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Nightswimming - Page 110

  • Joris Ivens (coffret dvd 1 : 1912-1940)

    Le pont (De brug) (Joris Ivens / Pays-Bas / 1928) ■■□□

    La pluie (Regen) (Joris Ivens / Pays-Bas / 1929) ■■□□

    Symphonie industrielle (Philips-Radio) (Joris Ivens / Pays-Bas / 1931) ■■□□

    Komsomol : Le chant des héros (Komsomolsk) (Joris Ivens / URSS / 1933) ■■□□

    Nouvelle terre (Nieuwe gronden) (Joris Ivens / Pays-Bas / 1933) ■■□□

    Borinage (Joris Ivens et Henri Stork / Belgique / 1934) ■■

    Terre d'Espagne (The spanish earth) (Joris Ivens / Etats-Unis / 1937) ■■

    Les 400 millions (The 400 million) (Joris Ivens / Etats-Unis / 1939) ■□

    L'électrification et la terre (Power and the land) (Joris Ivens / Etats-Unis / 1940) □□

    Pour la plupart des cinéphiles, le nom de Joris Ivens est essentiellement associé à un documentaire mythique tourné en pleine guerre d'Espagne et, éventuellement, à Une histoire de vent (1988), dernier film d'un homme de 90 ans qui allait s'éteindre un an plus tard. Bénéficiant dans les années 60 d'une certaine aura (et de farouches adversaires : "Joris Ivens qui, n'ayant filmé tout au long de sa carrière que de la pluie, des ponts, de la boue, du maïs et des bennes se trouve être le cinéaste officiel de l'Europe de l'Est", François Truffaut, 1956), l'oeuvre du documentariste est peu diffusée, sans doute à cause de son militantisme que l'on juge d'une autre époque. L'initiative d'Arte de sortir deux coffrets dvd couvrant l'essentiel de la production du cinéaste hollandais est donc à saluer.

    L'avant-garde

    Ivens05.jpgJoris Ivens s'est intéressé très tôt au cinéma. Son premier film, qu'il nomme La flèche ardente et qui est présenté dans le coffret, il le tourne à 11 ans avec la caméra familiale, dirigeant son entourage, les uns grimés en cowboys, les autres en indiens. Ses véritables débuts, il les effectue au sein d'un groupe d'intellectuels et d'étudiants influencés par Vertov, Eisenstein ou Flaherty. Il profite d'un voyage en France pour tourner un très court-métrage : Etudes des mouvements à Paris. Jouant avec le montage et le cadrage, il capte la vie urbaine sous l'angle de la circulation incessante et de la vitesse. Les piétons ne l'intéresse guère, il s'attache plutôt aux voitures et à leurs ballets. L'expérience continue avec deux oeuvres plus consistantes, longues d'une quinzaine de minutes, qui le placeront au centre du mouvement d'avant-garde européen de la fin des années 20 : Le pont et La pluie. Dans le premier, un pont de Rotterdam, ferroviaire et levant, est filmé sous tous les angles possibles. L'attention du cinéaste vire à la fascination pour la mécanique lorsqu'est activé l'impressionnant système permettant la montée et la descente du plateau central nécessaire au passage des bateaux les plus imposants. Déjà cependant, nous remarquons une chose : le gigantisme de la construction laisse toute sa place à l'homme, celui qui l'inspecte ou celui qui met en marche. Le deuxième film est un ouvrage impressionniste orchestrant les prémisses, le déroulement et la fin d'une forte averse sur la ville. Dans un style très vif, nous allons et venons des détails infimes que le grossissement rend abstrait (les gouttes d'eau glissant ou tombant sur les objets) aux plans d'ensembles consacrés aux silhouettes humaines cherchant à se protéger du déluge. Se fait déjà ici le lien entre le formalisme et le réel.

    Le travail

    Tout au long de sa carrière, Joris Ivens aura oscillé entre travaux de commande et projets militants personnels. Symphonie industrielle est un documentaire retraçant la naissance d'un poste de radio, élément par élément, au sein des usines Philips. Très précis sur les différentes étapes de fabrication, le film est très travaillé, tant au niveau de l'image que du son. Le regard d'Ivens est parfois humoristique, cherchant à faire sourire avec les objets, les rythmes des machines et l'accompagnement musical. Car il s'agit bien de faire danser les bras articulés et les tapis roulants. L'ouvrier, qu'il soit souffleur de verre ou qu'il mette en carton tel produit, est bien sûr partie intégrante du ballet. Le travail à la chaîne n'est certes pas dénoncé, passe plutôt une ode au savoir-faire.

    Ivens14.jpgLes liens tissés par Ivens avec certains cinéastes russes comme Poudovkine l'entraîne à cette époque à tourner dans la steppe un film, Komsomol, autour de la construction d'un haut fourneau. Dédiée aux travailleurs communistes de l'occident luttant chaque jour en terrain capitaliste, l'oeuvre de propagande est d'une efficacité redoutable par l'expressivité de ses images et la sûreté de son montage. Mais entre les inter-titres didactiques, c'est bien un véritable regard documentaire qui passe. L'architecture est magnifiée mais les corps vivent, les déplacements ne sont pas ordonnés. Dans une bataille productiviste entre deux poseurs de rivets, ce sont avant tout les gestes qui parlent. Ivens filme les hommes au travail simplement. L'image en elle-même n'est pas héroïque, c'est l'enrobage qui la transforme ainsi. Le document donne à voir quelques scènes manifestement rejouées, mais très bien intégrées. Devant ce mélange de fiction et de documentaire, est-il mal placé de penser au cinéma de Jia Zangke (bien que ce dernier s'attache plutôt à la destruction et à l'engloutissement d'un monde qu'à son élévation) ?

    La construction d'un haut fourneau est-elle plus photogénique que celle d'une digue ? La commande que passe le gouvernement néerlandais à Ivens semble en tout cas moins l'intéresser que l'offre russe. Pour Nouvelle terre, il fait donc ce qu'il sait faire, filmer le travail, mais il vagabonde du côté des baraquements d'ouvriers et ne se voit réellement inspiré que lorsqu'il se tourne vers la mer et en tire des images lyriques. Quelques mois après le tournage, Ivens ajoute à son court-métrage un épilogue, montage d'archives sur les effets désastreux de la crise économique mondiale. Vue aujourd'hui, cette version semble déséquilibrée, mais elle annonce clairement la suite.

    La misère et la guerre

    Ivens21.jpgAvec Borinage, en 1934, Joris Ivens passe de la propagande à l'interventionnisme. Il commence par décrire les rouages de la crise capitaliste mondiale provoquant chômage, famines et révoltes, en reprenant notamment des archives stupéfiantes d'une violente répression policière envers des grévistes du Wisconsin, puis il passe au cas particulier d'une région de Belgique où les mineurs vivent dans d'effroyables conditions. La misère n'a que faire de l'esthétisme (il n'y a pas de musique ni de commentaire) et l'efficacité de la dénonciation demande une approche directe et lisible. Ivens reconstitue donc. Mais ce mensonge n'en est pas un, puisque l'on sent que la caméra aurait très bien pu enregistrer cette réalité, exactement de la même manière, à cette même place, au moment où elle se présentait. La composition des plans n'est toutefois pas oubliée et le montage organise une série d'oppositions qui légitiment la lutte : pylône surplombant une baraque sans électricité, montagnes de charbon inexploitées côtoyant les rebuts de mauvaise qualité laissés aux mineurs, habitants expulsés de maisons pouvant servir ensuite à entreposer les briques destinées à l'édification d'une église... Le temps de l'ode au travail bien fait est passé, voici venu celui des périls et de la colère.

    Ivens23.jpgTourné en 1937, Terre d'Espagne reste la pierre angulaire de la première moitié de carrière de Joris Ivens. L'efficacité du style est à son plus haut point, assemblant remarquablement des éléments disparates au sein d'une narration fluide. Ces images de la guerre d'Espagne ont gardé toute leur force. Rarement aura-t-on ressenti comme ici la violence d'un bombardement : des gens commencent à courir, une bombe explose, des enfants jouent au milieu des débris, une deuxième bombe explose, deux enfants sont morts. Probablement, ce ne sont pas les mêmes que les premiers que l'on a vu. Quant une réalité n'est pas captée telle quelle, faut-il la ré-organiser ? Dans ce genre de séquence, le choc fait que la question ne vient pas vraiment à l'esprit et c'est, paradoxalement, dans des moments moins dramatiques, quand vient la mise en scène du retour au village d'un soldat, qu'elle titille plus intensément le spectateur rompu à la traque de l'artifice. Si le rythme interne des séquences est très travaillé, leur succession donne la preuve de la grande maîtrise du cinéaste dans la construction d'un récit. Ivens, en multipliant les transitions habiles, qu'elles soient visuelles (cartes, trajets) ou sonores (le haut-parleur informant toute la campagne environnante, le bruit de la masse du paysan devenant bombardement), bâtit un édifice narratif qui se trouve être plus thématique que chronologique. Dans cette optique, le commentaire a une importance énorme. Celui écrit et dit sobrement par Ernest Hemingway tantôt fait naître l'image (l'évocation de la mort sous les bombes nous fait passer d'un lieu à un autre), tantôt la décrit. Un bonus du dvd nous permet de voir le film avec le même commentaire dit par Orson Welles, dans une version non distribuée. La comparaison est assez passionnante. Le phrasé de Welles est plus doux, plus fluide et semble fictionnaliser le récit, perdant ainsi la froide urgence d'Hemingway. Le premier nous conte une histoire quand le second nous met face à une réalité. Le texte insiste sur la dimension non-héroïque d'une bataille. L'Espagne éternelle est convoquée en ouverture et en clôture du film. Entre les deux, la guerre est vécue à hauteur d'homme.

    Ivens27.jpgSi Ivens a trouvé dans Terre d'Espagne l'équilibre parfait entre une vision globale et une conviction personnelle, Les 400 millions, réalisé deux ans plus tard, met en lumière les limites de son cinéma. La situation chinoise de 1939 (le Japon tentait d'envahir son voisin) était, même à l'époque, sans doute moins connue que celle de l'Espagne en 1937. Joris Ivens se fait donc très pédagogique, au travers d'un commentaire signé Dudley Nichols et dit par Frederic March, sur la culture millénaire et sur la paisible population chinoise. Passé un éprouvant prologue montrant des populations civiles sous le choc des attaques aériennes japonaises, nous nous éloignons de la ligne de front pour suivre quelques réunions d'état-major et l'entraînement de nouvelles recrues. Le peuple est vu comme une entité uniforme et Ivens ne peut guère s'approcher du singulier. Son goût pour la reconstitution finit par mettre mal à l'aise lorsqu'il illustre par des images diverses le récit d'un soldat de retour du front : ces plans pris de loin sur des soldats japonais courant affolés sous la mitraille d'héroïques chinois sans qu'aucun ne tombe jamais sous les balles laissent pour le moins sceptique.

    La période se clôt aux Etats-Unis, où le Ministère de l'agriculture demande à Ivens de réaliser un reportage sur les actions en faveur des fermiers ne bénéficiant pas d'approvisionnement en éléctricité. L'électrification de la terre propose dans sa première partie un portrait digne de paysan américain au rythme des compositions lyriques de la mise en scène. Puis, l'arrivée de la fée électricité coïncide magiquement avec l'acquisition par la famille des produits électroménagers les plus modernes. La propagande prend alors les atours de la publicité.

    Faisant souvent oeuvre de commande, Joris Ivens n'a donc pas toujours pu se défaire des inévitables entraves qui en découlent, mais son cinéma a ceci d'intéressant : tout en rendant compte de diverses réalités aux quatre coins du monde, il explore incessamment la frontière entre militantisme et propagande et celle entre documentaire et fiction.

    (Chronique DVD pour Kinok)

  • L'autre

    (Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic / France / 2009)

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    Mais que se passe-t-il avec le cinéma français ? Est-ce vraiment celui "du milieu" qui doit nous inquièter le plus ? Je n'ai pas encore vu Welcome, mais il me semble que Lioret va bien, ne t'en fais pas. Le prochain Tavernier ne va pas tarder à débarquer : il y a peu de chances que ce soit un chef d'oeuvre, il y a peu de chances que ce soit un navet, il y a de grandes chances que ce soit un bon film. Arnaud Desplechin semble avoir trouvé la place qu'il souhaitait en signant des oeuvres de plus en plus accessibles. Lucas Belvaux et Jacques Audiard se sont installés eux aussi et j'attends avec confiance la suite de leur carrière. Les signaux alarmants ne viennent-ils pas plutôt d'un autre côté ? De là où se tiennent les cinéastes censés nous bousculer, nous entraîner sur des terrains glissants, nous confronter à la radicalité de leur vision ? Je veux parler des Zonca, des Noé, des Kassovitz, des Grandrieux, des Odoul, des Bonello, des De Van, des Miret, des Bernard/Trividic. Tous ont, entre 1995 et 2003, effectué des débuts (premier ou deuxième film) fracassants, audacieux, dérangeants : La vie rêvée des anges, Seul contre tous, La haine, Sombre, Le souffle, Tiresia, Dans ma peau, De l'histoire ancienne, Dancing. Tous ont invariablement déçu par la suite (seule Marina De Van peut faire exception dans ce groupe : son deuxième film est annoncé pour le mois de mai prochain). Le constat est d'autant plus douloureux quand les échecs ne peuvent être cachés au milieu d'une production soutenue : Zonca n'avait pas tourné depuis 9 ans quand il proposa son récent Julia, le dernier long de Noé, Irréversible, date de 2001. Quand on a du mal avec le rythme de Kubrick, ne vaut-il pas mieux essayer de se caler sur celui de Godard qui, dans les années 60, parvenait à accumuler les projets et à faire ainsi oublier que Une femme est une femme était une toute petite chose, coincée qu'elle était entre Le petit soldat et Vivre sa vie ? Ce saut dans le temps n'est pas pertinent ? Alors faisons-le dans l'espace. Avec quels auteurs américains peut-on comparer ? Larry Clark, Todd Solondz, Paul Thomas Anderson, Lodge Kerrigan : autant de cinéastes travaillant les limites du spectacle cinématographique, par la forme et/ou les sujets et ayant signé des oeuvres-phares du cinéma US indépendant des années 90. Après Kids, Happiness, Boogie nights ou Clean shaven, ils ont su se renouveler, que ce soit en creusant le même sillon ou en élargissant considérablement leur spectre. Avec Bully et Ken Park, Clark a gardé intacte sa force de transgression, avec Palindromes, Sollondz a réussi un pari complètement fou et avec There will be blood et Keane, Anderson et Kerrigan ont réalisé deux des plus grands films de cette décennie. Chez nous, je ne vois qu'une exception, un seul réalisateur de cette mouvance capable de tenir un rythme régulier et de rester à sa place parmi les créateurs de forme les moins discutables : Bruno Dumont. C'est peu et c'est cela qui est, à mon sens, inquiétant pour le cinéma français.

    lautre.jpgCette longue introduction désabusée pour évoquer brièvement L'autre, film attendu, film ambitieux, film à moitié réussi, film à moitié raté. Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic ont décidé d'aborder le thème de la folie et là réside à mon avis, le défaut de l'oeuvre. Même s'ils s'attachent à un personnage défini, ils décrivent moins un cas précis (comme l'a si puissamment fait Kerrigan avec Keane) qu'ils ne parlent du problème "en général", qu'ils l'illustrent. La mise en scène est surchargée de signes : champ large mais constamment obstrué par des caches en amorce, caméra fébrile et près des visages, bande son inquiétante, jeux de miroirs, raccords déstabilisants, ambiances nocturnes irréelles... Le sous-texte est lui aussi excessif : références à la magie et à l'antiquité, omniprésence de l'alcool, contamination de la misère sociale, caractère liberticide des nouvelles technologies... Cette insistance dans la forme et le fond semble traduire un manque de confiance dans la capacité (pourtant réelle chez les cinéastes) à emmener le spectateur aux confins du fantastique. Donnée pour perturbée dès le départ, l'héroïne, comme la mise en scène, n'évolue pas (alors que la description d'un glissement progressif vers la folie aurait été certainement plus satisfaisant, vu ce que peut proposer par moments Dominique Blanc, dans la modulation de sa voix par exemple). Dans L'autre, nous ne voyons pas le monde par les yeux du personnage, mais nous regardons celui-ci s'y débattre. Cela peut faire toute la différence entre un film bouleversant et un exercice de style brillant mais vain.

  • Bon... alors... finalement... qui avait raison ?

    Positif vs Cahiers du Cinéma

    Après tout, il suffirait peut-être de confronter les couvertures et de compter les points.

    Nous partons de 1961 (la revue située à votre gauche ayant souffert les années précédentes d'un rythme de publication bien trop aléatoire pour être soumise à notre expérimentation hautement scientifique) et nous regroupons sur deux mois pour cause de différence dans le nombre de parutions par an entre les deux revues à cette époque.

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    Janvier / Février : La morte saison des amours (Pierre Kast, Positif n°37) vs Un couple (Jean-Pierre Mocky, Cahiers n°115) & La proie pour l'ombre (Alexandre Astruc, C116)

    Mars / Avril : Un numéro du tonnerre (Vincente Minnelli, P38) vs Le coeur battant (Jacques Doniol-Valcroze, C117) & "La télévision" (C118)

    Mai / Juin : La nuit (Michelangelo Antonioni, P39) vs Shadows (John Cassavetes, C119) & Exodus (Otto Preminger, C120)

    Juillet / Août : Le masque du démon (Mario Bava, P40) vs Jules et Jim (François Truffaut, C121) & Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, C122, )

    Septembre / Octobre : Mère Jeanne des Anges (Jerzy Kawalerowicz, P41) vs L'année dernière à Marienbad (Alain Resnais, C123) & Léon Morin prêtre (Jean-Pierre Melville, C124)

    Novembre / Décembre : Viridiana (Luis Bunuel, P42) vs Adieu Philippine (Jacques Rozier, C125) & "La critique" (C126)

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    Je lance le sondage, via les commentaires. N'hésitez-pas à pointer vous aussi, comme je viens de le faire (titres en italiques et avantage donc, pour moi, pour Positif), les oeuvres qui, selon vous, méritaient l'honneur d'une couverture. La validation de cette nouvelle méthode d'évaluation historico-critique (qui se place résolument dans l'air temps, c'est à dire dans une logique de la performance) dépendra en effet du nombre de contributions.

    Tendance 1961 : Avantage Cahiers (5 avis)

     

    Photos originales des couvertures et .

  • La journée de la jupe

    (Jean-Paul Lilienfeld / France - Belgique / 2009)

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    journeejupe.jpgUn peu désarmé devant ce téléfilm qui m'a tenu jusqu'au bout mais qui ne me parle absolument pas. Isabelle Adjani y joue une prof de français à bout de nerf prenant en otage sa classe de collégiens agités. L'invraisemblance du postulat semble tout d'abord bien assumée puisque l'on croit se diriger vers un huis-clos fortement théâtralisé et se détachant petit à petit du réel. Malheureusement nous ne sommes pas au théâtre, mais à la télévision et la machinerie de la fiction à la française prend vite le dessus, traitant également ce qui se passe à l'extérieur des murs : vignettes humoristiques consacrées au personnel enseignant, emballement médiatique et tractations avec le RAID, dirigé par un improbable Denis Podalydès. Le film se veut tragi-comique, bousculant le politiquement correct. Certes, deux ou trois répliques arrivent à faire sourire, mais toutes les autres tombent à l'eau : elles sentent trop le bon mot de scénariste, elles sont dîtes avec trop d'application (la télé a horreur de tout ce qui n'est pas parfaitement lisible ou audible, il n'est donc pas étonnant que tout cela semble manquer de vie). Sans être abominable, la mise en scène, répétitive, ne parvient jamais à faire monter une quelconque tension, la désamorçant par l'humour et repoussant la violence par écran interposé (celui d'un téléphone portable). Il ne peut rien arriver de bien terrible et si la fin est tout de même dramatique, elle n'est là que pour illustrer la morale de l'histoire, faire réfléchir le spectateur mis ainsi à la place des ados à qui l'on vient de donner une grande leçon et qui sauront in fine se retrouver fraternellement. Sans doute aurait-il fallu que ce récit se décolle du réel, propose véritablement une expérience singulière, au lieu de cataloguer tous les problèmes de notre société (même avec humour). Car tout y passe : le racisme, le sexisme, le manque de moyens dans l'éducation, la brutalité policière, les tensions communautaristes, les problèmes de couple, le fossé des générations, la pression médiatique, l'abrutissement par la télévision, les viols filmés au portable, la suffisance ministérielle... De la distanciation, de la cruauté, de l'invention plastique, voilà, entre autres choses, ce qui manque à La journée de la jupe, puisque, le thème de la réversibilité du statut de victime aidant, il semble que le vague modèle du film soit le Dogville de Lars von Trier. Enfin, disons que les comédiens ne sont pas vraiment en cause et qu'Adjani, une nouvelle fois (rappelez-vous La repentie), se rate, mais au moins, elle se rate corps et âme.

  • Harvey Milk

    (Gus Van Sant / Etats-Unis / 2008)

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    harveymilk.jpgL'affaire était mal engagée : une bande annonce à faire fuir ("Par le réalisateur de Will Hunting" claironne le distributeur, conscient que les amateurs de Van Sant vont, de toute manière, aller voir le film et qu'il faut cibler plutôt ceux qui ne connaissent que ses travaux hollywoodiens), une affiche moche, la lecture en biais, sur mes supports papiers favoris, de deux ou trois articles positifs mais étrangement mollassons et, pour enfoncer le clou, un double assassinat, chez le Dr Orlof et chez les critiques poètes de Matière Focale. Il fallut la semaine dernière l'insistance d'un ami et la découverte de belles notes chez Anna, Shangols et Rob Gordon pour me redonner l'envie nécessaire.

    C'est entendu, Harvey Milk (Milk) n'est pas un biopicrévolutionnaire. Mais telle n'est pas son ambition. Gus Van Sant joue le jeu et reprend la plupart des éléments narratifs traditionnels du genre : la voix off, le déroulement chronologique mais dans la connaissance du dénouement, la précision des dates et des lieux, la succession finale de cartons résumant la suite des destins individuels, l'alternance et l'opposition entre vie publique et vie privée, le resserrement des enjeux dramatiques autour d'un combat particulier symbolisant tous les autres (la lutte contre la Proposition 6 d'un sénateur visant à exclure les enseignants homosexuels des écoles américaines)... Le cinéaste ne dynamite pas la biographie mais il l'allège et la dynamise. La mise en scène reste d'une fluidité admirable (l'insertion de nombreuses images d'archives est parfaite) et les très légers décrochages que l'on observe ça et là font par moments, comme les quatre précédents, flotter le film en apesanteur. Ces moments sont brefs, disséminés dans un récit classique, mais ils suffisent à l'élever : c'est un générique de début admirable qui pose avec force et grâce la situation des homos américains, c'est une discussion-séance photo entre Harvey et Scott où le petit chevauchement des voix sur des images fixes crée le décalage, c'est la focalisation régulière sur le visage de Milk, laissant l'arrière plan dans le flou, c'est l'énigmatique plan de Josh Brolin (mine de rien l'un des plus passionnants comédiens du moment), à moitié nu sur son canapé (plan qui pourrait sortir d'Elephant), c'est sa marche finale dans les couloirs de l'hôtel de ville (Elephant encore). Mais la réussite ne tient pas seulement à ces effets de signature. A ceux que les immenses Elephant et Paranoid Park ennuient, il faut dire qu'Harvey Milkest un film très vivant, et cela pas seulement grâce à la couleur locale et à l'exubérance que l'on peut imaginer. Les différentes étapes du parcours de Milk sont remarquablement emboîtées, chaque comparse (et ils sont nombreux) est installé fermement et le regard de Van Sant navigue avec la même pertinence de l'intime aux mouvements de foule (qui ne font jamais direction de figurants).

    "L'activisme à la con" du héros est moqué par son amant, au début de leur relation. Si le cinéaste quitte quelque peu les rivages plus expérimentaux, il ne manque pas de s'inscrire dans le sillage des oeuvres hollywoodiennes les plus intéressantes parmi celles interrogeant les usages politiques. Les mécanismes du lobbying sont détaillés et débattus et l'accession au pouvoir s'accompagne inévitablement des recherches de compromis poussant jusqu'aux alliances contre-nature. Harvey Milkest le récit d'un trajet militant particulier. Que l'on puisse prendre l'activisme de Milk pour celui de Van Sant, à la limite, je m'en fous. Le fait est que pendant deux heures, j'ai vraiment marché aux côtés des gays de San Francisco et que j'ai été emporté par une histoire et un souffle.

    Il va sans dire que le film est porté de bout en bout par un grand Sean Penn. Prodigieux, l'acteur n'a peut-être jamais été meilleur qu'ici, son maniérisme et son émotivité habituels servant merveilleusement le personnage. La quasi-totalité des cinéastes avec qui il a travaillé l'ont tiré vers le sol, vers une puissance de jeu bien ancrée, au risque de l'alourdissement. Van Sant, encore une fois, l'allège.

    Que l'auteur de Last days, entre des phases de grande inspiration, continue à proposer des films mainstream de cette qualité, personnellement, cela me va très bien.

  • Lucia

    (Humberto Solas / Cuba / 1968)

    ■■□□

    lucia.jpgFilm-phare du cinéma cubain, film rare de ce côté-ci. Pendant 2h40, Humberto Solas peint successivement trois portraits de femmes cubaines à trois époques différentes : sous l'impérialisme espagnol, pendant la dictature de Machado puis pendant la révolution.

    1895. Lucia (I) est une grande bourgeoise passant ses journées entre les visites à l'église et les jeux et commérages dans le salon de la maison familiale. Sa vie change lorsqu'elle croise Rafael, noble se disant apolitique et se déclarant à la fois cubain et espagnol. Le bonheur ne durera qu'un temps, Lucia apprenant bientôt  que Rafael est déjà marié en Europe. Pire, aveuglée par son amour, elle causera involontairement la perte de son propre frère et de ses camarades rebelles, cachés dans la montagne.

    Plus romanesque, on ne fait pas. Et Solas en rajoute des couches et des couches : partition symphonique assourdissante recouvrant toutes les scènes, direction d'acteurs des plus théâtrales, récit prévisible et mise en scène d'une prétention hallucinante. La caméra et les personnages sont régulièrement pris d'hystérie : ça virevolte, ça crie, ça s'époumonne comme dans le pire Zulawski. Partant des codes du grand mélodrame populaire, Solas veut tout autant montrer qu'il est l'un des grands créateurs de son temps. Il multiplie donc les effets, brise la narration pour insérer des tunnels sensoriels et opératiques ridicules, use de ralentis, coupe le son, surexpose les images, filme la guerre sauvagement... Devant tant d'excès, à l'approche du deuxième épisode, on se dit que ce n'est pas possible de continuer ainsi et on croise les doigts en espérant que le cinéaste cubain ait eu l'idée qu'Hou Hsiao-hsien reprendra quarante ans plus tard (Three times) : traiter trois époques dans trois styles différents.

    1933. Lucia (II) se rend avec sa mère dans sa résidence d'été au bord de la mer. Au cours d'une promenade, elle rencontre Aldo, qui se remet en cachette d'une blessure. Ils tombent amoureux l'un de l'autre et Lucia rompt avec son milieu bourgeois pour épauler son homme, engagé contre la dictature. La chute du maître du pays, Machado, laisse espérer des lendemains qui chantent. Mais la normalisation a raison des utopies. Aldo doit reprendre la lutte et Lucia le voit s'éloigner irrésistiblement.

    On respire : le style a effectivement changé. Une manifestation contre la dictature réprimée brutalement par l'armée donne encore une occasion de convoquer le bruit et la fureur par le biais d'une caméra ivre, mais le reste est d'un calme bienvenu. La voix off de la douce et belle Eslinda Nunez nous prend la main et son errance sur la plage déserte nous repose. L'histoire d'amour est traitée cette fois de manière sensible. Dans le premier épisode, les rapports entre hommes et femmes n'étaient envisagés que sous la contrainte (jusqu'au viol d'une religieuse). Ici, ils sont plus harmonieux mais pudiques. Sous les yeux d'Aldo, une soirée mondaine libère des saveurs érotiques qui deviennent de plus en plus malsaines. La libération n'est pas encore totale. Lucia (I), à l'image du peuple cubain tout entier, n'était pas prête pour la révolution, prisonnière qu'elle était de ses propres chaînes morales. Lucia (II) prend son destin en main et si l'heure n'est pas venue, elle sait qu'elle peut attendre (superbe plan final la voyant hésitante entre deux direction et se fixant au milieu, immobile). La question des classes sociales commence à se poser; les Noirs ne sont plus seulement de sauvages guerriers rebelles puisque la mère évoque le mariage d'untel avec une "mûlatresse".

    Années 60. Lucia (III) travaille à la ferme d'état. Tomas est également un travailleur révolutionnaire exemplaire. Le couple se forme. Tous les regards, envieux, se tournent vers eux. Mais Tomas est atteint de jalousie maladive et cloître Lucia dans leur maison. Toujours amoureuse mais n'en pouvant plus de la situation, elle finira par fuguer et rejoindre ses camarades pour reprendre le travail et une vie normale. Tomas, de son côté, sombre dans l'alcool et la violence.

    Troisième partie et hymne béat à la révolution castriste ? Non point. Solas relègue la politique à l'arrière-plan pour se concentrer sur son couple et livre un petit bijou de "Nouveau cinéma", libre, naturel, sensuel, musical. Les acquis obtenus de haute lutte sont bien établis : égalité de traitement, alphabétisation massive. La dernière bataille se livre dans le cercle le plus intime et cette libération féminine, le cinéaste réussit à la faire passer sans manichéisme (la reformation attendue du couple restera hypothétique). Après la tempête romanesque et l'aquarelle délicate, nous passons au charme irrésistible et à l'énergie  du présent. L'approche se fait documentaire à l'extérieur, vibrante à l'intérieur. Beaux comme des dieux, Tomas et Lucia, la métisse (incendiaire Adela Legra), nous donnent enfin à voir des scènes d'amour fusionnelles et vivantes. Une extraordinaire séquence de bal cristallise toutes les qualités des nouvelles vagues de l'époque. Le thème de la claustration est traité avec une belle vigueur et l'ambivalence des sentiments est maintenue jusqu'à la fin. Le récit, dans une distanciation bien plus agréable que celle de la première partie, est scandé par les couplets de la célèbre chanson Guantanamera.

    Commencée dans la douleur, la fresque d'Humberto Solas se termine sur une merveille.

    Je recompte donc : □□□□ + □□■■+ ■■■■ / 3 = ■■□□. C'est bien ça...

  • O' Cangaçeiro

    (Giovanni Fago / Italie / 1970)

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    Cangaceiro 07.jpg"Faisons feu de tout bois" semble être la devise de Giovanni Fago. En 1970, le cinéaste profite de la déferlante du western italien pour tenter une nouvelle hybridation avec le film de cangaço brésilien. Ce genre s'attachait là-bas à décrire les aventures des bandits du Nordeste au tournant du XXe siècle. Ces histoires, aux dimensions mythologiques, firent en effet les beaux jours d'un cinéma brésilien en plein essor dans les années 50 et 60. Lima Barreto contribua à lancer véritablement le genre en 1953 en présentant avec succès à Cannes son film O' Cangaçeiro, dont celui de Fago est le remake. Quantité de productions similaires suivirent dans la foulée, la figure de proue du Cinema Novo, Glauber Rocha, consacrant lui-même deux films au thème (Le Dieu noir et le Diable blond, 1964 et Antonio das Mortes, 1969).

    Fago n'est pas Rocha et l'on cherchera vainement chez lui lyrisme et exaltation politique. Il y a en revanche bien d'autres choses dans ce capharnaüm qui prend la forme générale d'une fable mais qui est constitué d'une succession de séquences pouvant chacune être affiliées à un genre cinématographique différent : guerre, western, spiritualité, farce, politique et, pour finir, film noir. Ce qui unifie tout d'abord, tant bien que mal, cet improbable édifice, c'est l'évidence de la parenté avec le western italien, par l'économie (la co-production avec l'Espagne), les thèmes (la vengeance, la vénalité), le ton (l'humour cynique et agressif des personnages qui se lancent entre eux d'inévitables mais affectueux "Fils de pute") et accessoirement, l'absence des femmes (ou quand elles passent, elles prennent vite une balle dans le corps). La mise en scène s'autorise à peu près tout et n'importe quoi. Se côtoient donc les audaces les plus ridicules et les intuitions plastiques les plus foudroyantes, organisées par un montage à la serpe provoquant quelques raccords vertigineux. Il suffit parfois qu'un personnage soit nommé en plein milieu d'une scène pour qu'il surgisse à l'écran sans autre avertissement.

    La première demi-heure donne plutôt raison au cinéaste. Ses effets percutants, son trait caricatural et l'élimination de toute séquence transitoire s'accordent bien avec le registre légendaire attaché aux histoires de cangaçeiros. Mais passées la conversion mystique et politique du héros, Espedito, dit le Rédempteur, et ses premiers exploits de bandit populaire, le film commence à lasser quelque peu. Une longue séquence centrale de dîner chez le gouverneur (habile calculateur décidé à se servir d'Espedito pour faire régner l'ordre dans le Sertao avant de s'en débarrasser) tire les plus grossiers effets comiques de l'opposition entre notables distingués et rustres brigands. Plus tard, un duel entre chefs de bandes se révèle d'autant plus décevant qu'il est mis en espace de belle manière et enfin, une douteuse intervention de gangsters américains finit par nous achever.

    Le plaisir d'un récit au premier degré ne dure donc qu'un temps car l'innocence du regard est perturbée par la volonté de faire passer en parallèle une réflexion politique. Mais ce second fil est tissé bien maladroitement. Le peuple dont il est pourtant beaucoup question, n'est même pas métaphorisé, il est absent. Nous devons donc croire Espedito sur parole et non sur ses actes, d'ailleurs contradictoires. Les personnages ne servent que de véhicule à des idées scénaristiques. Devant O' Cangaçeiro, la question se pose alors en ces termes : le geste de Giovanni Fago est-il le résultat d'une grande croyance dans le cinéma ou d'un calcul commercial ? La réponse est certainement entre les deux. Et chacun est libre de placer le curseur où il veut.

    (Chronique DVD pour Kinok)

  • Import Export

    (Ulrich Seidl / Autriche / 2007)

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    importexport.jpgPrès de deux ans après sa séléction officielle au festival de Cannes, où il fut plutôt mal reçu (ce qui explique assurément ce décalage), nous pouvons enfin nous frotter depuis janvier au deuxième long métrage de fiction d'Ulrich Seidl, cet Import Export qui vient après un Dog days déjà peu consensuel.

    Import : Olga, infirmière en Ukraine, ne s'en sort pas avec son bébé, sa mère, son salaire de misère et son appartement sans eau courante. Après avoir tenté une expérience d'hôtesse sexuelle par webcam, elle a enfin l'opportunité de rejoindre une amie en Autriche. Là-bas, elle accumule les petits boulots de femme de ménage, jusqu'à être employée, pour ce même poste, dans un service de gériatrie. Malgré le profond mépris qu'éprouve à son encontre l'infirmière en place, elle se lie fortement aux différents patients.

    Export : A Vienne, Pauli, toujours à court d'argent, perd son job d'agent de sécurité après s'être fait tabassé par un petit gang de Turcs. Il vit chez sa mère et son père (ou son beau-père ?), Michael, avec qui il s'engueule régulièrement. Eux deux se voient chargés de livrer des jeux et des distributeurs de bonbons, avec leur camionnette, jusqu'en Slovaquie et en Ukraine. Tout au long du voyage, le père n'aura de cesse de provoquer son fils, l'envoyant seul dans un immeuble coupe-gorge, le poussant à draguer avec lui les filles de bars et lui imposant enfin d'assister à un petit jeu pervers avec une prostituée.

    A travers ces deux histoires, que l'on suit en parallèle, Seidl peint de manière impressionnante un univers sordide qui englobe aussi bien les pays de l'Est que nos contrées occidentales car, que l'on se place d'un côté où de l'autre, que l'on fasse le trajet de gauche à droite ou de droite à gauche, le constat est le même, terrifiant : paysages hivernaux, habitats insalubres, chambres d'hôtels tristes, pavillons de mauvais goût et surtout, humiliations continuelles... Les deux récits croisés avancent mais les trajectoires semblent s'annuler et au final, nous resterons bloqué dans la pénombre de cette chambre d'hôpital, au milieu de ces vieilles femmes clouées au lit, entendant l'une d'elles répéter inlassablement "Ca pue... Mort... Mort...". Le monde, vu par Seidl, est en train de crever. Son film est cru, affreux, désespérant... et assez fascinant.

    Tout d'abord, la construction est absolument imparable : d'une part, le montage, très sec, rend le sentiment de l'inéluctable dans le va-et-vient régulier entre les histoires d'Olga et de Pauli et d'autre part, l'alternance permet la mise en place d'un subtil système d'échos d'un récit à l'autre (des situations ou des postures qui se répondent ou s'opposent malicieusement mais jamais mécaniquement). Les cadrages sont souvent fixes et frontaux mais savent aussi se libérer lorsqu'il le faut et Seidl gère précisément la durée de ses plans, jamais ennuyeux. Bien des choses difficiles sont enregistrées par la caméra, mais la puissance de ce cinéma n'est peut-être nulle par ailleurs aussi évidente que dans la très brève scène où Pauli laisse son chien déchiqueter un ours en peluche. L'image vient au terme d'une séquence dans laquelle le jeune homme débarque sans prévenir avec son nouveau molosse chez sa copine qui, craignant beaucoup les chiens, commence à paniquer totalement. A la fin, donc, Seidl coupe court au dialogue et raccorde sur un plan où il ne laisse dans le cadre que Pauli et son chien s'excitant sur le nounours. On ne voit ni n'entend plus la fille. Où est-elle passée ? Fin de la séquence, on passe à autre chose, on n'entendra plus parler d'elle.

    Le parcours suivi par les deux protagonistes, qui ne se rencontrent jamais, est jalonné d'étapes humiliantes. Si éprouvantes qu'elles soient, ces épreuves traduisent surtout une chose : la résistance des corps et de l'esprit à la barbarie. Jamais nous ne voyons Olga ou Pauli s'effondrer réellement. Aucun pathos, aucun apitoiement. Même au coeur de la violence et du sordide, il y a cette force inébranlable des deux personnages. Voilà l'une des raisons de l'absence de complaisance et de spectaculaire malsain dans Import Export. De plus, si Seidl compose des plans élaborés et filme un environnement oppressant, il semble nous laisser toujours une certaine liberté, une échapatoire, une lueur, par ces cadrages qui laissent beaucoup d'espace au dessus des personnages, par ce rire jaune qui naît du grotesque, par l'attachement indéfectible qui finit par nous lier à Olga et Pauli, toute latitude que nous refusait récemment Steve McQueen avec Hunger, autre film-choc bien mieux reçu lui, puisque là, la cause à défendre était indiscutable. Les rares critiques enthousiasmés par Import Export insistent assez sur la dimension politique du film. Mais il faut préciser que Seidl ne vise pas le Cyber-Sex, la Prostitution, le Marché Noir, le Gangstérisme, le Capitalisme ou que sais-je encore avec des majuscules. Non, il pointe des actes précis et personnalisés qui traduisent les penchants de la plupart des êtres humains pour l'humiliation de l'autre, se gargarisant ainsi de leur illusion de toute puissance. Le fait qu'une partie de ces actes ouvertement violents ou plus insidieux soit perpétrée par des personnes sensées être responsables ou protectrices (pères et mères de famille, patron d'entreprise, consultant pour chômeurs, infirmière) ne fait qu'accentuer le sentiment de fin du monde.

    Les gestes d'Olga et de Pauli ne sont peut-être que des gestes de retrait, mais dans cet univers-là, ils prennent presque valeur de révolte, d'espoir en tout cas. Ulrich Seidl est décidément un sacré cinéaste.

  • Les toilettes du Pape

    (César Charlone et Enrique Fernandez / Uruguay / 2007)

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    toilettespape.jpgEn nous collant d'entrée à la roue de Beto, père de famille uruguayen vivant de la contrebande transfrontalière cycliste et quotidienne de divers denrées, de manière attentive et empathique, les co-réalisateurs des Toilettes du Pape (El baño del Papa), César Charlone et Enrique Fernandez, nous mènent moins vers De Sica et son voleur de bicyclette que vers Ken Loach, celui des comédies graves et des petites victoires dans la défaite. Oeuvrant au sein d'une cinématographie des plus discrètes bien qu'ayant déjà donné naissance à au moins un coup d'éclat (Whisky de Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll en 2004), les cinéastes arrivent avec ce premier long-métrage à faire naître chez le spectateur un peu plus que l'inévitable sympathie (parfois condescendante) qu'entraîne un tel effort.

    Dès l'introduction, qui nous plonge en terrain accidenté dans une course poursuite inégale entre passeurs à vélo et douanier conduisant un puissant 4x4, la mise en scène bouscule la beauté du paysage et de la lumière rasante par un dynamisme venant du montage, de la mobilité du cadre et de la proximité des corps. La vivacité du style empêche la belle image de sombrer dans le cliché touristique. En conséquence, et même lorsqu'il s'agit de se poser en revenant à la maison, le rythme se fait quelque peu chaotique. L'inconvénient en est la mise en péril de la continuité des séquences. On sent parfois les auteurs coincés dans les articulations du récit et nous les voyons s'en sortir uniquement en passant par de brefs flash-backs superflus sensés faire comprendre sans ambiguïté aux spectateurs l'état d'esprit du personnage. Mais les petits heurts ont aussi leurs avantages. Ainsi, une toute petite chose anodine (un rendez-vous en cachette, un mensonge par omission) peut être évoquée en passant, sans insister ni y revenir, ce qui permet de laisser planer un doute, de faire marcher l'imagination. Ainsi également, la radio (la fille de Beto rêve d'étudier à Montevideo pour en faire son métier) et la télévision (une équipe de journalistes retransmet en direct la journée événement depuis la petite ville où le Pape Jean-Paul II doit prononcer un discours) n'apportent pas un surplus de réalisme mais plutôt une dimension presque fantastique, décelable notamment dans ces étranges moments, semblant briser la continuité temporelle, où le père apparaît sur l'écran sous les yeux de sa femme et sa fille.

    On suit en arrière-plan les préparatifs d'une population comptant bien profiter de la venue dans leurs rues de milliers de fidèles en installant des stands de chorizo ou de galettes. Le récit principal tourne lui autour de Beto, de son idée si étonnante mais si logique de bâtir dans son jardin des toilettes qui soulageront les passants contre quelques pièces et de sa course après l'argent nécessaire à leur construction. Un compte à rebours journalier s'égrène mais l'histoire avance à son rythme, tranquillement, sans provoquer de suspense artificiel. Ce sont des petites pierres qui sont posées ici et là par les deux auteurs, pierres qu'ils ont le bon goût de ne pas transformer en éboulis scénaristiques : la survie financière, l'inévitable profiteur, l'espoir d'un ailleurs radiophonique...

    Un grand événement apporte aux personnages des petites espérances (bien évidemment, il faut, en vérité, intervertir les deux qualificatifs). Il est impossible de ne pas s'attacher à ces figures, d'autant plus que tous les interprètes jouent justes et imposent d'emblée une présence évidente. Les cinéastes filment résolument à hauteur d'homme, de femme et d'adolescente et, même dans les situations inhabituelles, gardent le cap d'un respect scrupuleux de la pertinence des réactions en dédramatisant les crises, non par gentillesse mais par l'usage réaliste du compromis et de la compréhension mutuelle.

    La réussite du film n'est pas totale. On regrette quelques facilités musicales, quelques lourdeurs humoristiques (le fou du village) ou la maladresse de la mise en scène de certains détails (la façon dont est filmée la mère, cachotière, au moment où elle va chercher des billets dans son bocal ne laisse aucun doute sur l'importance que prendra plus tard la préservation de ce maigre pécule). Mais ces toilettes du Pape restent tout de même des plus accueillantes. On y dit avec humour et lucidité deux ou trois choses essentielles sur la famille, la religion et la dignité.

    (Chroniques dvd pour Kinok)