(Helma Sanders-Brahms / Allemagne / 1980)
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Placée sous les auspices de Berthold Brecht, avec ce poème du dramaturge placé en ouverture, Allemagne mère blafarde (Deutschland bleiche mutter) est une oeuvre ample et distanciée. Helma Sanders-Brahms y articule la grande histoire et sa biographie, plus exactement, celle de sa mère, nous faisant passer constamment, dans un étrange va-et-vient, du quotidien au symbolique. A la fin des années 30, Lene rencontre son futur mari, Hans. Celui-ci n'est pas adhérent au parti nazi. Il est donc envoyé parmi les premiers combattants en Pologne. Il traversera ainsi la guerre, passant d'un front à l'autre et ne profitant que de quelques jours de permission de temps à autre. Au cours de l'une d'elle, Anna est conçue. Livrée à elle-même, Lene doit survivre avec sa fille en ville sous les bombardements ou dans les campagnes gelées. La fin de la guerre permet le retour de Hans au foyer mais aussi le début d'un nouvel enfer, conjugal celui-là.
Trois larges mouvements structurent le film en épousant le regard d'Anna (relai à l'écran d'Helma Sanders-Brahms qui pose ici et là sa voix off). La première partie nous montre, dans une ambiance relativement douce malgré la montée du péril, les premiers moments de bonheur. Ce récit d'avant la naissance fantasme la rencontre amoureuse des parents, tente (en vain) d'imaginer les tendres étreintes. Puis arrive la guerre et ses syncopes, prenant la forme des souvenirs heurtés et partiels de la petite enfance. Enfin, vient la fin des hostilités et le retour d'un père si étranger. Le regard de la petite fille devient plus lucide face au glissement vers une "guerre intérieure" suicidaire. Les niveaux de lecture se multiplient tout le long du film : auto-biographiques, psychanalytiques (les rapports intenses liant une petite fille à sa mère, toutes deux plongées dans la guerre et la déchirure que peut provoquer dans un couple l'arrivée d'une troisième entité), historiques, allégoriques (la Mère, c'est l'Allemagne, la patrie qui a laissé ses fils s'abîmer dans l'impensable) et mythologiques (la poésie, le conte). Devant une telle richesse thématique, il arrive que l'on se sente parfois dépassé, redoutant qu'une signification nous échappe.
La réflexion passe par la distanciation. Certaines séquences ont un aspect théâtral parfaitement assumé, de par leur ton et le placement des corps dans le cadre. Parfois, l'effet est transcendé en privilégiant les décors naturels mais en les dépeuplant par la même occasion (peu d'acteurs sont finalement à l'écran dans cette fresque et certains jouent même plusieurs rôles). Ce choix d'un léger recul par rapport au réel permet aussi d'accepter les quelques reconstitutions hardiment accolées à de nombreux plans d'archives de villes allemandes dévastées. Ces images aériennes de cités fantômes sont toujours aussi stupéfiantes, plans interminables soutenus par la magnifique partition pour piano de Jurgen Knieper. La bande son est l'un des éléments les plus étonnants du film. Sanders-Brahms orchestre une série de fondus-enchaînés sonores édifiants (les rires de soldats se transforment en discours radiophonique assourdissant), épure (une danse de bal sans musique audible) ou surcharge (le refuge dans une cave lors d'une alerte impressionne par le chevauchement des pistes sonores : explosions, musique, cris). Elle aime déstabiliser. Une séquence s'ouvre au son des bombardements sur le visage de Lene alitée. Est-elle affolée par le danger ? Non, elle est en train d'accoucher. Souvent la vérité du moment ne nous est pas révélée tout de suite.
La progression narrative se fait par larges segments, prenant parfois l'allure de véritables morceaux de bravoure. Les scènes intimes décrivant les brefs séjours du père retrouvant sa petite famille à l'arrière sont filmées de manière assez minimalistes, provoquant quelques retombées de l'intérêt. En revanche, un très long passage au centre du film voit la mère et sa fille sillonner la campagne (l'oeuvre embrasse d'une certaine façon tout le territoire allemand), faire une halte dans une usine désafectée et finir en ville, le tout sans que la première ne cesse un seul instant son récit d'un terrible conte de Grimm à l'attention de la deuxième (une suspension ne se fait que le temps... d'un viol par deux soldats américains). Le tableau brossé de l'Allemagne de l'après-guerre est glaçant : les nazis se replacent dans l'administration Adenauer, les hommes s'en sont sortis plus ou moins et s'oublient dans l'alcool, les femmes portent les stigmates physiques, vivantes malgré tout, mais muettes dorénavant. Anna sera donc, comme la plupart de ceux de sa génération, mise dans une situation intenable, tenaillée par l'amour pour sa mère et l'envie de demander des comptes à celle qui n'a rien voulu voir d'autre que le rideau baissé de la mercerie tenue par un juif, celle qui ne veut plus rien dire, celle qui tente de repousser des choses qui, de toute manière (un éprouvant arrachage de dents, un refuge aux allures de four crématoire) subsistent à l'état de traces.
Inégal, très complexe, toujours passionnant, irradié par le visage d'Eva Mattes (Lene) : tel est le film le plus réputé d'Helma Sanders-Brahms, réalisatrice aguerrie du cinéma allemand qui verra sa dernière oeuvre, Clara, distribuée en France au mois d'avril prochain et sur laquelle nous écrirons bientôt.
Si la frontière entre documentaire et fiction a été, dès le départ, arpentée par bien des cinéastes, on assiste depuis plusieurs années à une flambée de projets mêlant indissociablement les deux registres, le spectre allant des pires docu-fictions télévisées aux oeuvres les plus originales de grands documentaristes. Dans son programme, le festival de Cannes 2008 nous promettait vaguement un "documentaire d'animation" en sélection officielle. Au final, Valse avec Bachir surprenait tout le monde (sauf le jury cannois) et s'imposait comme l'un des grands films de l'année écoulée, dépassant totalement son statut initial de curiosité cinématographique...
Comme promis il y a de cela quelques semaines, je profite d'une période de calme dans l'animation de ce blog et de la fin du marathon Demy effectué par mon généraliste favori (le Dr Orlof) pour poser la question rituelle : "Êtes-vous Demyphile ?". Si vous ne l'avez pas encore fait, je vous invite chaudement à lire les chroniques du praticien susnommé qui, profitant de la sortie d'une intégrale en dvd, a pu passer en revue tous les longs-métrages du cinéaste, du
Rarement un film aura si abruptement fait changer le regard porté sur lui en plaçant à mi-chemin un évènement totalement inattendu (et par conséquent, rarement l'état d'esprit du spectateur aura été aussi dépendant de sa connaissance préalable du scénario). La première moitié de Rickys'inscrit dans la veine du drame social, dans un milieu ouvrier de familles éclatées. Katie, mère d'une petite fille, Lisa, qu'elle élève seule, rencontre à l'usine Paco. Coup de foudre, installation de l'homme dans l'appartement du HLM et bientôt, naissance d'un petit garçon, prénommé Ricky. Son arrivée dans le foyer coïncide avec le début d'une crise de couple.
Historias minimasest un petit film argentin qui a le charme et les limites de son projet tout entier contenu dans son titre. Ce road movie nous propose de suivre trois trajectoires distinctes mais convergeant vers un même point géographique : la ville de San Julian, en Patagonie. Le vieux Don Justo s'y rend en stop et en cachette de son fils pour récupérer son chien fugueur, Maria, partant du même village, son bébé dans les bras, prend le bus pour participer à la finale d'un jeu télévisé et Roberto, le représentant de commerce, doit conduire pour visiter une cliente qu'il semble apprécier particulièrement.
Une séance familiale pour changer. Quatrième long-métrage d'animation signé Disney, après Blanche-Neige (1937), Pinocchio (1940) et Fantasia (1940), Dumbofut réalisé très vite et avec moins de moyens que les précédents. Son esthétique s'en ressent énormément : dessins simples et peu détaillés, plans généraux brossés à gros traits, sons d'ambiance rares et recouverts par la musique. L'ensemble libère une saveur primitive qui manque cependant de fluidité narrative dans sa succession de séquences à peine articulées entre elles. Disney (et le superviseur Ben Sharpsteen) commande toute une armée d'animateurs et directeurs artistiques. Sans doute est-ce l'une des explications à l'éparpillement stylistique du film, d'une scène à l'autre. Les humains sont tantôt absents, tantôt moteur du récit, les animaux parlent ou pas (Dumbo ne dit pas un mot), l'anthropomorphisme touche soudain une locomotive. L'histoire tient en quelques mots : Dumbo l'éléphant aux oreilles encombrantes naît dans un cirque, devient la risée de ses congénères, du personnel et du public et se lie d'amitié avec une souris qui le convainc qu'il peut voler.
Pour être tout à fait franc, j'avais décidé d'aimer Walkyrie (Valkyrie) avant de le voir. Parce que la majorité de la critique s'en était saisi avec des pincettes (et "l'efficacité sans la profondeur..." et "la fascination pour l'uniforme..." et "le sujet en or gâché..." et blablabla). Parce que le Black book de Verhoeven, qui traitait de la même période, m'avait très agréablement surpris à sa sortie alors que j'y étais allé à reculons. Parce qu'il est devenu si facile de se foutre de la gueule de Tom Cruise. Parce que le sujet m'intriguait alors que je me foutais pas mal des précédents projets de Bryan Singer puisque, mis à part le fameux Usual suspects à propos duquel il est de bon ton aujourd'hui de passer sous silence le plaisir pris au moment de sa découverte, je ne connais que le premier X-Men, sans intérêt (parfois la presse semble juger les cinéastes sur leur réputation ou leur film précédent et non sur ce qu'elle a vraiment sous les yeux : on ne pardonne pas à Singer ses films de super-héros alors que l'on s'agenouille devant le Benjamin Button de Fincher en souvenir de l'excellent
A Nantes, Gabriel rencontre Emilie, parisienne de passage, mariée et repartant le lendemain. Le courant passe si bien entre les deux, qu'après le dîner, il lui demande un baiser "sans conséquence", ce qu'elle lui refuse poliment. Elle se justifiera en lui racontant jusqu'au milieu de la nuit, l'aventure vécue par deux de ses amis : Judith et Nicolas. C'est cette histoire qui, sous forme de flash-back, est au centre du film.
Point culminant de l'esthétique des années 80 (sortie française en