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Nightswimming - Page 57

  • 2 days in New York

    Delpy,Comédie,France,2010s

    Minuscule comédie linguistique et comportementale tirant plusieurs ficelles woody-alleniennes (débit mitraillette, humour de la gêne, ancrage culturel, vrai-faux narcissisme, obsessions sexuelles, blagues ethniques, décrochages onirico-comiques) sans atteindre aucune pelote, confondant vitesse et précipitation, énergie et gesticulation, prenant l'allure d'un simple enregistrement guidé par les reparties de personnages aussi malpolis que mal joués, expliquant plutôt deux fois qu'une les situations ("J'ai dû inventer une histoire", "Vous êtes l'acteur Vincent Gallo, non ?"), alignant les clichés sans les mettre en forme et décrochant le mois dernier la une de Positif (*).

     

    (*) : Michel Ciment La revue ouvrant sa présentation de la comédienne Delpy en citant Tavernier, Schlöndorff et Kieslowski, et oubliant bizarrement (ou pas) les noms des deux premiers "découvreurs", Godard et Carax.

     

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    Delpy,Comédie,France,2010s2 DAYS IN NEW YORK

    de Julie Delpy

    (France - Allemagne - Belgique / 96 min / 2012)

  • Dark shadows

    Burton,fantastique,Comédie,Etats-Unis,2010s

    Un vampire est libéré de son cercueil, deux cents ans après y avoir été enfermé et déboule au début des années 70 chez ses descendants, retrouvant à cette occasion la sorcière qui l'avait à l'époque condamné à disparaître.

    Si Dark shadows avance claudiquant, la cause n'est pas à chercher dans le décalage temporel sur lequel repose cette histoire (nous avons là plutôt l'un des points forts du film) mais plus certainement, d'une part dans le déroulement d'un scénario un poil faiblard, et d'autre part dans les quelques rechutes minant ça et là la mise en scène de Tim Burton, cinéaste-fantôme des années 2000. L'œuvre glisse sur de nombreux thèmes chers au créateur d'Edward aux mains d'argent (opposition entre deux mondes, immortalité, cupidité, part animale, enfance délaissée...) et brasse un nombre de personnages assez nombreux se plaçant successivement à côté du principal pour guider la narration. Découlent de cela des abandons de pistes et d'étranges absences prolongées (celles de Vicky dans la partie centrale empêche le spectateur d'être véritablement pris par l'amour qu'elle vit avec Barnabas). Voilà qui est regrettable car tous les personnages sont bien campés.

    Burton, lui, est toujours dans sa mauvaise passe quand il s'agit d'œuvrer dans le spectaculaire. La débauche d'énergie et les rebondissements du dénouement provoquent la fatigue plus qu'autre chose alors qu'une scène d'amour dévastatrice agace à force de mêler le grotesque et la pudibonderie. Mais force est de constater que, globalement, le cinéaste a mis la pédale douce et qu'il a été bien inspiré de s'accrocher un peu plus fermement au réel que dernièrement. On balance ainsi entre des effets grandiloquents et des touches plus discrètes, on se réjouit de la permanence d'une certaine méchanceté (étonnante ponctuation de la scène avec les hippies), on apprécie la beauté d'une ultime morsure au cou, on profite d'une nouvelle variation autour du monstre passant du statut d'objet de curiosité à celui de bouc émissaire, on s'amuse d'entendre résonner dans les enceintes le Superfly de Curtis Mayfield et le Season of the witch de Donovan, on relève une idée carrément géniale lorsque Barnabas-Depp se lamente en s'appuyant involontairement sur un synthétiseur, créant ainsi une irrésistible plainte gothique.

    L'histoire se déroule précisément en 1972, moment de l'explosion du glam rock, mouvement baignant allègrement dans la décadence, la provocation, le travestissement, l'excentricité, le macabre et la folie. Dès lors, la convocation d'Alice Cooper pour une longue séquence va au-delà du clin d'œil et n'est pas dénuée de sens. S'orchestre là une sorte de croisement idéal entre l'imaginaire gothique hammerien et les diableries pop rock, Tim Burton ayant de surcroît trouvé une bonne dynamique musicale, ses plans semblant parfois tenir entre eux par la bande son qui les recouvre.

    Je serai donc tenté de prendre Dark shadows comme un retour aux fondamentaux burtoniens plutôt bénéfique, la balance penchant cette fois-ci, comme jamais en dix ans, du bon côté.

     

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    Burton,fantastique,Comédie,Etats-Unis,2010sDARK SHADOWS

    de Tim Burton

    (Etats-Unis / 110 min / 2012)

  • I wish, nos vœux secrets

    iwish.jpg

    I wish, réalisé par un cinéaste attachant, est un film charmant et il vaut donc mieux que j'avance tout d'abord les réserves qu'il m'a inspiré afin de terminer mon texte sur une meilleure note.

    C'est une chronique de l'enfance contée à hauteur de gamin de 9/10 ans. Le fil directeur est celui qui reste tissé entre deux frères séparés, l'un vivant avec sa mère, l'autre avec son père. Leur attente est celle d'un miracle : il adviendra selon eux au point exact où les deux nouveaux trains reliant leur ville respective vont se croiser pour la première fois. Partant de là, le récit se fait impressionniste, légèrement éparpillé et s'étirant le long du quotidien. Plus qu'un dialogue à distance entre les deux frères, c'est finalement la photographie d'une petite bande qui est prise, bande à laquelle il faut aussi ajouter les parents et grands-parents.

    Reléguer les figures parentales totalement hors-champ aurait pu paraître arbitraire mais tout ce qui les concerne dans le film m'a semblé représenter la part la moins intéressante. Si l'aîné des garçons répète à plusieurs reprises "je n'y comprends rien", disons que, en regardant les adultes, nous comprenons quant à nous un peu trop facilement, les caractères étant marqués. Pour faire sentir la frontière qui existe entre le monde de l'enfance et celui des adultes, le réalisateur aurait peut-être pu creuser un peu plus l'idée de l'intrusion dans le cadre par les grandes personnes.

    Le principe du lien qui persiste est avancé avec adresse, même s'il est véhiculé avant tout par les mots, par la reprise d'un personnage à l'autre de formules. Et si on en passe souvent par une esthétique de la vignette, avec notamment des intermèdes musicaux assez commodes, ces quelques bémols n'empêchent pas de trouver la première moitié globalement plaisante.

    Et la seconde assez belle. Le petit groupe d'amis écoliers se met enfin en route pour atteindre son but, laissant les adultes derrière eux, aidés seulement par l'autre génération, celle des grands-parents. Cette aide apportée concrétise ce que l'on pressentait déjà : une connivence au-delà des mots et par-delà la génération intermédiaire se débattant comme elle peut dans la société.

    Mais ce qui fait le prix de cette partie du film, qui bénéficie également de la cinégénie du déplacement de groupe, ferroviaire ou pédestre, c'est sa résolution. L'expérience faite, qui représente le pic narratif, ne change les choses que très légèrement. Le terme d'apprentissage paraît trop fort pour ce qui est surtout une progression à petits pas, au rythme de la vie. Ni fossoyeur d'espoirs, ni générateur d'illusions, l'exceptionnel moment partagé marque une nouvelle ouverture pour ces gosses, comme pour le spectateur (qui en prend particulièrement conscience avec le dernier plan). I wish se situe dans un entre-deux étroit, celui des petites choses, comme le montre une série d'inserts semblant pointer ce qui importe dans la vie, cette somme qui naît de trois fois rien. Pour avancer, il faut s'enrichir de ce qui est passé. C'est l'un des messages du film et c'est peut-être l'un de ses principes de mise en scène (ainsi, par exemple, d'une beuverie plutôt longuette resurgira, plus tard, une décision importante).

     

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    Kore-eda,Japon,2010sI WISH, NOS VŒUX SECRETS (Kiseki)

    d'Hirokazu Kore-eda

    (Japon / 128 min / 2011)

  • Le bûcher des vanités

    bucherdesvanites.jpg

    Adapté de Tom Wolfe, Le bûcher des vanités est un film que Brian De Palma a voulu d'un comique noir et grimaçant. On retient avant tout deux choses de la vision de ce qui est sans doute l'un des plus mauvais titres d'un cinéaste très inégal : la vulgarité et la confusion narrative.

    Des dialogues scatologiques ou graveleux sont mis dans la bouche d'interprètes n'ôtant jamais leur masque, celui du rictus alcoolisé (Bruce Willis), celui du sourire tétanisé du yuppie pris au piège (Tom Hanks) ou celui de la gourmande nymphomane sans cervelle (Melanie Griffith). Ces marionnettes (les seconds rôles n'ont pas plus d'épaisseur que les premiers) s'agitent dans un monde de luxe monumentalisé par la caméra du cinéaste. Abusant des courtes focales, celui-ci s'amuse à déformer les visages jusqu'au grotesque. Il colle un plan en plongée vertigineuse à un autre en contre-plongée tout aussi extrême de manière totalement gratuite. Faisant ainsi des pieds et des mains à chaque instant, il finit par laisser le sens de ses images s'évanouir.

    A la vulgarité du style s'ajoute une conduite particulièrement maladroite du récit, grinçant dans ses articulations et pataud dans ses développements. La faillite apparaît entière lorsque l'on se pose la question du point de vue. L'histoire est supposée nous être contée par le journaliste Peter Fallow (Willis), sa voix intervenant d'ailleurs en off à quatre ou cinq reprises (le plus souvent uniquement pour verbaliser ce que l'on voit sur l'écran). Mais il arrive que la caméra "virtuose" de De Palma nous impose d'habiter quelque temps l'esprit troublé de Sherman McCoy (Hanks). A d'autres reprises encore, le surplomb "objectif" devient la règle.

    Pas plus rigoureuse que celles qui la précèdent, la dernière partie du film inflige une réconciliation familiale puis le prêche assommant d'un juge noir (Morgan Freeman assénant à l'assistance : "Be decent people !"). Tout cela après avoir passé le temps à dépeindre les oppositions inter-communautaires new yorkaises (noirs, juifs, wasps) avec la finesse d'un commando de GI lâché dans Bagdad. Après la charge, la leçon de morale (et peu importe de savoir si cette fin a été imposée ou non par les producteurs).

    Le hasard m'a fait ainsi découvrir Le bûcher des vanités juste après avoir revu The player, deux films réalisés à quelques mois d'écart et partageant de nombreux points communs : un plan-séquence-générique mémorable en ouverture, la vision acide d'un milieu précis (celui des golden boys de Manhattan ici, des producteurs hollywoodiens là), le récit de la terrible chute d'un homme parvenu au sommet, un dénouement "sauvant" le héros de manière grinçante... Partant de là, la supériorité altmanienne apparaît écrasante, tant au niveau de la fluidité stylistique que de l'efficacité dramatique. Un point les différencie surtout. Altman, à qui on reproche régulièrement (à tort) de se moquer de ses personnages, ne les ridiculise jamais. Sans même parler du principal, il n'y a qu'à comparer les figures féminines de The player (celle, touchante, de Greta Scacchi ou celle, énergique et persévérante, de Whoopi Goldberg) et celles du Bûcher (la bêtise caractérisant à la fois la femme et la maîtresse). On mesure alors parfaitement la distance qui sépare un regard s'autorisant quelques pointes ironiques mais restant honnête et un regard méprisant et moralisateur.

     

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    depalma,etats-unis,comédie,90sLE BÛCHER DES VANITÉS (The bonfire of vanities)

    de Brian De Palma

    (Etats-Unis / 125 min / 1990)

  • Bellflower

    bellflower.jpg

    La réputation, l'affiche, le pitch, l'habillage esthétique et les premières images de Bellflower sont des promesses que le premier film du réalisateur-producteur-scénariste-monteur-acteur Evan Glodell ne tient pas. Peut-être est-ce lié au fait que les personnages sont des glandeurs affichant un côté geek, des petits jeunes aimant imaginer toutes sortes de choses "trop cool" sans quitter leur quartier. Encore que ces geeks-là sont un peu particulier car ils semblent ignorer l'informatique. Ils préfèrent le bricolage, la mécanique, les objets de brocante, les véhicules anciens et les cahiers de dessin. Il est vrai que cela fait plus "Cinéma". Une vieille moto, une bagnole customisée, cela réveille immédiatement tout un imaginaire (partant de Mad Max, directement cité dans le film, le spectateur peut ramener lui-même toutes ses références).

    Mais revenons aux promesses. Un coup de tonnerre, une embardée spectaculaire, Bellflower ? Vraiment ? Mais passé le générique et avant la dernière partie, le film n'est qu'une simple romance comme on en a déjà vu des centaines, une bluette juste réhaussée de culture indépendante. Boy meets girl, what else ? Pendant une bonne heure, il faut se farcir les minauderies d'un couple n'ayant que les mots "cute" et "cool" à la bouche. Le vernis trash, les délires alcoolisés, les gueules de bois et bien sûr cette esthétique torturée n'y changent rien. On veut bien, pendant un moment, s'attacher à ces personnages de losers doués (on pense au premier tube de Beck et à son clip, très proche dans l'esprit, mais qui a l'avantage de ne durer que quatre minutes et d'avoir été réalisé il y a de cela... 19 ans) mais les filtres de couleurs, les salissures sur l'objectif et le flou envahissant des coins de l'image perdent de leur intérêt à force de nous laisser espérer que quelque chose va vraiment arriver. La pointe d'inquiétude qu'ils installent ne suffit bientôt plus.

    Le déraillement arrive donc trop tard et il déçoit forcément, trop attendu. Jalousie, tromperie, vengeance : ce n'est finalement qu'une affaire de cul qui tourne mal. On pensait basculer dans un monde étrange et plonger dans l'Apocalypse, mais nous voilà en train d'assister à des accès de violence contenus dans le cercle tracé par les cinq principaux personnages. De plus, ce dénouement s'étire dans une grande confusion narrative. Mort-pas mort ? Rêve-réalité ? (*) Le bouleversement temporel à l'œuvre ne ressemble là qu'à la mise en avant gratuite du cinéaste.

    Bellflower bénéficie d'une fantastique bande originale (mais cela relève presque du minimum syndical pour un film indé US). Toutefois, Bellflower n'est pas du tout une romance sur fond d'apocalypse. Ce n'est pas non plus une merveilleuse vision de la jeunesse (convoquer Hal Hartley comme le fit Thomas Sotinel dans Le Monde est insultant pour le génial cinéaste et dialoguiste de Trust me).

    Ou alors c'est moi, ayant de plus en plus de mal à m'enthousiasmer pour tous les futurs-grands-cinéastes qui nous sont présentés ces derniers temps par la critique ou le net. Alors qu'ils furent si nombreux dans les années quatre-vingt-dix, aujourd'hui, je ne sais même plus quel est le dernier "premier film" à m'avoir réellement touché...

     

    (*) : La reprise d'un plan précis incite à emprunter la piste du fantasme. C'est celle qu'a suivi l'ami tenancier du Ciné-club de Caen pour tourner une critique enthousiaste.

     

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    bellflower00.jpgBELLFLOWER

    d'Evan Glodell

    (Etats-Unis / 110 min / 2011)

  • Le policier

    policier.jpg

    Commençons par la fin. Le policier se termine sur une confrontation, mais dans laquelle l'un des deux antagonistes reste en position dominante. L'insistance sur son regard, dirigé vers l'autre, a pour but de faire naître sans doute le sentiment d'une prise de conscience. Le dernier plan est pour lui, comme l'est le titre du film, qui ne s'appelle pas Le policier et la terroriste.

    Pourtant, la construction s'affiche en deux panneaux, deux parties successives et bien distinctes, dont les ingrédients ne se voient mêlés que dans une troisième. La synthèse succède ainsi à la thèse et à l'antithèse. Il me semble cependant que, au-delà des détails que j'ai évoqués en introduction, l'édifice est déséquilibré.

    La première partie est très supérieure à la deuxième. On y sent une adéquation entre la rigueur de la mise en scène (espace et temps) et la description d'une vie placée sous le signe unique du rite social. Si le membre de la brigade israélienne anti-terroriste qui nous est longuement présenté n'est pas montré en action mais avec sa femme enceinte, sa famille et ses amis (qui sont aussi ses collègues), ses activités domestiques ou de loisirs s'avèrent aussi ritualisées que son travail. Par ce seul biais du quotidien, le cinéaste montre très bien la puissance d'une idéologie particulière, fondée sur le conservatisme, le sens de l'honneur, le machisme, la virilité, le culte du corps, l'esprit de groupe. En apparence chaleureux (soins tendres prodigués à l'épouse, tapes amicales et incessantes dans le dos des copains, amitiés indéfectibles), le portrait du policier laisse peu à peu deviner l'envers du tableau et finit par faire froid dans le dos, la rigidité, déjà peu attirante, du bonhomme masquant des arrangements moraux plus détestables encore. Cette sensation culminerait avec l'affreux "gag" du collègue cancéreux tabassant, bien après les autres, le temps d'arriver essouflé, le voleur de fleurs du cimetière. Nul doute qu'à travers son personnage de policier c'est la société elle-même que cherche à démasquer Nadav Lapid.

    Il continue dans la deuxième partie. Seulement, en voulant celle-ci en miroir, il impose un discours qui paraissait jusque là plus subtil. Délaissant son flic, il s'intéresse à quatre gauchistes décidés à passer à la lutte armée contre les riches. Cette fois, la vacuité de l'action est évidente, pointée dès le départ. Ces jeunes révolutionnaires bien nés, se réunissant dans le loft luxueux de parents, nous sont tout de suite antipathiques. Le regard de Lapid est trop distant et comme sa méthode reste la même, les états d'âme et les préparatifs du commando deviennent assez mornes. La réflexion n'est plus prolongée par la mise en scène, l'image ne disant rien de plus que ce qu'elle montre.

    Le film a alors du mal à repartir avec sa troisième et dernière partie, longue et froide. Froide alors qu'elle aurait dû être réchauffée par quelque émotion ou bien, à l'opposé, complètement glaçante (la "politique-fiction" est peut-être trop évidente pour que l'on soit véritablement bouleversé ou sidéré). Voulant établir, sous un angle assez original, un constat inquiétant sur les maux endémiques de son pays, Nadav Lapid, qui ne semble pas manquer de talent, s'est fait en partie piégé par son appareil théorique.

     

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    policier00.jpgLE POLICIER (Ha-shoter)

    de Nadav Lapid

    (Israël / 105 min / 2011)

  • Du jour au lendemain

    huillet,straub,allemagne,90s

    Que la montée est raide ! On manque plus d'une fois de mettre pied à terre et d'abandonner, ou bien de continuer en marchant, sans effort, la tête ailleurs. C'est qu'il faut vraiment s'accrocher et serrer les dents en attendant que le second souffle vienne pour connaître au final la satisfaction.

    Le premier plan est magnifique, mouvement lent partant de l'orchestre en train de se chauffer et décrivant un demi-cercle pour aller cadrer les fauteuils vides de la salle de spectacle avant de revenir à la position initiale et laisser ainsi deviner au fond de l'espace la scène éclairée. Le deuxième montre une inscription sur un mur, "Où gît votre sourire enfoui ?", phrase qui, par l'intermédiaire du documentaire du même nom que réalisa Pedro Costa en 2001, est devenue une sorte de formule accolée au cinéma de Straub-Huillet. Ce plan-là dure plus que de raison. Fixe, il ne laisse voir que les effets du vent sur des branches et entendre des bruits indistincts de la rue. Le troisième arrive et nous voilà dans l'appartement d'un couple de bourgeois rentrant de soirée. Nous n'en sortirons pas.

    Du jour au lendemain est un film-opéra réalisé à partir de l'œuvre éponyme composée en 1929 par Arnold Schönberg (dont le Moïse et Aaron fit également l'objet d'une adaptation par les cinéastes, en 1975). La difficulté vient déjà du matériau. Pour qui n'est pas un familier de l'art lyrique, l'opéra selon Schönberg apparaît ardu, dissonant, rugueux. De surcroît, à moins d'être germanophone, l'obligation de suivre les sous-titres perturbe l'effort d'imprégnation totale dans la musique, à la recherche d'une harmonie.

    La mise en scène des Straub ne cherche en rien à aplanir ces rugosités originelles. On admire, certes, le travail sur la lumière de William Lubtchansky, offrant un superbe noir et blanc. On apprécie la forte présence du couple Richard Salter - Christine Whittlesey. Mais les plans généralement longs, le hiératisme des postures et l'impression d'une très faible quantité d'angles de prises de vues différents (alors que tout doit être certainement millimétré et beaucoup plus varié qu'il n'y paraît) mettent à rude épreuve. Trois espaces seulement sont visités, du salon à la cuisine en passant par la chambre, et encore ne font-ils qu'un, sous le coup d'un montage aussi "raide" que les protagonistes. Si parfois cette mise en scène tente de redoubler l'ironie présente dans le livret (l'homme, par exemple, parle de sa perception et la caméra cadre sa tête avec beaucoup d'espace au-dessus d'elle), l'effet est infinitésimal. On s'épuise alors à réfléchir au pourquoi de tel hors-champ ou de tel plein cadre. Le récit semble patiner et nous voilà à deux doigts de l'abandon. A force d'assèchement, le cinéma déserte. Anti-cinéma ?

    Mais de l'anti-cinéma au cinéma absolu, il n'y a, paradoxalement, pas l'épaisseur d'un feuille de cigarette. Ou bien est-ce autre chose... Finalement, peut-être qu'il faut en passer par là, dans la majorité des films des Straub. Par du découragement, de l'ennui, de l'alourdissement de paupières. Pour goûter tout de même à quelque chose de rare qui se dégage de cette durée.

    Cherchant à se raccrocher, il suffit parfois d'un rien, d'une tournure plus dramatique des événements, d'un changement de trajectoire narrative. Ici, c'est l'apparition d'un enfant puis un coup de fil impromptu qui nous dirigent vers un beau final à quatre voix. Les sens sont réactivés. Les plans fixes sur les objets et le mobilier lors des pauses du chant n'agacent plus mais deviennent mystérieux. L'histoire de ce lien refait touche plus que prévu. Et les derniers mots peuvent marquer par l'interrogation malicieuse qu'ils véhiculent à propos de la modernité, qui peut ne plus l'être, du jour au lendemain...

     

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    huillet,straub,allemagne,90sDU JOUR AU LENDEMAIN (Von heute auf morgen)

    de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

    (1996 / Allemagne - France / 62 min)

  • Le dingue du palace

    ledinguedupalace.jpg

    Premier film directed by Jerry Lewis, Le dingue du palace n'a pas du tout l'allure d'un brouillon de débutant, nonobstant la minceur de son fil narratif.

    A l'écran, se déroule en effet une simple succession de mésaventures et catastrophes vécues et provoquées par l'un des nombreux grooms du grand hôtel Fontainebleau à Miami Beach. La structure est donc celle du film à sketches mais avec l'avantage d'une unité esthétique, apportée par la mise en scène de Lewis et la permanence du décor et de quelques personnages accompagnant le premier d'entre eux. Ce liant suffit à faire du Dingue du palace un objet aux contours réguliers. Certes, la frustration peut naître de ne pas voir prolonger tel ou tel fragment. L'arrivée à l'hôtel de la star de cinéma Jerry Lewis, ressemblant trait pour trait au groom gaffeur, est ainsi l'occasion de l'une des meilleures séquences du film, mais n'est plus évoquée par la suite.

    Le tournage s'est fait sur les lieux, d'où la grande présence d'un décor réel et d'une ambiance que n'ont pas souvent les comédies de cette époque. L'investissant à merveille, Jerry Lewis a élaboré une mise en scène d'architecte. Cousinant avec Tati, il travaille sur les volumes, les perspectives, la plasticité et le rendu sonore des matériaux.

    Il renouvelle dans le même geste l'une des idées fortes du burlesque en désignant un corps et une démarche sortant de l'ordinaire, du carcan et, par là, provoquant du désordre. Jerry acteur, c'est une élasticité, une irrégularité du rythme vital, une démarche folle et incompréhensible, toutes choses qui s'opposent à l'ordonnancement (et ces variations imprévisibles sont redoublées par l'usage comique contradictoire qui est fait du plan séquence et de la coupe franche dans le plan). Il ne faut bien sûr pas oublier, dans cette optique, ce qui gêne parfois chez Lewis mais qui, ici, s'intègre parfaitement au mouvement du film : le recours régulier aux grimaces.

    Même s'il sait être direct, il n'hésite pas à travailler l'écoulement du temps (toujours associé au sentiment de l'espace), à aller vers un comique de la gêne. Il demande au spectateur de le suivre. On comprend ainsi pourquoi Jerry Lewis fut qualifié de comique conceptuel. L'homme fait rire mais cherche en même temps, par sa mise en scène, à faire réfléchir au pourquoi du rire, au risque de l'annuler ou au moins de l'atténuer parfois.

    Sachant payer sa dette envers les grandes figures du passé (un clone de Stan Laurel traverse le film en plusieurs endroits), il ne s'en projette pas moins vers l'avant, apparaissant réellement moderne. Aujourd'hui, la comédie, d'où qu'elle vienne, semble avoir abandonné toute ambition plastique pour ne se concentrer que sur la sociologie, l'étude de caractères et le réalisme, et il est symptomatique que la mise en scène du Dingue du palace fasse plutôt penser à celle de Roy Andersson, d'Ulrich Seidl ou de Tsaï Ming-liang, cinéastes que l'on ne qualifierait pas, en premier lieu, de comiques. Lewis, lui, continuera, semble-t-il, sur cette voie royale pendant la première moitié de la décennie 60. La suite, pour ce que j'en connais, oscillera entre l'estimable (Les tontons farceurs, Jerry grande gueule) et le pathétique (Ya Ya mon Général).

     

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    ledinguedupalace00.jpgLE DINGUE DU PALACE (The bellboy)

    de Jerry Lewis

    (Etats-Unis / 70 min / 1960)