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Film - Page 65

  • Ma vie

    mavie.jpg

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    L'intérêt de ce classique chinois est principalement historique et patrimonial. Il a pour lui une réalisation correcte et une interprétation de qualité (Shi Hui est le metteur en scène et l'acteur principal) mais il n'est pas très enthousiasmant pour qui garde par exemple le souvenir du contemporain Printemps dans une petite ville de Fei Mu, l'un des rares titres datant de cette période de la fin des années quarante à être connu par chez nous.

    Au-delà du rythme des scènes et de leur organisation qui tentent de retrouver la vie mais en en passant plutôt vers la clarté artificielle du théâtre (dans la rue, au milieu des groupes, on passe d'un intervenant à l'autre très nettement, sans chevauchement de parole, ni mélange des gestes), c'est surtout le didactisme absolu de la démarche qui gêne. Dans Ma vie, récit de quarante années de l'existence d'un pauvre homme par lui-même, tout donne l'impression d'être expliqué plutôt que vécu. Compréhensible lorsqu'il s'agit d'aborder les questions sociales, politiques et historiques, cette position l'est moins lorsqu'elle gangrène l'expression des sentiments. Plus d'une fois le héros explique à un tiers, et donc à nous, ce qu'il ressent, sa parole se substituant alors avec trop de facilité au travail de la mise en scène.

    L'originalité du film tient dans le choix de ce héros, un petit homme banal qui devient agent de police dans un quartier de Pékin et qui se trouve plongé dans une misère grandissante au fil des années. Ses souvenirs personnels se cognent à la représentation de la grande histoire, celle qui broie le peuple chinois à travers joug impérial, invasions et domination japonaises, montée en force des profiteurs et des nantis. Dans cette masse, quelques individus, essentiellement des étudiants, se lancent dans l'aventure de la Révolution communiste. Mais la majorité, celle qui est symbolisée par le héros, courbe l'échine, se plaint chaque jour sans se révolter, pas même lorsque des proches sont assassinés. Bons et méchants sont clairement identifiés mais l'homme, devenant vieux, répète de plus en plus souvent qu'il "ne comprend rien" à tout cela. On se dit que la violence ayant cours autour de lui devrait pourtant l'aider à y voir clair car, si celle-ci reste dans les limites autorisés par l'époque, elle n'en est pas moins appuyée dramatiquement et paraît presque complaisante à trop vouloir édifier le spectateur.

    L'une des dernières séquences est difficilement supportable. Le héros, longuement torturé par les anciens alliés des Japonais, contre-révolutionnaires au pouvoir, est renvoyé dans une cellule de la prison. Il tombe alors sur son ami, un leader communiste, disparu depuis dix ans mais qui va, dans les instants qui suivent se faire fusiller. Bien qu'on le devine très éprouvé par les sévices, il va toutefois se lancer devant celui-ci, de manière tout à fait articulée, dans un monologue poignant sur le peuple martyrisé.

    Ma vie est donc un film d'avant la proclamation de la République Populaire de Chine. Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, il ne montre pas les révolutionnaires à l'action mais les nombreuses souffrances de ceux qu'ils sont supposés libérer. Malheureusement, ce regard plus réaliste et plus intime n'en est pas moins dépourvu de pesant didactisme, ce qui rend l'œuvre, malgré ses promesses et ses efforts, rigide et univoque.

     

    mavie00.jpgMA VIE (Wo zhe yi bei zi)

    de Shi Hui

    (Chine / 100 min / 1950)

     

    Source photos : Chinese-shortstories

  • Un été brûlant

    garrel,france,2010s

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    Bien sûr, Un été brûlant traite un sujet simplissime et rabattu (sous le soleil d'Italie, une femme quitte un homme qui ne s'en remet pas et un deuxième couple, "témoin", manque de peu d'être entraîné dans le naufrage), reprend des figures de style et des thèmes présents dans les films précédents de Garrel, convoque évidemment toute la famille du cinéaste, au sens généalogique comme au sens professionnel du terme... On aurait vite fait de considérer l'opus comme mineur dans la filmographie. Je ne sais pas si il l'est et cela m'est bien égal. Il se trouve que je m'y suis senti bien, comme dans la majorité des œuvres de Garrel que j'ai pu voir depuis vingt ans, en premier lieu J'entends plus la guitare, Le vent de la nuit, Sauvage innocence, Les amants réguliers. De chacun de ces titres, il ne me reste que quelques bribes, des images, des sons, quelque chose de diffus, pas beaucoup plus, mais ils gardent mon affection. Un été brûlant suivra sans doute le même parcours dans ma mémoire.

    Le léger voile recouvrant ces films me fit écrire au moment de ma découverte des Amants réguliers quelques lignes à propos de la longueur des plans filmés par Garrel peut-être valables pour ce titre-là mais sans doute pas pour les autres, contrairement à ce que ma formulation trop générale pouvait laisser penser. Dans Un été brûlant, certains plans s'étirent ainsi "gratuitement" mais ils n'en perdent pas pour autant leur force. Ils y puisent même parfois la leur. L'introduction, assez godardienne, est magnifique : le piano de John Cale, la route défilant sous les phares, la femme nue qui tend le bras, l'homme qui pleure, se prend un poteau et se meurt. Son agonie dure en ne laissant entendre que les bruits de ferraille, de flammèche et de court-circuit électrique. Survenant plus tard, la longue séquence de la danse de Monica Bellucci, passant d'un homme à un autre, est suffisamment commentée ailleurs pour que j'y revienne ici. Profitons tout de même du rapprochement de ces deux moments pour apprécier le rapport particulier de Garrel à la musique. Il est vraiment plaisant de retrouver de temps à autre un cinéaste qui ne se serve pas de celle-ci comme simple illustration et facile attrape-spectateur.

    Pour certains, le film passera peut-être pour une succession de clichés. Ce qui m'a intéressé pour ma part, sur ce plan-là, c'est la manière dont Garrel part effectivement de l'énonciation, par les personnages, de ces clichés pour mieux les faire broder autour, pour mieux asseoir et affiner le propos au fil des dialogues. On se dit alors qu'en creusant encore et toujours ce sujet, on finit par trouver régulièrement des choses nouvelles (ou, la mémoire étant ce qu'elle est, qui paraissent nouvelles). C'est ainsi que cette étude de couple échappe malgré tout à la futilité et parvient à dire (et à montrer) quelques vérités, à émouvoir, même, assez souvent, notamment lorsqu'est illustrée l'idée que s'occuper vraiment de quelqu'un c'est en délaisser un autre.

    Si le point de départ et celui d'arrivée sont clairs (le récit est en fait un flash back), la séduction qu'exerce le film tient aussi à la façon dont est suivi le chemin qui les relie : la progression dramatique ne se fait jamais en donnant l'impression de s'appuyer sur des chevilles de scénario, comme dans un quelconque marivaudage d'un Doillon des mauvais jours. Cette fluidité et ce flottement, auquel concourt pareillement la bande son, sont des plus agréables.

    Enfin, j'aime Un été brûlant pour l'honnêteté qui me semble le traverser. Garrel y fait le point sur son cinéma, sa situation personnelle, sa position morale et idéologique, et son statut d'artiste. Peut-être y a-t-il ici un certain confort (pour le cinéaste comme pour moi en tant que spectateur), mais Garrel ne se planque pas, ne fait pas le malin, ne triche pas.

     

    garrel,france,2010sUN ÉTÉ BRÛLANT

    de Philippe Garrel

    (France - Italie - Suisse / 95 min / 2011)

  • Le moine

    kyrou,france,italie,fantastique,70s

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    Le hasard me permet de faire une transition pleine de souplesse : après mon texte sur Positif, je peux enchaîner avec une note consacrée à ce film d'Ado Kyrou, l'un des principaux animateurs des premières années de la revue.

    Le moine est la transposition au cinéma du scandaleux roman gothique du même nom écrit par Matthew Gregory Lewis en 1796. Luis Buñuel, qui avait longtemps caresser le projet de cette adaptation, se chargea d'en écrire le scénario en compagnie de son compère Jean-Claude Carrière, mais choisit finalement d'en confier la réalisation à son ami, assistant et exégète Ado Kyrou (déjà auteur de quelques courts métrages et d'un long, Bloko, en 1965). En dépit de ce parrainage, le film connut bien des difficultés de distribution et fut rapidement mis aux oubliettes. Si l'on aurait pu s'attendre à ce que la sortie récente de la version de Dominik Moll lui redonne une certaine visibilité, il n'en fut rien. Tout juste certains critiques mentionnèrent rapidement son existence, Positif se signalant fort étrangement par son silence, comme elle l'avait fait en 1973 (alors que Bloko fut largement commenté).

    Mauvais signes que tout cela ? Pas forcément. S'il n'est pas transcendant, l'ouvrage n'a rien de déshonorant et son intrigue se suit avec intérêt. La patte de Buñuel se fait sentir dans plusieurs détails, dans quelques dialogues résonnant de manière absurde, dans l'apparition d'un bestiaire étrange... La dernière séquence, surtout, est un hommage (trop) direct à L'âge d'or. Mais au-delà de ces signes disposés ça et là, Ado Kyrou parvient à se démarquer en insistant sur les aspects gothiques et fantastiques, en abordant sans détour le thème de la sorcellerie et en adoptant une structure narrative basée sur une suite d'éclats, autant de choix que l'on retrouve peu ou pas du tout dans l'œuvre de son mentor, qui a, de son côté, tendance à aplanir les choses, à les ramener dans un entre-deux improbable.

    Le cheminement est donc ici chaotique. Le film est fait de grands fragments disjoints, les sauts d'une séquence à l'autre sont importants, au point que, parfois, le doute peut s'installer provisoirement dans l'esprit, le temps de reconstituer une continuité. Mais ce type de construction, plein de heurts, soutient apparemment aussi le roman d'origine. A un découpage en champs-contrechamps est souvent préféré l'usage de plans longs et posés, ce qui induit une sorte de faux-rythme entre les pics. Les personnages eux-mêmes sont soumis à de spectaculaires changements d'humeur, ces revirements déstabilisant encore et accentuant l'étrangeté.

    Franco Nero est fiévreux (pléonasme ?) et Nathalie Delon est filmée en tentatrice insaisissable, fortement érotisée, proche et inatteignable à la fois (on pense aux écrits de Kyrou sur Marlene Dietrich). Cette direction d'acteurs, l'opposition entre quelques beaux cadres fixes de la nature environnante et les nombreux intérieurs sombres et l'alternance entre les effets liés au genre et les grandes plages de calme et de retenue font qu'une certaine distance s'installe entre nous et l'horreur de l'histoire qui est contée. Car le mal est ici présent partout, chacun est coupable. Le seigneur, bienfaiteur de l'église, est un assassin d'enfants, le moine Ambrosio, prônant la chasteté, force les jeunes filles, l'inquisition torture même après l'aveu. Et les pauvres ne sont pas plus bienveillants ni mieux attentionnés. La vision est noire (les violences faites aux jeunes personnes sont certainement le frein principal à la diffusion du film), mais Kyrou a eu raison d'ouvrir plusieurs pistes sans vraiment les refermer au final. Entre un délire, un cauchemar, une diablerie ou une machination, nous pouvons choisir selon notre inclinaison, ou pas.

    Merci à Fred.

     

    kyrou,france,italie,fantastique,70sLE MOINE

    d'Ado Kyrou

    (France - Italie - Allemagne / 90 min / 1972)

  • Habemus Papam

    habemuspapam.jpg

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    Nanni Moretti nous parle de la fatigue, de la recherche d'une certaine normalité et d'un renoncement. Je ne pense pas du tout qu'il faille en conclure qu'il est fatigué, qu'il rentre dans le rang et qu'il renonce. Habemus Papam, œuvre imparfaite (comme l'est tout le cinéma Moretti) et passionnante (idem), décrit une angoisse soudaine déclenchée par une promotion imprévue et bouleversante ainsi que le retrait qu'elle provoque. C'est un film qui prend le risque de déjouer une attente, qui tourne en rond, qui évite la charge dénonciatrice, qui laisse les choses en suspens (une annonce officielle est sans cesse repoussée, un tournoi de volley-ball s'arrête avant les demi-finales). Ce faisant, il est cependant parfaitement honnête avec son sujet et son personnage principal, nouveau Pape élu et perdu, qui refuse d'endosser sa charge.

    L'énormité du postulat de départ peut demander un temps d'acceptation. L'arrivée à l'écran de Moretti lance véritablement le film et une fugue l'entraîne vers des sommets qu'il ne quittera quasiment plus jusqu'à son terme. Que lors de cette escapade, l'homme d'église soit "en civil", que rien ne le distingue des passants et qu'il ne puisse pas être reconnu, son visage ne s'étant encore affiché nulle part, voilà ce qui nous le rend soudain proche. Par le dépouillement imposé, son état d'âme et son angoisse sont universalisés.

    Mais même lorsqu'il paraissait dans ses habits de souverain pontife, il faut dire qu'il ne cessait d'appeler les autres à l'aide. A ses côtés, ou plutôt en face de lui, le psychanalyste convoqué par les autorités vaticanes (qui oublient de lui demander s'il est croyant), autre figure de guide, semble bien, à un moment donné, prendre en charge les cardinaux désemparés qui l'entourent, mais il se révèle tout autant, lui aussi, en recherche et avoue bientôt au moins un manque, celui de son ancienne compagne. Ainsi, c'est en s'intéressant à un monde à part, refermé sur lui-même, inaccessible au commun des mortels et au sein duquel l'ordre hiérarchique ne peut être discuté que Nanni Moretti nous entretient de la permanence du lien avec les autres. Intelligent, il laisse voir cette ouverture sans en passer par la morale (ce qui ne manquerait pas de provoquer le discours attendu) mais par la mise en scène.

    Les premières scènes posent plutôt des frontières, entre l'exceptionnel et l'ordinaire, entre le palais et la rue. L'impression est forte d'un champ-contrechamp dont le point de bascule serait le balcon au-dessus de la place Saint Pierre et elle est redoublée par la présence de rideaux fort théâtraux. La claustration imposée au psy et la découverte du fonctionnement de ce concile prolongé sont à l'origine de moments étranges. Cette étrangeté culmine dans la grande scène de la représentation théâtrale, l'un des endroits du film où est illustrée le plus clairement l'idée d'une perméabilité inévitable entre les mondes. On peut voir également ainsi la promenade de Piccoli, incognito au milieu de ses fidèles rassemblés sur la place, tout étonné et ravi d'être passé de l'autre côté.

    Certainement Nanni Moretti nous demande de nous débarrasser de nos œillères et pense que le choix de l'autarcie, telle que la revendiquait le jeune Michele Apicella, n'est plus tenable. Au placement de nos pas dans ceux d'un guide, il faut préférer la liberté individuelle, mais tout en ayant conscience que celle-ci doit s'accomplir sans briser les liens sociaux. Les béquilles que sont la religion, la psychanalyse, l'art et le sport (institutions et activités successivement étudiées dans le film) ne peuvent aider seules à guérir.

    Ce "message" déçoit assurément ceux qui attendent d'abord de Moretti de vigoureux coups de pieds dans la vie de la péninsule (de ce point de vue, Habemus Papam nous renvoie au temps de son grand mélodrame La chambre du fils). Les éclats de voix, les coups de théâtre et l'incongruité des situations sont présents mais, il est vrai, de façon moins saillante que dans les œuvres des années 80-90. Mais nous pouvons alors, par exemple, admirer la subtilité de l'écriture, la courte phrase dans le dialogue qui vient tardivement nous confirmer que cette femme est bien celle du psy, les petites séquences centrées sur le garde suisse reclus qui nous prouvent que le responsable de la communication ne mentait qu'à moitié lorsqu'il assurait que le pape avait retrouvé un grand appétit ou bien encore la façon dont le cinéaste ne croise pas, à la fin, les micro-récits qu'il avait mis pourtant en marche. Nanni Moretti, qui annonce au départ une rencontre prometteuse, celle du souverain et du psychanalyste, scinde en fait son film et se projette dans les deux personnages principaux, à égalité, personnages qu'il ne fait jamais véritablement se rejoindre. C'est ici, notamment, que l'on se rend compte qu'Habemus Papam reste éminemment "morettien", dans ce qu'il dit du cinéaste lui-même, plus ou moins ouvertement. On ne peut s'empêcher par exemple de penser, devant cette lassitude exprimée d'un côté comme de l'autre, au statut qu'a acquis depuis de nombreuses années, auprès de beaucoup de cinéphiles l'aimant d'un amour trop exclusif, Nanni Moretti, celui qui tient le cinéma italien à lui tout seul. Que l'on puisse ressentir cela prouve que notre homme n'a pas perdu la main.

    Quant à moi, il me reste à ajouter, pour en terminer avec cette note sur ce film qui restera comme l'un des meilleurs de cette année, un mot sur Michel Piccoli, une nouvelle fois génial, rendant visible l'étincelle qui nait dans son regard lorsqu'il dit à la psychanalyste qu'il est un acteur et nous touchant profondément lorsqu'il exprime son désir de se fondre, de se diluer, de disparaître.

     

    habemuspapam00.jpgHABEMUS PAPAM

    de Nanni Moretti

    (Italie - France  / 100 min / 2011)

  • La guerre est déclarée

    donzelli,france,comédie,2010s

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    Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm ont scénarisé et joué leur propre histoire, celle de leur couple et de l'épreuve qu'il eut à traverser très tôt : la grave maladie de leur petit garçon détectée à l'âge de 18 mois. Ils l'ont titrée La guerre est déclarée, reprenant ainsi une terminologie régulièrement entendue dans les témoignages de parents d'enfants atteints de cancer ou de handicap. Leur "film d'hôpital" est plein de vigueur, sans cesse tiré vers le haut par leur décision de repousser toute lamentation et tout apitoiement, au point d'en sourire, souvent (ou de pousser la chansonnette). L'idée est donc d'aller à rebours de tout ce qui peut être attendu devant un tel sujet et il est vrai que le ton du film, léger, a de ce point de vue le goût de l'inédit.

    Toutefois, ce film, couvert d'éloges, ne m'a pas entièrement convaincu. Son originalité est louable mais la recherche de celle-ci me semble un peu trop systématique. Pour le dire autrement, j'ai eu l'impression, à plusieurs moments, de voir Valérie Donzelli en train d'essayer d'être absolument originale. C'est particulièrement sensible lorsque les saynètes qu'elle compose se mettent en place plus lentement que les autres (la séquence où elle doit annoncer par téléphone, depuis Marseille, la mauvaise nouvelle à son compagnon resté à Paris). On voit là, trop bien, les efforts déployés pour éviter les clichés.

    La mise en scène de Donzelli repose sur la re-création de moments de vie mais réhaussés par des trouvailles, des trucs, des collages. Alors bien sûr, des choses fonctionnent très bien. Mais d'autres moins. C'est que l'assemblage de ces petites séquences manque légèrement de fluidité narrative (de même que l'esthétique générale n'a rien de renversant). Par conséquent, le spectateur est rapidement amené à soupeser chaque proposition qui lui est faite, à établir une hiérarchie à partir de ce collier de petites scènes décalées.

    Cela m'a détaché, m'a éloigné quelque peu du film. J'ai vu un écart, une différence de degré selon les séquences : premier ou deuxième en fonction de leur teneur, plus ou moins référencées (nous avons notamment des voix off dont nous ne savons pas trop d'où elles viennent à part d'autres œuvres de cinéma), plus ou moins humoristiques, plus ou moins réalistes, plus ou moins esthétisantes, plus ou moins musicales... L'écart, je l'ai perçu aussi dans le jeu du couple Donzelli - Elkaïm, inégal sur la durée (et, malgré moi, j'ai parfois senti un "parasitage" dû à ma connaissance du fait que tout ceci soit, si l'on peut dire, "rejoué" par les protagonistes). Mais de la justesse il y en a, bien sûr. Par exemple dans la vision de l'hôpital, dans le rapport à ce monde si particulier (malgré quelques inévitables (?) raccourcis dramatisant ce rapport).

    Ce couple est attachant et parvient à transmettre son volontarisme et son énergie. Leur film est vif, assez beau sur le rapport amoureux, et parfois émouvant. Je regrette cependant qu'il ne m'ait pas bouleversé. Jusqu'à un certain point, il me parle de choses vécues et me renvoie à des souvenirs peu agréables. Ma relative déception n'est pas une sorte de protection car il me semble vraiment qu'il y a dans La guerre est déclarée, une balance à faire entre qualités et défauts. Beaucoup de critiques et de camarades blogueurs sont passés outre ces derniers mais j'avoue, pour ma part, avoir un peu plus de mal à le faire.

     

    donzelli,france,comédie,2010sLA GUERRE EST DÉCLARÉE

    de Valérie Donzelli

    (France / 100 min / 2011)

  • La grotte des rêves perdus

    Herzog,France,Allemagne,Documentaire,2010s

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    Didactique et poétique, concret et réflexif, abordant simplement des sujets aussi complexes que la connaissance humaine, le mystère des origines, la naissance de la représentation ou le progrès en art, La grotte des rêves perdus est un documentaire qui réussit à s'adresser avec la même intelligence à des publics divers (j'en ai fait l'expérience familiale).

    L'entrée en matière me semble idéale. Suivant un petit groupe de scientifiques, Werner Herzog et ses techniciens s'approchent puis pénètrent pour la première fois dans la grotte de Chauvet. Avant de s'engager dans les salles principales, leurs accompagnateurs énoncent les derniers conseils et de strictes consignes. Leur matériel et la répartition des tâches qu'imposent les conditions de travail très particulières nous sont décrites. Sans doute ces explications servent-elles avant tout à faire comprendre le caractère exceptionnel de ce tournage, dans un lieu clos, interdit à tout autre regard que ceux de quelques professionnels (n'y ayant d'ailleurs accès que sur une très courte période dans l'année), mais elles passionnent déjà, en mêlant l'éblouissement de la découverte aux démarches pratiques et techniques qui le rendent possible.

    Le temps imparti étant relativement court (une petite poignée d'heures par jour), le naturel des interventions des chercheurs, effectuées le plus souvent à l'intérieur de la grotte, est préservé. On n'y sent jamais la trop grande perfection due à la répétition des prises de vue et aux recadrages des propos que l'on trouve dans la majorité des documentaires pédagogiques télévisés. Les informations sont délivrées de manière vivante, "en direct" à l'équipe et donc au spectateur. Tout au long de son film, Herzog équilibre bien les séquences de discours scientifique et la pure contemplation des joyaux de l'art rupestre ornant les murs de la grotte. Et il y a certes de quoi les admirer, le décor, parois et sols recouverts d'ossements, se révélant de toute beauté.

    Le recours à la 3D se justifie aisément (autant que chez le coreligionnaire d'Herzog, Wim Wenders, inspiré lui aussi au même moment). Ici, elle prolonge l'effet obtenu par cet art préhistorique du dessin qui joue déjà parfaitement du relief du support. Elle permet de s'approcher au plus près des peintures, des stalactites et des crânes d'ours, autant de choses qu'Herzog et ses techniciens n'ont bien sûr pas le droit de toucher mais que l'image 3D rendent presque palpables. Cet art de 30 000 ans, on peut donc l'effleurer, le faire venir à nous et les scientifiques peuvent l'analyser, déduire que ces deux figures ont été tracées par la même main ou préciser un ordre chronologique dans la succession des traces laissées sur les murs.

    Mais comprendre l'Homme du paléolithique est une autre histoire... Pour saisir un surprenant dessin sur une roche conique, si la caméra s'approche, elle ne peut toutefois pas en faire le tour complet. De la même façon, les pensées des ces ancêtres sont inaccessibles. Il nous reste donc à imaginer. Et à nous projeter dans ces temps-là nous voyons vite se confondre imaginaire et spirituel. Herzog est alors en terrain connu. Pour finir (ou presque), il peut nous faire communier et sacraliser dans un dernier hommage ces magnifiques peintures et gravures, les filmant longuement (sur la musique prenante signée par Ernst Reijseger, très importante dans la réussite poétique du film) comme jadis Tarkovski le fit pour Roublev.

     

    Herzog,France,Allemagne,Documentaire,2010sLA GROTTE DES RÊVES PERDUS (Cave of forgotten dreams)

    de Werner Herzog

    (France - Etats-Unis - Canada - Allemagne - Grande Bretagne / 90 min / 2011)

  • This must be the place

    sorrentino,italie,irlande,2010s

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    "Car tel quel, le film paraît bloqué au même endroit
    que son avatar robert-smithien de héros :
    en plein milieu du pire des années 80"
    (Joachim Lepastier, Cahiers du Cinéma n°669, juillet-août 2011)

     

    Salut les potes !

    Pfff… L'année scolaire n'a pas encore démarré que mes parents me mettent déjà la pression par rapport au Bac ! Du coup, hier, j'ai mis mon walkman sur les oreilles et je suis parti faire un tour. Comme le disquaire d'à côté n'a toujours pas reçu The Joshua Tree, le nouveau U2 qui a l'air d'enfer, je me suis fait une toile. Super 8 semble pas mal mais les films de Spielberg, je préfère les voir avec les copains et comme j'étais tout seul, j'ai choisi This must be the place de Paolo Sorrentino. Je n'étais pas spécialement chaud au départ mais la bande annonce, que j'ai vu l'autre jour avec Steph juste avant L'aventure intérieure, m'a plutôt accroché en me promettant de la bonne musique et un récit tordu.

    Le problème, c'est que, en fait, j'ai perdu deux heures de mon temps à regarder un film débile.

    Déjà, l'idée du cinéaste est bizarre : il a choisi de se lancer dans une sorte de science-fiction puisque son scénario se déroule dans le futur, en 2011 pour être précis. Il nous montre ce que pourrait devenir une star du rock d'aujourd'hui dans une vingtaine d'année. Il imagine donc la vie d'un certain Cheyenne alors que celui-ci, après avoir vendu des millions de disques, a arrêté les drogues et la musique et s'ennuie dans son immense baraque, en compagnie de sa femme et de son chien, tout en s'habillant et se maquillant chaque jour comme s'il allait monter sur scène.

    Alors, dès le début, on touche le fond et jamais on ne remontera, au contraire de la caméra qui, elle, vole dans les airs autant que celle d'Alan Parker dans Birdy dont le sujet, au moins, justifiait les acrobaties. C'est clair, la photo est soignée, les cadres étudiés et les mouvements millimétrés. Tous les plans sont hyper-expressifs. Le hic, c'est qu'on ne respire plus, que tout se réduit à l'image. Inutile de chercher, il n'y a rien derrière les masques ou les décors.

    Faisant tout tomber dans la caricature, Paolo Sorrentino n'évite aucun cliché sur la gloire passée, la rock'n'roll attitude et le décalage qu'elle peut créer avec la réalité environnante. Je préviens tout de suite : je ne suis pas en train de me plaindre que l'on se moque de cette culture-là, qui m’attire aussi. Récemment, j’ai adoré The Rutles d'Eric Idle ou Spinal Tap de Rob Reiner, qui montrent que l'on peut rire des travers des rockers sans prendre les spectateurs, amateurs ou pas, pour des cons. De toute façon, le film de Sorrentino n'est pas drôle un instant et joue en plus sur une corde sensible absolument détestable. Le réalisateur nous met en garde, nous les jeunes : écouter Cure trop longtemps peut nous conduire au suicide ! Voilà l'un des détails qui me font dire que Sorrentino, au fond, s'en cogne totalement de la musique. Il n'y a qu'à voir comment il la filme, mixée n'importe comment et sans aucune idée visuelle. Je suis prêt à parier que la séquence du concert a été pensée par David Byrne et non par lui, la trouvaille étant purement scénique.

    David Byrne, justement, est présent à travers le titre du film (qui est bien sûr celui d’une chanson de ses Talking Heads) et, largement, sur la bande-son. Dans le scénario, il intervient dans son propre rôle et, pour le faire apparaître plus vieux de 25 ans, Sorrentino a en fait engager son père (enfin, je crois). Du coup, la version de This must be the place que l’on entend en concert est un peu mollassonne. Quant à la scène dialoguée qui suit, elle n’est là que pour offrir un nouveau grand moment d’émotion à Sean Penn, le père de Byrne n’étant qu’un faire valoir.

    Oui, vous avez bien lu, c’est bien le petit Sean Penn qui est la star du film. Le mari de Madonna n’a pas de chance : à peine sorti du bide de Shanghai surprise, il se voit embarqué dans cette galère, maquillé, vieilli artificiellement pour qu’il ait l’air d’avoir 50 ans. Dans ce rôle, il en fait des caisses comme c'est pas permis, en alignant les tics énervants. À Côté, Robert De Niro dans Angel heart c’est Erland Josephson...

    Bon bien sûr, il n’y a pas que la petite histoire du rocker fatigué dans le film, loin de là. Il y a aussi une errance à travers les States, une leçon sur la nécessité des liens familiaux et la recherche d’un ancien nazi. Vu que le début est déjà complètement nul, le reste ne nous étonne pas plus que cela, aussi improbable soit-il. Les dix dernières minutes vont certes encore plus loin dans le ridicule, mais je n’ai guère envie de m’appesantir dessus.

    Il faut seulement que je vous parle, avant de partir, de deux personnes. La première est Wim Wenders. Sorrentino a fait, avec This must be the place, une espèce de Paris Texas pour les nuls. Il a même été chercher Harry Dean Stanton (qui a quand même pris un sacré coup de vieux en trois ans seulement !). A un moment, j’ai eu peur que la femme à la fenêtre, à Dublin, ce soit Nastassja Kinski. Mais non, ouf ! Sur la recherche du lien, sur l’espace traversé, sur la musicalité de la narration, sur l’étrangeté du réel, dois-je vraiment préciser que Wenders se situe cent coudées au dessus ? D’ailleurs, il est déjà passé à autre chose avec Les ailes du désir, que j’ai eu la chance de voir le mois dernier en avant-première. On y trouve une séquence de concert avec Nick Cave qui disqualifie déjà les pauvres petites tentatives de Sorrentino. Mais je ne vous en dis pas plus, vous découvrirez tous ce chef d'œuvre prochainement… La seconde personne est Jonathan Demme. Voilà sans doute un autre modèle de Sorrentino, modèle qu’il ne parvient pas à approcher de plus près que le premier. Demme, lui, est un authentique cinéaste rock (comme Wenders, d'ailleurs). Son récent film-concert avec les Talking Heads, Stop making sense, est peut-être le plus beau du genre (David Byrne a dû sentir la différence en passant de l’un à l’autre) et l’an dernier Dangereuse sous tous rapports réussissait un mélange des genres auquel Sorrentino ne parviendra certainement jamais. Mon magazine Première me dit que Demme prépare un film sur la mafia avec Michelle Pfeiffer. Je suis très impatient.

    Quant à Sorrentino, que deviendra-t-il ? Peut-être doit-on lui conseiller de rester en Italie, de se tourner vers les problèmes de son pays, de s’exercer à la bouffonnerie à partir d’un sujet sur un homme politique par exemple (pas sûr que le résultat soit mémorable, mais cela ne pourra pas être pire). Sinon, je crains vraiment que dans 25 ans, personne ne se souvienne de lui…

    Bon, il est temps que je vous laisse. Ma mère m’appelle pour manger et la note du Minitel va encore être salée (déjà que ma mob est en panne !). Et puis tout à l’heure, je dois aller chez Jean-Bapt regarder un concert d’Echo and the Bunnymen.

    Allez, tchao !

     

    PS : En cherchant bien, j’ai trouvé un mérite à Sorrentino, celui d’avoir fait participer (mais est-ce vraiment sa responsabilité ?), pour la bande originale, un certain Will Oldham. Celui-là n’a pour le moment sorti aucun disque (et pour cause, il n’aurait, apparemment que 17 ans !), mais s’il le fait dans l’avenir, je pense que je les achèterai tous, tellement ses chansons me plaisent.

     

    sorrentino,italie,irlande,2010sTHIS MUST BE THE PLACE

    de Paolo Sorrentino

    (Italie - France - Irlande / 118 min / 1987 - 2011)

  • Trois courts métrages

    Après n'avoir que trop tardé à les visionner, je prends enfin le temps d'évoquer ici trois courts métrages dont l'existence, en ce qui concerne les deux premiers, m'avait été signalée par leur auteur respectif.

    Paris, capitale du XIXe siècle de Benjamin Bardou (2010, 10 min) est un étrange film expérimental au dessein plutôt difficile à saisir au premier abord et dont l'accompagnement par un texte de présentation citant Walter Benjamin est bienvenu. Des images de la ville en mouvement saccadé sont propulsées dans le passé par le simple fait d'être filmées en noir et blanc et altérées aux niveaux visuel et sonore. Ces imperfections volontaires nourrissent le film, lui confèrent son étrangeté et sa dimension onirique. Ce qui est frappant ici, c'est la capacité sans cesse renouvelée du cinéma de créer du rêve en ne jouant au fond que sur quelques éléments, tels que le défilement des images ou les variations de lumière. C'est aussi la vie qu'il peut donner à tout décor, y compris le plus anodin.

    Le film en ligne ici.

    Smoke de Grzegorz Cisiecki (2008, 7 min) est une autre plongée dans le rêve mais réalisée de toute autre manière, plus directe. La nature des images et leur succession heurtée annoncent clairement leur appartenance à un monde irréel, fantasmé. Le film est également beaucoup plus référencé : de l'ambiance musicale aux flashs mentaux en passant par les personnages masqués, chacun y trouve matière à se remémorer de fameux titres à dominante fantastique. L'impeccable réalisation harmonise les emprunts et les idées personnelles et le style reste cohérent. Comme un rêve, tout cela pourrait durer des heures et être à l'origine d'une certaine frustration (narrative ou plastique, tant certains "tableaux" très composés passent rapidement, recouverts par le suivant).

    Le film en ligne ici.

    Le retour à Sceaux de Mehdi Benallal (2010, 12 min), pour être le moins spectaculaire des trois n'en est pas le moins remarquable. Si le réalisme est cette fois de mise et l'idée du rêve certes peu évidente, deux ou trois détails me font dire qu'elle n'est peut être pas forcément à écarter. Mais bien sûr, l'important n'est pas là. Il est dans la sûreté de la progression. Celle-ci s'effectue au rythme de l'arpentage d'un quartier, capté par des cadrages très purs, avec l'apparition progressive de dialogues aidant à ce qui se révèle être une recherche et, tout au bout, une belle chute doublée d'une merveilleuse ponctuation musicale. A voir ce court, on pense à la notion de temps exact et nécessaire à un plan, réflexion qui se fait sans doute de manière plus pressante quand on se trouve face à une approche du réel, comme ici, que lorsque l'on nous entraîne vers l'imaginaire. Le retour à Sceaux ne laisse qu'un regret, celui que son histoire ne se poursuive pas plus longtemps.

    Le film en ligne ici.

  • La piel que habito

    lapielquehabito.jpg

    ****

    Il arrive quelque fois que, soudain, dans un film, un plan ou un simple détail nous fasse dire : "Voilà, c'est ça !" Il arrive qu'un instant nous semble tout à coup porter en lui la réussite de l'ensemble et la cristalliser mieux que d'autres. Dans La piel que habito, lorsque le Dr Robert Ledgard inflige une douche au jeune homme qu'il séquestre depuis plusieurs jours dans son garage, le jet d'eau froide plaque le tee-shirt sale à la peau, la faisant apparaître en transparence entre les plis humides. La caméra d'Almodovar ne manque pas de s'attarder sur ce spectacle. Ici se rencontrent idéalement, plastiquement, le sujet (l'identité, le corps, la peau) et les habituelles préoccupations (homo-)érotiques du cinéaste. Bien sûr, ce n'est pas le seul endroit où se signale la réussite d'Almodovar dans ce travail d'adaptation du roman de Thierry Jonquet, Mygale, pour donner naissance à un vrai film de genre (au sens cinématographique du terme, voire sexuel puisqu'avec ce cinéaste, on peut toujours élargir le champ).

    Un autre détail, un autre plan, tout aussi révélateur. Au terme d'une étreinte ayant mal tourné, Vicente rajuste la robe de Norma, inanimée, recouvre ses seins dénudés, remonte sa culotte. Vicente veut effacer les traces. Mais disons plutôt : il veut réparer. Cette idée de réparation court tout le long et le Dr Ledgard est évidemment celui qui en est prisonnier de la manière la plus évidente. Savant fou, obsédé, il ne cesse de vouloir réparer, repriser, recréer, sans même voir que les fautes et les responsabilités de tous ces "accidents" sont les siennes et que sa quête de perfection est totalement vaine.

    Le docteur doit recoudre les lambeaux, recoller les morceaux. Justement, l'art du collage d'Almodovar aura rarement été aussi performant qu'ici. Collages entre les plans tout d'abord, qui rendent étranges bien des séquences (par exemple celle du suicide de la femme, séquence pourtant, au départ, pas forcément bien embarquée). Collages à l'intérieur des plans ensuite. L'irruption de Zeca en costume de tigre fait pencher vers le grotesque. Moins agressif est le jeu visuel proposé à partir de la silhouette de Vera, ses combinaisons entièrement noires ou couleur chair la découpant parfaitement du fond du décor. Et plus vertigineux se révèlent ces plans composés à partir d'une différence d'échelle, qu'ils convoquent un écran géant ou une maison de poupée. Ce principe du collage va au-delà du visuel : il autorise les débordements, les envolées musicales, les cris et les coups de théâtre.

    Il n'est donc pas étonnant que la figure de l'emboîtement ne concerne pas seulement l'esthétique du film mais également son déroulement. Certes la première partie de La piel que habito peut à l'occasion paraître plate ou du moins la mise en place (pseudo-)scientifique qui s'y effectue impose quelques plans que l'on peut considérer comme étant peu utiles. Mais ils le sont plutôt a posteriori. La construction narrative est singulière, faisant advenir une série de flash-backs après l'exposition, si longue et déjà si dense qu'il ne restera finalement pas grand chose à y ajouter lorsque se fera le retour au présent. Avec ces sauts dans le passé, le film commence à tourner sur lui-même, tout en se décentrant légèrement à chaque tour. En devenant de plus en plus précis, en tendant vers l'explication de toutes choses, le récit annexe toujours plus de personnages et ne cesse de se complexifier. Ce faisant, pour aborder les problématiques de l'identité et de la ressemblance, il est aisé pour un cinéaste aussi habile de créer du trouble et de susciter le plaisir d'être manipulé. Plaisir aussi de voir ses intuitions concernant les rotations et les déplacements qui s'opèrent (sensation d'un récit qui se termine "pas loin" mais tout de même "à côté" de là où il avait commencé) validées par l'image en fond de générique de fin, une structure d'ADN, porteuse de sens à bien des égards.

     

    lapielquehabito00.jpgLA PIEL QUE HABITO

    de Pedro Almodovar

    (Espagne / 117 min / 2011)