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Film - Page 59

  • En famille (2)

    corniaud.jpgLe Corniaud n'est pas désagréable dans sa première heure y compris sous son aspect touristique (la séquence documentaire de la cadillac avançant au pas au milieu de la foule des ruelles napolitaines, les vues de Rome...), du moins jusqu'à ce qu'il se rapproche des personnages italiens, aussitôt traînés dans les pires clichés. Reconnaissons aussi que quelques gags portent.

    La mise en scène est purement fonctionnelle lorsqu'il s'agit de faire rire, elle est transparente, voire calamiteuse, dans les transitions. La poursuite automobile entre les deux groupes de truands est ainsi montée en dépit du bon sens et composée d'images en accéléré, d'horribles raccords et de plans tournés alternativement de jour et de nuit ! Elle débouche heureusement sur la scène de l'affrontement nocturne dans le parc, plutôt réussie, grâce à deux ou trois heureuses trouvailles comiques (De Funès se croyant tenu en joue par son adversaire alors qu'il n'a fait que reculer vers une statue pointant son doigt, meilleur gag du film, ou le chassé-croisé à la Tex Avery dans le tronc creux d'un arbre).

    Au bout d'un moment, le film devient tout de même franchement médiocre, jusqu'à la fin, le "retournement" vengeur du personnage de Bourvil à l'égard de ses poursuivants et de celui qui l'a trompé étant parfaitement nul. Tout du long, l'acteur est lui-même peu supportable (De Funès est inégal mais a ses intuitions). Ses scènes d'amourettes sont d'une grande niaiserie, parfois même d'une bêtise confondante.

    Mais le film fait rire allègrement les plus jeunes...

    stagecoach.jpgComme on me le fit remarquer à son terme, La chevauchée fantastique ne propose finalement "pas beaucoup d'aventures", seule l'anthologique attaque de la diligence par les Indiens pouvant être décrite comme telle. Le classique de Ford dispose une série de figures comme autant d'archétypes : la façon dont chaque voyageur est présenté au début de l'histoire, en le caractérisant avec beaucoup de vigueur et de netteté, est en cela très significative, sans même parler du cadre (la petite ville puis le désert), de la simplicité de l'argument, des différents évènements parsemant le périple.

    Du point de vue narratif, cela rend parfois le déroulement un peu mécanique mais au niveau des personnages, ces hommes et ces femmes si "typés" au départ se voient magistralement "humanisés" par John Ford. Il n'y a qu'à voir la scène du repas lors de la première halte. Ringo Kid installe en bout de table Dallas mais Mrs Mallory et son "protecteur", le trouble Hatfield, se lèvent aussitôt pour s'éloigner. Une dame de la bonne société ne saurait se retrouver assise à côté d'une prostituée. Nous voilà choqués par cet ostracisme (d'autant plus qu'au sein de ce couple attachant qui est en train de se former, Ringo pense, à tort, que c'est lui, le fugitif, que l'on repousse) et prêts à mépriser ces Sudistes sans cœur. Or, après les plaintes, dents serrées, de Ringo et Dallas, que nous montre Ford ? Mrs Mallory et Hatfield à l'autre bout de la table, évocant avec émotion et retenue un passé commun que l'on imagine douloureux même si leurs propos restent flous pour le spectateur. Le recours à l'archétype n'implique pas forcément le manichéisme.

    John Wayne en Ringo Kid apparaît jeune mais en quelque sorte déjà mûr. Le regard qu'il porte sur Dallas (Claire Trevor), fille de mauvaise vie, n'est pas naïf mais droit (il a décidé de l'aimer et ce n'est pas ce qu'il pourra apprendre de sa condition réelle qui le fera changer d'avis). Toutes les scènes, y compris les premières, les réunissant dégagent une incroyable émotion.

    La chevauchée fantastique est célèbre pour l'attaque déjà évoquée (qui garde, il est vrai, toute sa force aujourd'hui encore) et pour ses plans de Monument Valley. On y trouve aussi du théâtre avec une orchestration rigoureuse dans des espaces réduits et, en certains endroits, de beaux exemples plastiques de l'expressionnisme fordien. On y trouve aussi, dans le final, ce mouvement incroyable de Wayne plongeant à terre pour tirer, lors de son face à face avec les trois frères Plummer et une ellipse foudroyante différant notre connaissance du dénouement.

    toystory3.jpgToy story 3 est une source de plaisir continu. Il s'agit d'abord d'un film d'évasion mené à un rythme époustouflant (tout en gardant une lisibilité totale de l'action et l'espace nécessaire à l'approfondissement des personnages). Ensuite, il propose quelques images stupéfiantes, notamment lors de la longue séquence de la décharge avec ses sublimes visions de l'Enfer. La projection en 3D ne donne pas exactement le vertige mais la technique se révèle tout à fait appropriée pour ce film jouant sur l'animation de jouets et donc sur les changements d'échelle. Cette différence de perception autorise à trouver de la beauté et de l'étrangeté à un décor à priori banal ou criard comme le sont les salles de la garderie Sunnyside. Une machine vulgaire, telle un distributeur de friandises, peut de la même façon devenir un fantastique refuge à explorer.

    C'est également un film de groupe, le formidable travail d'écriture et l'invention dans l'animation permettant de développer les différents caractères sans qu'aucun protagoniste ne donne l'impression de faire son numéro au détriment de l'équipe, même lorsqu'il a son "temps fort" (et il y en a, parmi lesquels l'irrésistible histoire d'amour entre les fashion victims Ken et Barbie). Dans la duplicité de certains, dans la volonté de faire d'un nounours et d'un poupon les méchants de l'histoire, de filmer des bambins comme des monstres détruisant tout sur leur passage et de faire de Sunnyside une prison, se niche l'idée d'un retournement. Ces renversements sont grâcieusement réalisés et ne font pas verser le récit dans le second degré et l'ironie facile à destination unique des adultes.

    Dernier tour de force réalisé : développer un discours sensible sur l'adieu à l'enfance, sur la séparation nécessaire, sur la transmission et sur les valeurs d'une communauté sans tomber dans la mièvrerie. Message à tendance conservatrice, certes... comme chez Ford.

    PS : Je me souviens très mal du premier volet et je n'avais pas vu le deuxième. 

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    Le Corniaud (Gérard Oury / France - Italie / 1965) / ■□□□

    La chevauchée fantastique (Stagecoach) (John Ford / Etats-Unis / 1939) / ■■■□

    Toy Story 3 (Lee Unkrich / Etats-Unis / 2010) / ■■■□

  • Neil Young : Heart of gold

    (Jonathan Demme / Etats-Unis / 2006)

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    neilyoung.jpgEn août 2005, l'année de ses 60 ans, Neil Young remonte sur scène à Nashville après plusieurs mois d'absence, suite à une rupture d'anévrisme et un opération au cerveau. Il y joue les morceaux de Prairie wind, l'album qu'il vient de publier, ainsi qu'une poignée de ses classiques. Le concert est filmé par l'un des cinéastes sachant le mieux mettre en valeur la musique devant une caméra : Jonathan Demme.

    Demme a tout d'abord l'intelligence de faire simple. Le contexte est posé en cinq minutes, par le montage de bribes d'entretiens réalisés à la volée auprés des divers musiciens réunis autour de Young pour ce projet. Le concert peut ensuite débuter et rien ne viendra le perturber jusqu'au dernier morceau. Englobant le lever de rideau et le début de la première chanson, le plan introductif donne le ton, lent travelling avant et discrètement aérien. Demme refuse de hacher les séquences, d'étaler sa virtuosité et de s'enivrer de ses moyens techniques. Sur différentes échelles, cadrant toute la scène ou le chanteur de manière reserrée, les plans longs sont la norme (The needle and the damage done, chanson certes la plus courte du lot, tient d'ailleurs en un seul). La mise en scène se met entièrement au service de la musique, lui offrant un écrin sobre, fluide, calme, la faisant entendre au spectateur de la plus belle des manières. Les performances enregistrées par Jim Jarmusch pour Year of the horse (1997) souffraient d'être entrecoupées d'intermèdes sans grand intérêt, celle qui le fut  par Young lui-même pour Rust never sleeps (1979) ne bénéficiait pas d'une image particulièrement soignée. A ces deux tentatives précédentes, on préfère donc largement ce Heart of gold.

    Le show se déroule en deux parties distinctes (la reprise du même lent mouvement avant de la caméra qu'au début du concert signale l'ouverture du second temps), sans que l'une paraisse inférieure à l'autre. Neil Young, en effet, a toujours cette vigueur qui lui permet d'aligner de récents morceaux qui ne déparent nullement aux côtés de ses classiques des périodes précédentes. Difficile d'imaginer les Stones ou Dylan faire de même. Ici, The painter, This old guitar, Far from home et le formidable Prairie wind ont la même tenue que les impérissables Old man ou Comes a time. Le cadre (une salle mythique de Nashville), la moyenne d'âge des musiciens et les allusions de Young aux grands noms de la country ne doivent pas laisser penser à un spectacle confortablement passéiste (voire réactionnaire, selon l'étiquette qui colle abusivement au genre et à la ville). Le parcours du musicien depuis les années 60, navigant constamment entre tradition et modernité, des ballades folk aux défèrlements bruitistes, le met à l'abri d'une telle tentation. Sur scène, alors qu'il chante toujours avec la même ferveur, nous l'observons et le sentons entouré de ses multiples fantômes, souriant. Loin de l'entraver, ceux-ci semblent encore le pousser vers la vie et une création inépuisable.

     

    A lire aussi : cette note très informée et passionnée.

  • POLICIER, adjectif.

    (Corneliu Porumboiu / Roumanie / 2009)

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    policieradj.jpg- ARGUMENT, nom. Résumé, trame narrative d'une œuvre lttéraire, théâtrale, cinématographique, chorégraphique ou lyrique.

    Pendant huit jours, Cristi, un jeune policier, surveille un lycéen soupçonné de revendre du haschich. Manquant de preuves et estimant que la loi roumaine est dépassée, il s'oppose à l'idée d'une arrestation en flagrant délit qui enverrait un simple consommateur en prison. Avec l'aide d'un dictionnaire, son supérieur s'appliquera à lui forcer la main.

    - ENNUI, nom. Lassitude, abattement provoqués par l'inaction et le désintérêt.

    Les plans s'étirent et se répètent, donnant à voir la filature réalisée par Cristi. La mise en scène se cale sur son rythme. La caméra l'accompagne dans sa marche, dans ses planques, caché derrière un pan de mur, un poteau, un grillage. La journée terminée, on le voit repasser à son bureau, préparer son compte-rendu, puis rentrer tardivement chez lui où sa femme a déjà mangé depuis longtemps. Pas de musique, pas d'effet visuel, les mouvements de caméra se limitent à de sobres panoramiques suivant les déplacements des protagonistes d'un coin de rue à un autre. Dès les premières secondes, Porumboiu nous prévient de ce que sera son film et au fil du temps, il semble user de quelques provocations, tel ce long plan séquence frontal sur Cristi prenant son repas. Le cinéaste prend le risque de l'ennui, du soupir, du fauteuil qui claque. Pourtant, nous restons accrochés et très vite, on sent que du "rien" peut naître "quelque chose".

    - BORNER, verbe. Délimiter à l'aide de bornes, marquer des limites.

    Ces plans séquences donnant l'illusion d'un "temps réel" ne peuvent cependant pas être qualifiés d'interminables. Ils ont tous un terme, et souvent, un terme annoncé. L'architecture de la ville conditionne la durée des panoramiques accompagnant le suspect suivi du policier. Entre collègues ou du supérieur au subordonné, on se donne des horaires impératifs ou l'on précise le temps qu'il faut attendre : Cristi, pressé, demande, grâce à son portable, à la secrétaire qu'il attend devant la porte fermée de son bureau si elle peut arriver dans "pas plus de cinq minutes" et nous savons que nous allons devoir patienter avec lui dans le couloir ce temps-là ; le patron veut prendre le temps de lire le rapport de Cristi avant de le laisser entrer et nous savons que nous allons devoir poireauter également. Les journées elles-mêmes sont encadrées et comme remises à plat par la relecture intégrale que Cristi nous fait de chaque compte-rendu.

    - CONNIVENCE, nom. Complicité, entente secrète.

    Devant ces situations, le rire nerveux devient vite rire de connivence. La séquence, que je viens juste d'évoquer, de "l'antichambre" du chef de la police, avec sa secrétaire de mauvaise humeur tapotant sur son clavier, ce collègue demandant des journaux qu'il a en fait déjà lu, et un Cristi impassible, provoque un rire étonnant, un rire de l'attente. Plus tôt, il y a un rire de la répétition, lorsque Cristi mange seul dans sa cuisine alors que sa femme, reléguée dans le hors-champ, écoute trois fois de suite une chanson à l'eau de rose sur son ordinateur. Notons bien que la séquence va beaucoup plus loin que ce simple plaisir humoristique et qu'elle se révèle primordiale. En effet, la femme de Cristi, une fois que ce dernier l'a rejointe, se lance dans une analyse destinée à démontrer que les paroles de cette chanson ne sont pas si idiotes que cela. Non seulement le personnage est ainsi éclairé d'une façon inattendue et le dénouement du film, basé sur la sémantique, est annoncé, mais l'idée de l'anodin dégageant finalement un signification est formulée.

    - POLICIER, adjectif. Film, roman policier, dont l'intrigue repose sur une enquête menée à l'occasion d'un crime ou d'un délit.

    Certains plans nous font partager exactement le regard que porte Cristi sur le suspect et son environnement. Mais contrairement à ce qu'il se passe chez Haneke par exemple, il n'y a rien à débusquer, il n'y a que du réel, du temps. Et cela Cristi le sait, lui qui s'efforce, devant son supérieur, d'orienter l'enquête vers d'autres pistes. Pas de mystère à élucider, pas de suspense policier dans cette affaire et donc dans ce film qui se dirige plutôt vers un questionnement sur la morale, la loi et la conscience, abordé de magistrale façon dans un incroyable dénouement qui nous renverse en deux plans séquences fixes successifs cadrant trois personnes devisant dans un bureau. L'absence d'enjeux importants du point de vue narratif fait que le cheminement aboutissant à cette réflexion ne semble jamais surligné et si le récit ne s'est pas transformé en machinerie policière, Porumboiu est parvenu, à partir d'une série de séquences anodines à créer un objet cinématographique assez fascinant. On peut filmer "du vide", il suffit en fait que l'on sente une direction, un but, une idée, que l'image nous fasse une promesse...

    - CONFIRMATION, nom. Acte, fait, élément qui vient confirmer une opinion, un sentiment, une théorie, un état, etc.

    Venant après 12h08 à l'est de Bucarest, POLICIER, adjectif. (Politist, adjectiv) est le deuxième long métrage de Corneliu Porumboiu, cinéaste roumain de 34 ans.

  • L'illusionniste

    (Sylvain Chomet / France - Grande-Bretagne / 2010)

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    lillusionniste.jpgSi le film ne décante pas si mal dans mon esprit depuis quelques jours, j'avoue qu'à regret je suis resté un peu extérieur au spectacle de L'illusionniste. N'en ayant vu aucun extrait et m'étant gardé de lire la moindre critique avant d'entrer dans la salle, je fus d'abord surpris, déconcerté, de voir que Sylvain Chomet tentait de façon si littérale de faire revivre le cinéma de Jacques Tati... et l'acteur lui-même. Son Tatischeff dessiné a exactement les mêmes postures, la même raideur, le même rythme de marche saccadé, la même retenue verbale, la même politesse excessive que les personnages créés par l'auteur de Playtime. Il m'a en fait fallu un temps certain avant de faire abstraction de ce fait, comme parfois on peut se voir gêner pendant les premières minutes d'un biopic consacré à une personnalité que l'on connaît. Cette idée du mimétisme, de la performance, resurgit d'ailleurs à la fin du métrage, au moment du générique se déroulant sur fond d'une chanson dont chaque couplet est chanté "à la manière de" (tous les grands sont imités, de Brel à Brassens, en passant par Piaf, Trenet, Gainsbourg etc...). Cela peut relever de l'anecdote mais ce choix me semble assez symptomatique de la démarche de Chomet, qui n'aboutit pas selon moi à un résultat totalement convaincant.

    Je ne sais pas si le film est un succès en salles mais celle dans laquelle j'ai assisté à sa projection ne m'a pas semblé transportée outre mesure. Le cinéma de Sylvain Chomet a un tempo particulier qui peut désarçonner facilement le spectateur. Il aime prendre son temps dans la scène, l'étirer, jouer de la répétition (on se rappelle du début des Triplettes de Belleville). De ce point de vue, déjà, la rencontre avec Tati n'est pas dénuée de sens. Seulement, le scénario de L'illusionniste, avec sa trame chaplinienne, n'est pas d'une originalité folle et, une fois passé par le prisme du "style Chomet", distille parfois un ennui discret. C'est aussi que cette histoire de magicien voyant les temps changer dégage plus de tristesse que de drôlerie, la galerie de comparses artistes (clown suicidaire, acrobates réduits à travailler dans la publicité) tirant régulièrement l'ambiance vers le dépressif. Pour ne pas sombrer, il reste les plaisirs simples, suite à la rencontre du vieux magicien et de la petite bonne, d'une relation nouvelle, rafraîchissante, et qui en annonce peut-être, au final, une autre. Entre ces deux teintes, dépression et réconfort, il ne reste plus de place pour le grotesque inquiétant qui irriguait La vieille dame et les pigeons (1998), sinon dans les quelques séquences décrivant les allées et venues des pensionnaires dans le hall de cette maison d'artistes sur le retour.

    Ces réserves faites, il serait difficile de passer sous silence les qualités dont fait preuve L'illusionniste, la cohérence du projet n'étant pas la moindre. Ainsi, la brève rencontre fortuite de Tatischeff, entrant accidentellement dans une salle de cinéma, et de Monsieur Hulot (Mon Oncle sur l'écran), si elle ne produit pas un effet totalement renversant, est d'une logique imparable. Le magicien se retrouve face à son double comme Tati pouvait, dans ses derniers films, multiplier dans le plan les "faux" Hulot. Mais là où Chomet est à son meilleur, c'est dans l'animation. Par les couleurs et la lumière, il fait vivre remarquablement son cadre écossais. Surtout, il a le grand talent de savoir animer subtilement les fonds, les bords et les coins, y créant de petits mouvements qui attirent l'œil. Non pour distraire mais pour faire participer au mouvement général du plan, pour créer un cheminement du regard. Tati faisait la même chose, de manière certes plus complexe, avec ses gags visuels parfois imperceptibles. Finalement, si le pari de Chomet peut être considéré comme gagné, c'est que L'illusionniste parvient à prendre une place dans l'œuvre de Jacques Tati. Certes pas la plus essentielle, mais disons comparable à celle de ces appendices que sont Parade ou Forza Bastia.

  • Shortbus

    (John Cameron Mitchell / Etats-Unis / 2006)

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    shortbus.jpgContre toute attente, le seul intérêt véritable de Shortbus est musical, la série de pop songs que l'on y entend étant tout à fait agréable (de Yo La Tengo à Animal Collective).

    Il y en aurait bien un autre, que n'ont bien sûr pas manqué de mettre en avant la majorité des critiques au moment de sa sortie en salles en 2006 (jusqu'à en faire, tout à fait abusivement, un hymne à l'hédonisme) : voici une œuvre sexplicite, dans laquelle la chose est filmée frontalement et joyeusement. Avec humour même. Enfin, je dois avouer que voir une giclée de sperme atterrir inopinément sur un tableau abstrait ou un sex toy télécommandé rendre incontrôlable une jeune femme jusqu'à lui faire donner à chaque impulsion des coups de boule à ses interlocuteurs ne m'a pas plongé dans une hilarité délirante. D'ailleurs, si la représentation que propose John Cameron Mitchell est délestée de l'animalité morne ou de l’établissement de rapport de force, voire de la violence, accompagnant souvent ce genre d'expérience des limites, elle ne se développe pas moins sur un fond de mal-être général. Les spécimens new-yorkais qui défilent devant la caméra (blancs, noirs, asiat’, homos, héteros, jeunes, vieux, dominateurs, dominés) ont tous leur blocage, leur blessure secrète, leur névrose, et la construction du récit les pousse à les exposer un par un devant un tiers, dans une succession d'aveux ennuyeux au possible.

    Surtout, le scénario, concocté en collaboration avec chaque comédien engagé, n'a ni queue ni tête (si l’on peut dire…), Mitchell s'efforçant de raccorder chaque histoire individuelle en faisant se croiser les personnages, la plupart du temps n'importe comment, donnant ainsi l'impression de bâtir un Magnolia du pauvre. Ce lieu singulier, ce club où se retrouvent tous ces naufragés du cul pour partouzer dans une ambiance bon enfant et au son d’un orchestre pop, ce "Shortbus" donc, aurait pourtant pu suffire à tisser les liens nécessaires. La dimension utopique, quasi-fantastique, de ce refuge aurait également gagné à être poussée plus avant. Le spectacle érotique manque sans doute de rituel et la réalité du monde extérieur encombre encore trop le lieu. Les mêmes histoires s’y prolongent et la mise en scène ne change pas lors du passage des appartements au club, toujours aussi mal fichue. Changements de supports (pellicule ou vidéo), décadrages intempestifs, faux raccords volontaires, coupes dans les phrases… John Cameron Mitchell s’offre une resucée du Dogme danois, avec dix ans de retard.

    Mais le pire est pour la fin, avec ces dernières séquences de fête unanimiste, d’une niaiserie effarante. Où l’on réalise tout d’un coup qu’un film démarrant par le montage parallèle d’une auto-fellation, d’une séance SM et d’une baise acrobatique peut se terminer comme une gentille œuvrette de Christophe Barratier... Pas très excitant tout ça…

  • The Devil and Daniel Webster

    (William Dieterle / Etats-Unis / 1941)

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    devil11.jpgValse des titres au fil des présentations, des sorties et des reprises (Here is a man, A certain Mr Scratch, All that money can buy, The Devil and Daniel Webster, et, en France, Tous les biens de la terre) et distribution de plusieurs versions (dont une amputée de vingt minutes) : ces aléas en disent déjà beaucoup sur le caractère inclassable de ce film. Américain depuis 1937 mais ayant vécu en Allemagne jusqu'en 1930, William Dieterle, qui avait notamment interprété, en 1926, le rôle de Valentin dans le Faust de Murnau, propose là un déplacement géographique et temporel du mythe, une variation sur le thème de l'homme vendant son âme au diable, développée à partir d'une iconographie et d'une histoire appartenant au folklore des Etats-Unis naissants. Fort du succès de La vie de Louis Pasteur (1936), de La vie d'Emile Zola (1937), de Juarez (1939) et, surtout, de Quasimodo (1939), le cinéaste s'était fait producteur et profitait alors du savoir-faire des équipes de la RKO.

    Démarrant comme un classique morceau d'Americana, The Devil and Daniel Webster se signale vite par son empreinte expressionniste. Les rais de lumière aveuglent et strient les visages, les ombres sont démesurées. Une fois le virage vers le fantastique effectué, les personnages semblent par endroits comme absents à eux-mêmes et les apparitions diaboliques se succèdent. Se manifestent ainsi, de manière fulgurante, la féline Simone Simon en tentatrice enjôleuse et un Walter Huston moderne en diable, sarcastique, aux gestes précis, au sourire carnassier et au phrasé percutant.

    Le fantastique, si bien  exploré par Dieterle, est l'irruption dans la vie quotidienne du surnaturel et de l'irrationnel. Le pittoresque, lui, caractérise ce qui attire l'attention par son aspect original, sa fantaisie, son relief. Dans les deux cas, nous avons donc quelque chose qui se détache d'un fond (ce qui renvoie aussi à l'expressionnisme et à ses représentations picturales des tourments des personnages). Le mélange de ces registres n'est pas a priori évident mais il trouve là une cohérence. La chronique paysanne et la fable fantastique marchent donc, d'un bout à l'autre, main dans la main. Le cliché (la douce épouse mise à l'épreuve, la mère attentionnée et soucieuse, la femme tentatrice) prend dès lors une autre couleur. Le Diable mène la danse, et en maltraitant son violon (les stridences de Bernard Hermann aidant), il bouscule la musique folklorique, entraîne jusqu'au vertige la valse des paysans. Il peut aussi transformer un bal mondain en réunion de spectres.

    Mais cette hybridation n'est pas la seule à être tentée par un Dieterle qui parsème son film de réflexions politiques, par le biais de l'humour avec les discussions malicieuses entre le sénateur et les villageois ou de manière plus frontale avec le plaidoyer final de Webster en faveur de l'Union. Le message est progressiste : les usuriers qui étranglent financièrement les fermiers sont pointés du doigt, l'appât du gain est dénoncé comme responsable de tous les maux, les efforts des paysans pour mettre sur pied une coopérative sont soulignés, les pêchés originels sont évoqués (les violences faites aux Indiens et aux Noirs). Toutefois, le respect entre adversaires politiques est prôné et surtout la loyauté envers la constitution est donnée comme indispensable à la bonne marche de la nation. Nous sommes en 1940-41. L'Amérique n'est pas encore en guerre, mais l'Europe est déjà à feu et à sang.

    Cette dimension politique est rendue explicite par la longue scène de procès qui recouvre toute la dernière partie du film. Ce passage obligé pour bien des drames hollywoodiens de l'époque est ici soumis à un décalage, par son lieu (une grange), son ambiance (surnaturelle), ses enjeux (le sauvetage d'une âme), ses protagonistes (quelques fantômes) et le discours politique qui est tenu. La ferveur des personnages et la fermeté narrative suffisent à préserver l'adhésion, mais en même temps, un certain recul est perceptible. Et finalement, c'est tout le film qui aura joué de ce petit écart, en mêlant différents genres, en alternant visions idylliques et apparitions diaboliques, en osant quelques clins d'œil vers le spectateur (le villageois demandant à Belle si elle est Française, le dernier mot, ou geste, laissé au Diable...). Ainsi, nous pouvons dire, en assumant cet anachronisme total, que le plaisir distillé par cet étrange Devil and Daniel Webster est en fait le même que peut procurer un grand film post-moderne.

     

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  • Histoire d'une femme

    (Mikio Naruse / Japon / 1963)

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    histoirefemme.jpgDès les premières séquences, tout sonne juste. Mikio Naruse commence par passer d'un personnage, ou d'un groupe, à un autre, laissant assez longtemps flotter son récit avant d'en désigner plus clairement la ligne directrice (la vie d'une femme japonaise depuis son mariage dans les années 30 jusqu'au moment où elle devient grand-mère, dans les années 60). Ces premières descriptions de parcours professionnels, sentimentaux et domestiques, ce brassage choral se font sans ostentation aucune, le regard restant à hauteur d'homme et de femme sans jamais les surplomber. Peu à peu, des flash-backs brisent la linéarité temporelle. Leur articulation avec le présent de la narration est aussi fluide que le sont les transitions entre les séquences consacrées aux différents personnages et si le déroulement de l'histoire peut surprendre ou dérouter, il le fait à la façon de la vie elle-même. La subtile subjectivité qui s'affirme dans ces retours en arrière (le point de vue adopté étant d'abord celui de la grand-mère puis celui de sa belle-fille, qui finit par être placée au centre du film) est déjà un premier signe du talent de Naruse pour façonner des caractères et dégager une psychologie d'une remarquable justesse.

    L'itinéraire familial dessiné sous nos yeux, accompagné de ses petites arborescences, finit par donner vie à un tableau sociologique du Japon de l'avant à l'après-guerre et ce sont les destinées individuelles qui éclairent les moments historiques et non l'inverse. De la même manière, les flash-backs ne sont pas là pour illustrer scolairement une idée de scénario ou un thème cher au cinéaste. Ils sont déclenchés par le souvenir que provoque tel comportement ou par une association d'idée, et ils prennent le temps de détailler un contexte, de laisser se développer chaque composant du "sous-récit", avant d'exposer l'événement dramatique qui, pour le coup, devient inattendu. Cette délicatesse de construction, obtenue grâce à un enchaînement fluide plutôt qu'à un empilement répétitif et arbitraire des malheurs de l'existence, gouverne l'avancée du mélodrame. Dans ce qui est peut-être la plus belle scène du film, la lecture par l'héroïne, en pleine rue, de la lettre d'adieu laissée par l'homme qu'elle aime entraîne la perte (provisoire) de son petit garçon dans la foule (situation qui sera reprise à la fin, de manière encore une fois très délicate, lorsque l'arrière-grand-mère, dans le parc, relâchera brièvement sa surveillance du petit dernier de la lignée).

    Histoire d'une femme, Histoire de la femme voire Une histoire de femme : l'existence de ces différents titres français donnés à Onna no rekishi par les diffuseurs dit bien l'ampleur que Naruse parvient à donner à cette évocation d'un destin singulier. Il faut se garder cependant de chercher là une exaltation du sens du sacrifice qui caractériserait la femme japonaise. Pour Naruse, il s'agit plutôt de faire un constat tragique, en suivant les générations successives sur cette trentaine d'années : les femmes survivent et les hommes meurent. Et ce ne sont pas ces derniers qui sont le plus à plaindre. La mort de l'être aimé est une épreuve mais c'est une épreuve qui en annonce presque toujours une autre, plus terrible encore : la révélation tardive d'une erreur, d'un malentendu, d'une tromperie ou d'une trahison. La tristesse recouvre ce film pluvieux et nocturne. Seule la scène finale semble laisser une place au soleil. Il faut le chercher loin ce rayon annonçant un avenir moins douloureux, reposant sur... un petit garçon.

    Chez Naruse, la moindre silhouette impose sa présence en quelques secondes, les plans durent exactement le temps qu'il faut, la mise en scène a l'apparence de la simplicité (du Ozu en plus souple, en moins intimidant peut-être). Réalisé six ans avant sa mort et quatre ans avant son dernier film, Histoire d'une femme infirme le jugement qui consiste à stopper le temps des beaux mélodrames "narusiens" à la fin des années 50 (après la série comportant, entre autres, les magnifiques Frère et sœur, Le repas, L'éclair, Le grondement de la montagne et Nuages flottants).

  • Le fils du désert

    (John Ford / Etats-Unis / 1948)

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    filsdudesert.jpgTrois bandits volent l'argent de la banque d'une petite ville de l'Arizona. Avec le sheriff et ses adjoints à leurs trousses, ils se retrouvent dans le désert sans eau et sans chevaux. Ils y rencontrent une femme mourante sur le point d'accoucher dans son chariot ensablé. Après l'avoir aidé à donner vie à son bébé, ils lui promettent de sauver ce dernier et d'en devenir les parrains. Les trois hommes reprennent ensuite leur éprouvant périple, portant tour à tour le nourrisson dans ses couvertures.

    Le fils du désert (Three godfathers) est un western prenant la forme d'une parabole biblique. Respect de la parole donnée, évocation des rois mages, indication du chemin à suivre par une étoile ou du choix à faire par l'ouverture de la bible à la bonne page, actes rédempteurs, lumière divine transperçant le ciel, apparitions miraculeuses, villes bien nommées (Welcome, New Jerusalem), dénouement le jour de Noël, tout y est. A tel point que le film ne se réduit malheureusement qu'à cela, le reste, ce qui encadre le récit principal, n'étant que signe de reconnaissance n'allant pas au-delà du cliché (à l'image de la jeune femme, fille du banquier, séduite par John Wayne, qui apparaît au début puis en conclusion). Ainsi, le scénario, une fois la situation posée, offre finalement peu de surprises et une progression assez mécanique, impression accentuée par la succession des trépas (et les mourants se lançant à chaque fois dans de longues tirades, l'émotion peine à percer).

    Au moment où l'accumulation des correspondances commence à saturer le spectateur, le Kid, le personnage d'Harry Carey Jr, fait lui-même le lien entre l'aventure qu'il vit avec ses deux camarades et le texte de l'évangile. Si Ford insiste tellement, se dit-on, c'est que la surcharge de signification va peut-être finir par donner quelque chose d'intéressant, distancié, flamboyant ou monstrueux. Un film "malade". Mais il n'en est rien. Ce n'est pas nouveau, le cinéma de Ford est à prendre au pied de la lettre, et ici, cette scène n'est rien d'autre qu'un moyen de faire accepter à tous une évidence. Certes, au centre de cette œuvre d'évangélisation, le cinéaste prend soin de placer Robert Hightower (Wayne), ce mécréant (le dernier "miracle" lui fait lever les yeux au ciel, puis, tout de même, jeter un coup d'œil autour de lui, dans la continuité du mouvement et de façon plus prosaïque, comme pour "contrebalancer" son premier réflexe). Mais ce sera bien la seule trace d'ambiguïté d'un film qui semble d'ailleurs ne jouer que sur deux registres : selon les scènes, les protagonistes sont soit enjoués et blagueurs (le comique n'y est pas des plus fins), soit affectés et recueillis. Les caractères ne s'offrent à nous ni dans la demie-teinte, ni dans la profondeur (le rapport de fascination, ou du moins, l'estime qui existe entre le sheriff et Hightower est exposée d'entrée, le premier affirmant, dès le début de la chasse, qu'il aimerait jouer aux échecs avec le second).

    A cela s'ajoutent quelques soucis d'ordre narratif (à quoi sert cette ellipse lors de la découverte par Wayne du charriot dans le désert si elle ne provoque qu'un exposé bavard de la situation par ce dernier à l'attention de ses deux compagnons ?) et esthétique (ces multiples plans de coupes sur un vrai bébé emmaillotté déboulant entre ceux montrant les acteurs encombrés d'un paquet bien léger et bien rigide : le réalisme fordien en prend un coup...).

    Que reste-t-il alors ? La composition de quelques plans et surtout, essentiellement, le secret de la mise en scène des gestes et des postures, perceptible à certains endroits : Wayne tenant son chapeau à bout de bras pour faire de l'ombre à l'agonisant, Pedro Armendariz roulant sur lui-même et se cassant la jambe, Harry Carey Jr réclamant le nourrisson et se mettant à le bercer en marchant et en chantonnant...

    Tout de même, "Ford mineur" est le mieux que je puisse dire.