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Nightswimming - Page 115

  • Heat

    (Paul Morrissey / Etats-Unis / 1972)

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    heat.jpgAu sein de la production underground new yorkaise des années 60/70 chapeautée par Andy Warhol, les films réalisés par Paul Morrissey sont réputés comme étant les plus accessibles, intégrant quelques règles établies de narration et de technique que refusait d'utiliser le maître de la Factory dans ses propres oeuvres. Heat a l'aspect chaotique d'un documentaire avec l'enregistrement du son en direct (on entend régulièrement la circulation aux alentours du motel) et une lumière naturelle. Le découpage des séquences se fait plus volontiers à l'intérieur des plans, à coups de zooms et de recadrages, que par un montage classique. Les images ainsi captées à la volée peuvent laisser l'impression d'un style approximatif, bien que l'on remarque de ci de là d'évidentes compositions plastiques.

    Dans Heat, Paul Morrissey se penche sur Hollywood, côté cour. Il s'attache à des paumés, des marginaux, des has been, qui gravitent autour de la piscine d'un motel de Los Angeles, tenu par une grosse patronne aussi perverse que ses clients. Parmi ces artistes, apprentis-stars qui ne font plus la différence entre cinéma, télévision et shows érotiques, débarque Joey, un ex-enfant vedette, de retour de l'armée et d'autres galères. Arriviste mais sans trop faire d'efforts, il séduit la mère de sa voisine, actrice sur le déclin, riche et encore désirable.

    Le film ne cesse de se référencer au temps du glorieux Hollywood. Pendant le générique, on voit Joey se promener au milieu des décombres d'un vieux studio en démolition. L'ombre des stars du muet et des grands producteurs plane sur des villas devenues trop grandes. Les excès sentimentaux des protagonistes évoquent le mélodrame de la grande époque. Mais Morrissey insiste bien sur l'envers du décor, se focalisant sur son petit peuple de loosers, montrant en particulier ce qui était peu ou pas dévoilé alors : appât du gain, folie et, surtout, frasques sexuelles. De ce point de vue, Heat n'est pas un film piqué des hannetons et comme dirait l'Office Catholique, des images peuvent heurter. Le cinéaste joue autant avec les codes des genres cinématographiques qu'avec la censure, la limite avec le hard ne tenant guère qu'à la mince épaisseur d'un tissu qui ne cache pas grand chose de la forme se trouvant dessous. Ces scènes-là sont d'autant plus surprenantes qu'elles sont traitées avec le même naturel que le reste, allant parfois jusqu'à des plaisanteries hardies.

    C'est que, autre sujet d'étonnement, l'humour est constant. Certains dialogues sont franchement hilarants. On n'oubliera pas la réflexion de la mère à sa fille, fâchée que cette dernière vive avec une femme : "Tu n'es pas lesbienne, c'est provisoire" (et de fait, cela se révélera vrai); ni l'échange avec l'ex-mari, vivant lui avec un homo : "- Je ne veux plus que tu donnes tout mon argent à ce Jockey. - Il s'appelle Joey." Si l'esthétique à l'oeuvre, peu gratifiante, lasse parfois, elle porte cependant ses fruits lors des nombreuses scènes de ménage, assurément les meilleurs moments du film.

    Monstrueux ou touchants, les personnages semblent se confondre avec les acteurs hors-normes qui les incarnent. On sent une inégalité de jeu entre eux et à l'intérieur des registres de chacun, mais tous assument leur caractère tête brûlée. Joey c'est Joe Dallesandro, qui traverse le film en faisant converger tout les regards sans faire grand chose, magnifié en maillot de bain par une mise en scène qui doit beaucoup à l'imagerie gay. Sous sa longue chevelure, il est assez magnétique.

  • Êtes-vous Rohmerien(ne) ?

    manda.jpgLe résultat n'était pas forcément attendu : le réalisateur le plus cité au terme de la récente consultation lancée par Ludovic Maubreuil sur son blog Cinématique, en rapport avec ce qu'il reste du cinéma français de ces vingt dernières années, est Eric Rohmer.

    Rohmerien, je le suis assez, pour ma part, même si il a fallu un peu de temps pour que je le devienne. Si l'on n'a pas fréquenté son cinéma depuis un moment, entrer dès le début dans un film de Rohmer est rarement chose aisée. Le plus souvent, il faut compter quelques minutes d'acclimatation face à ces parlés très travaillés et cette mise en scène transparente (ce qui ne veut bien sûr pas dire inexistante, loin de là).

    A l'échelle de l'oeuvre entière, le sentiment est similaire. Je crois me souvenir avoir découvert le cinéaste à la fin des années 80, avec La collectionneuse et n'avoir guère apprécié ce style dandy et bavard. Le plaisir fut à peine plus vif avec Le genou de Claire ou L'ami de mon amie mais, au fil des films abordés dans le plus complet désordre, l'homme finit par m'intéresser. Quatre étapes importantes pour expliquer cela : La Marquise d'O... est le premier Rohmer à m'avoir vraiment marqué, bien que le film soit plutôt atypique par rapport aux autres (ou plutôt, compte tenu de mon regard d'alors, grâce à ses différences). Quatre aventures de Reinette et Mirabelle m'étonna ensuite agréablement par sa légèreté et sa liberté. Puis, devant Ma nuit chez Maud, vu à l'occasion d'une reprise en salles, l'évidence s'imposait. Enfin, lorsque je vis en rediffusion à la télévision le formidable documentaire de la série Cinéastes de notre temps (ou Cinéma..., je ne sais plus) consacré à Rohmer, j'y découvris un cinéaste s'exprimer sur son travail de façon incroyablement précise, comme jamais je n'avais entendu quelqu'un le faire à ce point.

    Parmi les titres remarquables de ces dernières années, j'aime moins que certains l'expérience osée de L'Anglaise et le Duc mais je place toujours au plus haut le Conte d'été, frémissant encore en pensant à ces retrouvailles avec la délicieuse Amanda Langlet, 13 ans après Pauline à la plage.

    **** : Ma nuit chez Maud (1969), Conte d'été (1996)

    *** : La Marquise d'O... (1976), Pauline à la plage (1983), Les nuits de la pleine lune (1984), Quatre aventures de Reinette et Mirabelle (1987), Conte d'hiver (1992), Conte d'automne (1998), L'arbre, le maire et la médiathèque (1993), Triple agent (2004)

    ** : Le genou de Claire (1970), Le beau mariage (1983), L'ami de mon amie (1987), Conte de printemps (1990), Les rendez-vous de Paris (1995), L'Anglaise et le Duc (2001)

    * : La collectionneuse (1967)

    o : -

    Pas vus : Le signe du lion (1959), La boulangère de Monceau (1962), La carrière de Suzanne (1963), L'amour l'après-midi (1972), Perceval le Gallois (1978), La femme de l'aviateur (1981), Le rayon vert (1986), Les amours d'Astrée et de Céladon (2007)

    A vos commentaires...

  • 1984

    (Michael Radford / Grande-Bretagne / 1984)

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    1984.jpgSi vous êtes un(e) visiteur(se) régulier(e) de ce blog, vous devez commencer à vous rendre compte de mon inculture littéraire. Je n'étonnerai donc personne en confessant ne connaître du mythique roman de George Orwell que quelques mots (Big Brother, guerre, totalitarisme, écrans...). Le film de Michael Radford ne sera donc pas jugé ici par rapport au livre (vos éventuels commentaires, positifs ou négatifs, sur l'adaptation elle-même sont bien sûr les bienvenus).

    Vu sans son référent, 1984se tient très bien tout seul et dégage une puissance et une cohérence peu commune. La première séquence est dédiée à l'un de ces meetings où des travailleurs sont abreuvés de discours belliqueux, par l'intermédiaire d'un écran géant. Tout en montrant, avec sa caméra balayant la foule, l'instrumentalisation des émotions, le lavage de cerveau et la véhémence de réactions dirigées, le cinéaste laisse deviner quelques espaces libres. Tous, dans la foule, ne font pas exactement les mêmes gestes et pas au même moment, certains regards fuient l'écran, une tête se retourne... Si le mécanisme abrutissant est bien à l'oeuvre, il reste (il restera toujours) du jeu dans la machine, il reste l'irréductible "esprit humain", comme le nommera plus tard Winston Smith.

    Celui-ci cultive en lui l'une des graines de résistance à un pouvoir autoritaire et tentaculaire qui, sous le prétexte de la guerre, maintient le peuple dans l'ignorance et la pauvreté, ré-écrit l'histoire et s'acharne à annhiler tout libre arbitre. Smith résiste tout d'abord en passant par l'écriture. Sur un cahier, à l'abri du regard de Big Brother, il ré-apprend à utiliser une langue que les dirigeants s'escriment à simplifier, à contrôler, à expurger, avec la même énergie qu'ils mettent à broyer les consciences individuelles. Il s'agit pour lui d'exercer par là une subjectivité qui lui est refusée (exercer car cela demande un réel effort).

    Parallèlement, Winston Smith s'engage sur une autre voie, tout aussi déviante au regard des autorités : celle de la passion amoureuse. Dans un monde où la voix du Maître se félicite de la chute du nombre de mariages, où l'on fait voeu de célibat et où l'on combat la recherche de l'orgasme, un nouveau couple se forme, décidé à assumer ses pulsions. "I want you" ne cessent de se dire Winston et Julia. L'appauvrissement imposé du langage redouble l'impact et la crudité de ces situations. La révélation soudaine des corps dans leur nudité crée le même choc. Ceux-ci se détachent des murs gris de la chambre et s'opposent aux uniformes qui sont partout. Rarement mise à nu d'une femme à l'écran (et d'un homme, mais, comme d'habitude, un peu moins) n'aura été autant justifiée scénaristiquement, esthétiquement et moralement.

    Dans le rôle de Julia, Suzanna Hamilton est une découverte, et pas seulement plastique, tant elle fait preuve de sensibilité. L'actrice n'est pas la seule à être digne de louanges. John Hurt traverse le film avec son corps souffrant et sa force intérieure. Devant lui se dresse un prodigieux et massif Richard Burton (dans son dernier rôle), qui incarne la toute puissance dictatoriale avec le minimum d'effets. Leur face à face final est d'anthologie.

    Michael Radford a su créer l'atmosphère pesante adéquate avec sobriété, lestant tous les décors d'une réelle présence. Il obtient un équilibre parfait entre flash-backs, divagations et réalité jusqu'à égarer doucement son spectateur. Dans la chambre, de très simples mouvements d'appareil partent de l'écran mural pour cadrer dans un recoin Winston Smith écrivant sur son journal. De beaux fondus enchaînés parsèment l'oeuvre, le plus marquant et le plus étrange nous amène vers un plan où Richard Burton tient dans ses bras John Hurt, qu'il vient de torturer. Le retour d'images identiques n'ennuie pas, la répétition étant l'un des fondements de la société décrite. L'utilisation de la musique participe pleinement à l'ambiance. Elle est signée par Dominic Muldowney et le fameux groupe électro-pop Eurythmics (sur la bande-son, pas de tube comme Sex crime, la voix d'Annie Lennox ne s'entendant que sur le générique de fin, mais des boucles synthétiques tout à fait pertinentes).

  • Collateral

    (Michael Mann / Etats-Unis / 2004)

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    collateral2.jpgCollateralest énervant et ce d'autant plus que le film de genre s'y drape d'esthétisme forcené. Michael Mann a eu ce qu'il a voulu : il passe maintenant pour un grand styliste...

    Nous n'avons pas tant là une oeuvre formaliste qu'un objet chichiteux, dans lequel le cinéaste ne se résout jamais à laisser passer un seul plan, même le plus bref, qui n'en mette plein la vue par le choix du cadrage, de la lumière ou de la composition interne. Ces effets à répétition donnent une esthétique chic et lisse qui sombre vite dans la vacuité clipesque. La bande son subit le même traitement hyper-chiadé (c'est la première fois que je me trouve devant une séquence de discothèque où l'on entend à peine la musique, et cela sans aucune raison). La bande originale, elle, se résume à une soupe rock-FM imbuvable.

    Tout ceci n'est encore rien à côté du scénario, dont nous devrions accepter la nullité sous prétexte de mise en scène "souveraine" et de récit à rebondissements. L'invraisemblable est partout : aucune péripétie n'y échappe. La moindre séquence de Collateral pourrait être contestée sur ce point, la plus ahurissante étant celle qui voit le brave chauffeur de taxi se substituer au tueur lors du rendez-vous avec les commanditaires.

    La relation qui se tisse entre les deux personnages principaux, que jouent mal Tom Cruise et Jamie Foxx, repose elle aussi sur du vide. La peur et la fascination mêlée, la tentation d'une autre vie, le flirt avec la limite : aucune piste n'aboutit, plombées qu'elles sont de toute façon par des touches d'humour pathétiques (la visite rendue à la mère hospitalisée) et par une philosophie de bazar. Car bien entendu, le tueur est la personnification du Mal et de ce fait, philosophe beaucoup. Une incarnation similaire mais ô combien plus inquiétante sera proposée par Javier Bardem, plus tard, chez les frères Coen (No country for old man). L'acteur espagnol tient un rôle secondaire ici, placé au centre d'une scène symptomatique de l'échec total du film. Dans la peau de celui qui tire les ficelles, il use de périphrases, prenant un détour idiot le menant vers une fable mexicaine sur Santa Claus au lieu d'avoir une discussion simple et claire. Mais Michael Mann n'est pas à un tic auteuriste près.

    Non content de nous faire subir d'incessants retournements de situations (le dernier, qui nous révèle l'identité de la dernière victime sur la liste, est affligeant), il se montre parfois d'une grande complaisance, comme dans cette scène où Tom Cruise dégomme deux petites frappes qui en voulaient à sa mallette. Tarantino a été lynché pour trois fois moins que ça. Que l'on ne s'inquiète pas, le héros noir, que toutes les polices prennent pour le tueur, ne sera pas abattu par erreur par les flics. Nous ne sommes pas chez Romero. Nous sommes plutôt à l'opposé du spectre : dans le douteux, le clinquant, la frime...

  • C'était mieux avant... (Octobre 1983)

    Je vous propose aujourd'hui d'aborder la deuxième étape de notre voyage dans le temps, entamé le mois dernier.

    Octobre 1983 dans les salles françaises, c'était ça :

    retourjedi.jpgLe retour du jedi, réalisé par Richard Marquand (qui ça ?), arrivait enfin sur nos écrans pour clore (provisoirement) la trilogie de George Lucas. J'avais bien évidemment adoré ça à l'époque (je vous rappelle que j'allais sur mes 12 ans), enthousiasmé par la course poursuite entre les arbres de la forêt des Ewoks et secrètement troublé par la tenue des plus légères de la Princesse Leia, prisonnière de Jabba. Cependant, il ne fallut pas attendre bien longtemps pour se rendre compte que l'épisode était de loin le plus faible des trois. Ma dernière visite de ce film impersonnel et gnan-gnan fut plutôt pénible, annonçant parfaitement les trois daubes numériques qui suivirent au tournant des années 2000. Mon excellent confrère Mariaque a d'ailleurs fait un sort à ce Jedi pas plus tard que l'autre jour.

    Mais à cette époque-là, il n'y avait pas que la guerre des étoiles, il y avait aussi la guerre des Bond. Deux mois avant Sean Connery (Jamais plus jamais), Roger Moore dégainait le premier dans Octopussy(de John Glen). Et moi, je ne comprenais pas pourquoi les plus vieux n'arrêtaient pas de dire que le deuxième ne valait pas le premier. Je le trouvais tellement cool Roger Moore...

    marginal.jpgHeureusement, face à ces mastodontes, le ciné français avait Bébel. Dans Le Marginal, il n'hésite pas à passer outre la loi pour désouder ces salauds de trafiquants de drogue et autres dépravés amateurs de cuir. Deray était derrière la caméra, Morricone à la musique et Audiard aux dialogues, mais est-ce pour autant regardable aujourd'hui ? Je vous pose la question.

    Le navet du mois devait être Le bourreau des coeurs(de Christian Gion, avec Aldo Maccionne). A moins que ce ne soit Staying alive, la suite de Saturday night fever, réalisé par Sylvester Stallone (le film obtient une note de cancre sur l'imdb : 3,8 sur 10). Je ne sais absolument pas (je vous demande de me croire) si je l'ai vu un jour.

    Compte tenu de tout cela, on se dit que c'était bien Papy fait de la résistance qui remplissait le mieux son contrat de film populaire. La comédie prestigieuse et pluri-générationnelle de Jean-Marie Poiré tient encore le coup, offrant notamment à Villeret et à Jugnot l'occasion de grands numéros. Parmi les films inlassablement rediffusés par la télévision, voici l'un des rares qui arrive à nous accrocher cinq minutes lorsque l'on tombe dessus.

    Trois oeuvres a priori intéressantes sortirent également en octobre : Vive la sociale !(Gérard Mordillat), Poussière d'empire (Lam Le) et En haut des marches(Vecchiali). Parmi les autres films, je savais que Le général de l'armée morteréunissait Mastroianni et Piccoli, mais je n'avais aucune idée du réalisateur (c'est un certain Luciano Tovoli). Enfin, la découverte est peut-être à chercher du côté de Racket (The long good friday), polar britannique de John McKenzie, avec Bob Hoskins et Helen Mirren.

    cinematographe93.jpgDans les kiosques, Première (79) offrait sa couverture aux comiques de Papy... (il me semble me rappeller que la campagne de publicité avait été rondement menée). La revue du cinéma (387) choisissait de soutenir Le destin de Juliette d'Aline Issermann (qui sortit en septembre de cette année-là, ce que j'ai oublié de mentionner le mois dernier). Du côté de Starfix (8), on mettait en vedette un Guerrier de l'espace croquignolet, qui ne semble pas avoir laissé de souvenir impérissable. Les deux soeurs-ennemies, Positif (272) et les Cahiers (352), apparemment peu inspirées par l'actualité, préféraient se projeter vers l'avenir, en présentant deux films très attendus, qui n'allaient sortir qu'au mois de janvier 84 : Et vogue le navire de Fellini et Prénom Carmen de Godard. Une photo de Danielle Darrieux, interprète du Vecchiali, ornait la couverture de Cinéma 83 (298). Et c'est la grande Lilian Gish qui illuminait celle de Cinématographe (93).

    Voilà pour Octobre 83. La suite le mois prochain...

    (P.S. le 06/10/08 : la sortie française de Honkytonk man de Clint Eastwood est datée, selon les sources, de début octobre ou de mi-novembre. Nous en reparlerons donc le mois prochain. Il serait en effet dommage de ne point l'évoquer.)

  • French cancan

    (Jean Renoir / France - Italie / 1955)

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    Au fil des ans, la bonne place que je persistais à laisser à ce French cancanparmi les meilleurs films des années 50, sans jamais le revoir, devenait de plus en plus fragile. Le jeune cinéphile que j'étais ne s'était-il pas laissé un peu trop influencé par la réputation de l'oeuvre ? N'y avait-il pas là un divertissement un peu trop futile ? Car tout de même, Renoir et Gabin, c'était plutôt les années 30... Hier soir, devant ma télévision et dès les premières scènes, le doute s'est envolé. Verdict sans appel : French cancan est un régal.

    Tout commence avec ces rupins qui viennent s'encanailler du côté de Montmartre et du petit peuple, dans ce bistrot où l'on danse sans se soucier des convenances. Et on sent déjà que Renoir n'a rien perdu de son élégance, de sa vigueur et de sa capacité à lier entre eux les personnages les plus disparates et les plus dispersés. Valse des partenaires et valse des regards.

    frenchcancan2.jpg

    L'hommage est dirigé, encore une fois, vers le théâtre, et il est ici d'autant plus émouvant qu'il porte sur ses composantes les moins nobles : chansonniers, siffleurs, danseuses de cancan. Tout du long, des figures pittoresques se succèdent comme autant de choeurs antiques commentant les situations. D'innombrables entrées dans le champ se font par les côtés du cadre, comme sur une scène. Tous les personnages du film sont en représentation. Seulement, ils sont dans le même temps, parfaitement sincères. La leçon de morale que donne Danglard/Gabin à Nini/Françoise Arnoul, pérorant sur le théâtre et sur la vie, nous pouvons la trouver excessive. La sincérité de la tirade ne fait pourtant plus aucun doute quand on voit, quelques minutes plus tard, Danglard rester seul en coulisses pendant le clou du spectacle, battant le rythme et renversant sa tête, soulagé et tellement émouvant à cet instant, lorsqu'il entend les applaudissements du public. De même, d'autres protagonistes et Nini la première, peuvent paraître arrivistes, mais les juger ainsi, c'est ne pas remarquer que toujours la séduction a lieu avant que l'argent n'entre dans les conversations.

    Dans ces années de qualité française, la Belle époque a souvent été filmée et rarement autrement que dans des reconstitutions figées. Chez Renoir, les décors, les dialogues et les interprètes pétillent. Des scènes d'habitude ingrates ou trop faciles comme les répétitions et les auditions des apprentis-artistes sont jubilatoires. La trivialité n'est pas incompatible avec l'élégance quand Nini vient perdre sa virginité chez son boulanger ou quand dans l'embrasure d'une porte, pendant le cours de danse de la vieille Guibole, une femme dévoile ses charmes en prenant un bain.

    frenchcancan3.jpg

    Surtout, Renoir est inégalable dans le crescendo et le mouvement. Une inauguration des plus officielles, en compagnie d'un ministre, voit d'abord quelques tensions se faire jour entre Lola de Castro et Nini au son pourtant très digne de la Marseillaise, avant de sombrer dans un ahurissant pugilat, une bagarre générale magnifique. Le style du cinéaste est pourtant plus simple et plus posé que dans les années 30, saisissant les scènes les plus agitées de façon calme, à quelques panoramiques près. C'est qu'enregistrer un envahissement du cadre suffit, comme dans ce stupéfiant final. Il n'y a là aucun suspense, le succès est d'ores et déjà assuré par l'affluence et l'incroyable déboulé de la foule dans la grande salle du Moulin Rouge. L'énergie est déjà là. Il ne manque qu'une apothéose, celle qu'apportent ces danseuses de cancan qui surgissent de chaque recoin de la salle, de chaque bord du cadre (même d'en haut). Et il n'y a plus de scène. La salle est la scène. Le théâtre devient la vie. Les danseuses virevoltent au milieu des spectateurs qui s'agitent tout autant. La fin de French cancanréalise un double idéal renoirien : l'art contamine le réel et les classes sociales ne sont certes effacées mais se mélangent, bourgeois et voyous, princes et boulangères, tous emportés par le même élan vital.

    Photos : dvdbeaver & Synoptique.

  • Mon oncle

    (Jacques Tati / France / 1958)

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    mononcle.jpgAyant lu ma note récente Êtes-vous Tatiphile ?, mon amie Michèle m'a fort gentiment prêté quelques dvd de Jacques Tati. Première étape, dans le but de faire découvrir tout cela à mon fils de 6 ans : Mon Oncle, sans doute le plus célèbre et, pensais-je, le plus accessible (filmé en couleurs, avec un récit très linéaire et une grande importance donnée aux divers personnages d'enfants...).

    Faisant confiance à un souvenir lointain, je m'étais permis dans la note pré-citée de pinailler à son endroit (je m'étais donc montré Tatillon, ah ah ah). Et bien, je ferais de même ici. Déjà pourvu d'une ambition folle, Tati insiste beaucoup sur son message. La composition très travaillée des plans et leur signification a parfois tendance à écraser les touches humoristiques (cruelle question du fiston revenue à plusieurs reprises : "Quand est-ce que c'est rigolo ?"). La volonté d'opposer ainsi deux mondes se répercute sur tous les éléments constitutifs de chacun : un environnement moderne et déshumanisé face à un havre de paix traditionnel et bon enfant, des bruits électriques agaçants à côté d'une douce musique, des plans fixes qui succèdent à du mouvement. Cette dichotomie perpétuelle lasse quelque peu le long des deux heures de film. Le travail sur la durée pose également question. Il arrive qu'on se dise, arrivés au bout de certains plans et un peu à l'image des détours illogiques que prennent les invités des Arpel pour circuler dans leur jardin : tout ça pour ça... Sur tous ces points, l'équilibre parfait, me semble-t-il, Tati le trouvera 10 ans plus tard avec Playtime, son film-monde à lui.

    Ce qui m'est apparu plus précisément cependant, à cette nouvelle vision, c'est le regard acéré que l'auteur peut porter sur les rapports de classe. Quelques scènes vont ainsi un peu plus loin que la moquerie : la condescendance avec laquelle est traitée la bonne, l'asservissement volontaire supporté par le subalterne de Mr Arpel. Le travail est également vu sous un angle critique réjouissant. Mon oncleest un éloge de la paresse (les employés de l'usine qui se mettent à travailler lorsqu'ils voient arriver dans les parages le chien du patron) et propose une sorte de rejet du fonctionnel à tout prix. Tati réclame le droit de faire des choses inutiles, du moins des choses qui ne font pas avancer plus vite. Peut-être, après tout, que l'auteur de Mon oncle ne veut pas tant opposer deux mondes que demander une pause dans cette fuite en avant vers la modernité.

    Le film a pour lui au moins deux grands atouts que je ne contesterai nullement. Le travail sur le son est extraordinaire (et cela, des deux côtés de la ville) et participe au moins autant que les décors à la singularité de ce cinéma (petite gêne du fiston : "Pourquoi il ne parle pas ?", en fait Hulot dit une seule phrase audible, savoureuse, à l'oreille de la voisine de sa soeur : "J'en connais une, elle est courte..." et obtient pour toute réponse à sa blague, que l'on entend pas, une grimace dédaigneuse). L'autre grand plaisir du film, ce sont ses merveilleux ballets absurdes ou chaleureux, orchestrés par le cinéaste avec les invités de la garden party ou les habitués du bistrot du quartier.

    Un dernier mot du fiston : "Charlot, c'est plus drôle". Sur ce coup, ce n'est pas faux, en attendant de revoir Jour de fête et Les vacances de Mr Hulot. Je lui expliquerai plus tard que Mon oncle est tout de même un film important.

  • Un palmarès français

    Ludovic Maubreuil, auteur du recommandé Cinématique, inconsolable spectateur des défaillances du cinéma français contemporain, a invité ces jours-ci blogueurs et lecteurs cinéphiles à répondre à la question "Qu'y a-t-il à sauver de ces vingt dernières années ?", sous la forme d'une liste de 10 films bien de chez nous, distribués entre 1988 et 2008.

    seulcontretous.jpg

    Voici donc ceux qui, selon moi, se détachent (par ordre chronologique) :

    - La double vie de Véronique (Krzysztof Kieslowski)

    - Van Gogh (Maurice Pialat)

    - La sentinelle (Arnaud Desplechin)

    - La cérémonie (Claude Chabrol)

    - Conte d'été (Eric Rohmer)

    - On connaît la chanson (Alain Resnais)

    - Le temps retrouvé (Raoul Ruiz)

    - Seul contre tous (Gaspar Noé)

    - Ne touchez pas la hache (Jacques Rivette)

    - La graine et le mulet (Abdellatif Kechiche)

    Sur les dix cinéastes de cette liste, deux sont morts et cinq autres ont leur oeuvre derrière eux. Seulement trois "jeunes" cinéastes au tableau. Et une réflexion plutôt inquiétante : le réalisateur français le plus libre, le plus novateur et le plus ambitieux, aujourd'hui encore, s'appelle Alain Resnais, cinquante ans après Hiroshima mon amour.

    Dans l'esprit de Ludovic, prendre connaissance des listes de chacun devrait permettre de juger si un espoir subsiste au sein d'un cinéma français mal en point. Il m'arrive de pester régulièrement moi aussi contre son conformisme, sa petitesse, ses bavardages et sa routine. D'autant plus que si l'on regardre où en sont ceux qui, à un moment ou un autre, ont tenté de faire bouger les lignes, l'état des lieux n'est pas très brillant. Carax et Rochant sont passés on ne sait où ; Kassovitz et Jeunet n'en finissent plus de décevoir ; Lvovsky, Ferran, Ferreira-Barbosa et Masson n'ont jamais réussi à confirmer vraiment leurs débuts prometteurs ; Kahn a du mal à repartir...

    Mais il nous en reste, quelques uns, des espoirs : que Kechiche supporte le poids énorme mis sur ses épaules depuis l'an dernier, que Desplechin poursuive sa route entre expérimentation et grand public, que Noé ne nous laisse pas sur Irréversible, lui qui est capable de tout... Et que Grandrieux, De Van ou Miret arrivent à tourner plus souvent, que Dumont, Belvaux, Cantet, Klotz ou Philibert gardent la même tenue. Qui sait, de bonnes surprises ne sont jamais à exclure. Si le cinéma français n'est pas au mieux, ce n'est pas encore :

    histoireancienne.jpg
  • Paranoid Park (2ème)

    Deuxième visite du Paranoid Parkde Gus Van Sant, un an après la première, et quelques réflexions complémentaires (croisant certaines pistes explorées dans un intéressant bonus dvd par Luc Lagier) :

    L'écrit

    Le premier plan du film, hors générique, montre la main d'Alex écrivant les mots "Paranoid Park" sur son cahier. Tout ce qui suit est donc un récit raconté par l'adolescent. Seulement, Gus Van Sant ne donne pas à voir son illustration mais sa construction, épousant le cheminement de la pensée de son protagoniste et son propre travail de remise en ordre des événements. Le processus d'écriture passe par des reprises, des ratures, des retours en arrière, des recommencements. La mise en scène reprend tout cela à son compte. Ici, le flash-back est un geste qui équivaut à l'arrachage d'une page de cahier.

    Le flou

    La caméra focalise régulièrement sur Alex en laissant les arrière-plans dans le flou. Cela est entendu, nous sommes dans la tête du personnage. Mais quel est ce fond ? Quels sont les lieux traités ainsi, de la manière la plus ostensible ? L'environnement scolaire, la cellule familiale (éclatée) et le centre commercial. Le procédé traduit certainement la difficulté d'appréhender le monde, il est moins sûr qu'il induise une condamnation envers des environnements qui pourraient être perçus comme aliénants. Les films de Gus Van Sant ne cessent de prouver son absence de moralisme. Ces cadres dans lesquels vit Alex ne sont ni bons ni mauvais, juste présents.

    Les bruits

    Dans ce monde qui s'est disloqué, il faut aussi remettre de l'ordre dans ce que l'on perçoit auditivement. Comme les images, le son saute, comme on le dit d'une chaîne de vélo. Dans la voiture que conduit Alex, l'autoradio passe sans transition d'un style de musique à un autre (hip hop / classique / rock). Plus tard, les choix de mise en scène pour la séquence de l'accident débouchent sur quelques incongruités sonores : la beauté de la musique s'oppose à l'horreur de l'image et aucun cri n'est entendu. Comme le démontre Luc Lagier dans son petit essai, la synchronisation de tous les éléments narratifs ne sera effective qu'avec l'apaisement d'Alex et la chanson d'Elliott Smith trouvera, elle, sa place, épousant parfaitement les images du dénouement.

    Le rythme

    Dans Paranoid Park, Van Sant ne cesse de varier les vitesses. Si celles-ci ont du mal à s'accorder dans l'espace mental d'Alex, c'est qu'il n'est pas prêt. D'après ses propres mots, il n'est pas prêt non plus pour se lancer dans l'arène au milieu des skateurs. Il reste donc sur le bord de la piste, assis sur sa planche. Le cinéaste le filme de dos regardant les autres : deux vitesses différentes dans le cadre. Au final, c'est bien son amie Macy qui, en le laissant s'accrocher à son vélo, l'aidera à trouver son rythme. Et enfin dans le plan, deux vitesses s'accordent.

    L'accord parfait

    Quand Alex est avec sa girlfriend Jennifer, quelque chose manque toujours : soit l'image est floue (dans le couloir du collège), soit le son manque (lors de la séparation), soit les longs cheveux font écran (lors de la scène d'amour). En revanche, avec Macy, dès le départ, les choses sont claires. Les sujets abordés sont précis. La compréhension est immédiate ("Quelque chose t'est arrivé") et la complicité évidente. Rien de plus beau au cinéma que deux trajectoires qui se rejoignent, dévoilant enfin quelques certitudes au milieu du chaos du monde.

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    Photo Allociné
  • Entre les murs

    (Laurent Cantet / France / 2008)

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    entrelesmurs.jpgEntre les murstire sa force de quelques parti-pris intelligents. Pendant les deux heures de projection, jamais nous ne sortons du collège Dolto et si de brèves incursions en salle des profs, dans le bureau du directeur ou dans la cour, nous sont autorisées, c'est bien dans la classe de 4ème, pendant les cours de François Martin (aliasFrançois Bégaudeau), que nous revenons incessamment. Le film débute le jour de la rentrée et se termine à la veille des vacances d'été, balayant ainsi une année scolaire, mais sans apporter de repère temporel particulier entre ces deux bornes. Le récit progresse par blocs de longues séquences, laissant entre chacune d'importantes ellipses, particulièrement reposantes (par exemple, celle qui ne nous explique pas comment ni pourquoi Khoumba revient sur sa décision de ne plus adresser la parole au prof). Travailler ainsi sur la durée permet de laisser les discussions se dérouler dans toute leur complexité et de ne pas mettre en valeur artificiellement les bons mots et les répliques saillantes.

    Autre singularité, Laurent Cantet n'élude pas les impasses auxquelles peuvent mener ces conversations entre élèves et enseignant. Contrairement à l'usage qui veut qu'une séquence mettant en scène un dialogue se termine toujours clairement et de façon résolue, à plusieurs reprises ici, nous finissons sur François Bégaudeau pris au dépourvu. Entre les mursest un film sur le langage et il traite le sujet en passant par tous les chemins possibles. Le débat qui éclate autour de la différence qui existerait ou pas entre les termes "enculé" et "pétasse" ne dépasserait guère le clin d'oeil tragi-comique si il ne trouvait pas sa place dans un réseau complexe de pistes de réflexion. De même, si les scènes entre professeurs semblent plus appliquées et plus didactiques que les autres, il n'est pas sûr que cela soit dû à une différence dans le jeu des acteurs (un jeu qui serait naturel chez les comédiens adolescents et plus travaillé, plus artificiel chez les autres). Il faut plutôt y voir l'expression d'un autre type de langage et la démonstration que chacun module inconsciemment sa parole en fonction du contexte.

    Tout au long de son film, Cantet redouble à l'écran le travail de l'enseignant avec ses élèves, donnant lui aussi des exemples de registres et d'usages multiples de la langue. Les rapports profs-élèves sont beaucoup vus à travers le problème des punitions et récompenses. Là aussi en épousant le regard de Bégaudeau, le cinéaste parvient à nous faire approcher d'une certaine vérité. Le thème de l'utilité des sanctions est l'un des éléments principaux du moteur narratif, mais plus souterrainement, on ressent la recherche constante de Bégaudeau pour trouver la bonne position par rapport à ses élèves. La  scène où il félicite Souleymane, l'élément perturbateur qui vient de faire un bon travail, me semble très importante dans cette optique.  On sent à ce moment-là que le prof cherche, exactement comme Cantet, à ne pas tomber dans la démagogie et à être juste. Trouver la bonne distance pour éviter l'angélisme : cinéaste et comédien-professeur feront à nouveau ce même effort quand il s'agira d'écouter le fan de gothique défendre son look et son attitude "anti-conformiste".

    A la limite, tout cela ne ferait qu'un bon reportage informatif sans une mise en scène travaillée. Il faut donc souligner le sens du montage et du rythme de Laurent Cantet (les plus de deux heures de film passent très vite). Sa caméra est à l'affût sans être hystérique. Aucun tremblement ostentatoire. La vivacité n'exclue pas la souplesse.

    Entre les mursa décidément beaucoup à voir avec le cinéma d'Abdellatif Kechiche. Chez Laurent Cantet, la place réservée à la parole est également prépondérante. Mais le goût de la conversation est l'une des choses les plus répandues dans le cinéma français. Ce qui rend les oeuvres de ces deux réalisateurs si passionnantes, c'est que cette parole est fortement incarnée et portée par des corps remarquablement présents. Et la transmission de cette énergie n'est possible que parce qu'elle a été pensée à partir d'une démarche cinématographique ambitieuse.

    Maintenant, à propos des leçons politiques que l'on peut tirer du film, à propos du débat sur l'éducation, de la frontière documentaire-fiction, du râââvissement devant ces jeunes ados si fôôôrmidables de vie, je vous renvoie vers à peu près tous les journaux depuis la rentrée, à moins que vous n'ayez choisi, comme moi, de façon peut être injuste mais salutaire de vous boucher les oreilles face au tintamarre.