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Film - Page 63

  • Memory Lane et le cinéma de Mikhaël Hers

    hers,france,2000s,2010s

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    logoKINOK.jpg

    (Cette chronique dvd est mon avant-dernière contribution pour Kinok, l'activité du site étant stoppée par son rédacteur en chef après huit ans d'efforts. C'est avec grand plaisir et avec fierté que, pendant trois ans, j'ai fait partie de l'équipe de rédaction, dans ce bel espace de cinéphilie.)

     

    Merci à Laurent Devanne

    et spéciale dédicace à Vincent Jourdan

     

    "Tu n'aimais rien autant que la légèreté de la pop"

    Ad Vitam publie ce double dvd. Memory Lane remplit la première galette alors que la seconde regroupe, en les nommant "bonus", les moyens métrages Charell, Primrose Hill et Montparnasse. L'éditeur ne nous entraîne donc pas à la découverte d'un film sorti en salles fin 2010 mais, en toute modestie, à la découverte d'un cinéaste.

    Dans tous ses films, Charell se tenant toutefois un peu à part, Mikhaël Hers s'intéresse à des groupes de jeunes gens vivant dans la banlieue Ouest de Paris, faisant leurs premiers pas hésitants dans la vie active, jouant, écoutant et parlant de musique et enfin, s'aimant. C'est si peu et beaucoup à la fois.

    Les récits ne prennent forment qu'à la suite de petites touches successives et ce qui frappe d'abord est la douceur des rapports décrits. Dans le moindre échange se remarque une attention rare à l'autre. Celle-ci ne ressemble cependant pas à une molle gentillesse. Non, cette attention soutenue fait au contraire que l'on imagine tout de suite la naissance, la continuation ou le souvenir d'un élan amoureux, quels que soient l'âge et le sexe des protagonistes en présence. Hers privilégiant toujours l'instant, le moment, les morceaux de vie, nous prenons les choses en cours de route. Par conséquent, l'impression première est, le plus souvent, fausse. Mais pas toujours. Primrose Hill nous mène ainsi vers une scène d'amour à laquelle nous assistons dans sa durée réelle. La frontalité et la franchise dont elle fait preuve ne sont pas inédites, loin de là, dans le cinéma contemporain, mais elle semble, de manière très originale, dénuée de toute espèce de provocation. C'est parce qu'elle est portée par le même rythme, le même flux que ce qui la précède. L'étirement du temps et la douceur ambiante s'y prolongent.

    Du premier au dernier métrage en date, nous profitons de la belle musicalité de la mise en scène. La bande son n'en est pas la seule responsable. La lumière naturelle, toujours un peu automnale, même en été, les travellings élégants s'accordant aux pas des marcheurs et le montage fluide y concourent amplement. Les œuvres donnent à voir, chacune, le naturel. Mais l'idée de justesse ne vient pas seulement d'une sûreté d'approche sociologique. Elle se faufile dans les espaces laissés dans les plans à une butée sur un mot ou à la remise en place d'une mèche de cheveux que le vent rend gênante. Elle s'installe dans le temps, aussi. Le temps des plans, généralement assez longs, scandant des récits pourtant fugitifs (Primrose Hill se passe en une journée, Montparnasse raconte trois histoires qui pourraient se dérouler la même nuit).

    Les gens que nous présente Mikhaël Hers sont généralement jeunes. Ils ont la vingtaine, approchent bientôt des 30 ans. Et ils ont un passé. La plupart du temps nous est contée une histoire de retrouvailles, une histoire dont le début a déjà été écrit, sans nous. Cela leur assure une consistance et suscite inévitablement notre curiosité, l'éclairage se faisant très progressivement et très imparfaitement. Ce passé est présent sous des formes variées, parfois banales comme les souvenirs scolaires ou les rencontres avec d'anciens camarades mais le plus souvent douloureuses avec ces parcours de vie déjà tortueux, ces difficultés professionnelles et plus encore, ces disparitions et ces fantômes. Pourtant, les films de Hers sont parmi les plus actuels qui soient. Les indications géographiques et culturelles y sont nombreuses. Nommer des lieux, des quartiers, des bars, des restaurants, des salles de concert ou des groupes de rock, c'est garder les pieds solidement plantés dans le présent et balayer le passéisme que peuvent faire craindre, pour certains, la délicatesse de la forme et le soin apporté à la circulation de la parole. Dans le présent, ces jeunes hommes et femmes y vivent et s'y débrouillent. Sentir le poids du passé ne provoque pas l'arrêt. D'ailleurs, ces gens marchent tout le temps et ils avancent, les récits s'ouvrant toujours en leur fin vers de nouvelles directions. L'émotion ressentie face au cinéma de Mikhaël Hers provient de cette tension qui habite les personnages, entre passé et présent.

    Premier essai, Charell est un beau film d'ambiance. Tiré d'une source littéraire, De si braves garçons de Patrick Modiano, il ne s'en cache pas. Les figures de style et les thèmes se mettent en place : délicatesse, nostalgie, discussions, amitiés, marches, musiques... Les coutures sont plus visibles qu'elles ne le seront par la suite. Comme les moyens visant à faire atteindre certains instants à l'étrangeté sont plus directs, de l'accompagnement musical aux postures des acteurs en passant par les éclairages. Les marges du fantastique sont parfois proches. Primrose Hill marque l'épanouissement du style, la forme se faisant moins rigide. L'étrangeté vient cette fois du point de vue adopté : cette histoire de quatre jeunes personnes est racontée par une cinquième qui leur est (ou a été) proche. Notre regard s'en trouve dédoublé et l'impression est forte de regarder l'écran presque à côté de cette narratrice à laquelle aucun des protagonistes ne fait allusion. Puis Montparnasse dénude encore. Et étrange, toujours, cette nuit captée par la caméra et où se déploient trois récits séparés, successifs. Le cinéma de Mikhaël Hers n'est pas réductible au seul réalisme.

    Tout cela mène donc à Memory Lane (y aboutit, peut-être, avant de passer à autre chose). Le film partage son titre avec un autre roman de Modiano et une chanson d'Elliott Smith. Il propose une série de variations sur quelques motifs que l'on peut déjà qualifier de "hersiens" et s'autorise même des rappels et des prolongements discrets d'histoires ébauchées dans Primrose Hill. Ici aussi les regards se tournent parfois vers un passé récent, lui même chargé "d'avant". Des personnages, peut-être, sont en train de disparaître eux aussi. Les lieux arpentés deviennent familiers. La musique est ciblée indépendante (parce que les personnages savent précisément ce qu'ils aiment, ce qui n'arrive finalement pas souvent au cinéma). Le naturel est là, parfois bouleversant comme lorsqu'il faut accompagner un père vers la sortie. Le récit repose toujours sur des bribes de pas grand chose et éparpille encore, traitant les différents membres du groupe de manière inégale. Il est filandreux et imprévisible. Il a également une portée plus large. Par quelques détails, il explique en partie pourquoi la douceur imprègne tant ce cinéma-là : il s'agit d'une phobie, rare au cinéma et d'autant plus précieuse, de la violence, jusque dans les mots.

    Les films de Mikhaël Hers nous attachent délicatement, recherchent la douce connivence (par le biais de sa troupe d'acteurs notamment), feignent d'énoncer des banalités pour mieux rendre ces moments uniques. Comme le fait la pop. Reste alors une question : ce cinéma peut-il toucher les spectateurs au-delà du cercle de ceux qui n'aiment effectivement "rien autant que la légèreté (et la profondeur) de la pop" ? Personnellement, nous l'espérons vivement.

     

    Tout Mikhaël Hers sur Inisfree.

     

    hers,france,2000s,2010sCHARELL

    PRIMROSE HILL

    MONTPARNASSE

    MEMORY LANE

    de Mikhaël Hers

    (France / 45 min, 55 min, 58 min & 98 min / 2006, 2007, 2009 & 2010)

  • Les chansons d'amour, Non ma fille tu n'iras pas danser & Les bien-aimés

    honoré,france,comédie,mélodrame,musical,2000s,2010s

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    Le poing point sur Honoré

    J'en étais resté , guère décidé à aller plus avant. Puisqu'il faut toujours se placer d'un côté ou de l'autre de la barrière lorsque l'on parle de ce réalisateur, j'ai accompagné le groupe des allergiques. Aujourd’hui, trois ans plus tard, la situation de Christophe Honoré est la même qu'alors, tout juste l'indifférence a succédé à la virulence chez la plupart de ses détracteurs. Les défenseurs, eux, continuent de trouver leur compte dans ce cinéma. Comme j’accorde du crédit à quelques uns parmi ces derniers, blogueurs, critiques ou spectateurs, l’idée de réactualiser ma position a fait son chemin peu à peu. La sortie en salles, au mois d’août dernier, d’un nouveau titre était l’occasion pour moi de faire le point, d’autant plus que je pouvais facilement profiter dans le même temps du prêt de deux DVD renfermant des films antérieurs.

    Premier temps : Les chansons d’amour ou Le beurre et le cul de la crémière

    Mon symptôme allergique semble se confirmer. La comédie musicale d’Honoré et Beaupain m’agace. "Le beurre, le cul de la crémière" est une expression que l’on entend dans l’une des chansons du film, peut-être la seule, d’ailleurs, à accrocher quelque peu l’oreille. Vouloir le beurre et le cul de la crémière, c’est quoi ?

    C’est revendiquer, en disposant des signes de reconnaissance dans les moindres recoins, l’héritage de la Nouvelle Vague, mouvement qui se créa essentiellement contre le cinéma en place, alors que l'on propose soi-même une œuvre consensuelle, fédératrice, populaire.

    C’est reprendre tous les tics du cinéma d’auteur parisien (la chanson française, les jeunes acteurs en vogue, les petits drames de chambres, la culture littéraire classique, le bon goût cinématographique, la classe sociale aisée) et jurer ses grands dieux que l’on est à cent lieues de ça, que l’on ne comprend pas pourquoi on passe aux yeux de beaucoup pour un réalisateur bobo.

    C’est glisser des clins d’œil supposés nous assurer d’une certaine intelligence et d’une certaine culture, et enchaîner sur de sinistres pitreries (voir les gamineries consternantes du personnage de Louis Garrel).

    C’est se lancer dans un plaidoyer pour l’hédonisme sexuel mais en rabotant tout ce qui dépasse, rendant le passage d’un partenaire à l’autre, quelque soit le genre, tellement souple et naturel qu’il en devient indifférent, inconséquent, qu’il n’engage aucunement.

    C’est filmer des dialogues qui donnent l’impression d’être courageux et éloignés de toute correction, alors qu’ils servent au contraire à rassembler dans un même jugement, à rameuter, à véhiculer un double discours attrape-tout (engueulade dans la rue entre Louis Garrel et Chiara Mastroianni : - J’suis inconséquent, j’suis idiot, et puis, oh, j’suis pédé… - C’est pas c’que j’ai dit ! C’est dégueulasse de me faire passer pour la conne !Chut !).

    C’est s’appuyer sur une musique de variété pop passe-partout qui puisse plaire à tout le monde et demander aux acteurs de chanter eux-mêmes pour faire naître une authenticité et une émotion particulière (le résultat étant surtout pénible pour les oreilles).

    Ces Chansons d’amour m’indiffèrent et je suis à deux doigts de me décourager définitivement. Je donne tout de même à Honoré une dernière chance...

    Deuxième temps : Les bien-aimés ou Comme la vie a passé vite, comme désormais tout est lent

    Une fois encore, la chronique sentimentale se transforme à l’occasion en véritable comédie musicale. Par conséquent, les premières scènes font craindre la redite par rapport aux Chansons d’amour (l'affiche, déjà...) et l’on se dit que le cinéaste en est arrivé à se citer lui-même. Pourtant, malgré l’impression de faiblesse, de déjà vu et de facilité qui se dégage de cette partie années 60 d’une histoire qui se déroulera sur quatre décennies, l’énervement ne pointe pas. Tout d’abord, la part de cliché est assumée et comme le dit plus tard le personnage de Catherine Deneuve, "tout était plus facile à l’époque". Ensuite, Christophe Honoré a la bonne idée de ne pas entremêler artificiellement les époques et de garder, au-delà de deux ou trois interventions d’un autre temps, le fil chronologique. Au lieu d’avoir un film inégal, nous avons alors un film qui s’améliore progressivement.

    Un film qui devient aussi plus profond. "Comme la vie a passé vite, comme désormais tout est lent" chante Deneuve. Au cours de la première partie, les enjambées sont grandes : de 1968 on passe à la fin des années 70 puis on effectue un grand saut par-dessus les années 80. Le regard est superficiel (et la reconstitution parfois très maladroite comme lorsqu’il faut évoquer la fin du printemps de Prague). Ensuite, parvenu à la fin des années 90, le récit se pose pour un bon moment et les bornes historiques se font plus rapprochées. On prend le temps de fouiller les caractères et de s’attacher aux personnages.

    Finalement, tout cela n’est pas dénué de force romanesque. L’écriture paraît bien plus sérieuse qu’auparavant, bien qu’Honoré conserve bien sûr son goût pour les traits d’humour (ce n’est pas ce qu’il réussit le mieux) et les clins d’œil cinématographiques (assez bien intégrés cette fois-ci : la famille tchèque porte le nom de Passer, on cite un proverbe jadis illustré par Rohmer, etc.). Contrairement à ce qu’il se passait dans Les chansons d’amour où elle arrivait tôt et ne provoquait pas d’émotion (notamment parce qu’elle était filmée de manière trop décalée en termes esthétiques – arrêts sur images en noir et blanc de type reportage), la mort a ici un vrai poids et valeur de choc. Et si elle touche ainsi, c'est que les échanges font preuve d'une belle vitalité. Les personnages des Biens-aimés, toujours en mouvement, se retrouvent très fréquemment aux alentours de quelques gares. Leurs déplacements font bouger le film, leur circulation le rend fluide. Courant les uns après les autres, ils se livrent parfois à une sorte de harcèlement amoureux qui se révèle souvent payant. L'idée était en germe dans Les chansons d'amour avec la ronde qui s'organisait autour de Louis Garrel (l'attirance obsessive qu'éprouvaient, différemment, Chiara Mastroianni et Grégoire Leprince-Ringuet était l'une des rares choses chargées d'intensité).

    Toujours inégales restent les chansons, comme les voix qui les portent. Elles sont toutefois plus espacées et sont donc reçues avec moins de fatalisme et par des oreilles plus attentives. Certaines, comme le duo franco-anglais (ou putôt américain), sont même (enfin) mémorables. L'aventure londonienne de Chiara Mastroianni, qui devient décisive pour toute une vie, est réussie et figure peut-être l'une des meilleures transpositions cinématographiques possibles d'une chanson des Smiths. L'effet est évidemment recherché par Honoré : ressemblance de Paul Schneider avec Morrissey, thème de l'amour impossible entre homo et hétéro, refrain claironnant "Heaven knows I'm miserable now" et T-shirt de Chiara siglé... The Smiths. Ces séquences libèrent une émotion qui ne retombera pas jusqu'au générique de fin, le cinéaste enchaînant alors en souplesse les sujets les plus casse-gueule (un discours sur le sida est rendu difficile à articuler car mis en français dans la bouche d'un Américain et l'évocation du 11 septembre 2001 se fait par un beau détour par Montréal).

    Parsemé de beaux moments (la transition de Madeleine jeune - Ludivine Sagnier à Madeleine vieillissante - Catherine Deneuve, sous les yeux de sa fille Véra - Chiara) et de belles idées (le subtil changement de voix-off en cours de récit, la mère finissant par prendre en charge l'histoire de sa fille), Les bien-aimés est un film séduisant, au-delà de ses quelques défauts et de la faiblesse de sa première demi-heure. J'ai bien fait de persister.

    Troisième temps : Non ma fille tu n'iras pas danser ou La recherche de l'équilibre

    Chronologiquement placé entre les deux autres, Non ma fille tu n'iras pas danser l'est également sur une échelle qualitative. Scindé en deux, le récit joue aux montagnes russes pour véhiculer notre intérêt fluctuant. Le portrait de famille est peint en organisant autour d'une figure centrale, Léna (Chiara, toujours), divers affrontements. Malheureusement, regarder ceux-ci c'est, invariablement, porter un jugement sur les personnages, se placer d'un côté ou de l'autre, sentir qu'il y en a toujours un qui a plus raison que l'autre et, finalement, faire des choix en fonction de préférences (par rapport aussi aux acteurs qui les incarnent : aïe, Marina Foïs...). Il y a là un déséquilibre, accentué encore par cette manie agaçante qu'a le cinéaste de filmer des gens qui font les malins, que ce soit de manière perpétuelle (le frère s'exprimant toujours au second degré) ou occasionnelle (aucun n'échappe au plaisir du "bon mot"). Chez Honoré, le "léger" est le plus souvent futile, référentiel, ironique, jamais dupe. Non ma fille tu n'iras pas danser a aussi, fort heureusement, un côté plus "adulte" et plus "franc".

    Une douleur secrète y serpente, comme le fait une musique plus lancinante et plus dramatique que d'ordinaire. Quelques plans légèrement troublants (des malaises, des frémissements) font passer des ombres et donnent de l'ampleur. On observe une dérive vers la névrose et cette instabilité est plutôt bien rendue par la mise en scène des déplacements imprévisibles, d'un foyer à l'autre, de Léna. Bien sûr, Non ma fille..., comme Les bien-aimés, doit énormément à Chiara Mastroianni, à son regard qui ouvre des failles mais qui, même dans l'affolement, ne nous inquiète jamais vraiment (à tort, ses personnages n'en revenant pas toujours) tant sa douce présence nous est familière.

    Je n'oublie pas qu'en plein milieu du film, exactement, un passage fait inévitablement parler de lui. Un récit légendaire venu de la mémoire bretonne s'intercale tout à coup dans cette histoire de famille contemporaine. La séquence est longue, sans paroles mais gorgée de danses et de musique. Elle annonce aussi un souvenir qui sera raconté à la fin. Elle est peut-être ratée mais elle est gonflée. Cette audace-là ne manque pas de panache.

    Situation actuelle

    Ainsi, sans me muer en véritable défenseur d'Honoré, je note une amélioration de mon rapport à son cinéma et je quitte le camp des réfractaires pour rejoindre putôt, au milieu du gué, les rares observateurs qui, comme le voisin Mariaque (ici ou ), gardent calmement un œil sur cette affaire sans avoir ni la bave aux lèvres ni un genou à terre.

     

    chansons00.jpgnonmafille00.jpglesbienaimes00.jpgLES CHANSONS D'AMOUR

    NON MA FILLE TU N'IRAS PAS DANSER

    LES BIEN-AIMÉS

    de Christophe Honoré

    (France / 100 min, 105 min & 140 min / 2007, 2009 & 2011)

  • Restless

    van sant,etats-unis,2010s

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    Enoch a perdu ses parents dans un accident de voiture, s'incruste aux enterrements ayant lieu dans sa ville et dialogue avec un fantôme. Annabel a une tumeur au cerveau et ses jours sont comptés. Ils sont jeunes et beaux. Ils se rencontrent, s'aiment et font leur petit bout de chemin ensemble.

    Gus Van Sant a, jusqu'ici, si bien filmé la jeunesse, a si parfaitement réussi à transposer un état d'esprit, qu'il en est arrivé à tourner comme un ado. Avec Restless, il prend un plaisir infini à montrer des petits trucs de gamins, de la craie sur le bitume aux bonbons sur les tables, des bécots sur les lèvres aux histoires (très signifiantes) d'insectes se nourrissant de cadavres. Il voit le monde tel que ceux-ci peuvent le rêver, se met à leur niveau et se complaît dans la niaiserie.

    La grande idée de Restless c'est d'aborder le grave sujet de la mort sans aucun pathos au point de prendre à chaque moment le contre-pied de la tristesse attendue, de faire passer avec délicatesse ce qui devrait s'avérer violent, de rendre naturel le surnaturel et d'accepter l'inacceptable. Or, si la mise en scène de Van Sant reste fluide, elle est ici dépourvue de la radicalité de ses grandes œuvres de la décennie précédente comme de l'énergie qui parcourait le plus classique Harvey Milk. Par conséquent, tout devient soudain lisse, sans aspérité, sans faille, sans éclat. Dans Restless, la violence s'évite facilement, les bons conseils sont aisés à recueillir (ils viennent du fantôme), un cadavre à la morgue a l'apparence d'une belle jeune fille, et un enterrement, c'est joli, surtout si on l'enrobe d'une chanson de Nico (artiste dont la musique, pourtant, me semble à l'opposé de la joliesse, du confort et du sourire). Enoch et Annabel font l'expérience de la mort comme d'autres font celle d'une sexualité tendre et apaisée. Leurs références aux kamikazes et au seppuku sont sources de gags (Nagasaki quand même pas, il ne faut pas abuser...) et probablement si la fille s'en va, sa sœur prendra le relai. Bref, dans Restless, la mort, c'est cool...

    Si la question habituelle dans ces cas-là est bien posée (Combien de temps reste-t-il à vivre à la malade ?), jamais l'idée de compte à rebours ne prend forme ni ne donne quelque épaisseur aux instants vécus. L'histoire est d'ailleurs vaguement intemporelle mais le refuge dans le passé de ces adolescents n'est finalement prétexte qu'à un beau défilé de mode en vêtements vintage.

    Auparavant, Gus Van Sant savait empaqueter ses cadeaux. Cette fois-ci, il n'a préparé que l'emballage, il n'a rien mis dedans. De toute façon, je crois qu'il ne m'était pas destiné.

     

    van sant,etats-unis,2010sRESTLESS

    de Gus Van Sant

    (Etats-Unis / 90 min / 2011)

  • Le convoi

    leconvoi.jpg

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    Présenter Le convoi comme un titre mineur mais s'intégrant parfaitement dans la filmographie de Sam Peckinpah cela a plus d'allure et plus d'attrait que de le qualifier de lourde comédie d'action relatant les aventures d'un groupe de routiers sympas. Pourtant, durant sa première partie, le film n'est rien d'autre que cela. Le cinéaste n'y va pas de main morte pour s'installer dans ce genre, osant notamment une bagarre de "saloon" résolument parodique à voir l'usage du ralenti qui est fait, tendant ici à déréaliser et à épaissir le trait. Cette course poursuite entre trois chauffeurs et un policier pervers n'est ni très glorieuse ni très intéressante, à l'image des conversations codées ayant cours entre les routiers à travers leur CB.

    Ces échanges continus par ondes radio, si réalistes qu'ils soient, contribuent à une saturation des plans particulièrement éreintante. Car ce n'est pas tant le rythme qui fatigue mais l'accumulation à l'intérieur du cadre et d'une séquence à l'autre. Le film de Peckinpah nous saoule de messages, de sirènes de voiture de police, de klaxons de camions, d'une musique country que l'on apprécierait peut-être si elle était utilisée moins systématiquement, de défilés de poids lourds (un, puis deux, puis trois... jusqu'à cinquante, cent ?), de nuages de poussière et de fumées noires. Dans le même élan, le comique s'affiche grossièrement et nous empèche de prendre au sérieux tout ce qui se passe sur l'écran y compris lorsque la violence et le drame pointent leur nez (passage à tabac d'un Noir, lutte "à mort" entre le leader et le policier).

    La dimension politique du Convoi a également du mal à s'affirmer clairement au milieu de ce cirque mais elle nous retient assez pour ne pas rendre le film totalement négligeable. Suite à un acte de rébellion contre l'ordre policier, Rubber Duck se retrouve en tête d'un groupe de routiers auquel se joignent tous les éléments contestataires de la société américaine croisés dans les régions traversées pour atteindre le Mexique. Des hippies aux femmes libérées, du Noir opprimé à l'individualiste réfractaire, l'échantillon représentatif n'est pas mis en évidence de manière très fine mais dans la partie centrale du film, la plus intéressante et la moins lourde, on sent très bien, au-delà d'une amusante tentative de récupération politique par les autorités, que les diverses espérances et revendications formulées ne fusionnent jamais véritablement et que la vision désenchantée, détachée et pessimiste de Duck prédomine (soit, par extension, celle de Peckinpah).

    L'aventure se poursuit malheureusement dans un troisième acte au scénario toujours à la lisière de la bêtise (la crédibilité fut apparemment le moindre des soucis des auteurs), sacrifié, comme tout le reste, à la recherche de l'effet. L'évidence de la transposition dans l'univers du western éclate en plein jour mais celle-ci, d'une part, donne un tour plus attendu encore au récit (poursuite, vengeance, duel) et, d'autre part, pousse le cinéaste à composer des plans plutôt risibles, comme celui qui présente avant l'assaut un alignement de camions comme autant de cavaliers sur la colline. L'éclat de rire final, en plein chaos (comique), devient une figure "Peckinpahienne" inopérante car accusant la vanité non seulement du monde décrit mais surtout de sa représentation à travers ce film décevant, dont je garderai tout de même l'image d'Ali McGraw conduisant sa décapotable les jambes écartées et la jupe relevée sur les cuisses.

     

    leconvoi00.jpgLE CONVOI (Convoy)

    de Sam Peckinpah

    (Etats-Unis / 110 min / 1978)

  • L'Apollonide, souvenirs de la maison close

    apollonide1.jpg

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    L'Apollonide est un projet ambitieux et il faut au moins lui reconnaître cela. Ambitieux non pas par les moyens mis en œuvre pour embrasser toute une époque, ni par la confrontation à un grand sujet, mais par sa mise en récit. Bertrand Bonello cherche à raconter autrement et forcément, parfois, c'est son film lui-même qui semble se chercher, freiner, patiner, tourner en rond (dans son dernier tiers, notamment, avant les séquences de fin). Malgré de nombreux petits décrochages et sauts temporels, la progression de la narration reste globalement linéaire et chronologique, tendue qu'elle est vers la fin programmée de cette maison close où travaillent, au tournant du XXe siècle, une dizaine de prostituées. Ce qui est passionnant de ce point de vue, c'est d'observer comment Bonello parvient à avancer sans vraiment prendre d'appui dramatique, à l'opposée de la démarche classique, sa construction étant faite de larges blocs plutôt que de courtes séquences bien reliées les unes aux autres. Ce choix, prisé de nos jours par quelques cinéastes, et non des moindres (on pense assez régulièrement, devant L'Apollonide, au travail d'Abdellatif Kechiche), peut être à l'origine d'une certaine fascination mais peut aussi avoir comme inconvénient d'amener le spectateur à hiérarchiser, à soupeser chaque segment selon ses préférences. Le film de Bonello n'échappe pas totalement à cet écueil. Derrière le parti pris narratif, on découvre d'ailleurs que le tour d'horizon thématique est assez complet par rapport au sujet : nous avons de grandes séquences centrées successivement sur l'ivresse, l'initiation, l'intimité, l'hygiène etc. Finalement, peu d'impasses sont faites mais, fort heureusement, l'impression de feuilleter un catalogue ne nous effleure pas. Cela est certainement dû à la "contemporanéisation" effectuée par le cinéaste. La bande son n'a rien à voir avec ce qui s'entendait à la Belle Epoque et certains dialogues sonnent de manière tout à fait actuelle. Paradoxalement, ce détournement de la convention, qui pourrait s'avérer artificiel, insuffle beaucoup de vie, qualité se signalant notamment dans quelques phrases courtes prononcées par la tenancière du bordel (Noémie Lvovsky chaperonnant les autres, toutes mémorables, d'Hafsia Herzi à Céline Sallette en passant par Jasmine Trinca ou Alice Barnole).

    Mais L'Apollonide est surtout un fantasme de bordel. L'idée de représentation, tout d'abord, y est prépondérante. Elle accompagne bien sûr, déjà, le travail des prostituées mais la mise en scène de Bonello redouble admirablement la leur au moment de montrer les jeux (ou les sévices) érotiques, le plus beau et le plus troublant étant celui où l'une des filles se transforme pour son client en poupée mécanique (la réussite sur ce terrain rend finalement le recrutement, pour jouer les rôles masculins, de collègues cinéastes très anecdotique, propice à faire parler dans la profession mais sans réel apport pour le simple spectateur, même le mieux informé). Ensuite, il y a cette horreur, sous-jacente (les avancées dans des couloirs sombres) et bientôt jaillissante (la mutilation au couteau). Une horreur qui renvoie certainement à une réalité mais qui est ici avant tout d'une grande puissance cinématographique. Enfin, à plusieurs endroits s'effectuent des dédoublements du point de vue, des passages de témoin qui s'accompagnent de répétitions. La sensation du rêve et celle de la claustration (même la sortie au lac, sous le soleil et dans la joie, place les filles à l'abri des regards et aucun plan n'est consacré au trajet) sont ainsi provoquées, comme elles le sont par l'organisation d'un espace fait de diverses frontières, à la fois très précises (dans le plan) et peu situées (dans l'architecture générale du lieu) : rideaux, portes, miroirs, vitres teintées. Assurément, et c'est sans doute là sa qualité principale, L'Apollonide est un film mental. Un film s'ouvrant et se refermant sur le rêve d'une fille. Une fille ou, en fait, une autre, car les ultimes secondes nous propulsent ailleurs, dans notre réalité, esquissant peut-être l'affichage d'un message de portée globale mais le désamorçant in extremis en laissant la fiction reprendre la main, la machine à fantasmer se relancer à nouveau.

     

    apollonide.jpgL'APOLLONIDE, SOUVENIRS DE LA MAISON CLOSE

    de Bertrand Bonello

    (France / 122 min / 2011)

  • Delta

    mundruczo,hongrie,2000s

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    Dans les premières secondes de Delta, accompagnés par un fond musical obsédant, nous glissons majestueusement sur les eaux du fleuve. Soudain, un assourdissant bruit de bateau nous surprend. Ce procédé, Kornel Mundruczo l'affectionne et le reprend souvent, de façon sonore (un jeune homme entre dans le café et le silence se fait aussitôt dans la salle) ou visuelle (il n'est pas rare qu'un plan très sombre soit collé à un autre baigné d'une lumière aveuglante). Parler de sursaut serait excessif et impliquerait une notion de dynamique absente du film (la pénible indolence du personnage masculin est une des causes de ce manque). Qualifions donc cet effet de dissonance.

    Dans le delta du Danube, un couple atypique se forme à l'écart de la communauté. L'homme et la femme construisent leur refuge au milieu des eaux, à peine relié à la terre ferme par une très longue passerelle. Ils sont frère et sœur et ils s'affirment donc dans la transgression. Celle-ci est symbolisée par cette maison sur pilotis qui n'est tenue au rivage (à la norme) que par un maigre fil. L'anéantissement des espoirs aura lieu bien sûr en cet endroit bien précis, là où se fait le passage, là où se trouve le lien que l'homme et la femme ont voulu garder malgré tout : sur ce pont étroit et interminable.

    Cette approche est très théorique et c'est bien là le problème du film de Mundruczo. Si le cadre choisi, naturellement somptueux, a tout pour accueillir le frémissement, le trouble et la sensualité, la mise en scène ne semble s'intéresser qu'à elle-même, prenant régulièrement la pose. La représentation du viol de la jeune femme est caractéristique. Elle tient d'abord dans un plan-séquence très large, en extérieur, dans lequel les personnages sont réduits à des silhouettes dans un paysage de friche industrielle. Mais cette distance instaurée pendant l'acte est annulée par le brusque raccord sur le geste de la fille essuyant sur ses cuisses le sperme de son beau-père, sous le regard de celui-ci. Cette alternance entre la distance réflexive et le choc de la proximité se retrouve lors du final dramatique. Nous réalisons alors, de manière très désagréable, que ce qui intéresse le cinéaste avant tout ce n'est pas tant de s'interroger sur un mécanisme de violence que de filmer l'humiliation.

    Lorsque Delta a été défendu, ce fut à l'ombre de Théo Angelopoulos et de Miklos Jancso. On y trouve pourtant ni la solennité (parfois) impressionnante du premier, ni le dynamisme interne des chorégraphies du second. Ni la complexité des strates temporelles ordonnées par le Grec, ni la mesure de l'espace arpenté par le Hongrois. En ne se focalisant pas uniquement sur l'usage du plan-séquence, il est possible d'évoquer également Scènes de chasse en Bavière. L'argument est en effet similaire à celui choisi par Peter Fleischmann : un jeune homme revient dans son village et réveille les pires instincts chez ses congénères. Ces trois noms sont liés à une autre époque mais le cinéma qu'ils faisaient avait notamment une force et une profondeur historique. L'œuvre, certes plastiquement superbe, de Kornel Mundruczo n'est pas traversée par l'Histoire, elle n'est que théorie, cherchant à créer du mythe moderne. Le regard de l'auteur est ici généralisant, contraignant, artiste, ivre de lui-même, ennuyeux.

     

    mundruczo,hongrie,2000sDELTA

    de Kornel Mundruczo

    (Hongrie - Allemagne / 95 min / 2008)

  • J'ai rencontré le diable

    kim,corée,polar,horreur,2010s

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    "Pénible histoire de fantômes asiatiques. Beaucoup de scènes effectivement effrayantes mais répétitives (4 ou 5 fois le coup de l'armoire, 4 ou 5 fois le plan de la main qui agrippe). Usant pour les nerfs, le tout n'est pas réhaussé par une exposition et des moments de transition statiques. Le mélange rêve dans le rêve - fantôme - transfert de personnalité est embrouillé, ce qui rend le récit et la psychologie absolument incompréhensibles. Il y a bien un éclaircissement final (encore une fois à la Sixième sens) mais il n'explique toujours pas certaines scènes rétrospectivement." Voilà ce que j'avais griffonné en mai 2006 après avoir découvert à la télévision Deux sœurs, un des succès précédents de Kim Jee-woon. Aujourd'hui, je n'ai plus aucun souvenir de ce film, hormis l'image d'un inquiétant sac posé sur le sol d'un appartement.

    Je ne sais si, malgré l'abondance de séquences-choc qu'il propose, je vais oublier aussi rapidement J'ai rencontré le diable. Ce thriller horrifique m'a semblé d'une autre qualité mais il subsiste tout de même dans ce cinéma-là une certaine confusion.

    Un homme sans histoire se venge de l'assassin de sa fiancée non pas en le tuant mais en le harcelant sans relâche, en le torturant à plusieurs occasions, en lui promettant l'enfer pendant des jours et des jours. Ce sujet a de quoi nous faire glisser vers la plus grande, la plus périlleuse et la plus vertigineuse ambiguïté morale mais ce sont plutôt la confusion et les hésitations du style que l'on retient et qui, finalement, en atténuent les effets. Dans un premier temps, le récit ne semble suivre qu'une seule ligne droite, ne s'attaquer qu'à une obsession et n'obéir qu'à de la mécanique, ce qui a pour conséquence, assez surprenante mais pas désagréable, de repousser tout questionnement. La répétition improbable des actes de violence (extrême) et le jeu qui s'instaure entre le chat et la souris tirent tant vers l'absurde et la position du cinéaste semble si évidente que le besoin de s'interroger ne se fait pas sentir. Pourtant, cette dynamique est soudain ralentie, une fois, puis deux, puis trois, par un dialogue faisant intervenir des proches du "héros" ou les autorités et venant surligner ce que faisait déjà très bien sentir le film : l'inanité de la vengeance et la transformation de qui la commet en monstre.

    Ces béquilles sont encombrantes, jusqu'à en gâcher assez sévèrement les dernières minutes, de l'ultime torture aux larmes du vengeur. Kim Jee-woon en rajoute souvent, il fonce tête baissée, sans trop de discernement. Il est notamment peu rigoureux sur la question du point de vue (par rapport, par exemple, à Park Chan-wook, auquel on ne peut que le comparer, rarement à son avantage, tant les points communs avec Old boy et quelques autres titres sont nombreux). Le basculement qui s'opère de temps à autre n'est pas assez affirmé à mon sens. Les mouvements de caméra destinés à nous placer littéralement au-dessus de l'un puis de l'autre, lorsque chasseur et proie changent de statut, inaugurent des segments clairs mais n'entraînent pas de changement de perspective aussi radical que l'on pourrait espérer. Pas aussi radical, en tout cas, que ne l'est la représentation de la violence, recourant allègrement aux effets gore les plus estomaquants.

    Malgré tout cela, quelque chose résiste et fascinerait presque, par moments. D'une part, il y a, encore une fois, cette horrible vision, sans cesse réactivée par les auteurs de thrillers et de drames sud-coréens, d'une société perdue, incapable d'éradiquer le mal qu'elle cache en son sein. Un mal insaisissable, renaissant constamment sous de nouvelles formes. D'autre part, il aura rarement été montré aussi clairement comment la vengeance enclenche un mécanisme de violence incontrôlable et se propageant de manière centrifuge, soit parce que la surenchère s'installant entre les deux antagonistes provoque très tôt l'implication des proches, soit parce que la traque est à l'origine de dégats collatéraux perçus comme négligeables mais faisant des victimes bien réelles.

    Ce but-là, Kim Jee-woon l'a atteint, malgré les quelques handicaps qui peuvent entraver sa mise en scène et sa conduite du (trop long) récit. Son film bénéficie également d'une interprétation solide, de brillants éclats (le combat au couteau dans le taxi) et de cette faculté, très partagée parmi ses collègues coréens, de passer dans une même scène d'un registre à l'autre sans mettre en péril l'équilibre de l'ensemble.

     

    kim,corée,polar,horreur,2010sJ'AI RENCONTRÉ LE DIABLE (Akmareul boatda)

    de Kim Jee-woon

    (Corée du Sud / 140 min / 2010)

  • Ma vie

    mavie.jpg

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    L'intérêt de ce classique chinois est principalement historique et patrimonial. Il a pour lui une réalisation correcte et une interprétation de qualité (Shi Hui est le metteur en scène et l'acteur principal) mais il n'est pas très enthousiasmant pour qui garde par exemple le souvenir du contemporain Printemps dans une petite ville de Fei Mu, l'un des rares titres datant de cette période de la fin des années quarante à être connu par chez nous.

    Au-delà du rythme des scènes et de leur organisation qui tentent de retrouver la vie mais en en passant plutôt vers la clarté artificielle du théâtre (dans la rue, au milieu des groupes, on passe d'un intervenant à l'autre très nettement, sans chevauchement de parole, ni mélange des gestes), c'est surtout le didactisme absolu de la démarche qui gêne. Dans Ma vie, récit de quarante années de l'existence d'un pauvre homme par lui-même, tout donne l'impression d'être expliqué plutôt que vécu. Compréhensible lorsqu'il s'agit d'aborder les questions sociales, politiques et historiques, cette position l'est moins lorsqu'elle gangrène l'expression des sentiments. Plus d'une fois le héros explique à un tiers, et donc à nous, ce qu'il ressent, sa parole se substituant alors avec trop de facilité au travail de la mise en scène.

    L'originalité du film tient dans le choix de ce héros, un petit homme banal qui devient agent de police dans un quartier de Pékin et qui se trouve plongé dans une misère grandissante au fil des années. Ses souvenirs personnels se cognent à la représentation de la grande histoire, celle qui broie le peuple chinois à travers joug impérial, invasions et domination japonaises, montée en force des profiteurs et des nantis. Dans cette masse, quelques individus, essentiellement des étudiants, se lancent dans l'aventure de la Révolution communiste. Mais la majorité, celle qui est symbolisée par le héros, courbe l'échine, se plaint chaque jour sans se révolter, pas même lorsque des proches sont assassinés. Bons et méchants sont clairement identifiés mais l'homme, devenant vieux, répète de plus en plus souvent qu'il "ne comprend rien" à tout cela. On se dit que la violence ayant cours autour de lui devrait pourtant l'aider à y voir clair car, si celle-ci reste dans les limites autorisés par l'époque, elle n'en est pas moins appuyée dramatiquement et paraît presque complaisante à trop vouloir édifier le spectateur.

    L'une des dernières séquences est difficilement supportable. Le héros, longuement torturé par les anciens alliés des Japonais, contre-révolutionnaires au pouvoir, est renvoyé dans une cellule de la prison. Il tombe alors sur son ami, un leader communiste, disparu depuis dix ans mais qui va, dans les instants qui suivent se faire fusiller. Bien qu'on le devine très éprouvé par les sévices, il va toutefois se lancer devant celui-ci, de manière tout à fait articulée, dans un monologue poignant sur le peuple martyrisé.

    Ma vie est donc un film d'avant la proclamation de la République Populaire de Chine. Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, il ne montre pas les révolutionnaires à l'action mais les nombreuses souffrances de ceux qu'ils sont supposés libérer. Malheureusement, ce regard plus réaliste et plus intime n'en est pas moins dépourvu de pesant didactisme, ce qui rend l'œuvre, malgré ses promesses et ses efforts, rigide et univoque.

     

    mavie00.jpgMA VIE (Wo zhe yi bei zi)

    de Shi Hui

    (Chine / 100 min / 1950)

     

    Source photos : Chinese-shortstories

  • Un été brûlant

    garrel,france,2010s

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    Bien sûr, Un été brûlant traite un sujet simplissime et rabattu (sous le soleil d'Italie, une femme quitte un homme qui ne s'en remet pas et un deuxième couple, "témoin", manque de peu d'être entraîné dans le naufrage), reprend des figures de style et des thèmes présents dans les films précédents de Garrel, convoque évidemment toute la famille du cinéaste, au sens généalogique comme au sens professionnel du terme... On aurait vite fait de considérer l'opus comme mineur dans la filmographie. Je ne sais pas si il l'est et cela m'est bien égal. Il se trouve que je m'y suis senti bien, comme dans la majorité des œuvres de Garrel que j'ai pu voir depuis vingt ans, en premier lieu J'entends plus la guitare, Le vent de la nuit, Sauvage innocence, Les amants réguliers. De chacun de ces titres, il ne me reste que quelques bribes, des images, des sons, quelque chose de diffus, pas beaucoup plus, mais ils gardent mon affection. Un été brûlant suivra sans doute le même parcours dans ma mémoire.

    Le léger voile recouvrant ces films me fit écrire au moment de ma découverte des Amants réguliers quelques lignes à propos de la longueur des plans filmés par Garrel peut-être valables pour ce titre-là mais sans doute pas pour les autres, contrairement à ce que ma formulation trop générale pouvait laisser penser. Dans Un été brûlant, certains plans s'étirent ainsi "gratuitement" mais ils n'en perdent pas pour autant leur force. Ils y puisent même parfois la leur. L'introduction, assez godardienne, est magnifique : le piano de John Cale, la route défilant sous les phares, la femme nue qui tend le bras, l'homme qui pleure, se prend un poteau et se meurt. Son agonie dure en ne laissant entendre que les bruits de ferraille, de flammèche et de court-circuit électrique. Survenant plus tard, la longue séquence de la danse de Monica Bellucci, passant d'un homme à un autre, est suffisamment commentée ailleurs pour que j'y revienne ici. Profitons tout de même du rapprochement de ces deux moments pour apprécier le rapport particulier de Garrel à la musique. Il est vraiment plaisant de retrouver de temps à autre un cinéaste qui ne se serve pas de celle-ci comme simple illustration et facile attrape-spectateur.

    Pour certains, le film passera peut-être pour une succession de clichés. Ce qui m'a intéressé pour ma part, sur ce plan-là, c'est la manière dont Garrel part effectivement de l'énonciation, par les personnages, de ces clichés pour mieux les faire broder autour, pour mieux asseoir et affiner le propos au fil des dialogues. On se dit alors qu'en creusant encore et toujours ce sujet, on finit par trouver régulièrement des choses nouvelles (ou, la mémoire étant ce qu'elle est, qui paraissent nouvelles). C'est ainsi que cette étude de couple échappe malgré tout à la futilité et parvient à dire (et à montrer) quelques vérités, à émouvoir, même, assez souvent, notamment lorsqu'est illustrée l'idée que s'occuper vraiment de quelqu'un c'est en délaisser un autre.

    Si le point de départ et celui d'arrivée sont clairs (le récit est en fait un flash back), la séduction qu'exerce le film tient aussi à la façon dont est suivi le chemin qui les relie : la progression dramatique ne se fait jamais en donnant l'impression de s'appuyer sur des chevilles de scénario, comme dans un quelconque marivaudage d'un Doillon des mauvais jours. Cette fluidité et ce flottement, auquel concourt pareillement la bande son, sont des plus agréables.

    Enfin, j'aime Un été brûlant pour l'honnêteté qui me semble le traverser. Garrel y fait le point sur son cinéma, sa situation personnelle, sa position morale et idéologique, et son statut d'artiste. Peut-être y a-t-il ici un certain confort (pour le cinéaste comme pour moi en tant que spectateur), mais Garrel ne se planque pas, ne fait pas le malin, ne triche pas.

     

    garrel,france,2010sUN ÉTÉ BRÛLANT

    de Philippe Garrel

    (France - Italie - Suisse / 95 min / 2011)