire sentir la frontière qui existe entre le monde de l'enfance et celui des adultes, le réalisateur aurait peut-être pu creuser un peu plus l'idée de l'intrusion dans le cadre par les grandes personnes.

    Le principe du lien qui persiste est avancé avec adresse, même s'il est véhiculé avant tout par les mots, par la reprise d'un personnage à l'autre de formules. Et si on en passe souvent par une esthétique de la vignette, avec notamment des intermèdes musicaux assez commodes, ces quelques bémols n'empêchent pas de trouver la première moitié globalement plaisante.

    Et la seconde assez belle. Le petit groupe d'amis écoliers se met enfin en route pour atteindre son but, laissant les adultes derrière eux, aidés seulement par l'autre génération, celle des grands-parents. Cette aide apportée concrétise ce que l'on pressentait déjà : une connivence au-delà des mots et par-delà la génération intermédiaire se débattant comme elle peut dans la société.

    Mais ce qui fait le prix de cette partie du film, qui bénéficie également de la cinégénie du déplacement de groupe, ferroviaire ou pédestre, c'est sa résolution. L'expérience faite, qui représente le pic narratif, ne change les choses que très légèrement. Le terme d'apprentissage paraît trop fort pour ce qui est surtout une progression à petits pas, au rythme de la vie. Ni fossoyeur d'espoirs, ni générateur d'illusions, l'exceptionnel moment partagé marque une nouvelle ouverture pour ces gosses, comme pour le spectateur (qui en prend particulièrement conscience avec le dernier plan). I wish se situe dans un entre-deux étroit, celui des petites choses, comme le montre une série d'inserts semblant pointer ce qui importe dans la vie, cette somme qui naît de trois fois rien. Pour avancer, il faut s'enrichir de ce qui est passé. C'est l'un des messages du film et c'est peut-être l'un de ses principes de mise en scène (ainsi, par exemple, d'une beuverie plutôt longuette resurgira, plus tard, une décision importante).

     

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    Kore-eda,Japon,2010sI WISH, NOS VŒUX SECRETS (Kiseki)

    d'Hirokazu Kore-eda

    (Japon / 128 min / 2011)

  • Le bûcher des vanités

    bucherdesvanites.jpg

    Adapté de Tom Wolfe, Le bûcher des vanités est un film que Brian De Palma a voulu d'un comique noir et grimaçant. On retient avant tout deux choses de la vision de ce qui est sans doute l'un des plus mauvais titres d'un cinéaste très inégal : la vulgarité et la confusion narrative.

    Des dialogues scatologiques ou graveleux sont mis dans la bouche d'interprètes n'ôtant jamais leur masque, celui du rictus alcoolisé (Bruce Willis), celui du sourire tétanisé du yuppie pris au piège (Tom Hanks) ou celui de la gourmande nymphomane sans cervelle (Melanie Griffith). Ces marionnettes (les seconds rôles n'ont pas plus d'épaisseur que les premiers) s'agitent dans un monde de luxe monumentalisé par la caméra du cinéaste. Abusant des courtes focales, celui-ci s'amuse à déformer les visages jusqu'au grotesque. Il colle un plan en plongée vertigineuse à un autre en contre-plongée tout aussi extrême de manière totalement gratuite. Faisant ainsi des pieds et des mains à chaque instant, il finit par laisser le sens de ses images s'évanouir.

    A la vulgarité du style s'ajoute une conduite particulièrement maladroite du récit, grinçant dans ses articulations et pataud dans ses développements. La faillite apparaît entière lorsque l'on se pose la question du point de vue. L'histoire est supposée nous être contée par le journaliste Peter Fallow (Willis), sa voix intervenant d'ailleurs en off à quatre ou cinq reprises (le plus souvent uniquement pour verbaliser ce que l'on voit sur l'écran). Mais il arrive que la caméra "virtuose" de De Palma nous impose d'habiter quelque temps l'esprit troublé de Sherman McCoy (Hanks). A d'autres reprises encore, le surplomb "objectif" devient la règle.

    Pas plus rigoureuse que celles qui la précèdent, la dernière partie du film inflige une réconciliation familiale puis le prêche assommant d'un juge noir (Morgan Freeman assénant à l'assistance : "Be decent people !"). Tout cela après avoir passé le temps à dépeindre les oppositions inter-communautaires new yorkaises (noirs, juifs, wasps) avec la finesse d'un commando de GI lâché dans Bagdad. Après la charge, la leçon de morale (et peu importe de savoir si cette fin a été imposée ou non par les producteurs).

    Le hasard m'a fait ainsi découvrir Le bûcher des vanités juste après avoir revu The player, deux films réalisés à quelques mois d'écart et partageant de nombreux points communs : un plan-séquence-générique mémorable en ouverture, la vision acide d'un milieu précis (celui des golden boys de Manhattan ici, des producteurs hollywoodiens là), le récit de la terrible chute d'un homme parvenu au sommet, un dénouement "sauvant" le héros de manière grinçante... Partant de là, la supériorité altmanienne apparaît écrasante, tant au niveau de la fluidité stylistique que de l'efficacité dramatique. Un point les différencie surtout. Altman, à qui on reproche régulièrement (à tort) de se moquer de ses personnages, ne les ridiculise jamais. Sans même parler du principal, il n'y a qu'à comparer les figures féminines de The player (celle, touchante, de Greta Scacchi ou celle, énergique et persévérante, de Whoopi Goldberg) et celles du Bûcher (la bêtise caractérisant à la fois la femme et la maîtresse). On mesure alors parfaitement la distance qui sépare un regard s'autorisant quelques pointes ironiques mais restant honnête et un regard méprisant et moralisateur.

     

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    depalma,etats-unis,comédie,90sLE BÛCHER DES VANITÉS (The bonfire of vanities)

    de Brian De Palma

    (Etats-Unis / 125 min / 1990)

  • Bellflower

    bellflower.jpg

    La réputation, l'affiche, le pitch, l'habillage esthétique et les premières images de Bellflower sont des promesses que le premier film du réalisateur-producteur-scénariste-monteur-acteur Evan Glodell ne tient pas. Peut-être est-ce lié au fait que les personnages sont des glandeurs affichant un côté geek, des petits jeunes aimant imaginer toutes sortes de choses "trop cool" sans quitter leur quartier. Encore que ces geeks-là sont un peu particulier car ils semblent ignorer l'informatique. Ils préfèrent le bricolage, la mécanique, les objets de brocante, les véhicules anciens et les cahiers de dessin. Il est vrai que cela fait plus "Cinéma". Une vieille moto, une bagnole customisée, cela réveille immédiatement tout un imaginaire (partant de Mad Max, directement cité dans le film, le spectateur peut ramener lui-même toutes ses références).

    Mais revenons aux promesses. Un coup de tonnerre, une embardée spectaculaire, Bellflower ? Vraiment ? Mais passé le générique et avant la dernière partie, le film n'est qu'une simple romance comme on en a déjà vu des centaines, une bluette juste réhaussée de culture indépendante. Boy meets girl, what else ? Pendant une bonne heure, il faut se farcir les minauderies d'un couple n'ayant que les mots "cute" et "cool" à la bouche. Le vernis trash, les délires alcoolisés, les gueules de bois et bien sûr cette esthétique torturée n'y changent rien. On veut bien, pendant un moment, s'attacher à ces personnages de losers doués (on pense au premier tube de Beck et à son clip, très proche dans l'esprit, mais qui a l'avantage de ne durer que quatre minutes et d'avoir été réalisé il y a de cela... 19 ans) mais les filtres de couleurs, les salissures sur l'objectif et le flou envahissant des coins de l'image perdent de leur intérêt à force de nous laisser espérer que quelque chose va vraiment arriver. La pointe d'inquiétude qu'ils installent ne suffit bientôt plus.

    Le déraillement arrive donc trop tard et il déçoit forcément, trop attendu. Jalousie, tromperie, vengeance : ce n'est finalement qu'une affaire de cul qui tourne mal. On pensait basculer dans un monde étrange et plonger dans l'Apocalypse, mais nous voilà en train d'assister à des accès de violence contenus dans le cercle tracé par les cinq principaux personnages. De plus, ce dénouement s'étire dans une grande confusion narrative. Mort-pas mort ? Rêve-réalité ? (*) Le bouleversement temporel à l'œuvre ne ressemble là qu'à la mise en avant gratuite du cinéaste.

    Bellflower bénéficie d'une fantastique bande originale (mais cela relève presque du minimum syndical pour un film indé US). Toutefois, Bellflower n'est pas du tout une romance sur fond d'apocalypse. Ce n'est pas non plus une merveilleuse vision de la jeunesse (convoquer Hal Hartley comme le fit Thomas Sotinel dans Le Monde est insultant pour le génial cinéaste et dialoguiste de Trust me).

    Ou alors c'est moi, ayant de plus en plus de mal à m'enthousiasmer pour tous les futurs-grands-cinéastes qui nous sont présentés ces derniers temps par la critique ou le net. Alors qu'ils furent si nombreux dans les années quatre-vingt-dix, aujourd'hui, je ne sais même plus quel est le dernier "premier film" à m'avoir réellement touché...

     

    (*) : La reprise d'un plan précis incite à emprunter la piste du fantasme. C'est celle qu'a suivi l'ami tenancier du Ciné-club de Caen pour tourner une critique enthousiaste.

     

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    bellflower00.jpgBELLFLOWER

    d'Evan Glodell

    (Etats-Unis / 110 min / 2011)