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Film - Page 58

  • Des hommes et des dieux

    (Xavier Beauvois / France / 2010)

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    deshommesetdesdieux.jpgXavier Beauvois est tout de même un drôle de bonhomme. Voilà quelqu'un capable de signer à 24 ans un premier long-métrage assez impressionnant de sécheresse (Nord, 1991) avant de s'abîmer dans le pathos (N'oublie pas que tu vas mourir, 1995), puis, après un troisième essai que j'avais alors soigneusement évité (Selon Matthieu, 2000), de dresser un portrait anecdotique de la police française au travail (Le petit lieutenant, 2005) avant d'effectuer, avec Des hommes et des dieux, un geste plus essentiel, qui lui a valu un Grand Prix cannois et un beau succès public.

    La réussite est d'abord rendue possible par l'intelligence dans la manière de camper les personnages. Dans les premières séquences, il n'y a que le Frère Luc que nous entendons parler, soit Michael Lonsdale, acteur le plus évidemment écclesiastique de la troupe (par son aura et son parcours). Ses camarades du monastère sont, eux aussi, suivis dans leurs activités quotidiennes, mais silencieusement. Au commencement est donc le geste. Et pour celui dont le visage est le mieux reconnu, Lambert Wilson, l'incarnation passe en premier lieu par l'adoption d'une démarche et de postures singulières. Au début du film, se trouve une scène dans laquelle les moines assistent à une cérémonie organisée par l'une des familles du village. Ce moment montre, de manière très simple, ce qui lie les trappistes et la population locale musulmane, en les mêlant chaleureusement aux habitants, mais également ce qui les distingue, puisque l'on perçoit un léger décalage entre les gestes et les allures des uns et des autres.

    Bien aidé par l'implication des acteurs, Beauvois impose ainsi d'emblée une crédibilité. Le travail sur les dialogues est également, dans cette optique, à souligner. Les formulations entendues, qui dans d'autres bouches pourraient paraître soit simplistes soit empesées, sont, dans ce monde-là, parfaitement à leur place. De plus, cette simplicité et cette clarté de l'élocution permet d'évoquer avec force et concision les enjeux politiques, comme c'est le cas, par exemple, lors des visites des moines aux autorités inquiètes du village, belles et émouvantes séquences.

    Émouvantes car Beauvois enregistre là, comme ailleurs dans le récit, ces dialogues inter-religieux que l'on sent (ou que l'on nous dit) aujourd'hui impossible. Il passe dans ces séquences le sentiment d'une perte, sans forcer le trait ni verser dans l'angélisme (les propos du responsable algérien qui avance l'idée d'une présence des moines français comme prolongement du colonialisme). Certains ont trouvé que Beauvois ne s'est pas mouillé. Je pense pour ma part que son propos est suffisamment clair et que son film n'aurait pas vraiment gagné à être accompagné d'un message plus appuyé.

    Bénéficiant d'une belle lumière ciselée par Caroline Champetier et usant intelligemment de ses échelles de plans, le cinéaste façonne des petits blocs aux coupes très franches. Le montage est brutal, pouvant enchaîner d'un seul coup l'agitation d'un marché populaire et le silence d'un couloir du monastère. Il est coupant comme le froid hivernal qui enserre la région, rigoureux comme les rituels des trappistes. Il procure ce sentiment d'un temps qui passe de façon très particulière.

    Cette avancée par succession de segments a son revers. Il faut trouver le moment et le lieu où le récit doit s'arrêter. Beauvois semble hésiter (ce que tendrait à confirmer les propos du cinéaste et de ses acteurs avouant que la scène des "têtes coupées" a bien été tournée, bien qu'elle n'ait pas été retenue dans le montage final) et si Des hommes et des dieux manque de peu de passer pour un très grand film, la cause est sans doute à chercher dans le fléchissement de la dernière partie. Ainsi, la scène, maintenant fameuse, du dernier repas au son du Lac des cygnes, me paraît, malgré certains gros plans très beaux, un peu trop longue, trop découpée et surtout gâchée par le mixage ne gardant que la musique. A l'image de celle-ci, plusieurs séquences viennent à nous comme des fins possibles. Des hommes et des dieux dure deux heures alors que les Fioretti de Rossellini ne débordent pas des quatre-vingt-dix minutes et la Thérèse de Cavalier à peine. Voilà la légère réserve que je formulerai à l'encontre de ce beau film.

  • Poetry

    (Lee Chang-dong / Corée du Sud / 2010)

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    poetry.jpgLes deux précédents longs métrages de Lee Chang-dong, Oasis et Secret sunshine, m'avaient laissé sur une impression mitigée mais plutôt positive. J'attendais donc sans impatience excessive mais avec une relative confiance la sortie de Poetry (Shi), le meilleur film du dernier festival de Cannes selon un nombre non négligeable de personnes. Hélas, à l'intérêt global suscité par les premiers titres cités s'est substitué ici un agacement assez vif.

    Le dernier quart d'heure est bon. Enclenché par une petite manipulation narrative pas désagréable (un rebondissement "policier", quasiment la seule surprise scénaristique de tout le film), le final, si attendu soit-il, prend enfin du relief. Celui-ci se révèle tout d'abord grâce à la succession de plusieurs plans marqués par l'absence soudaine de l'héroïne (et de toute autre personne) en leur centre, des plans documentaires tout à coup débarrassés d'une surcharge de sens mais pas de leur vitalité, puis grâce à l'intrusion in extremis d'une poignée d'images, en conclusion, qui s'allègent pour une fois du naturalisme informe dans lequel baigne tout ce qui précède, long de deux heures.

    Cent vingt minutes de naturalisme ennuyeux, éreintant, thématiquement appuyé et esthétiquement neutre. Voici un film long dont la durée des plans n'est jamais ressentie comme un enjeu. Le nez est collé à la vitre d'un réel qui n'est ni éprouvé viscéralement, ni distancié. Il me semble que Poetry est un film qui ne "réfléchit" pas. Il cherche à l'occasion à bousculer le regard, dévoilant par exemple une étreinte sexuelle entre une sexagénaire et un vieil handicapé, mais l'audace ne se niche que dans la situation, à aucun moment dans la manière de la montrer.

    Mon autre réticence majeure provient de la peinture des personnages. Les comparses apparaissent médiocres et/ou calculateurs (le petit-fils, le groupe de pères de famille, la femme rencontrée au club de poésie) et lorsqu'il s'avère qu'ils peuvent être un support pour la grand-mère (le professeur, le flic), leurs gestes éventuellement réconfortants sont oblitérés par le montage. De plus, en suivant les épreuves subies par l'héroïne, j'ai eu l'impression progressive mais tenace d'assister à une série de scènes de vexations, de séquences régulièrement basées sur le sentiment de la gêne. Il n'est bien sûr pas question de repousser une proposition cinématographique au motif de la noirceur de son propos. Sauf si celui-ci ne débouche sur rien d'autre qu'un repli scolairement poétique. Pendant le film me sont revenues des images d'Import Export d'Ulrich Seidl. Cette œuvre réellement dérangeante, au naturalisme autrement "encadré", alignait elle aussi une série d'humiliations mais dans le but de rendre compte d'une capacité de résistance de l'être humain, sans besoin de béquille spirituelle. Ici, nous sommes menés vers le sacrifice, la résignation, la "poésie". Poetry échoue donc à se placer entre les deux grands films contemporains sur le sujet (la lutte d'une mère ou d'une grand-mère confrontée, à cause de sa descendance, à l'impensable) : Mother et Lola.

    J'ai bien conscience d'émettre là un avis très minoritaire. Perdues au milieu de tant de réactions dithyrambiques, les recensions négatives se comptent sur les doigts tendus d'une main de tétraplégique. En voici deux : et (post du 27 août).

  • En famille (3)

    En zappant, un soir d'été :

    "- Eh, Papa, attend, on dirait Louis de Funès...

    - Oui, c'est lui. C'est un film de la série du Gendarme de Saint-Tropez. Ils sont en train de la passer tout l'été, je crois. Un par semaine.

    - Je veux les regarder !

    - Oh, non...

    - Allez, s'il te plait...

    - Heu, de toute façon, c'est l'un des derniers celui-là. Il ne doit en rester qu'un ou deux après.

    - Ça fait rien, laisse. Je veux le voir... et l'autre aussi la semaine prochaine.

    - Bon, si tu veux... Mais je ne les regarde pas avec toi. Je vais faire autre chose à côté.

    - Pourquoi ?

    - Parce que je connais et je sais que ce n'est pas terrible.

    - Mais c'est drôle !... Pffff... T'aimes jamais rien toi...

    - Si : tu as vu que j'aimais bien la série de la Panthère Rose par exemple..."

    *****

    oscar.jpegInutile de perdre du temps à évoquer les deux derniers Gendarmes, suivis du coin de l'œil, toujours aussi minables. Mais pour rester avec De Funès, on peut dire quelques mots d'Oscar. Si il est moins catastrophique dans sa réalisation et moins idiot dans son registre comique que les pitreries baclées par Jean Girault sous le soleil de Saint-Tropez, le film de Molinaro ne satisfait guère plus et rarement spectacle comique m'aura autant épuisé. Partant d'une pièce de théâtre de boulevard (adaptée pour l'occasion, entre autres, par De Funès lui-même, qui la joua plusieurs fois sur scène), le scénario accumule, en une seule journée et en un seul lieu, des surprises, des révélations, des tromperies et des méprises toutes plus improbables les unes que les autres. Cette succession effrénée (à chaque séquence son ou ses rebondissements) est rendue plus sensible encore par des choix de mise en scène visant à augmenter la vitesse du récit : claquements de portes, déplacements continus des personnages d'une pièce à l'autre, montage très sérré des actions, donnant l'impression que les acteurs déboulent dans le champ, voire qu'ils sont en avance sur le plan (on se demande par exemple, parfois, si Claude Rich quitte vraiment les lieux comme il est censé le faire en plusieurs occasions, avant de revenir). Cet emballement mécanique serait à la limite supportable si le fond n'était si déplaisant (médiocrité générale des caractères, misogynie et cupidité utilisés comme ressorts comiques essentiels) et surtout si il n'était pas ponctué toutes les dix secondes d'éclats de voix crispants dûs à De Funès, à Rich ou à la jeune Agathe Natanson qui, bien que légèrement vêtue, a l'hystérie horripilante. Le premier cité, attraction de tous les plans ou presque, est en colère de la première à la dernière scène. En caracolant ainsi, sans jamais atteindre une dimension absurde qui réhausserait le vaudeville de base, le film laisse les rares bons mots et les sympathiques trouvailles se faire oublier aussitôt, emportés qu'ils sont par le courant de ces échanges-mitraillette, de ces cris et de ces grimaces incessantes. Épuisant, vraiment.

    ashotinthedark2.jpg

    Débutant au même moment que celle des Gendarmes, la série de la Panthère Rose s'élève à des hauteurs inconnues de son concurrent français. Signalons tout d'abord que cette dernière a des limites assez fluctuantes, que le coffret dvd édité par la MGM en 2003 ne précise que très imparfaitement. Cinq épisodes y sont en effet compilés. Le septième, L'héritier de la Panthère Rose (Curse of the Pink Panther, 1983), et le huitième, Le fils de la Panthère Rose (Son of the Pink Panther, 1993, avec Roberto Benigni), n'y figurent pas. Ce n'est pas forcément une aberration puisque ce sont là des suites dans lesquelles nous ne pouvions pas retrouver, et pour cause, l'acteur principal de la série, Peter Sellers. Il faut noter, d'ailleurs, qu'elles n'ont, ni l'une ni l'autre, été distribuées en salles en France et qu'elles ont très mauvaise réputation (L'héritier de la Panthère Rose n'apparaissant même pas dans certaines filmographies de Blake Edwards). Beaucoup moins compréhensible, sauf à invoquer des problèmes de droits, est l'absence du troisième épisode, Le retour de la Panthère Rose (The return of the Pink Panther, 1975). Fort heureusement, le deuxième, Quand l'inspecteur s'emmêle (A shot in the dark, 1964) est présent... bien que, contrairement aux autres, ni son titre, ni son générique, ni son intrigue, ne mentionnent la Panthère Rose (le fameux animal dessiné qui devient en fait, dans les scénarios, un bijou). Se démarquant du premier mais imposant la plupart des thèmes comiques des suivants, cet opus est à la fois en dehors et en plein dedans. Vous suivez toujours ? Oui ? Alors je peux, afin d'être exhaustif, évoquer pour finir l'existence de L'infaillible Inspecteur Clouseau (Inspector Clouseau, 1968), un hors-série non signé par Edwards mais par Bud Yorkin et non interprété par Sellers mais par Alan Arkin, et celle des deux récents "remakes" ayant pour vedette Steve Martin (La Panthère Rose / The Pink Panther de Shawn Levy, 2006, et La Panthère Rose 2 / The Pink Panther 2 de Harald Zwart, 2009).

    La Panthère Rose de 1963 est un mélange comique et plaisant, bien que parfois languissant, de burlesque, de policier et de romance. C'est en fait un véritable film choral qui montre une poignée d'escrocs internationaux de haut vol échaffauder tous les stratagèmes possibles destinés à dérober à une princesse orientale le plus beau bijou du monde, cela au nez et à la moustache d'un inspecteur de police français. Il est certain que Claudia Cardinale, en descendante de royale lignée skiant dans les Alpes, ne manque pas de charme mais son duo amoureux avec David Niven a tendance à traîner en longueur. Heureusement, le fil du récit subit à intervalles réguliers de salvatrices déflagrations dues à l'Inspecteur Jacques Clouseau. Portées par le génie burlesque de Peter Sellers, ces scènes se détachent nettement du reste. Quand il s'agit d'accompagner les gestes maladroitement destructeurs ou ridiculement emphatiques du personnage, d'orchestrer d'invraisemblables chassés-croisés dans une chambre d'hôtel (il s'agit de cacher deux amants au mari) ou d'organiser un délirant bal costumé dans un château, la mise en scène d'Edwards marche à merveille. Le ballet automobile final, réglé avec précision et dans un rythme parfaitement dosé, disqualifie toutes les productions franchouillardes à la Oury que l'on peut trouver à la même époque.

    Quand l'inspecteur s'emmêle est, de loin, le meilleur film de la série, touchant au chef d'œuvre au même titre que The Party (1968), l'autre joyau du couple Edwards-Sellers. Le cinéaste ne garde de la première trame que le personnage de Clouseau. Celui-ci est chargé d'enquêter sur un meurtre commis dans la vaste demeure de Mr Ballon. La suspecte est la domestique Maria Gambrelli (Elke Sommer, à croquer), qui semble provoquer une mort violente dans chaque endroit où elle passe. Cependant, contre toute logique, Clouseau décide à chaque fois de la remettre en liberté, persuadé de son innocence. En simplifiant l'intrigue et en se concentrant sur la puissance comique de son acteur principal, Edwards réalise un ouvrage très cohérent, échappant aux ruptures de rythme qui handicapent les autres épisodes et provoquant l'hilarité d'un bout à l'autre (chaque séquence repose sur un ou deux gags qui fonctionnent idéalement). Peter Sellers est ici à son sommet, grandiose dans la maladresse, le geste avorté, raté, contrarié, et peut-être plus encore dans la réaction désinvolte ou d'une impeccable mauvaise foi. La scène de la confrontation dans le salon, organisée dans le but de démasquer l'assassin, atteint, grâce au travail de l'acteur, le burlesque le plus pur et rivalise dans l'invention corporelle avec l'extraordinaire final de Dr Folamour. Ajoutons que plusieurs figures imposées développées le long de la série trouvent leur origine ici : la folie du Commissaire Dreyfus, le supérieur de Clouseau, la séduction paradoxale qu'exerce ce dernier sur les belles femmes qu'il croise, son goût pour le travestissement et l'étrange contrat qui le lie à son serviteur Kato, chargé de l'attaquer à n'importe quel moment, de façon à l'aider à parfaire ses techniques de combat.

    Quand la Panthère Rose s'emmêle est le plus référentiel du lot, le récit (et les génériques de début et de fin) étant parsemé de clins d'œil cinématographiques. La première moitié est assez éblouissante, qui retrace une irrésistible enquête londonienne de Clouseau. La reprise des motifs (l'armure, le pyjama, le kimono, les chambres) et des scènes-clés (réunion de suspects, flirts) s'accompagne de variations souvent brillantes. Peu à peu, toutefois, avec l'internationalisation de l'intrigue, les gags ont tendance à retomber et le virage effectué vers la parodie de science-fiction, avec machine à faire disparaître monuments et populations, n'est pas très heureux, ni en termes rythmiques, ni en termes esthétiques. Le grimaçant Herbert Lom, dans le rôle de Dreyfus, devient envahissant et le recours au déguisement devient la règle (Clouseau y recourait seulement en de brèves occasions dans le deuxième épisode et le voir guindé et satisfait dans son costume d'inspecteur était finalement beaucoup plus drôle). La farce s'alourdit donc, heureusement sauvée par la traversée impossible des douves du château par Clouseau et par son strip tease final.

    La malédiction de la Panthère Rose faiblit de même à l'approche de son terme (une escapade cartoonesque à Hong Kong). Edwards et Sellers fatiguent quelque peu et les jeux sur le corps burlesque doivent ici beaucoup à Burt Kwouk (dans le rôle de Kato). Plusieurs passages réussis rendent le film encore appréciable (la rituelle et très longue scène d'entraînement-destruction, l'enquête du côté du port et du club privé, la remise de la médaille...).

    A la recherche de la Panthère Rose est l'un des projets les plus singuliers qui soient. Réalisé deux ans après la mort de Peter Sellers, il fait pourtant apparaître amplement ce dernier à l'écran. Blake Edwards utilise en effet des scènes inédites résultant des précédents tournages, qu'il monte de façon à ce qu'elles s'intègrent à une nouvelle histoire de vol du diamant. Puis, il reprend quelques moments connus qu'il relie à une enquête menée auprès de plusieurs témoins par une journaliste, suite à l'annonce de la disparition en pleine mer de l'inspecteur. L'hommage du cinéaste à son acteur est touchant mais la construction du film est très faible. Les séquences exhumées se révèlent de bonne facture, ce qui rend le début agréable. Mais l'intérêt se dissout lorsque l'inévitable Dreyfus arrive au premier plan. Quand le troisième personnage principal débarque, en la personne de la journaliste, le récit n'avance plus, la jeune femme se contentant de récolter quelques souvenirs (on retrouve notamment David Niven endossant à nouveau, pour l'occasion, son rôle de Sir Charles créé pour le premier épisode). Ce patchwork, aussi sincère soit-il, ne fait malheureusement pas un film à part entière...

    ashotinthedark.jpg

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    Le gendarme et les extra-terrestres (Jean Girault / France / 1979) / □□□□ / Le gendarme et les gendarmettes (Jean Girault / France / 1982) / □□□□

    Oscar (Edouard Molinaro / France / 1967) / □□□□

    La Panthère Rose (The Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis / 1963) / ■■□□ / Quand l'inspecteur s'emmêle (A shot in the dark) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1964) / ■■■■ / Quand la Panthère Rose s'emmêle (The Pink Panther strikes again) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1975) / ■■□□ / La malédiction de la Panthère Rose (Revenge of the Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1978) / ■■□□ / A la recherche de la Panthère Rose (Trail of the Pink Panther) (Blake Edwards / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 1982) / □□

  • La révélation

    (Hans-Christian Schmid / Allemagne - Danemark - Pays-Bas / 2009)

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    revelation2.jpgAvec La révélation, titre français passe-partout remplaçant le Storm original mais pas forcément plus approprié, Hans-Christian Schmid a eu le mérite de se frotter à un sujet politique actuel et complexe. Développer une fiction à partir de l'activité d'une institution comme le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie n'est pas chose aisée. Le cinéaste allemand le fait sans complaisance vis à vis des magistrats y exerçant leur métier, n'hésitant pas à évoquer leur lassitude, la tentation des petits arrangements et, plus généralement, la difficulté à résister au pragmatisme politique international qu'impose, entre autres choses, la construction européenne. Tourné en 2008, le film entre en résonance avec le procès Slobodan Milosevic et l'arrestation de Radovan Karadzic et tente d'accompagner les réflexions autour de la place à donner à la Serbie dans l'U.E. Pour étoffer sa base documentaire, que l'on sent très travaillée en amont, Schmid brosse le portrait de deux femmes, l'une, véritable héroïne de cette histoire, procureure à La Haye, l'autre, victime de la guerre de Bosnie, et donne à son film l'apparence d'une enquête policière dont l'aboutissement est censé interroger les notions de responsabilité individuelle et de droiture morale.

    Les intentions sont là, hautement louables. Mais il reste à parler cinéma... En 2005, Sydney Pollack situait une intrigue criminelle au sein même du siège de l'ONU. L'envie du réalisateur des Trois jours du Condor de retrouver le goût des succès d'un certain cinéma américain des années 70 donnait à L'interprète une petite saveur désuète qui en faisait un film honorable. Hans-Christian Schmid, en tentant d'appliquer une forme américaine et très actuelle à son document cherche lui à dépoussiérer. Il ne veut surtout pas que l'on prenne La révélation pour un simple film-dossier mais pour un thriller politique moderne. Or, il semble qu'il y ait, ces derniers temps, une fatalité stylistique pesant sur le genre et que l'on doive s'appeler Roman Polanski pour faire une proposition dans laquelle il soit réellement question de mise en scène (The Ghost writer, 2010). Comme nombre de faiseurs de thrillers interchangeables, Schmid, s'ébroue ici dans le plus parfait académisme visuel et rythmique de notre époque. Les tons sont froids (lumière et musique), les raccords sont brusques, les cadres sont agités pour intimer l'ordre au spectateur d'être sous pression et de ressentir l'urgence. N'oublions pas les infimes variations de mise au point censées donner l'illusion d'une prise sur le vif. Salle d'audience, chambre d'hôtel, salle de bain, bureau, rue encombrée... quel que soit l'endroit, le style ne varie pas. Avec ses multiples lieux arpentés, des immeubles officiels de La Haye aux villes thermales de l'ex-Yougoslavie, on se serait pourtant attendu à un minimum de travail sur la notion d'espace.

    Du point de vue dramatique, le film ne se révèle pas plus original, le déroulement du récit restant prévisible d'un bout à l'autre, jusqu'à l'inévitable dénouement en forme de baroud d'honneur, vain mais digne. Dans ce qui nous est vendu comme une quête de vérité, nous cherchons en vain l'ombre d'un doute, la zone grise. Notre guide dans cette histoire, cette procureure intègre, est, jusqu'au bout, sûre d'elle-même et de ses jugements. De manière significative, toutes les séquences de confrontation lui laissent le dernier mot, mises à part les dernières où, de toute façon, ses interlocuteurs tiennent des positions que le spectateur doit mépriser. Notons enfin que, lorsque le film débute véritablement, notre héroïne vient de reprendre en main cette affaire qui traînait en longueur. Ce choix est destiné à faciliter le rapprochement du point de vue du spectateur avec le sien. Il n'est pas critiquable en soi (Polanski faisant à peu près le même avec le personnage de Ewan McGregor dans le film cité plus haut), mais il aboutit ici à quelques contre-temps étonnants, à quelques rebondissements obtenus à peu de frais, la magistrate ne paraissant pas plus que nous connaître exactement tout du fonctionnement du Tribunal et des impératifs de la politique européenne.

    Alors qu'ils assistent à un enterrement dans un village bosniaque, le fonctionnaire local chuchote à la procureure : "Regarde ces garçons. Ils sont toujours hantés par la guerre." La séquence ne semble exister que pour placer ces propos, bien évidemment validés part le montage qui leur colle alors un plan sur les hommes en question. Schmid est incapable d'exprimer cette idée autrement. Cette poignée de secondes résume tout le film : informé mais aussi simplificateur, appuyé, et, au bout du compte, assez pénible.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • The killer inside me

    (Michael Winterbottom / Etats-Unis / 2010)

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    killerinside.jpgLe Britannique Michael Winterbottom est un réalisateur moyen, dont les résultats oscillent entre le pas terrible et le pas mal, du moins pour ce que j'en sais, celui-ci tenant en effet une cadence de production impressionnante et difficile à suivre (une vingtaine de titres accumulés depuis le début des années 90). Précédé d'une légère odeur de souffre, essentiellement due à la sauvagerie de quelques meurtres (notre homme aimant se faire parfois provocateur comme lorsqu'il réalisa ce 9 songs alternant scènes de sexe et captations de performances rock, expérience au final plus ennuyeuse qu'autre chose, si l'on en croit la très grande majorité des spectateurs y ayant goûté), The killer inside me ne change en rien la position du cinéaste, ce dernier opus en date, bien que s'assurant l'une des meilleures places au sein de la filmographie, drainant en quantités égales qualités et défauts, habiletés et maladresses.

    Le scénario est une adaptation de Jim Thompson, auteur inspirant généralement les cinéastes (Peckinpah et Guet-apens, Corneau et Série noire, Tavernier et Coup de torchon, Frears et Les arnaqueurs). De fait, on retrouve avec un certain plaisir cette ambiance noire et poisseuse dans laquelle se trouve confiné le petit monde de Thompson, Winterbottom arrivant assez bien à la restituer. Le personnage principal est un salaud de première, psychopathe cogneur (surtout envers les femmes) se cachant derrière les traits d'un jeune shérif à la voix d'adolescent, toujours prêt, à la ville, à aider son prochain et s'adressant avec politesse et retenue aux dames. N'en rajoutant pas trop dans les regards par en dessous à l'attention du spectateur lorsque ses victimes ont le dos tourné, Casey Affleck est plutôt bon. Le parcours criminel de son Lou Ford nous révulse sans aller toutefois jusqu'à nous en détourner, son entêtement à creuser sa propre tombe en y entraînant le maximum de gens de son entourage nous paraissant d'une certaine façon assez fascinant. Du bon côté de la balance, grâce notamment aux acteurs (les filles comprises), nous mettrons également la gestion des temps faibles de l'enquête, rendant compte de la mentalité régnant dans le coin à l'aide de dialogues à l'allure si typique qu'ils en deviennent parfois (brièvement) obscurs.

    Ce récit, qui accroche suffisamment sur les presque deux heures de sa durée, n'est toutefois pas mis en scène avec une égale maîtrise. L'usage de la voix-off est un procédé classique du film noir, dont il n'y a ici, ni à se plaindre, ni à s'extasier. Les flash-backs sont quant à eux bien patauds, qu'ils prennent pour sujet un épisode traumatique de l'adolescence ou la friabilité des instants de bonheur passés dans les bras d'une belle femme. Plus appréciable est l'insertion de la séquence de la lettre, une scène que l'on voit telle qu'elle ne s'est pas passée. Mais Winterbottom n'est pas un cinéaste à l'aise avec les expérimentations narratives (cinq ans après, je cherche encore l'utilité de son Tournage dans un jardin anglais). Après 9 songs, la nouvelle alternance qu'il nous impose entre scènes d'amour (soft, cette fois-ci) et scènes de violence, ne produit pas vraiment de vertige. Ces dernières, sur lesquelles s'est bâtie la réputation du film, ont une force réelle. Certains les trouveront complaisantes. Nous n'irons pas forcément les contredire...

  • Le bruit des glaçons

    (Bertrand Blier / France / 2010)

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    bruitglacons.jpgLe grand retour de Blier ? Mon cul, oui !

    Il est cramé le mec... Le ressort est pété, rouillé, émietté. Depuis longtemps d'ailleurs. Depuis Un, Deux, Trois, Soleil, minimum. Ça fait près de 20 ans ! C'est foutu maintenant... Le moteur tourne à vide, il ne produit plus rien : là l'intro qui fait mouche pour faciliter le travail des journalistes ciné ("Je suis votre cancer" repris partout), là la mort qui rôde, là le flash-back poreux, là la scène-d'amour-qui-dérange-mais-qui-en-fait-est-très-pure, là, là, là, là et là aussi, les apostrophes lancées à la caméra. Cinéma de photocopieuse (et une photocopie de photocopie cela dégrade fortement la qualité), celle qui est à côté de la machine à café, là où l'on entend les meilleures vannes des collègues ("Ça colle au cul un cancer !"). On avait la petite musique stridante de Blier, il ne nous reste plus que son bon gros théâtre de l'absurde. Quatre acteurs (ou un peu plus à l'occasion) entre quatre clôtures d'une belle villa pour une histoire qui avance si peu. Une histoire qui avance si mal. A coups de coups de théâtre et d'idées purement littéraires. Attends, mais c'est quoi ce dénouement à la con ? Une trouvaille de scénariste tombant du ciel et que rien ne peut justifier dans tout ce qui précède (elle est passée où, tout à coup, l'omniscience du Cancer ?). Ou alors on n'a qu'à dire que le fameux style Blier, son fantôme plutôt, impose par sa distanciation qu'on lui passe tout : l'anonymat esthétique, la grossièreté des blagues, l'aléatoire des apparitions (Dupontel : Vous me voyez, Vous ne me voyez pas, Vous me voyez, Vous ne me voyez pas...). Et puis franchement, passer 90 minutes avec un poivraud... Rien de plus soûlant qu'un alcoolo. Un alcoolo ça finit toujours par plomber l'ambiance. Un alcoolo ça se casse la gueule dans l'escalier mais ça ne fait pas rire, ça se fait juste mal à la jambe. Toute façon, Dujardin n'a pas la carrure. Et Dupontel l'a trop. Lui je ne l'aime pas. Putain Bertrand... Dupontel et Dujardin... L'acteur de Jean Becker et celui de James Huth ! Kervern et Delépine ont pas voulu te rendre Depardieu ou quoi ?

  • Tant qu'il y aura des hommes

    (Fred Zinnemann / Etats-Unis / 1953)

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    tantquilyauradeshommes.jpgLa cause semble entendue. Le message étant martelé depuis des décennies, le moindre cinéphile le sait, parfois même sans l'avoir vu : Tant qu'il y aura des hommes (From here to eternity) (et par extension l'œuvre entière de Zinnemann...) est un film de prestige académique au vieillissement prématuré, rempli de fausses audaces, à peine sauvé par quelques éclairs et des numéros d'acteurs.

    Personnellement, je le trouve assez beau.

    La forme est classique, tantôt discrète, tantôt appuyée. Ce balancement a très vite été convoqué pour établir la preuve d'un manque de style propre. Or, on peut tout aussi bien le juger nécessaire à un film construit sur une série de tensions-explosions. De la fameuse scène de baignade amoureuse entre Deborah Kerr et Burt Lancaster, nous apprécions moins les fougueux baisers que la hâte fiévreuse avec laquelle les deux futurs amants ôtent leurs vêtements pour se tenir face-à-face en tenue de bain (Lancaster étant même, à ce moment-là, cadré au niveau du torse seulement), gestes brusques et libérateurs, que les plans de vagues déchaînées surlignent un peu inutilement. Plus loin, la première des trois explosions de violence jalonnant le récit saisit par sa sècheresse et vient rappeler que Zinnemann signa cinq ans auparavant l'un des meilleurs films noirs de l'après-guerre, Acte de violence. L'affrontement dans ce bar, qui reste finalement au stade de la menace de mort, donne à voir une vivacité de réaction des corps impressionnante. Lancaster notamment semble alors être traversé par une tension phénoménale. Dans ce registre de la force intérieure difficilement canalisée, son partenaire Montgomery Clift n'a bien sûr rien à lui envier. Tous les acteurs du film jouent d'ailleurs magnifiquement, y compris Frank Sinatra dans un rôle pourtant basé en partie sur le pittoresque (celui du "Rital"). Zinnemann les dirige avec précision et la qualité du scénario et des dialogues font le reste.

    En effet, l'écriture y est remarquable, donnant  l'impression d'un film choral tout en donnant une importance graduée aux différents protagonistes, le principal étant le soldat Prewitt interprété par Clift, dont la destinée éclaire indirectement celle des autres. Cette excellence de l’écriture est perceptible dès le début, les rapports, parfois complexes, s’établissant entre les personnages nous intéressant aussitôt. Cet épisode de la vie d’une caserne américaine du Pacifique, clairement situé dans le temps à la toute fin du récit (juste avant, un panneau de signalisation brièvement aperçu à l’arrière-plan fit office, pour moi, de révélation soudaine), est habilement conté en établissant des parallèles assez souple entre deux couples et entre quelques individualités. L’audace que l’on prêtait à Tant qu’il y aura des hommes à l’époque de sa sortie n’est certes guère décelable aujourd’hui. Tout juste distingue-t-on un possible sous-texte homosexuel, passant à travers les regards et les gestes d’affection de Lancaster à l’attention de Clift. Ce qui intéresse le plus n’est de toute façon pas là. Si audace il y a, elle est plutôt dans la volonté qu’a Zinnemann de proposer au public une histoire ambitieuse, intelligente, complexe. Ainsi, la vision de l’armée évite le manichéisme. Le film n’est pas une charge contre l’institution mais une observation critique de l’intérieur. Le soldat Prewitt, son sergent ou son copain envoyé en camp de redressement, ne sont pas des "hommes contre" (en trouve-t-on beaucoup dans l’armée de métier ?), ce sont juste des individualités assez singulière pour que le spectateur s’y attache et des personnes qui, en cherchant à préserver leur dignité, se retrouvent littéralement coincés dans ce carcan militaire qu'ils ne remettent pas fondamentalement en cause. L’ambiguïté de l’approche peut gêner notre bonne conscience, elle n’en est pas moins crédible et juste. A défaut de génie, Zinnemann fait preuve tout au long de son film d’une réelle sensibilité.

  • Tamara Drewe

    (Stephen Frears / Grande-Bretagne / 2010)

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    tamaradrewe.jpgLa Tamara de Stephen Frears étant plus charmante et moins horripilante que la Poppy de Mike Leigh, Tamara Drewe est plus supportable que Be Happy. Cependant, il n'est qu'à peine meilleur. En effet, Frears, partant d'une célèbre BD, signe là une comédie anglaise banale carburant à l'ironie contemporaine mais restant étonnamment vieillotte dans sa forme. Les caractères, détaillés sans nuances, y sont aussi convenus que les intentions du cinéaste paraissent vagues (jamais nous ne voyons vraiment à quoi il veut en venir avec ce récit choral). Son vaudeville campagnard est mou du genou, rarement drôle. L'impression est tenace d'avoir là un film de vieux, dans lequel seuls les personnages les plus jeunes, bien que n'étant pas moins superficiels que les autres, apportent quelques éclairs de vie. On retiendra ainsi, hormis la façon qu'a Gemma Arterton de porter - trop brièvement - short moulant et débardeur, la description d'un rapport maladif entre une jeune fan coincée dans son bled paumé et la célébrité qu'elle vénère (sujet pas toujours bien traité selon les scènes mais rendant le mélange de cruauté et d'empathie plus intéressant ici que lorsqu'il sert à colorer les thèmes de la rivalité artistique ou des déboires amoureux). Split screen, incrustations, brèves visualisations de fantasmes, intertitres saisonniers, utilisation des clichés attachés aux types sociaux dépeints : Frears déroule sans vigueur, sans invention particulière. Son Tamara Drewe, loin de lui faire retrouver la forme, fait surtout penser, avec nostalgie, aux récents films européens de Woody Allen, assez semblables dans leurs données de départ et leurs thématiques mais cent coudées au-dessus en termes de mise en scène.

  • Maborosi & After life

    (Hirokazu Kore-eda / Japon / 1995 & 1998)

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    maborosi.jpgPartant d'une histoire digne du mélo le plus lacrymogène, Maborosi (Maboroshi no hikari) est un film conduit sur une note basse, d'une manière très sûre et très sensible, particulièrement remarquable pour un premier long métrage (de fiction, s'entend, puisque Hirokazu Kore-eda, le futur auteur de Nobody knows et Still walking, avait à l'époque une expérience de documentariste, information qui n'étonne guère et qui explique en partie l'acuité du regard s'exerçant ici).

    Passé un prologue intrigant - visualisation d'une réminiscence du passé de l'héroïne dont la nécessité s'imposera a posteriori tant du point de vue esthétique que psychologique -, éclate l'évidence d'une mise en scène singulière, bien que trouvant un point d'appui revendiqué en celle de Yasujiro Ozu. La durée et la fixité des plans confèrent la même dignité aux personnages de Kore-eda qu'à ceux du maître. Les nombreuses incisions que provoquent des plans d'extérieurs citadins dépeuplés donnent au récit un tempo et un ton très particuliers. Mais une telle reprise serait de bien peu d'intérêt si elle ne s'accompagnait d'une modulation. Les fameux inserts d'Ozu prennent souvent l'allure d'une pause entre deux scènes chargées de paroles et de présence humaine alors qu'ici ils se différencient moins franchement de ce qui les entoure, les dialogues n'abondant pas et les figurants se faisant rares, disparaissant même, autour du couple auquel s'attache la caméra. Enfin, là où le réalisme d'Ozu soutient un discours sur la société japonaise de son temps, celui de Kore-eda entraîne ailleurs.

    La mise en scène de Maborosi produit un effet étrange, comme si l'attention très soutenue au réel finissait par tirer vers l'irréel. Le montage dicte une progression non dramatique, qui ne naît pas de l'enchaînement des événements mais qui accumule les ellipses. Il y a bien un drame, à l'origine, et quel drame !, la mort, par un suicide inexplicable, de l'être aimé. Mais la vie continue avec l'acceptation d'un nouveau partenaire et les changements que cette situation provoque, au potentiel dramatique si fort, sont absorbés par la sérénité apparente de l'ambiance : la relation entre l'homme et la femme semble immédiatement harmonieuse, leurs enfants respectifs s'entendent à merveille... Cette absence d'accrocs peut surprendre. Elle est pourtant d'une certaine vérité.

    Un léger mouvement de bascule finit tout de même par s'opérer, en deux temps. Une onde de choc issue du drame initial, peut-être refoulé jusque là par l'héroïne, se répercute à l'occasion d'un retour sur les lieux de cette vie antérieure puis au moment de la disparition temporaire d'une voisine du village, partie pêcher en mer avant la tempête. La douleur refait alors surface. Kore-eda s'en tient cependant toujours à l'observation digne.

    L'attente de nouvelles de la pêcheuse de crabes s'étire sur plusieurs séquences. Il est toutefois étonnant que, durant ce temps, à aucun moment, la caméra de Kore-eda ne se tourne vers la mer. C'est que les plans de Maborosi, même peuplés de un, deux ou trois personnages, sont déjà creusés par l'absence. Et cela est perceptible dès le début du film : lors du prologue, la grand-mère du personnage principal, alors jeune fille, quitte cette dernière au milieu d'un pont, l'angle choisi soustrayant l'aïeule à notre regard quand elle s'éloigne. La mort est ainsi suggérée, la disparition des uns et le désarroi des autres sont purement affaires de mise en scène.

    Hirokazu Kore-eda tient un équilibre difficile en nous imposant une certaine mise à distance du regard tout en préservant une proximité sensible. Plusieurs plans le concrétisent, très larges, englobant tout le paysage et laissant pourtant entendre parfaitement les voix de ceux que l'on distingue à peine. Voilà qui signe aussi, peut-être, l'accès à une autre dimension, pressentiment qui existait déjà à la vue de quelques admirables compositions plastiques (s'appuyant sur les lignes d'horizon, sur l'architecture "naturelle"), devant l'absence presque irréelle déjà évoquée de l'homme dans certains plans ou encore à entendre cette brève évocation d'une "lumière fantôme" (donnant son titre au film) attirant parfois les êtres qui se perdent alors et laissent derrière eux les vivants, à l'âme entamée, sans réparation possible.

    afterlife.jpgIl est étrange de constater à quel point After life (Wandâfuru raifu) peut être considéré comme l'envers exact de Maborosi, les deux semblant séparés par un miroir sans teint. Le point de vue a changé, nous sommes passés de celui des vivants à celui des morts. Le titre ne ment pas : tout se déroule ici après la vie, dans des limbes à l'organisation bureaucratique. Inversant les données par rapport au premier film, l'argument est ici fantastique mais il subit un traitement parfaitement réaliste. La caméra est le plus souvent portée pour suivre les déplacements des personnages, les échanges entre les nouveaux arrivants et ceux qui les accueillent sont soumis à la frontalité du recueil de témoignages dans les reportages, la lumière naturelle éclaire sans apprêt des décors fonctionnels et rudimentaires.

    Avançant au rythme des jours d'une semaine, le récit génère plusieurs blocs. Le premier est essentiellement composé d'une suite d'entretiens destinés à l'élection d'un souvenir précis chez chacun des vingt-deux morts défilant devant les "fonctionnaires" du lieu. Le procédé entraîne forcément un sentiment de répétition et, comme la situation est d'une grande singularité et que la parole devient l'élément moteur, le spectateur peut se sentir plus "dirigé" dans sa réflexion et ses émotions. L'intérêt ne faiblit pas, cependant, notamment grâce à l'humour discret se faufilant dans les dialogues ("Vous êtes morte hier. Toutes mes condoléances."), au contrepoint apporté par la vie quotidienne des agents, à la surprise provoquée par certains récits, dont les plus émouvants ne portent pas forcément sur les sujets les plus attendus (ainsi du choix d'un souvenir lié à un vol en avion).

    Déjà attachant, le film prend une réelle ampleur en relatant la mise en images des souvenirs des défunts. Ces derniers sont en effet conduits dans un bâtiment transformé en studio, où s'affairent plusieurs techniciens tentant de recréer au plus près l'ambiance qui leur a été demandée. A travers la réalisation de ces petites séquences, Kore-eda célèbre l'artisanat cinématographique. Il insuffle une nouvelle dimension, sans jamais insister, liée à la capacité qu'aurait le cinéma de faire revivre un instant précis. L'émotion de ces hommes et de ces femmes, troublés par cette possibilité offerte, devient la nôtre. Le cinéaste termine son récit à l'aide d'un rouage astucieux du scénario qui laisse les personnages reprendre la main, histoire que l'émotion produite ne soit pas uniquement "réflexive".

    L'œuvre, particulièrement originale, presque ludique, traite avec tact de questions essentielles. Quels souvenirs garde-t-on d'une vie ? Habite-t-on le souvenir d'un(e) autre ? After life complète Maborosi pour donner naissance à un univers artistique délicat et cohérent, hanté par la mort, l'absence, le deuil et l'idée de la trace laissée par la présence humaine.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • L'exorciste & L'exorciste II : L'hérétique

    (William Friedkin / Etats-Unis / 1973 & John Boorman / Etats-Unis / 1977)

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    A sa sortie, L'exorciste (The exorcist) fit un triomphe au box-office (fin 73 aux Etats-Unis et à la rentrée 74 en France). En 77/78, L'exorciste II : L'hérétique (The exorcist II : The heretic), après un bon démarrage, s'effondra rapidement. La critique française, dans son ensemble, reçu avec mépris le film de Friedkin. Celui de Boorman, bien que malmené lui aussi, trouva en revanche plusieurs défenseurs acharnés. Je n'avais encore jamais vu L'hérétique et, malgré la forte impression que m'avaient laissés, adolescent, French Connection et L'Exorciste, cette phrase lue dans 50 ans de cinéma américain (Coursodon / Tavernier) m'est toujours restée en tête : "Ces deux films ont la particularité d'avoir eu, l'un et l'autre, une suite nettement plus intéressante mais beaucoup moins lucrative". Pour Positif, le second volet de L'Exorciste, signé d'un "auteur maison", surclassait alors largement le premier (couverture et 20 pages d'entretien en février 78). Pour Télérama, assez récemment encore, Boorman évitait "le Grand-Guignol, les effets sonores et le réalisme ordurier dans lesquels Friedkin s'était vautré". Cependant, depuis quelques années, la fortune critique des deux cinéastes semble avoir évolué de manière opposée. Friedkin, après une longue période de purgatoire a été remis au premier plan suite, notamment, à la réussite de Bug et a été progressivement ré-évalué par des critiques d'une autre génération, se rappelant probablement d'un choc de jeunesse (Thoret, Vachaud, Maubreuil...). La figure de Boorman, devient quand à elle de moins en moins visible, en partie à cause de la non-distribution en salles de ses deux derniers films en date. Malgré ce récent état de fait, je m'attendais donc à revoir tout d'abord un produit efficace mais douteux, voire répugnant, puis une œuvre profonde, inspirée et éminemment poétique de l'autre. Et il y a de ça. Seulement, au final, le jugement de valeur et l'intérêt suscité n'obéissent pas forcément à la logique de la supposée supériorité de l'imaginaire visionnaire sur l'horreur bassement réaliste.

    exorcist.jpgLa première heure de L'exorciste relate très peu d'événements et place tout juste, de ci de là, quelques signes rendus volontairement énigmatiques par le défaut d'explication données, par l'éclatement spatio-temporel du récit et par la suspension de la plupart des séquences au sein desquelles ils apparaissent (nous retrouverons plus loin ce procédé). Il ne s'y passe donc pas grand chose mais ce prologue décrivant des fouilles archéologiques en Irak, ce suivi des faits et gestes d'un ecclésiastique en pleine crise de foi et ces scènes de famille à la teneur quasi-documentaire intriguent fortement par le parallélisme imposé par le montage. Friedkin joue du flottement et de l'attente du spectateur, multipliant en ces endroits les ellipses étonnantes (la mort de la mère du Père Karras, par exemple), reportant au plus tard possible le croisement des différentes trajectoires qu'il décrit. Ces trouées et ces prolongations nous laissent dans l'expectative, nous laissent aussi, parfois, dubitatifs (a-t-on là des défauts de construction ou pas ?). Mais le maillage tient pourtant, et l'étrange réalisme de Friedkin (ainsi que la qualité d'ensemble de l'interprétation) fait que l'on s'attache à ces personnages. Par conséquent - mais n'est-ce pas un mécanisme de protection de notre part, redoutant le pire, pourtant connu ? -, plus que la possession elle-même, ce sont les rapports de chacun (scientifique, prêtre, mère de famille) avec la notion d'exorcisme qui passionnent.

    La progression orchestrée par le cinéaste est infaillible, celui-ci sachant exactement comment atteindre son but : estomaquer le spectateur. Au calme plat de la première partie, succède une montée de la tension par paliers, avant les débordements de la dernière demi-heure. L'univers du film, si éclaté au départ, se compresse progressivement à l'échelle de la maison de Georgetown et de la chambre de Regan, décor qui nous est remarquablement rendu présent.

    Friedkin réaliste, mais aussi, Friedkin accrocheur (raccoleur ?). Afin de nous saisir, il n'hésite aucunement à avoir recours à une esthétique du choc. La surenchère ordurière, verbale et physique, ne l'effraie pas (de là vient le rejet des critiques de l'époque : la "vulgarité" du style), la recherche de l'effet non plus. Il n'est dès lors pas étonnant que le film marque autant l'esprit à la première vision. A la seconde, se remarque l'usage d'un procédé expliquant lui aussi l'impact : Friedkin coupe toutes ses séquences à sensation à leur acmé, refusant de les laisser retomber, ne les laissant jamais se dénouer, enchaînant brutalement sur un autre lieu. D'où l'état de sidération du spectateur.

    L'efficacité et le spectaculaire assurent le maintien du statut de classique (malgré le fait que celui-ci ne soit finalement plus vraiment terrifiant). Ils ont aussi tendance à brouiller partiellement la réflexion. Le fond idéologique de L'exorciste apparaît trouble, peu aimable, sans que, là aussi, on ne distingue très bien ce qui échappe à Friedkin et ce qui lui est propre. Ce sont les médecins qui proposent l'exorcisme à la mère de Regan et les prêtres se sacrifient pour aider les flics à faire leur boulot. Science, religion et police ne s'opposent jamais, ne s'excluent pas mais s'épaulent pour le retour à l'ordre.

    Mais les soubassements douteux n'aboutissent pas toujours à de mauvais films...

    heretic.jpg... et les bonnes intentions suffisent rarement à faire les meilleurs.

    L'hérétique semble d'abord s'engouffrer dans l'une des zones d'ombre du précédent. Un nouveau protagoniste, le Père Lamont (Richard Burton, perdu), doit enquêter sur les circonstances exactes de la mort du Père Merrin, quatre ans auparavant. Pour cela, par télépathie, il voyage dans les souvenirs de Regan et se retrouve propulsé dans plusieurs dimensions, prenant part à une lutte entre le bien et le mal, lutte aux racines ancestrales (africaines) déjà étudiées par le Père Merrin (Max Von Sydow rempile donc pour quelques flash backs).

    En 77, les admirateurs de Boorman n'ont qu'un mot à la bouche : "Visionnaire". La conscience qu'en a le cinéaste lui-même se traduit par plusieurs choix.

    Tout d'abord, l'image doit constamment se dépasser elle-même pour accéder à un état de transe cinématographique. La technique est à la pointe (steadycam utilisée pour la première fois dans des séquences aussi longues), les décors sont stylisés (nature africaine recréée en studio) et futuristes (le laboratoire et l'appartement de Regan sont si modernes qu'ils en paraissent aujourd'hui affreusement démodés), les acteurs sont poussés vers la tension immédiate, l'éclat fiévreux, l'expression sans détour. Le risque est grand car si la transe n'est pas partagée par le spectateur, le mouvement créé devient simple manège.

    Ensuite, ce cinéma hyper-visuel est supposé faire avaler toutes les aberrations du scénario. L'effacement poétique des distances par la mise en scène ne rend pas moins incohérents les rebondissements et les allers-retours des personnages entre New York et Washington, entre l'Ethiopie et les Etats-Unis. De plus, à trop travailler l'image, il arrive que l'on en oublie d'écrire des dialogues un tant soit peu corrects et crédibles.

    Enfin, Boorman, qui fait alors son film contre le premier volet (il ne l'aime pas), sait voir au-delà de l'illusion religieuse et de la raison scientifique. Ici, les deux blocs (la police est absente, l'institution, le social, n'intéressent pas le cinéaste) sont réellement renvoyés dos à dos et dépassés par une force plus haute, plus poétique, métaphysique. Cela nous vaut un salmigondis extra-sensoriel qui rend incompréhensible le déroulement du récit dans son final (faute d'attention de notre part aussi, certainement).

    Un point positif ? Boorman parvient à révéler l'érotisme d'une Linda Blair qui a bien grandi, d'abord subtilement en la filmant régulièrement en chemise de nuit valorisante avant de le faire plus franchement lors du dénouement qui la jette, provocante et possédée, dans les bras de Burton.

    Personnellement, L'hérétique m'apporte une confirmation : John Boorman est tantôt génial ou du moins excellent (Le point de non retour, Duel dans le Pacifique, Leo the last, Délivrance, Hope and glory, Le Général, Tailor of Panama), tantôt terriblement assommant (Zardoz, L'hérétique, La forêt d'émeraude, Rangoon). Il ne connaît pas l'entre-deux.